Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 15

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Enfin l'apôtre arrive au dernier sujet qu'il avait à traiter dans son épître, en vue des défauts et des erreurs qu'il trouvait à redresser dans l'église de Corinthe. C'est en même temps la question la plus grave de toutes, la première et la seule qui touchait à un point fondamental de l'enseignement, et non plus seulement à quelque abus pratique, ou à quelque vice non encore extirpé. Nous apprenons ici qu'il y avait dans la communauté quelques personnes qui révoquaient en doute la résurrection des morts. Bien que le texte ne s'explique pas trop clairement à ce sujet, il est probable que c'étaient des chrétiens sortis du paganisme et auxquels l'idée d'une reconstruction des corps, telle que la concevait le judaïsme, paraissait inacceptable. L'exposition de Paul a pour but de maintenir l'essence du dogme, en la dégageant des éléments matérialistes qui s'y joignaient dans la conception vulgaire et qui choquaient ceux qu'il veut rallier ici.

L'argumentation procède de manière que la certitude de la résurrection des fidèles se base sur la certitude de la résurrection de Jésus, posée ici comme un fait indubitable et comme point de départ. Puis elle précise le rapport entre les deux faits, et finalement elle établit la nature et la modalité de celui qui était contesté par suite d'un malentendu.

1 Je vous rappelle encore, mes frères, Évangile que je vous ai prêché, que vous avez aussi accepté, dans lequel vous avez persévéré, par lequel vous êtes aussi sauvés (si vous retenez bien sur quelle raison je l'ai fondé en vous l'annonçant), à moins que votre foi n'ait été vaine. Car je vous ai enseigné avant tout, ce que moi aussi j'avais appris que Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures, et qu'il a été enseveli, et qu'il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures, et qu'il est apparu à Pierre, ensuite aux Douze; puis il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont encore en vie à l'heure qu'il est, mais dont quelques-uns sont morts; après cela il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres; en dernier lieu il m'est aussi apparu à moi, comme à l'avorton!

9 Car moi je suis le moindre des apôtres, je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu. Mais par la grâce de Dieu je suis ce que je suis, et sa grâce n'a pas été stérile en moi: au contraire, j'ai travaillé plus qu'eux tous, non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui était avec moi. Ainsi donc, que ce soit moi, ou que ce soient eux, voilà ce que nous prêchons, et voilà ce que vous avez cru.

XV, 1-11. Le début de l'argumentation laisse encore à désirer quant à la lucidité, comp. chap. VIII, 1 ss.; X, 1 ss:; XII, 1 ss. Cependant il ne sera pas trop difficile de pénétrer le fond de la pensée de l'auteur. Il s'agissait, en fin de compte, de prouver la résurrection des morts; Paul veut la déduire du fait de la résurrection de Christ. Il commence donc par rappeler ce dernier fait qui, en ce moment, n'était pas contesté à Corinthe, à ce qu'il paraît, mais que l'apôtre juge tout de même utile de confirmer par des témoignages irréfragables. Le fait et l'affirmation de la résurrection de Christ est la base même de la prédication évangélique, telle que lui la conçoit et telle qu'il l'a présentée autrefois aux Corinthiens. Ce n'est pas cette résurrection elle-même qu'il appelle l'Évangile; l'Évangile, c'est la bonne nouvelle du salut, de la rémission des péchés (v. 17); mais ce salut n'a été possible que par l'intervention de Christ (v. 3), démontré fils de Dieu (légitimé comme sauveur) par le fait même de sa résurrection (Rom. I, 4); la foi qui sauve doit donc s'appuyer avant tout sur la certitude de cette légitimation; si cette base venait à manquer, la foi elle-même serait vaine, et par conséquent le salut ne serait plus un fait assuré. Les premières lignes du chapitre offrent donc un résumé très raccourci, on pourrait presque dire décoloré, de ce qu'on lit au long dans les épîtres aux Galates et aux Romains, sur le salut par la foi en Christ; seulement, comme il s'agit ici d'une démonstration dialectique, l'apôtre fait ressortir cet élément que le fait matériel de la résurrection de Christ est le pivot du raisonnement, tandis qu'ailleurs il en développe plutôt le rapport avec le fait spirituel du salut lui-même.

Le fait de la mort salutaire de Christ et de sa résurrection considérée comme légitimation, est prouvé par deux espèces de témoignages, ceux de l'Écriture et ceux des témoins oculaires, ces derniers naturellement invoqués de préférence au sujet de la résurrection seule. Pour le témoignage des Écritures, comp. Act. m, 18; VIII, 35 ss.; XVII, 3; XXVI, 22 s. Jean II, 22; XX, 9. Luc XXIV, 25 ss. I Pierre I, II s.; mais surtout Act. II, 27 s. et XIII, 34.

Quant aux témoignages des apôtres qui avaient vu le Seigneur ressuscité, il est d'abord intéressant de constater que Paul en connaissait un plus grand nombre que les évangélistes qui, écrivant plus ou moins longtemps après lui, ont puisé en partie dans la tradition; cette dernière n'a donc point enrichi l'histoire après coup d'une manière sujette à caution. D'un autre côté, le témoignage de Paul est surtout important en face des doutes qui se sont élevés au sujet de l'origine apostolique de nos évangiles. L'authenticité de notre épître ne pouvant être contestée, et Paul affirmant avoir appris ces faits, de même qu'il les a transmis, son témoignage équivaut à ceux de Pierre et de Jacques que nous n'avons pas devant nous d'une manière immédiate, mais qui ne peuvent pas ne pas avoir été demandés et recueillis par Paul de la bouche même de ses collègues. À ce point de vue, le présent texte est de beaucoup le plus important pour l'histoire. Il ne faut pas oublier surtout que Paul met l'apparition qu'il a vue lui-même sur la même ligne que celles qui ont suivi de près le moment de la résurrection, et que la suite de notre chapitre fait voir clairement comment il se rendait compte de la nature de Jésus ressuscité. — (Les Douze, nom de convention, car ils n'étaient que onze.)

Avoir vu le Seigneur ressuscité, c'était en tout cas un insigne honneur, dont un petit nombre d'hommes privilégiés avaient été jugés dignes. Aussi bien Paul s'en vante-t-il dans l'occasion (chap. IX, 1; comp. Act. XXII, 6 ss.; XXVI, 12 s. 2 Cor. XII, 1). Mais il ne peut s'empêcher de rapprocher ce glorieux souvenir des faits qui avaient immédiatement précédé la manifestation de Jésus sur le chemin de Damas, comp. Gal. I, 13. Éph. III, 8. Si ses collègues, honorés antérieurement d'une manière analogue, pouvaient y voir la confirmation du nom enfants de Dieu que le Maître leur avait donné, lui, Paul, ne pouvait guère se comparer qu'à un axorton, à un être qui n'est pas même né viable, et que la grâce miraculeuse de Dieu pouvait seule appeler à la vie. Les paroles qui suivent sont justement célèbres et trop éloquentes pour ne point risquer d'être affaiblies par un commentaire. Si Paul dit qu'il a travaillé plus que les autres, il peut avoir songé à l'étendue du territoire qu'il avait parcouru comme missionnaire (Rom. XV, 19), ou au succès de ses prédications attesté par le nombre des communautés fondées, ou à son dévouement personnel en face de toutes sortes de peines et de dangers (2 Cor. IV, 7 ss.; VI, 4 ss.; XI, 23 ss.), ou enfin à ce qui assurait à son enseignement une supériorité dont il se fait gloire ailleurs (Gal. I; II).

12 Or, si l'on prêche que Christ est ressuscité des morts, comment se fait-il que quelques-uns d'entre vous disent qu'il n'y a pas de résurrection des morts? S'il n'y a pas de résurrection des morts, Christ aussi n'est pas ressuscité; mais si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est donc sans fondement, et votre foi aussi est sans fondement. Il se trouve même que nous sommes de faux témoins à l'égard de Dieu, puisque nous avons attesté, contrairement à la vérité, que Dieu a ressuscité Christ, qu'il n'a point ressuscité, s'il est vrai que les morts ne ressuscitent pas.

16 Car si les morts ne ressuscitent pas. Christ aussi n'est pas ressuscité, et si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine; vous êtes encore dans vos péchés, et par conséquent ceux qui se sont endormis en Christ sont perdus aussi. Si notre espoir en Christ se renferme dans la vie présente seule, nous sommes les plus misérables de tous les hommes.

XV, 12-19. En apparence, l'argumentation est ici bien claire et la théologie vulgaire et traditionnelle n'a pas manqué d'en tirer la thèse que le fait de la résurrection de Jésus-Christ est une preuve, un gage de la résurrection des morts en général. Si Paul avait raisonné ainsi, la plus simple logique ferait ses réserves sur la validité de sa conclusion. On peut bien admettre la première des deux parties du raisonnement, celle qui dit: Si la résurrection des morts est absolument impossible, alors Christ aussi n'est pas ressuscité, et dans ce cas il faudrait convenir que la prédication évangélique, en tant qu'elle se fonde sur ce dernier fait, est vaine et mensongère; par conséquent, l'espérance du salut est chimérique aussi, les péchés subsistent et ne sont point ôtés, parce que la preuve que Christ pouvait les ôter nous fait défaut; ceux qui sont morts avec l'espoir d'entrer dans la vie éternelle, parce que leurs péchés étaient pardonnés, ont été les dupes de leur crédulité; ils sont damnés tout aussi bien que ceux qui sont restés incrédules, et si l'espérance périt, sans se réaliser, avec la vie présente, les croyants sont même plus malheureux que les incrédules, parce que ces derniers jouissent du moins, à leur manière, de la vie terrestre (v. 32), tandis que les croyants s'imposent toutes sortes de privations inutiles. Jusque-là, disons-nous, le raisonnement ne laisse rien à désirer. Mais Paul ne se borne pas à cette première formule, il dit encore: Si Christ n'est pas ressuscité, les morts ne ressuscitent pas non plus, et nous persistons à penser que si cette seconde thèse doit être prise dans le sens qu'on y attache vulgairement (Christ est ressuscité, donc les morts rescussitent aussi), il aurait fait un faux raisonnement. Car nous pouvons parfaitement bien nous figurer que la résurrection ait été un privilège du fils de Dieu, et même indépendamment de cela, un cas isolé ne prouve jamais rien pour la totalité des cas possibles. Mais Paul n'a point raisonné ainsi. Il est évident, d'après tout le contexte, que Paul veut dire 1° négativement: Si Christ n'est pas ressuscité, ceux qui ont cru en Christ ne ressuscitent pas non plus; 2° positivement: Christ étant ressuscité, ceux qui croient en lui ressusciteront aussi. (Théol. apostolique, II, 214 s.)

Nous pouvons nous borner ici à cette simple affirmation; la suite du discours démontrera la justesse de notre interprétation du texte. Mais dès à présent nous insisterons sur l'emploi réitéré (v. 2, 14, 17) du terme et de la notion de foi, qu'il sera bien nécessaire de prendre dans le sens que l'apôtre y attache constamment, et que nous nous refusons formellement à laisser réduire à celui de croyance, comme s'il s'agissait purement d'admettre la vérité historique de la résurrection de Jésus. L'adhésion de l'entendement à un fait matériel ne saurait avoir par elle-même un effet salutaire. Ce sont les croyants qui ressusciteront, si réellement Christ est ressuscité, parce que sa vie est la leur; et si Christ n'est pas ressuscité, il n'a pas pu non plus communiquer à d'autres une vie qui triomphe du tombeau.

Après avoir montré les conséquences logiques et pratiques de la négation de la résurrection des morts, endormis au Seigneur, l'apôtre traite du rapport entre la résurrection de Christ et celle des croyants, et esquisse en quelques lignes la succession des choses finales.

20 Mais maintenant Christ est ressuscité des morts, le premier d'entre ceux qui se sont endormis. Car puisque la mort est venue par un homme, c'est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. Car de même que tous meurent en Adam, de même aussi c'est en Christ que tous recouvreront la vie.

23 Mais chacun en son rang: d'abord Christ comme prémices; puis viendront ceux qui sont de Christ, lors de son avènement; ensuite il y aura la fin, quand il remettra la royauté à Dieu le père, après avoir anéanti toute domination et toute autorité et puissance. Car il doit régner «jusqu'à ce qu'il ait mis tous les ennemis sous ses pieds.»  Le dernier ennemi qui est anéanti, c'est la mort. Car «il a soumis toutes choses à ses pieds.» Mais quand il dira que tout lui a été soumis, il est évident que celui qui lui a tout soumis en est excepté. Et quand tout lui sera soumis, alors le Fils lui-même se soumettra à celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous.

XV, 20-28. Maintenant (antithèse logique de la dénégation des incrédules) la résurrection de Christ est un fait, positif, incontestable. De ce fait, l'argumentation doit tirer des conséquences positives aussi. En voici une que l'apôtre relève d'abord et à laquelle il rattache un exposé sommaire des espérances évangéliques, de l'eschatologie chrétienne. Christ est ressuscité le premier, mais il ne restera pas le seul. Cette double idée est exprimée dans le texte par un seul terme, emprunté aux usages religieux du judaïsme et qui devrait se traduire proprement par: les prémices. Ce mot désigne un objet sacré, supposant toujours l'existence d'un grand nombre d'objets semblables, sanctifiés pour ainsi dire par la consécration du premier. Ainsi Paul appelle prémices le premier homme converti dans une localité particulière, en tant qu'il est suivi par d'autres (chap. XVI, 15. Rom. XVI, 5). La série de personnes à la tête de laquelle Christ est placé, est nommée ceux qui se sont endormis, terme que Paul emploie exclusivement des chrétiens (1 Thess. IV, 13 ss. 1 Cor. VII, 39; XI, 30; XV, 6. Comp. Matth. XXVII, 52. Act. VII, 60), et qu'il déterminait, deux lignes plus haut, par une formule qui ne laisse aucun doute sur le sens à y attacher ici. Christ ne peut en aucune façon être prémices à l'égard des incrédules et des réprouvés.

Mais on ne doit pas s'arrêter, en face de ce terme des prémices, à la simple signification chronologique. Il ne s'agit pas seulement de priorité, il s'agit aussi de causalité. À ce propos, Paul rappelle en passant à ses lecteurs un parallèle auquel il a dû fréquemment revenir dans son enseignement oral, puisqu'il se borne à l'effleurer ici (il s'y arrêtera un peu plus dans l'épître aux Romains, chap. V, 12 ss.). Christ, pour nous servir d'un terme un peu hasardé, corrige un vice de la nature humaine, devenue mortelle par le péché d'Adam. Tous ceux qui tiennent à Adam (litt.: qui sont en lui), participent naturellement à cette mortalité; tous ceux qui tiennent à Christ (litt.: qui sont en lui), recouvrent la vie. La mort arrive à tous ceux qui sont en communion avec Adam (physiquement et par le péché); la vie arrive à tous ceux qui sont en communion avec Christ (spirituellement et par la foi). Des deux côtés, c'est un homme qui se trouve placé à la tête d'une série d'autres; seulement, comme nous le verrons plus bas, la nature de ces deux hommes n'est pas la même; donc la nature de ceux qui forment leurs séries respectives ne sera pas la même non plus. La chose importante, c'est précisément de passer d'une série à l'autre, et Paul parle à des lecteurs qui sont tous censés avoir fait ce pas décisif. Quand il dit: tous auront la vie en Christ, il ne peut pas avoir en vue tous les êtres humains en général, par la simple raison que tous ne sont pas en Christ; il veut dire: tous ceux qui sont en Christ auront la vie, précisément parce qu'ils sont en Christ, lequel est l'auteur ou la cause de cette vie désormais indestructible.

Après cela, l'apôtre aborde ce que nous avons appelé l'exposé sommaire des faits eschatologiques. Il insiste sur ce qu'ils ne se produiront pas simultanément, mais dans un certain ordre, comme cela est déjà le cas pour la résurrection. Car celle des hommes endormis en Christ est encore à venir, tandis que celle de Christ a déjà eu lieu. Leur tour à eux viendra lors de son avènement glorieux pour l'inauguration de son royaume (sa parousie). Ce royaume, comme le terme même le dit, implique l'idée d'une victoire à remporter sur toutes les puissances ennemies qui s'opposent, soit aujourd'hui, soit ultérieurement encore, à la volonté de Dieu et au règne du bien (Ps. CX, 1). Ces puissances sont sans doute aussi les lois ou autorités anti-évangéliques établies sur la terre, mais surtout et essentiellement celles de l'enfer, de l'empire des ténèbres et de la mort. Christ a engagé dès à présent une lutte avec ces puissances, mais avec des chances en apparence très peu favorables, tandis qu'alors elle aboutira infailliblement à l'anéantissement du royaume de Satan. Quand cette victoire sera consommée, viendra la fin, c'est-à-dire que Christ aura rempli sa mission salutaire, pour laquelle il a été revêtu de la dignité royale qu'il exerce encore. Quand cette grande œuvre sera accomplie, il remettra à Dieu ses pouvoirs spéciaux, et Dieu sera tout en toits, c'est-à-dire que ceux que Christ aura sauvés seront rentrés avec Dieu dans un rapport intime et normal, sans qu'aucun élément étranger (terrestre ou charnel) rende cette union imparfaite. Il ne faut pas s'effrayer de cette idée (qui n'est exprimée nulle part ailleurs) de la fin de la royauté de Christ. Elle n'est qu'une forme particulière de cette pensée bien simple, que Christ avait une œuvre, une tâche à accomplir, et pour autant qu'il est sûr qu'il y parviendra, que ses moyens ne sauraient être insuffisants, il est naturel de parler de l’éventualité de la cessation de son ministère. Cette dernière est un corollaire du fait de la parousie et de la fin de l'état actuel du monde. Quand il n'y aura plus d'hommes à sauver, parce qu'il n'en naîtra plus dans les conditions anciennes, le grand plan de Dieu sera réalisé.

Il n'est pas nécessaire de supposer que la fin dont parle l'apôtre sera séparée par un long intervalle de la parousie. Au contraire, sa pensée est évidemment (comme du reste l'était celle de tous ses collègues et coreligionnaires) que la parousie serait le signal de la victoire, l'issue de la lutte ne pouvant plus être douteuse du moment que Dieu voudra l'amener. Aussi bien le texte ajoute-t-il, que la mort elle-même sera anéantie à ce moment-là, c'est-à-dire la puissance qui passagèrement retient les endormis en Christ, mais qui alors sera obligée de les rendre. Or, si cette mort est le dernier ennemi à vaincre, il s'ensuit qu'entre le moment de la parousie, qui doit être le signal de la résurrection, et la fin de la lutte avec les puissances ennemies, il ne saurait y avoir un intervalle prolongé. En tout cas, la mort est le dernier ennemi que les croyants auraient contre eux, les autres, obligés de se défendre eux-mêmes, ne peuvent déjà plus faire de tort aux fidèles.

En terminant, l'auteur rattache son raisonnement à un texte de l'Écriture (Ps. VIII, 7), en vue duquel il relève cette idée de totalité, d'absoluité, implicitement contenue dans ce qu'il venait de dire sur les choses finales: Tous les ennemis seront anéantis, toutes les puissances seront soumises, même la plus terrible de toutes au point de vue de l'homme, la mort. Mais quand le moment sera venu où Dieu dira, proclamera que la soumission est consommée, que l'œuvre de Christ est victorieusement achevée, alors, cela va sans dire. Dieu lui-même ne sera pas compris dans cette soumission universelle; lui, et lui seul, sera excepté. Ainsi l'absoluité de Dieu et la subordination du fils, déjà plusieurs fois formulée dans cette épître (chap. III, 23; XI, 3; VIII, 6), est de nouveau proclamée solennellement, et cela à propos d'une perspective au delà de laquelle il ne saurait y avoir de changement possible.

Voilà, dans toute sa simplicité, le sens de ce célèbre passage qu'on a torturé en tout sens pour lui faire dire autre chose que ce que le texte exprime nettement. D'un côté on lui a fait subir toutes sortes de manipulations pour y loger aussi la résurrection des incrédules, dont l'apôtre ne dit mot; de l'autre on a voulu y trouver l'idée de ce qu'on appelle la résurrection finale, c'est-à-dire le salut des réprouvés mêmes. Pour ce qui est de la première, nous savons de reste que Paul ne la séparait pas de celle des croyants, mais comme il est ici exclusivement occupé de la vraie vie et du mode d'existence de ceux qui en jouiront, il néglige ce point spécial. Quant à la seconde, il se peut que la logique la déduise du fait que la mort n'existera plus, ou d'autres prémisses encore, toujours est-il que ni Paul, ni aucun membre de la primitive Église n'y a jamais songé.

Maintenant, avant d'arriver à la dernière partie de son exposé, qui doit déterminer la modalité de la résurrection, l'apôtre insiste en passant sur quelques conséquences pratiques de la négation ou des doutes qu'il vient de combattre. La transition entre ce qui précède immédiatement et ce qu'on va lire se rétablit tout simplement par cette phrase à intercaler: «il est donc établi qu'il y a une résurrection»

29 Autrement, que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts? Si, en tout état de cause, les morts ne ressuscitent pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux? Pourquoi moi aussi m'exposé-je à toute heure? Chaque jour je me trouve en face de la mort, aussi vrai que je puis me glorifier à votre égard en notre Seigneur Jésus-Christ! Si à Éphèse j'ai lutté pour ainsi dire avec les bêtes féroces, à quoi cela me sert-il? Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons! Ne vous y trompez pas! La mauvaise société corrompt les bonnes mœurs. Revenez à votre bon sens, sérieusement, et ne péchez point, car quelques-uns sont dans l'ignorance à l’égard de Dieu: je le dis à votre honte!

XV, 29-34. Autrement, si la croyance à la vie future était une erreur, une superstition, il s'ensuivrait:

1° Qu'il faudrait regarder comme basée sur une illusion déraisonnable la prétention de quelques-uns de se faire baptiser pour les morts et à leur profit. — Nous savons par les Pères de l'Église, Tertullien, Épiphane, Chrysostome, qu'un usage pareil s'est conservé pendant des siècles, dans différentes communautés dissidentes. Il paraît, d'après notre texte, que cet usage remontait au temps des apôtres, de sorte que Paul déjà a pu y faire allusion, Il va sans dire que lui ne l'approuvait pas, la foi personnelle étant, à son point de vue, la condition du baptême comme celle du salut. Mais il ne discute pas ici le mérite de l'usage; il le mentionne comme un fait historique, comme il avait mentionné (chap. XI, 5) le fait des femmes qui prêchaient, sans l'approuver davantage; et il en profite pour signaler l'inconséquence qu'il y a à faire n'importe quel acte qui doit profiter à des morts, quand on déclare, en théorie, que la mort met fin à l'existence de l'homme. Du reste, on sera autorisé à penser que ce genre de baptême, qui nous paraît aujourd'hui si singulier et même absurde, ne se pratiquait pas en vue de tous les morts indistinctement auxquels un chrétien survivant pouvait s'intéresser, mais au profit de certains individus qui venaient à mourir convertis au christianisme, mais avant d'avoir reçu le baptême. C'est du moins ainsi que l'usage se pratiquait plus tard. Nous convenons que l'argument en lui-même est d'une extrême faiblesse, aussi bien n'a-t-il d'autre but que de mettre les adversaires en contradiction avec eux-mêmes.

2° Que ce serait une sottise d'exposer sa vie, même pour la plus belle cause. Car si la vie terrestre était la seule que nous ayons à attendre, elle devrait être considérée comme le plus grand de tous les biens. Ici l'auteur pouvait se poser lui-même comme exemple, pour produire plus d'effet sur l'esprit de ses lecteurs. Et il le fait avec toute l'énergie que lui inspirait la conscience d'avoir courageusement accompli la mission qu'il avait reçue du Seigneur et de n'avoir jamais reculé devant le danger. Les souvenirs qui lui suggèrent cette protestation éloquente sont pour lui un sujet de gloire. Il est naturel que son imagination se reporte, à cette occasion, sur les événements les plus récents; il prononce le nom de la ville dans laquelle il réside encore en ce moment, et se sert de termes qui nous laissent entrevoir qu'il y a couru de grands dangers. Malheureusement ni lui ni les Actes des apôtres ne nous fournissent aucun moyen d'en préciser la nature. Car la scène racontée Actes XIX est certainement postérieure à la rédaction de la présente épître. Beaucoup de commentateurs ont pris à la lettre les expressions de notre texte et ont supposé que Paul a été forcé de combattre des bêtes féroces dans le cirque, comme cela a souvent été le cas dans les persécutions postérieures. D'autres, comprenant que ses droits de citoyen romain le protégeaient contre une pareille peine, ont traduit les mots qui précèdent: selon toutes les prévisions humaines, pour exprimer la pensée que le danger était imminent. Nous sommes convaincu que la phrase dont l'apôtre se sert est figurée, et qu'il parle d'une circonstance où il était exposé à toutes les fureurs du fanatisme populaire, qui menaçait de se ruer sur lui, pour ainsi dire, comme une bête féroce. Ce qui décide la chose, à notre avis, c'est que Paul, dans l'énumération qu'il fait des dangers qu'il a courus sa vie durant (2 Cor. XI), ne mentionne point les bêtes féroces, des griffes desquelles il n'aurait été arraché que par un miracle.

3° Qu'il ne pourrait plus rester de force morale à l'homme pour résister aux tentations vulgaires, aux convoitises sensuelles. Le meilleur emploi de la vie serait d'en jouir, sans souci du lendemain, ou plutôt, avec la perspective assurée que le lendemain ne nous dédommagerait pas de ce que nous nous serions refusé la veille, par n'importe quel scrupule. Le matérialisme le plus crû et le plus éhonté serait la conséquence nécessaire de la négation d'une vie future et rémunératrice; on se plongerait dans une sorte d'ivresse de tous les jours, uniquement pour détourner le regard d'un avenir sombre et désespérant. C'est pour cela que l'exhortation qui termine ce morceau, parle d'un retour au bon sens, litt.: d'un réveil de l'état d'ivresse.

On a remarqué que les mots: La mauvaise société corrompt les donnes mœurs, forment dans l'original (d'après le texte vulgaire du moins) un vers de la forme de ceux qu'on employait dans les drames; et saint Jérôme affirme qu'on le trouvait dans une comédie de Ménandre. Mais nous avons de la peine à croire que Paul ait poussé ses études classiques jusqu'à charger sa mémoire de réminiscences du théâtre; nous aimons mieux admettre qu'il cite un proverbe populaire que le poète a pu s'approprier, ou si l'on veut, qu'il a pu mettre lui-même en circulation. Du reste, la mauvaise société, dans l'esprit de l'apôtre, est celle des adversaires de la croyance en la résurrection, et il s'agit de prémunir la partie saine de l'Église contre la contagion de cette incrédulité.

35 Mais, dira quelqu'un, comment les morts ressuscitent-ils? Avec quel corps viendront-ils? Insensé I Ce que tu sèmes n'est vivifié qu'à condition qu'il meure d'abord; et ce que tu sèmes n'est pas le corps qui doit naître, mais un simple grain, par exemple de froment, ou de quelque autre plante; et Dieu lui donne le corps qu'il a voulu, et à chaque espèce de semence son corps particulier.

39 Tout organisme n'est pas le même organisme; mais un autre est celui des hommes, un autre est l'organisme des quadrupèdes, un autre est l'organisme des oiseaux, un autre celui des poissons. Ainsi encore il y a des corps célestes et des corps terrestres; mais autre est l'apparence des corps célestes, autre celle des corps terrestres. L'apparence du soleil est une autre que celle de la lune, et celle des étoiles est encore une autre; même les étoiles diffèrent les unes des autres quant à leur apparence.

XV, 35-41. L'apôtre arrive à la dernière partie de son exposition, et s'apprête à réfuter les objections faites contre la résurrection par ceux qui n'en comprenaient pas la modalité. En effet, on voit par le présent morceau que les doutes que Paul avait à combattre se fondaient principalement sur la difficulté de concevoir le retour à la vie d'un corps sujet à la décomposition dans le tombeau. En d'autres termes, ils s'adressaient à la formule judaïque vulgaire de la résurrection de la chair. Pour les combattre, Paul dit simplement que cette formule elle-même est imparfaite et erronée, qu'il ne s'agit pas le moins du monde d'une résurrection de la chair actuelle et terrestre, mais d'une transformation ou évolution organique qui change essentiellement la nature du corps. •

À ce propos, il prend d'abord un exemple très instructif dans la nature végétale (comp. Jean XII, 24). Un grain de blé est mis en terre; il commence par se décomposer, par mourir, c'est-à-dire par perdre la forme qu'il avait eue d'abord, puis il est de nouveau vivifié, il renaît, mais sous une tout autre forme. Il en est de même de toutes les plantes. La variété des formes est infinie dans le règne végétal, Dieu les a déterminées d'avance, et de chaque espèce de graines ou semences il naît un autre organisme. Ainsi voilà, dans la nature que nous pouvons observer tous les jours, un exemple irrécusable de cette évolution organique qui, par analogie, nous fait pressentir la transformation de notre corps dans le passage d'une phase de notre existence à l'autre.

Mais Paul ne s'arrête pas à ce premier fait. Il trouve un second élément de conviction dans l'immense variété des organismes ou des corps que l'homme peut observer autour de lui, dans toutes les sphères de l'univers. Ainsi d'abord les organismes du règne animal. (On traduit à la lettre: la chair, mais il est évident que l'apôtre ne veut pas parler des muscles seuls.) Quelle différence de l'homme à la bête, de l'oiseau au poisson, etc. ! Or, si déjà tout près de nous, dans le cercle des mêmes conditions physiques de nutrition, de croissance, de propagation, la variété est si grande, que les diversités font presque disparaître les analogies, combien plus cela ne doit-il pas être le cas d'un monde à l'autre, de la terre au ciel! Comment reculerions-nous devant l'idée que notre organisme futur sera un autre que celui que nous possédons maintenant? Car la même variété s'observe encore si nous comparons les organismes terrestres, tous tant qu'ils sont, avec ce que nous pouvons voir de corps célestes. (Il ne s'agit pas le moins du monde des anges, comme l'ont voulu la plupart des commentateurs.) Chaque partie de l'univers a donc ses corps à lui propres, ses formes d'existence particulières. L'application au sujet spécial de la discussion sera ici on ne peut plus facile. Enfin, s'il fallait une troisième catégorie d'analogies, au ciel même les corps diffèrent entre eux, le soleil, la lune, les étoiles, dans leur ensemble et individuellement; partout l'œil est frappé de l'extrême diversité des choses, et nous nous étonnerions du fait d'une diversité semblable entre le corps de l'homme tel qu'il existe ici-bas et celui qui existera dans l'autre monde? — En parlant des corps célestes, l'auteur résume les différences moyennant un mot qu'on traduit ordinairement par éclat, de même qu'il a résumé les différences des corps terrestres par le seul terme de chair. Cependant nous serons sans doute plus près de la vérité en disant apparence, ou aspect, au lieu d'éclat. Car le même terme est aussi employé pour les corps terrestres.

De tout cela il résulte donc que la nature extérieure, loin d'autoriser les doutes que l'apôtre combat, nous offre des faits nombreux pour faciliter la conception qu'il va maintenant exposer théoriquement.

42 Il en est de même de la résurrection des morts: ce qui est semé est corruptible, ce qui ressuscite est incorruptible; ce qui est semé est vil, ce qui ressuscite est glorieux; ce qui est semé est infirme, ce qui est ressuscité est plein de force. Il est semé un corps animal, il ressuscite un corps spirituel. S'il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel. C'est aussi dans ce sens qu'il est écrit: Le premier homme, Adam, devint une âme vivante; le dernier Adam est devenu un esprit vivifiant.

46 Toutefois ce n'est pas le corps spirituel qui existe d'abord, mais le corps animal; le corps spirituel vient après. Le premier homme était de terre, de poussière; le second homme est du ciel. Tel qu'était celui fait de poussière, tels sont ceux qui sont de poussière aussi, et tel qu'est celui qui vient du ciel, tels seront ceux qui sont célestes; et comme nous avons porté l'image de celui qui était de poussière, nous porterons aussi l'image de celui qui est du ciel.

XV, 42-49. La possibilité d'une différence entre l'organisme humain actuel et celui de l'avenir étant démontrée par des analogies, Paul arrive à en préciser les caractères par une série d'antithèses, qui la font ressortir avec d'autant plus d'énergie et qui font voir combien peu il songeait à ce matérialisme vulgaire qui parle d'une résurrection de la chair, en prenant ce mot au pied de la lettre.

Ces antithèses se rattachent à l’image du grain de blé déposé en terre; par conséquent, semer vaut autant qu’enterrer; l'apôtre embrasse donc par ce premier terme l'existence terrestre tout entière jusqu'à l'acte qui en constate la fin; de même, il désigne par le second terme (ressusciter) l'existence future tout entière, depuis le moment qui en marque le début.

Les adjectifs qualificatifs destinés à peindre les deux états opposés s'appliquent donc à toute la durée des deux périodes, cependant nous admettons volontiers que l'auteur a eu principalement en vue de mettre en regard les deux moments décisifs, celui de la fin (mort, enterrement) et celui du commencement (résurrection). Les qualités de la seconde série n'expriment à vrai dire que des notions négatives: incorruptible, c'est ce qui n'est plus sujet à la mort; glorieux, c'est ce qui est exempt de défaut; la force, c'est l'absence de la faiblesse et de l'infirmité; tout cela ne nous apprend pas beaucoup sur la nature et la constitution véritable du corps futur, au sujet duquel l'auteur ne pouvait se former une idée que par ce procédé d'exclusion.

Pour dire quelque chose de plus positif, Paul résume son antithèse dans les deux termes de corps animal et de corps spirituel. Il oppose donc les notions d'âme et d'esprit. Il faut ici bien se garder de prendre le mot d’âme dans le sens qu'il a pour nous, où il signifie le principe indestructible de la personne humaine, et où il est l'opposé du corps. L'âme (en latin anima) n'est ici que le principe de la vie physique, que les bêtes ont aussi; la force qui donne la vie à l'organisme, à laquelle se rattachent d'un côté les fonctions vitales, notamment la respiration, de l'autre, les instincts et appétits sensuels (comp. chap. II, 14 ss.), et qui s'arrête avec la dissolution du corps. L'esprit, au contraire, est un principe indépendant de ce dernier, et qui le domine même; un principe essentiellement divin de sa nature et par cela même communiqué exclusivement à des êtres qui sont avec Dieu dans un rapport particulier.

D'après cela, il est établi que la nature même du corps qui ressuscite sera différente de celle du corps terrestre; ce ne seront pas seulement des qualités extérieures et pour ainsi dire accidentelles qui seront remplacées par d'autres, mais l'essence même et les principes constitutifs seront changés. La résurrection et la vie future dépendront donc, à vrai dire, de ce fait, que le corps actuel soit transformé en un corps absolument différent, comme cela a déjà été insinué plus haut (chap. VI, 13). La réalité du corps nouveau, d'après notre texte, est prouvée par la réalité du corps actuel, de l'existence duquel personne ne peut douter: s’il y avait corps animal, il faut qu'il y ait aussi un corps spirituel; cela veut dire: comme la vie présente dépend de l'activité de Y âme (organisme, respiration, nutrition, etc.), du principe vital inhérent à l'être créé, la vie future dépendra de l'activité de l'esprit, du principe vital communiqué à l'être régénéré.

À ce propos, Paul cite un passage bien connu de la Genèse (chap. II, 7), où il est parlé de la création du premier homme. Adam était fait de terre (de poussière), Dieu souffla sur lui, et ce souffle devint le principe de la vie physique de l'homme, comme il est également celui de la vie des bêtes (Psaume CIV, 29 s.). Adam devint ainsi une âme (ou personne) vivante, un être doué de vie, son corps, un corps animal (animé par une âme), et partant virtuellement mortel (réellement il le devint par le péché). À cette citation, qui ne s'appliquait qu'à la première de ses deux thèses, l'apôtre ajoute, par voie de complément, que le dernier (le second) Adam, le second chef de l'humanité, duquel dérive une seconde série d'hommes placés dans une autre condition que ceux de la série commencée par le protoplaste, est devenu autre chose que ce qu'était devenu le premier, savoir un esprit vivifiant, un être non plus seulement doué de vie, mais donnant la vie, et une vie réelle, indestructible. S'il est dit que Christ (car tout le monde comprend que c'est de lui qu'il est question) est devenu pour les siens ce principe de vie, cela ne signifie pas seulement qu'il ne l'a été qu'à partir du moment où quelques-uns ont pu recevoir de lui cette vie spirituelle, mais qu'il ne l'a été qu'à partir de sa propre résurrection. Auparavant son corps a été ce qu'est le nôtre, ayant les mêmes besoins et infirmités, et sujet à la mort; c'est en sortant vivant de son tombeau qu'il a revêtu le nouveau corps, que les siens revêtiront à leur tour à la même occasion.

Il pouvait paraître superflu d'insister sur l'ordre de succession de ces deux formes de l'existence humaine, cependant l'apôtre s'y arrête, parce que son parallélisme, ainsi complété, servait d'autant mieux à préciser sa pensée. Car il s'agissait d'éclairer des hommes mortels sur leurs destinées à venir. Paul part donc du fait de leur condition actuelle: aujourd'hui nous sommes tous, dit-il, les héritiers d'Adam; la même vie terrestre (physique, animale) que le souffle du créateur a inspirée à notre père commun, est encore notre condition à nous; notre corps est semblable au sien, composé des mêmes matières, fonctionnant d'après les mêmes lois, sujet à la même mort. Ce n'est pas là cependant ce qui doit nous préoccuper. Il nous importe, au contraire, de ne pas perdre de vue la contrepartie de ce tableau. Pour nous, les croyants, les nouvelles créatures de Dieu en Christ, il y a un héritage analogue, une communion semblable avec le second auteur, le régénérateur de l'humanité, et de même que nous tenons de lui une vie nouvelle, dont nous possédons le gage dès à présent dans l'Esprit saint, nous tiendrons de lui aussi la forme adéquate et définitive de cette vie, un corps pareil à celui qu'il portait après sa résurrection, non fait de terre, non assujetti aux nécessités de cette vie matérielle, non destiné à mourir. (Comparez pour le parallèle des deux Adam, Rom. V, 12 ss.)

On voit par tout ce raisonnement que l'auteur n'éprouve aucun besoin de s'expliquer ici: 1° sur ce qui concerne les incrédules, qui n'ont point part à la vie en Christ; 2° sur l'état des hommes entre le moment de la mort et celui de la résurrection. Quant à la première question, il faut se souvenir que la notion évangélique de la vie exclut ceux qui ne sont point régénérés et dont l'état est appelé une mort. Quant à la seconde, c'est le cas de rappeler que les espérances du temps resserraient l'intervalle dans des limites si étroites, qu'il ne formait pas un sujet de méditation bien saillant. Comparez du reste 2 Cor. V, 2 suiv.

Nous n'aurons pas besoin de faire remarquer que Paul se fait du corps de Jésus ressuscité une idée passablement différente de celle qui semble dominer dans les narrations évangéliques. Selon lui, c'était un corps sans chair et sans sang; car notre corps à nous, qui en porterons l'image, sera bien tel (v. 50).

50 Mais j'affirme ceci, mes frères: la chair et le sang ne peuvent point hériter le royaume de Dieu; la corruption n'hérite point l'incorruptibilité. Voyez, je vous dis un mystère: nous ne mourrons point tous, mais tous nous serons changés, en un instant, en un clin d'oeil, au dernier son de la trompette. Car la trompette sonnera et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons changés. Car ce corps corruptible doit revêtir l'incorruptibilité, et ce qui est mortel doit revêtir l'immortalité.

54 Et lorsque ce corps corruptible aura revêtu l'incorruptibilité, et que ce qui est mortel aura revêtu l'immortalité, alors s'accomplira cette parole de l'Écriture: La mort a été engloutie par la victoire! Mort, où est ton aiguillon! mort, où est ta victoire? (L'aiguillon de la mort, c'est le péché, et la puissance du péché, c'est la loi.) Grâces soient rendues à Dieu qui nous a donné cette victoire par notre Seigneur Jésus-Christ! Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables, progressez toujours dans l'œuvre du Seigneur, puisque vous savez que votre peine n'est pas vaine dans le Seigneur.

XV, 50-58. En terminant, l'apôtre résume sa pensée dans deux thèses, l’une purement négative, l'autre affirmative. La première dit que la chair et le sang (c'est-à-dire la matière grossière dont se compose notre corps terrestre, l'organisme créé uniquement en vue des conditions de notre existence physique) n’hériteront point le royaume de Dieu, n'auront point part à la vie future, basée sur des conditions toutes différentes. Ces éléments ne ressusciteront pas. C'est là en deux mots la substance de tout ce qui a été dit depuis le v. 35.

La seconde thèse nous intéresse davantage, parce qu'elle ajoute quelque chose à ce qui avait été dit précédemment. C'est un élément nouveau de l'enseignement évangélique; aussi bien l'auteur l'appelle, pour cette raison même, un mystère, une vérité inconnue naguère encore, aujourd'hui patente et révélée (chap. II, 7). Étant donnée la certitude que tous les croyants seront revêtus dans l'autre vie d'un corps nouveau (glorifié, spirituel, céleste), et étant donnée en même temps la perspective (commune aux Juifs et aux chrétiens) d'une révolution subite qui substituera le nouvel ordre de choses à l'ordre actuel, d'un monde nouveau remplaçant le monde existant aujourd'hui, au moment même de la parousie de Christ (1 Thess. IV, L5 ss. Matth. XXIV, 29 ss.), il s'ensuit que dans ce moment-là, un certain nombre d'hommes, la génération alors vivante (l'apôtre parle toujours des chrétiens), n'aura pas à passer par la mort, par le tombeau et par un état intermédiaire; ils passeront instantanément d'une forme de l'existence à l'autre, leurs corps terrestres n'auront ni le besoin ni le temps de se décomposer; ils se transformeront immédiatement, la métamorphose (Phil. III,- 21. 2 Cor. III, 18), soudaine et miraculeuse, remplacera la succession des faits qui, pour la majorité, pour tous ceux qui atteindront le terme de leur vie avant ce moment décisif, sera la règle, la loi commune et pour ainsi dire naturelle.

On ne négligera pas de remarquer que l'apôtre parle de ceux qui subiront la loi commune à la troisième personne, tandis qu'il se sert de la première en parlant de la métamorphose exceptionnelle. Cela nous fait encore voir clairement qu'il se représentait le moment de la parousie comme prochain et imminent, et qu'il s'était familiarisé avec l'idée de la voir s'accomplir avant l'époque où la génération contemporaine, d'après le cours naturel des choses, devait disparaître de la scène du monde (Matth. XVI, 28). Nous ne nous laisserons pas arrêter ici par quelques indices de l'empire qu'exerçaient encore sur son esprit les conceptions du judaïsme, et qui se révèlent surtout dans la mention de la trompette. Il nous importe beaucoup plus de constater que dans notre texte l'élément spirituel occupe une bien plus large place, et qu'en général les idées eschatologiques s'y élèvent à une hauteur où la théologie judaïque n'arrivait pas. On peut même signaler à cet égard un certain progrès chez Paul lui-même, si l’on pèse bien ce que la présente exposition ajoute à celle des épîtres aux Thessaloniciens, ou ce qu'elle passe maintenant sous silence. Mais nous verrons plus tard encore (2 Cor. V, 1 ss. Phil. I, 23) l'élément spiritualiste se dégager de plus en plus des formes qui lui sont moins homogènes, et arriver à une pureté où la théologie de l'Église n'a pas osé le suivre. Il va sans dire que le mot revêtir, dont l'apôtre se sert ici à plusieurs reprises, ne peut pas signifier que le corps mortel et corruptible restera au fond, et comme un noyau, de manière que l'immortalité serait une quahté accessoire, comme le vêtement est un accessoire pour le corps nu. Les éléments eux-mêmes du double corps étant foncièrement opposés, l'essence (le noyau) qui revêt, c'est la personne, le moi, changeant de corps comme on change d'habits ou de logement (2 Cor., 1. c).

La péroraison de tout le morceau est aussi éloquente que riche d'idées. Pour la forme, elle se rattache à quelques paroles des prophètes (És. XXV, 8. Os. XIII, 14), citées de mémoire; pour le fond, elle exprime l'idée que la mort, considérée comme une puissance (personnifiée), est vaincue, anéantie (v. 26), pour les élus. (Pour le sens primitif des deux passages, nous nous en rapportons à notre commentaire sur les prophètes.) Dans l'ordre naturel des choses tel qu'il est établi pour l'humanité dans ses conditions actuelles, c'est la Loi qui est le principe régulateur: or, la Loi commande bien, mais elle n'aide pas à l'accomplissement du devoir, au contraire, elle provoque la désobéissance (Rom. VII, 9 ss.). À vrai dire, l'existence et l'autorité de la Loi est donc moins une garantie de la justice, un moyen de perfection morale, qu'un stimulant de la convoitise charnelle, une cause de la mort, et comme la mort amène la rémunération, la conscience du péché la rend effrayante; le péché est donc l’aiguillon de la mort, ce qui la rend douloureuse, terrible, désespérante, comme l’aiguillon de l’insecte est un instrument de douleur dont on doit redouter le contact. (On pourrait cependant songer à l’aiguillon avec lequel le laboureur fait avancer les bêtes qui traînent sa charrue (Actes XXVI, 14). Alors le sens serait que le péché pousse à la mort.) Grâce à Dieu, cette crainte n'existe plus pour le croyant, il peut voir arriver le moment de la mort avec calme et sans effroi. Christ a vaincu le péché et la mort; en nous unissant à Christ par la foi régénératrice, nous partageons la gloire et les fruits de sa victoire.

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