Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEUXIÈME ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 3

----------

1 Je recommence à faire mon éloge, n'est-ce pas? Ou bien peut-être ai-je besoin, comme certaines gens, de lettres de recommandation auprès de vous, ou de votre part? Ma lettre à moi, c'est vous-mêmes: elle est écrite dans mon cœur, reconnaissable et lisible pour tout le monde. Oui certainement, vous êtes une lettre de Christ, auquel j'ai servi de secrétaire, écrite non avec de l'encre, mais par l'esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur les tables de cœurs d'hommes.

III, 1-3. Le reproche de vanité a pu être plus d'une fois adressé à Paul de la part de ses adversaires personnels à Corinthe. (Voyez surtout plus loin les chap. X-XII.) La question formulée ici est en tout cas ironique, c'est-à-dire prise, pour ainsi dire, dans la bouche même de ceux de la part desquels l'apôtre pouvait s'attendre à une interprétation malveillante de ses discours. Par une association d'idées bien naturelle, il rétorque le reproche, tout en continuant à parler ironiquement: peut-être, dit-il, au lieu de me louer moi-même, ferais-je mieux de me faire louer officiellement (et bien mal à propos, sans doute), comme cela s'est vu, et comme vous vous en accommodez parfaitement dans l'occasion (chap. XI, 16 suiv.). Il est impossible de méconnaître qu'il fait ici allusion à des faits positifs. Il a dû y avoir à Corinthe des personnes, des prédicateurs, qui travaillaient dans un sens contraire ou hostile à Paul, mais qui s'y étaient introduits au moyen de lettres de recommandation, écrites par des personnages respectables ou influents, peut-être par des apôtres (chap. XI, 5). À ce titre, ils avaient été accueillis, ils s'étaient fait un parti, ils avaient réussi à supplanter le fondateur de l'église dans l'esprit de bien des membres: voilà donc, dit l'auteur, la route qu'il faut suivre pour se faire accepter par vous?

Mais aussitôt, quittant le ton de l'ironie, qui s'accordait mal avec le sujet dont son esprit se préoccupait en ce moment, Paul revendique ses droits à l'estime et à la reconnaissance des Corinthiens par une tournure aussi spirituelle qu'insinuante. Profitant de ce mot de lettre, qu'il venait de prononcer, il y rattache une image allégorique appliquée de diverses manières à ses propres rapports avec l'église de Corinthe.

D'abord cette église elle-même, son existence, sa prospérité, est une lettre de recommandation pour l'apôtre, si bien qu'il n'a pas besoin d'en exhiber une autre, quand il s'agit pour lui de se faire apprécier; c'est une lettre dont tout le monde peut reconnaître ou vérifier l'authenticité, que tout le monde peut lire, nous pourrions dire une lettre patente; dans ce sens, elle peut être censée venir des Corinthiens; en même temps, mais avec une autre modification de l'image, elle est inscrite dans le cœur de Paul, parce que celui-ci fait son bonheur des souvenirs qui le rattachent à ses anciens disciples. Enfin, c'est une lettre écrite par Christ même dans le cœur de ces derniers, Paul lui servant de secrétaire; ici il s'agit de leur conversion, opérée par le Saint-Esprit auquel l'apôtre prêtait son ministère, et cette conversion est encore, comme dans la première application, un sujet de gloire pour celui auquel on adresserait à tort le reproche d'une puérile vanité.

4 Or, cette assurance-là, c'est par Christ que je l'ai à l'égard de Dieu; non que je sois autorisé personnellement à regarder quoi que ce soit comme une chose que je devrais à moi-même; au contraire, mon aptitude vient de Dieu, qui m'a rendu apte à être le ministre d'une nouvelle alliance, non de la lettre, mais de l'Esprit: car la lettre tue, mais l'esprit vivifie.

III, 4-6. Paul avait posé la question: Qui est apte à une telle mission? Et sans qu'il y ait répondu d'une manière directe, tout ce que nous venons de lire en dernier lieu (Je ne suis pas comme le grand nombre — c'est vous qui êtes ma lettre de créance) impliquait cette réponse très-positive: Moi, j'ai cette aptitude, je suis à la hauteur d'une telle mission. Cette réponse est encore exprimée ici par ces mots: j'ai cette assurance, je me reconnais le droit de parler ainsi, de m'attribuer une telle position à l'égard de Dieu.

Mais il se hâte d'ajouter que cette aptitude ne lui vient pas de lui-même, elle vient de Dieu qui, en lui confiant la mission, lui a aussi donné les moyens de l'accomplir; elle lui vient par Christ, qui est l'organisateur de l'oeuvre de l'évangélisation du monde, le dispensateur ou le répartiteur des emplois réservés à chacun (1 Cor. XII,-5). L'apôtre s'efface, en sa qualité d'homme, pour ne réclamer d'autre honneur que celui de servir d'organe, d'instrument, de ministre à une volonté supérieure, à laquelle il fait hommage tant de l’initiative, que des moyens d'action et du succès.

C'est ici, et pour ainsi dire tout incidemment, qu'il introduit l'idée de la nouvelle alliance, qui amène aussitôt le parallèle avec l'ancienne, auquel est consacré le reste du chapitre.

Dès la première ligne, ce parallèle se résume dans l'antithèse de la lettre et de l’esprit, du commandement écrit qui forme la substance de l'économie mosaïque, et de l'action directe et intérieure d'une force vivante, émanant de Dieu, qui est l'essence et le pivot de l'économie évangélique. La première se bornait à prescrire des actes, la seconde régénère la volonté; celle-là multipliait les occasions de chute sans rien faire pour augmenter la force de résistance au mal, celle-ci rend la victoire possible en créant une vie nouvelle; l'une, en faisant dépendre la félicité de l'accomplissement exact d'une infinité de devoirs spéciaux, en privait de fait les hommes et ne leur offrait que la désespérante perspective de la mort éternelle; l'autre, en faisant dépendre la félicité de la foi en Christ, c'est-à-dire de l'union personnelle de l'homme avec un Sauveur, vainqueur de la mort, lui assure la vie éternelle.

7 Or, si déjà le ministère de la mort, gravé en lettres sur des pierres, a été entouré de gloire, au point que les enfants d'Israël ne pouvaient pas regarder la face de Moïse à cause de l'éclat de cette face, tout passager qu'il était, combien plus le ministère de l'Esprit ne sera-t-il pas entouré de gloire?

9 Car si déjà le ministère de la condamnation a été glorieux, le ministère de la justice l'emportera de beaucoup en gloire. Même on peut dire, à ce point de vue, que ce qui a été glorifié autrefois, ne l'a été guère, en comparaison de cette gloire supérieure. Car si ce qui était passager a été accompagné de gloire, à plus forte raison ce qui est permanent sera glorieux.

III, 7-11. La nouvelle alliance est supérieure à l'ancienne, par la raison qui vient d'être indiquée, à savoir, parce que l'esprit est à tous égards supérieur à la lettre. Par la même raison, le ministère de la nouvelle alliance sera aussi supérieur au ministère de l'ancienne; l'apostolat de Christ doit être la charge la plus glorieuse dont un mortel puisse être revêtu, la plus haute dignité qui puisse lui échoir.

Pour donner en quelque sorte la mesure de cette dignité, l'apôtre commence par rappeler que le ministère institué jadis sur le Sinaï, la mission du prophète révélateur de la loi, était entourée d'une gloire tout exceptionnelle. Moïse, est-il dit au chap. XXXIV de l'Exode, en descendant de la montagne où il avait vu face à face le Très-Haut, avait le visage resplendissant et radieux par le reflet de la gloire divine qui s'y était momentanément fixée, et cette lumière était si vive, qu'il dut se voiler le visage pour que les Israélites pussent supporter son aspect. Cet éclat purement matériel, tout vif qu'il était, n'a pas duré; il a fini par disparaître. Mais l'Écriture en a perpétué le souvenir, afin de nous donner, par la comparaison, un moyen d'apprécier la dignité du ministère qui devait remplacer celui de Moïse. Or, la gloire du nouveau ministère, bien qu'invisible à l'œil du corps, est incomparablement plus grande que celle de l'ancien, par suite de la supériorité incontestable de l'institution que ce ministère sert et représente.

Ce raisonnement si simple et si concluant se présente ici avec un petit défaut dans la forme, en ce que l'auteur varie plusieurs fois ses termes, ce qui à première vue peut créer quelque difficulté au lecteur superficiel. Les antithèses sont moins nettement exprimées qu'elles auraient pu et dû l’être. Ainsi, au ministère de l’Esprit, Paul aurait dû opposer celui de la lettre, mais il substitue à ce dernier terme celui de la mort, qui désigne l'effet ou le résultat, au lieu de la cause ou du principe. De même, les termes de condamnation et de justice ne constituent pas une antithèse logique; le premier nomme un acte de Dieu motivé par les actes de l'homme, lesquels à leur tour sont en rapport direct avec la nature même de l'ancien ordre de choses; le second constate un état de l'homme se trouvant désormais, par l'intervention du nouvel ordre de choses, dans un rapport normal avec Dieu. Cependant quand on est un peu familiarisé avec les formes bien connues de la pensée théologique de notre apôtre, ces détails ne peuvent plus créer de sérieux embarras. À la rigueur, on peut rendre l'antithèse plus simple et plus logique, en mettant la justification à la place de la justice. Mais nous avons cru devoir nous abstenir de corriger la forme d'un passage aussi important.

On passera également à l'auteur cette singulière expression d'un ministère gravé sur des pierres; car on voit tout de suite qu'il y a ici un élément sous-entendu: le ministère d'une alliance, dont le pacte fondamental (le décalogue) était gravé sur des tables de pierre, est opposé à celui d'une autre alliance qui n'a pas eu besoin de ces bases matérielles, parce qu'elle tend à relier directement la nature spirituelle de l'homme à la personne divine.

12 Or, cette espérance que nous avons là, nous donne une grande assurance, et nous ne faisons pas comme Moïse, qui mettait un voile sur son visage, pour que les enfants d'Israël ne vissent pas la fin de ce qui était passager. Au contraire, leur intelligence fut hébétée; car jusqu'à ce jour le même voile leur reste, quand on leur fait la lecture de l'ancienne alliance, et il ne leur apparaît pas clairement qu'elle est abolie en Christ. Aujourd'hui encore, quand on leur lit Moïse, un voile est jeté sur leurs cœurs; mais quand ceux-ci se convertissent à Christ, ce voile est ôté.

17 C'est le Seigneur qui est l'esprit; et là où est l'esprit du Seigneur, là est aussi la liberté. Et nous tous, en contemplant à visage découvert la face du Seigneur, comme dans un miroir, nous nous transformons en la même image, sa gloire devenant la nôtre, comme cela doit être de la part du Seigneur de l'esprit.

III, 11-18. En écrivant la première ligne de ce morceau, Paul voulait exprimer l'idée que la dignité attachée au ministère évangélique est avant tout de nature à donner à celui qui en est revêtu une grande énergie morale, tant pour accomplir ses devoirs, que pour affronter les dangers et les épreuves qu'il rencontre dans son chemin. Mais il laisse immédiatement tomber cette idée, pour ne la reprendre qu'au chapitre suivant, parce que l'image du voile de Moïse, dont il s'était occupé tout à l'heure, lui suggère une nouvelle comparaison qui, après tout, n'est pas étrangère à son sujet.

S'il dit que l'apôtre de Christ parle et agit avec assurance (courage, franchise), c'est qu'il se rappelle avant tout ce qui distingue sa prédication à lui, de celle d'autres missionnaires qui, loin d'insister sur la différence radicale entre l'ancienne et la nouvelle alliance, entre l'économie de la lettre et celle de l'esprit, prétendaient au contraire revendiquer aujourd'hui encore pour la première la même dignité et autorité qu'elle avait eue autrefois. C'est à cet égard qu'il se sépare d'eux, parce qu'il tient à proclamer hautement que l'ancienne a fait son temps, que ç’avait été une institution passagère, que la venue de Christ en marque la fin.

Or, cette vérité n'est pas généralement reconnue. Les Juifs, et parmi les chrétiens ceux qui ne peuvent se défaire des traditions du judaïsme, ont de la peine à comprendre le vrai rapport entre l'Évangile et la loi; leur intelligence, à cet égard, est hébétée, faible (litt.: calleuse). Ce fait est dépeint sous la forme allégorique empruntée, comme nous venons de le dire, à ce même récit de l'histoire mosaïque relatif au visage radieux du prophète. Ici Paul, usant d'une certaine liberté exégétique, parle du voile de Moïse dans un sens étranger à l'original, mais rentrant dans l'application typologique, autorisée par les méthodes de l'école. C'est Moïse qui, en mettant le voile, aurait voulu empêcher le peuple de s'apercevoir de la cessation de l'éclat de son visage; cela veut dire, en termes propres, que la Providence a voulu et permis que l’intelligence du sens intime et prophétique de la révélation, qui devait aboutir à Christ, ne fût pas tout de suite l'apanage de tout le monde; ainsi aujourd'hui encore, quand les textes de l'Écriture, les documents révélateurs de l'ancienne alliance, sont lus aux Juifs, c'est comme un voile qui s'interpose entre les textes et les yeux des lecteurs. (L'auteur dit d'abord que le voile est sur la lecture, c'est-à-dire sur le texte, ensuite qu'il est sur le cœur, c'est-à-dire sur l'intelligence; les deux formules sont équivalentes.)

Il n'y a que la fin du morceau qui n'est pas bien transparente à première vue, et nos traductions vulgaires ont été bien malheureuses dans la tournure qu'elles ont donnée à la pensée de Paul, Voici ce qu'il veut dire: il veut opposer à l’inintelligence judaïque l'intelligence chrétienne, en se servant toujours un peu de son allégorie. Quand on se convertit au Seigneur, le voile tombe, il est ôté. Le chrétien voit ce que le Juif n'a pas vu, savoir, que l'éclat de l'institution mosaïque a disparu, que l'ancienne alliance est abolie. Le chrétien est libre à l'égard de la loi dont le Juif reste l'esclave. Le chrétien a passé du régime de la lettre à la sphère de l'esprit, car c'est le Seigneur Jésus-Christ qui est l'esprit, en tant que c'est avec lui que le nouvel esprit entre dans l'homme; il est le Seigneur de l'esprit, comme ayant à le communiquer (Théol. apost., II, 132). Mais ce n'est pas tout (et ici l'apôtre va dépasser le cercle plus restreint de la thèse qu'il a discutée dans ce chapitre); non seulement le voile est ôté pour l'intelligence, non seulement l'éclat de la face de Christ que contemplent les fidèles les éclaire sur les desseins de Dieu, cet éclat se communique à eux-mêmes; en s'y mirant ils le reflètent, la gloire de Christ devient la leur, et l'image de son être à lui, par la puissance même de son action vivifiante, change leur nature et y opère une métamorphose, laquelle, malgré l'expression choisie pour la décrire, ne s'arrête pas à la surface. (Nous rejetons absolument la traduction usitée: de gloire en gloire, comme s'il s'agissait d'un progrès. Paul dit: de la gloire (de Christ) en la gloire (de nous), pour expliquer dans quel sens il se sert du mot transformer.)

***

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant