Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEUXIÈME ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 10

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1 D'un autre côté, moi, Paul, je vous engage, par la douceur et la bonté de Christ, moi qui, «chez vous, et en face, suis si modeste, et si hardi contre vous quand je suis loin», je vous prie, dis-je, de ne pas m'obliger à être hardi quand je serai présent, avec cette assurance avec laquelle je compte bien oser quelque chose contre certaines gens qui pensent que je me conduis comme un homme faible.

3 Car bien que je ne sois qu'un faible mortel, ce n'est pas comme tel que je fais mes campagnes: mes armes de guerre ne sont pas humainement faibles, mais divinement puissantes, pour démolir des citadelles, de manière à renverser tous les raisonnements qui s'élèvent comme un boulevard contre la science de Dieu, et à asservir toute pensée à l'obéissance de Christ; et je suis prêt à punir toute désobéissance, dès que votre obéissance à vous sera parfaite.

X, 1-6. Nous arrivons brusquement à une troisième partie de cette épître, dans laquelle Paul, désormais rassuré sur les dispositions de la majorité des chrétiens de Corinthe, se tourne avec vivacité et même avec aigreur contre ses adversaires et détracteurs. Il est très important qu'on ne perde pas de vue cette distinction des membres de l'église en deux camps ou tendances. Quant à la forme, le discours ne se place pas partout au même point de vue. Généralement c'est la partie saine de la communauté à laquelle l'apôtre s'adresse; mais tantôt il parle de manière à faire clairement ressortir l'absence de toute solidarité entre elle et l'autre parti, dont il parle dédaigneusement et à la troisième personne, tantôt aussi il s'exprime comme s'il avait encore besoin d'affermir les bonnes dispositions de ses adhérents, dont les esprits hésitaient encore entre les diverses tendances. Rien n'empêche d'admettre que quelques-uns restaient encore indécis, que Paul le savait et que son discours revient à eux plus directement de temps à autre.

Ensuite il est essentiel de bien connaître de quelle nature était l'opposition qu'il rencontrait à Corinthe. Et à cet égard, la longue et vive polémique à laquelle il va se livrer ne laisse subsister aucun doute. Ses adversaires étaient des Juifs, c'est-à-dire des chrétiens judaïsants, probablement en relation directe avec Jérusalem, soit par leur origine et leur séjour antérieur, soit du moins par leurs convictions. Ils combattaient l'enseignement de Paul relatif à la loi mosaïque, à son but et à son autorité, et pour le faire avec plus de succès, ils attaquaient ses propres titres à l'apostolat, et lui opposaient ceux des disciples immédiats de Jésus.

Après cela, il ne restera guère d'obscurité dans notre texte. Dès le premier mot, il s'annonce comme étant d'une portée tout autre que celui qui précède. Je viens de vous parler, dit Paul, comme un ami, comme quelqu'un qui vous estime, qui ne laisse pas passer une seule occasion de faire votre éloge. Je sais que tout le monde chez vous ne comprend pas ce langage, ni n'en est touché. Il y a là des gens qui affectent de me mépriser, de se moquer de moi, qui me contestent le droit de veiller à la discipline parmi vous, et qui prétendent qu'après tout je n'aurais jamais le courage de faire valoir mon autorité directement, et sur place. Eh bien, ils se trompent, et je vous engage à ne pas vous laisser entraîner à me provoquer, à me mettre à l'épreuve. Je vous en supplie par la douceur de Christ, dont je suis le disciple et dont je voudrais en tout suivre l'exemple.

Comme l'apôtre se trouve ici en face d'adversaires, comme il est dans le cas de combattre des enseignements opposés à ce que lui savait et disait être le fond même de l'Évangile, et de repousser des attaques dirigées contre son caractère et son autorité, il est bien naturel qu'il revête sa pensée des formes d'une allégorie, qui lui est d'ailleurs assez familière. On l'accuse de faiblesse (et cette faiblesse aurait été plutôt morale que physique); eh oui, s'il ne s'agissait que de ses propres forces, il accepterait ce reproche, mais il est le soldat de Christ; ses armes (Éph. VI, 13 ss.) sont puissantes, parce que Dieu les lui prête et les rend victorieuses; avec elles, il ne s'arrête pas devant les citadelles et les boulevards que les faux et vains raisonnements des hommes, les préjugés des uns ou les spéculations des autres peuvent opposer à la science (connaissance) de Dieu, c'est-à-dire à la vérité religieuse (chap. IV, 2, 4); toute pensée venant de ce côté-là aura le sort des vaincus, elle sera réduite en captivité, soumise, de gré ou de force, à l'obéissance de Christ, c'est-à-dire, amenée à reconnaître ses droits exclusifs à régler les destinées de l'humanité. Les passages parallèles font voir que ce terme d'obéissance se rattache intimement à l'idée de foi, ou plutôt de conversion (Rom. I, 5), de manière qu'ici aussi Paul aura plutôt parlé d'une soumission par la persuasion, par la connaissance de la vérité, que d'une pure réduction au silence.

Dans la dernière ligne, on voit clairement se dessiner la séparation des partis. La sévérité contre les opposants se manifestera par des actes, dès que l'apôtre sera sûr de pouvoir s'appuyer sur une majorité dévouée.

7 Vous regardez à la face extérieure des choses? Mais si quelqu'un est persuadé en lui-même qu'il est de Christ, qu'il se mette bien aussi en tête que de même que lui est de Christ, de même je le suis aussi! Car lors même que je me serais glorifié un peu trop au sujet du pouvoir que le Seigneur m'a donné (pour votre édification, non pour votre ruine), je ne me trouverais pas dans le cas d'en avoir honte, pour que je n'aie pas l'air de vouloir «vous intimider par mes lettres». Car mes lettres, dit-on, sont sévères et énergiques, mais ma présence personnelle est sans vigueur et ma parole sans force ni effet. Que celui qui me juge ainsi, compte bien que tel que je suis en paroles dans mes lettres, quand je suis absent, tel je serai aussi dans mes actes, quand je serai présent!

X, 7-11. La question qui se trouve en tête de ce morceau, anticipe sur un ordre d'idées qui sera longuement développé dans le chapitre suivant. L'apôtre veut être apprécié d'après ses actes et ses sentiments, non d'après des considérations purement extérieures, d'après ses rapports avec l'Église et ses collègues de Jérusalem. Je suis tout aussi bien chrétien que qui que ce soit, j'ai le droit de me réclamer du nom de Christ tout aussi bien que ceux qui prétendent avoir le privilège de prendre ce nom (1 Cor. I, 12), comme s'il était réservé à une catégorie unique de croyants, ou qu'il se rattachât à des conditions locales et temporaires.

Il est vrai, ajoute-t-il, que je viens (chap. III-VII) de peindre avec emphase la dignité de l'apostolat; que j'ai insisté sur les droits attachés à un pareil ministère; que je me suis glorifié, enfin, peut-être un peu trop, à votre gré, de la charge que le Seigneur a daigné me confier (et cette charge et cette autorité ne sont-elles pas essentiellement établies en vue de votre bien?); mais je ne vois pas de raison pour me rétracter, quand il plaît à quelques-uns de me contester mes titres; je suis en mesure de les maintenir envers et contre tous, et je ne crains pas d'être battu sur ce terrain-là. Certes, je ne le céderai pas parce qu'on se permet de dire que j'ai le verbe haut tant que je suis loin, et que je file doux quand je me trouve en face de ceux qui n'éprouvent pas le besoin de s'incliner devant moi. Telle n'est pas ma manière d'agir, et l'on peut compter sur ce que je donnerai à mes paroles, à mes injonctions consignées ici par écrit, la force et l'effet qu'il conviendra, quand je me trouverai en présence de ceux qui mettent le trouble dans l'Église. Si je reculais à ce moment décisif, alors, certes, on aurait raison de dire que je n'ai voulu que vous intimider, d'essayer d'un moyen bien peu coûteux, pour m'arroger une autorité que je me garderais bien de réclamer quand il faudrait pour cela payer de courage personnel.

12 Car je n'ose m'associer ou me comparer à certaines gens qui se louent eux-mêmes. Ce sont eux qui, en se mesurant d'après eux-mêmes et en se comparant à eux-mêmes, agissent peu sensément. Moi, au contraire, je ne me vanterai pas outre mesure, mais dans la limite que Dieu m'a assignée comme mesure, de manière à ce que je vinsse entre autres jusque chez vous. (Car je ne m'arroge pas trop, comme ce serait le cas si ma mission ne m'avait pas fait venir chez vous; puisque je suis réellement venu jusque chez vous dans la prédication de l'Évangile.)

15Et ce n'est pas au sujet des travaux d'autrui que je me vante outre mesure; j'espère, au contraire, que, si votre foi va en croissant, je grandirai moi-même davantage au milieu de vous, selon la limite qui m'est tracée, en tant que je prêcherai l'Évangile dans des contrées situées au delà de vous, et sans vouloir tirer gloire de choses déjà accomplies dans la sphère d'un autre. Mais quiconque veut se glorifier, doit se glorifier au sujet du Seigneur. Car ce n'est pas celui qui se loue lui-même qui aura bien soutenu l'épreuve, mais celui que le Seigneur loue.

X, 12-18. Paul ayant à se défendre contre des détracteurs très peu scrupuleux quant au choix de leurs moyens d'attaque, et ne pouvant se taire parce qu'il ne s'agissait pas seulement pour lui de ses intérêts personnels, avait été amené plus d'une fois à se louer lui-même, bien malgré lui, sans doute. Ses adversaires en profitaient pour revenir à la charge et pour lui en faire un crime, ou du moins pour se moquer de lui (chap. XI, 1 ss., 16 ss.). Cette position particulièrement désagréable et gênante lui suggère donc ici quelques réflexions propres à faire mieux apprécier ses actes et ses discours.

Il commence par dire ironiquement qu'il est loin d'oser se mettre sur la même ligne que ceux qui aujourd'hui prétendent gouverner l'église de Corinthe; qu'il leur cède volontiers la place principale, ses mérites ne pouvant se comparer aux leurs. Mais il change de ton aussitôt pour dire son opinion simplement et crûment. Ce sont eux qui manquent de bon sens, car ils prennent pour mesure de leur valeur leur propre opinion, ils se comparent à eux-mêmes, comme si hors d'eux il n'y avait rien ou personne qui valût la peine d'être compté ou apprécié aussi. Or, celui qui ne voit que lui-même, qui n'a égard qu'à lui-même, aura toujours le jugement faux, parce qu'il lui manquera la juste mesure.

À ce propos, l'apôtre parle de sa mesure à lui, des moyens qu'il a pour apprécier son œuvre sans risquer de s'égarer, par suite d'une puérile vanité ou d'une insolente arrogance. Dieu lui-même lui donne cette mesure, en lui assignant une limite, nous dirions une sphère d'action, un champ à cultiver. (Le mot grec canon, employé ici, et qui a fini par passer dans les langues modernes dans des acceptions fort diverses, signifie proprement une canne servant à déterminer une ligne ou une mesure, et, par suite, une règle, une ligne de démarcation, etc.) C'est la comparaison de la besogne faite, du devoir accompli, avec cette ligne ou règle, qui donne la valeur du travail et de l'ouvrier. Or, dans ma limite ou ma sphère, dit Paul, il y avait entre autres la ville de Corinthe; l'existence et la prospérité de l'église de cette ville est donc la mesure de mon travail apostolique; je n'ai pas besoin de me vanter de choses que je n'ai pas faites, qui se seraient trouvées dans la sphère d'autrui, comme le font évidemment ceux qui aujourd'hui prétendent me supplanter chez vous et m'aliéner vos esprits; loin de là, je nourris l'idée que ma sphère d'action s'agrandira encore: car si j'avais le bonheur de trouver que ma présence ne serait plus nécessaire chez vous, votre foi étant solidement établie, j'irais dans des contrées plus éloignées encore (il avait sans doute dès lors formé le projet de son voyage de Rome), et c'est votre église qui serait en quelque sorte la base, le fondement solide de cet agrandissement de mon activité apostolique (Rom. XV, 19 ss.).

Mais, après tout, ce n'est pas de gloire personnelle, de grandeur, de mérite, qu'un apôtre, qu'un chrétien devrait parler. Il ne doit connaître et préconiser qu'une seule gloire, c'est d'être membre du royaume de Dieu (1 Cor. I, 31). C'est le seul avantage positif qu'on puisse avoir, et celui-là on ne se le doit jamais à soi-même. Toute gloriole d'un autre genre, tout éloge de soi-même est donc, à vrai dire, une sottise. Si à Corinthe on veut se mettre à ce point de vue, Paul n'aura rien contre, il abondera dans le même sens. Mais ce n'est pas là ce qu'on y fait; on ne se refuse pas les éloges, on ne dédaigne que le mérite des autres, et parce qu'il en est ainsi, il faudra bien que d'autres commettent la «sottise» de revendiquer leurs titres à eux.

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