Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 14

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1 Tâchez d'avoir l'amour! Aspirez aussi aux dons spirituels, mais surtout à celui de la prophétie.

XIV, 1. Après ce qui vient d'être dit, il est évident que l'amour, dans le sens évangélique de ce mot, doit être le but suprême des efforts des fidèles, l'objet de leurs constantes aspirations. Non que l'apôtre veuille leur apprendre à mépriser les dons spirituels: loin de là, il les leur présente comme une chose très désirable; mais d'un côté il lui importe que l'amour les prime, les pénètre et les sanctifie; de l'autre, qu'on ne perde pas de vue leur utilité purement relative. (Tâchez d'avoir, litt.: poursuivez, courez après.)

À cet égard, il avait à combattre un préjugé des Corinthiens, qui estimaient par dessus tout le don des gloses. Paul lui préfère le don de la prophétie et celui de l'enseignement. Il faut donc avant tout savoir ce que c'était que ces trois dons et quelle était la raison de la préférence accordée aux deux derniers. À cet effet, il sera convenable de lire d'abord le texte tout entier et de l'étudier ensuite d'après des points de vue généraux.

2 Car celui qui parle en glose ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, car personne ne le comprend; dans son extase il dit des mystères. Celui, au contraire, qui parle comme prophète, s'adresse aux hommes, il les édifie, il les exhorte, il les console.

4 Celui qui parle en glose, s'édifie lui-même, celui qui parle comme prophète, édifie la communauté. Je veux bien que vous parliez tous en gloses, mais j'aime mieux que vous prophétisiez, le prophète étant plus grand que celui qui parle en gloses, à moins que ce dernier ne fasse aussi l'interprète, afin que la communauté en reçoive de l'édification.

6 En effet, mes frères, si je venais chez vous parlant en gloses, comment vous serais-je utile, si je ne vous parlais, soit d'après une révélation, soit selon ma science, comme prophète ou comme docteur? Pourtant les instruments de musique mêmes, qui sont inanimés, par exemple une flûte ou une guitare, s'ils ne rendent pas des sons nettement distincts, comment reconnaîtra-t-on l'air qui est joué sur l'un ou sur l'autre?

8 Et si la trompette rend un son confus, qui est-ce qui se préparera au combat? De même si vous, par votre langue, ne prononcez pas des paroles articulées, comment saura-t-on ce que vous dites? Vous ne ferez que parler en l'air!

10 Il y a, par exemple, un grand nombre d'idiomes différents de par le monde, et chacun a sa signification; mais si je ne sais pas le sens de l'idiome, je serai un étranger pour celui qui le parle, et celui qui le parle sera un étranger pour moi.

12 De même vous, puisque vous ambitionnez le don de l'inspiration, aspirez à y exceller pour l'édification de la communauté! Celui donc qui parle en glose, doit prier pour avoir aussi le don de l'interprétation.

14 Car si je prie en glose, c'est en extase que je prie, tandis que mon intelligence ne produit point de fruit. Qu'est-ce à dire? Je prierai en extase, mais je prierai aussi avec mon intelligence; je chanterai en extase, mais je chanterai aussi avec mon intelligence.

16 Autrement, si tu glorifies Dieu en extase, comment celui qui se trouve dans les rangs des simples auditeurs dira-t-il Amen à ton action de grâces, puisqu'il ne sait pas ce que tu dis? Tu peux bien avoir fait une belle prière, mais l'autre n'en est pas édifié.

18 Grâce à Dieu, plus que vous tous je parle en glose, mais dans l'assemblée j'aime mieux dire cinq mots avec mon intelligence, afin d'instruire aussi les autres, que dix mille mots en glose!

XIV, 2-19. Comme ce passage contient la clef de l'explication de toute cette section de notre épître (chap. XII-XIV), et par suite les moyens de ramener à leur juste valeur les singuliers préjugés que l'exégèse traditionnelle a accrédités au sujet des charismes, et en particulier de la glossolalie, on nous permettra de nous étendre, un peu plus qu'à l'ordinaire, sur le texte que nous avons sous les yeux.

On ne niera pas que la chose importante avant toutes les autres dans la nouvelle économie, c'était la connaissance à donner aux hommes des décrets de Dieu et des conditions du salut, et après cela, la propagation de cette connaissance par eux parmi leurs semblables. Tout le monde est d'accord aussi sur ce que le premier de ces deux faits doit être ramené par la théologie chrétienne, et l'a été par celle des apôtres, aune révélation, à une inspiration spéciale, adressée d'abord à quelques-uns. Or, nous affirmons que le second fait aussi, celui de la prédication ultérieure de l'Évangile, en dehors du cercle ou de l'époque des premiers apôtres, est également subordonné par ceux-ci, et notamment par Paul, à une inspiration absolument semblable, et que la théologie, en tant qu'elle veut s'appeler évangélique, doit s'approprier ce point de vue. Nous l'avons constaté à l'entrée même de cette section (chap. XII, 1 ss.), et le morceau que nous allons étudier en fait foi à chaque ligne.

La vérité, ou, si l'on veut, les vérités concernant le salut des hommes, ne peuvent être données que par Dieu; c'est son esprit qui doit les suggérer au nôtre, le nôtre les reçoit. La source est la même partout où ces vérités sont reçues et acceptées; mais ce qui varie, c'est la manière dont chaque individu se les approprie, c'est le degré d'énergie subjective que l'intelligence humaine met en œuvre, pour s'en saisir, pour les méditer, pour les travailler. Paul a dû s'appliquer à faire, sur lui-même et sur les autres, des observations et des études fort suivies touchant cette matière, puisqu'il est à même de nous donner la description très caractéristique de plusieurs états de l'âme, différents l'un de l'autre, mais produits par l'influence du même fait de l'inspiration.

Paul distingue d'abord deux genres de manifestations de l'esprit de Dieu, en tant qu'il agit sur le croyant dans le but de le rendre apte à la reproduction des vérités révélées. Chez tel individu, l'action divine rencontre une plus grande habitude de réflexion, chez tel autre, une faculté d'intuition plus développée. Dans le premier cas, l'homme s'approprie la vérité révélée par une méditation ou étude suivie, continue, progressive; dans le second, par une illumination plus subite. D'un côté, c'est la raison qui s'occupe de l'idée pour l'analyser, la comprendre, lui donner une forme, la soumettre à un travail méthodique; de l'autre côté, c'est l'enthousiasme qui s'en empare avec vivacité et la prend d'une pièce. Là, l'idée sera bientôt partie intégrante de la vie intellectuelle de l'homme, il la possédera comme un trésor dans lequel on puise à tout moment, dont on donne une part à qui en a besoin, selon les occasions et les circonstances. Ici, c'est plutôt l'idée qui possède l'homme, elle l'entraîne à la communication immédiate, elle hâte l'action, exalte le ton, vivifie le geste et fait passer à l'état de conscience cette immédiateté de l'inspiration, qui n'existait pas moins dans le premier cas, mais qui ne s'était pas révélée avec ce caractère d'évidence à celui qui en ressentait l'effet sans en contrôler la nature. Il est facile de voir que la différence dans tout ceci ne consiste pas dans l'objet, ni dans l'agent de la révélation. C'est le même esprit de Dieu qui agit dans le même but et avec le même résultat, quant au fond; la différence est toute subjective ou psychologique. La nature humaine, qui doit servir d'organe ou de vase à la révélation, n'est pas partout organisée uniformément.

Une série de termes techniques sont consacrés à constater ce parallèle. L'enseignement qui se fait à la suite d'une étude réfléchie de l'Évangile est appelé instruction (...); celui qui le pratique est un docteur (...). Partout où l'Église est organisée, où l'enseignement doit être donné régulièrement et d'une manière suivie, l'esprit suscitera des docteurs chargés de la conduite spirituelle du troupeau (Éph. IV, 21. Col. II, 7. 2 Thess. II, 15. 1 Tim. IV, II; VI, 2. 2 Tim. II, 2, etc.). Paul lui-même aime à prendre ce titre (2 Tim. I, II). L'enseignement qui se fait sous l'impression subite et momentanée de la révélation est appelé prophétie (...), celui qui en est l'organe est un prophète (...). Plus l'effusion de l'esprit est abondante, plus il y aura de prophètes dans l'Église, des hommes qui, sans une longue préparation et sans fixation préalable du jour et de l'heure, seront mis à même d'édifier leurs frères, en leur présentant avec une chaleureuse éloquence les vérités de la religion de Christ et les exhortations qui en sont les conséquences. Nous le répétons, il y a positivement, au point de vue de l'apôtre, inspiration dans les deux cas (chap. XII, 8, 28. Éph. IV, II); mais comme l'action de Dieu paraît plus facile à constater dans le second cas que dans le premier, surtout pour le grand nombre, Paul, sans vouloir se contredire ou se rétracter, emploie le terme de révélation (...) plus spécialement quand il est question de la prophétie, de manière à remplacer ce dernier mot par le premier comme par son synonyme (chap. XIV, 26), et à paraître l'opposer à l'instruction. Plus ordinairement encore, il relève l'action coopérante de l'intelligence humaine, c'est-à-dire la réflexion, la méditation, la spéculation religieuse et théologique, la science (..., 1 Cor. VIII, 1 ss. Rom. XV, 14), quand il vient à parler de l’instruction et du docteur, cette action étant moins sensible dans ce cas tandis que dans la prophétie, elle est plus ou moins dominée par l'action prépondérante de l'élément divin. C'est ainsi que nous trouvons les mots science, savoir, là où nous nous attendions à lire instruction, don d'instruire (chap. XIII, 2, 8, 9), et dans une phrase de notre texte actuel (chap. XIV, 6), il y a même ce double parallélisme de la science avec la révélation, et du docteur avec le prophète; et ce serait une étrange méprise, si l'on voulait y reconnaître quatre manifestations différentes; car les deux derniers termes marquent des formes de l'enseignement, les deux premiers signalent la source où il est puisé. Enfin, dans un dernier passage (chap. XII, 8), ces manifestations sont appelées parole (discours) d'intelligence (de science) et parole de sagesse, d'après un usage de ce dernier mot appliqué plus haut (chap. II, 6 ss.), et qui revendique l'honneur de cette qualification de sagesse pour la vérité qui vient de Dieu, en opposition avec celle qui vient des hommes. C'est le cas de répéter que les termes sont ici choisis a potiori, car la parole d'intelligence, quoique déterminée dans sa méthode par les facultés de l'homme, n'en a pas moins pour objet les mêmes vérités divines qui, dans la parole de sagesse, se présentent plus immédiatement et sans avoir passé par le moule de la réflexion.

Il résulte d'ailleurs de tous les passages que nous venons de citer, que l'apôtre place les deux charismes de l'instruction et de la prophétie, d'ailleurs égaux par leur source, sur la même ligne aussi quant à leur utilité pratique. La seule, observation à faire à ce sujet, mais qui ne change rien au fond, c'est que Paul met ses lecteurs en garde contre la fausse prophétie, contre le prophétisme mensonger et imaginaire, tandis qu'il ne parle pas d'une instruction erronée ou subversive. On aurait tort d'en conclure que la forme de cette dernière présentait plus de garanties que celle de la prophétie. Car en maint autre endroit des épîtres il est aussi question de faux docteurs. D'ailleurs l'esprit divin ne laisse pas l'Église sans secours contre l'un et l'autre de ces dangers. Il y a un don spécial, concédé à quelques-uns, celui de discerner la vraie et la fausse inspiration (chap. XII, 10). C'est pour introduire ce don, qui fait pendant à celui de la prophétie, que l'auteur, dans sa première énumération, nomme ce dernier une seconde fois, après l'avoir déjà nommé de pair avec l'instruction, quelques lignes plus haut, dans les formules: parole de science, parole de sagesse.

Après la digression du 13e chapitre, l'apôtre arrive enfin à parler plus à fond de la glossolalie, (de ce qu'on s'obstine encore à appeler le don des langues), mentionnée plusieurs fois plus haut déjà. Il entre en matière en l'opposant, dès la première ligne, aux deux charismes de l'instruction et de la prophétie, et en la déclarant inférieure à ces derniers. Pourquoi inférieure? L'esprit de Dieu y serait-il moins actif? Au contraire, il l'est au point que le parler en gloses est appelé par excellence un parler en esprit (chap. XIV, 2); celui qui parle en gloses, est appelé de préférence un inspiré (chap. XII, 1). L'action de l'esprit de Dieu est ici tellement forte, qu'elle absorbe plus ou moins l'action de l'esprit de l'homme, de son intelligence (...), qu'elle neutralise ses facultés et ôte à l'individu la conscience de lui-même. La sensibilité, excitée à un degré plus éminent par le contact de l'élément divin, domine et obscurcit la raison. Celle-ci cède, pour ainsi dire, la place à une puissance étrangère, laquelle, dans l'instruction, l'avait fortifiée en l'éclairant, dans prophétie, l'avait élevée en l'entraînant, et qui, dans la glossolalie, arrête ses mouvements par la surabondance même de vitalité qu'elle vient lui communiquer. Quand l'âme est ainsi soumise à une action de l'esprit plus puissante que celle qui produit la prophétie, le travail intellectuel cesse d'une manière plus ou moins prononcée, et cet état peut aller, d'une simple absorption de la pensée dans une contemplation inconsciente, à travers tous les degrés de l'exaltation enthousiaste et de l'extase, jusqu'à une surexcitation maladive du système physique. Ce caractère essentiel est exprimé d'une manière générale, mais très clairement, par l'opposition de l'intelligence (...), et de l'état psychique de celui qui parle en gloses, et qui est à la fois désigné par ce dernier terme, et par son corrélatif esprit (inspiration, extase), v. 14, 15, 19. L'apôtre signale ici une espèce de dédoublement dans la personnalité humaine; les facultés ne sont plus en harmonie, la vie spirituelle paraît suivre deux courants opposés, dont l'un arrête et tue l'autre: l'esprit seul, la partie du moi qui s'assimile à l'esprit de Dieu et qui s'identifie avec lui, vit, agit et parle; la raison, la réflexion, la conscience du moi, n'y sont pour rien, elles sont exclues de toute participation à cette vie, du reste si riche et si puissante, et ne produisent plus de fruits pour d'autres.

Il s'ensuit tout d'abord que, dans cet état de l'âme, l'homme est incapable d'édifier ceux qui l'entendent. Car l'édification doit se faire essentiellement au moyen d'une communication entre deux intelligences qui peuvent se comprendre. Le sentiment religieux d'un individu chrétien se trouvant au milieu d'une réunion comme celle que Paul a ici en vue, ne peut éveiller ou développer celui d’un autre, qu'autant qu'il y a chez le premier une intention consciente de produire un pareil effet, et un moyen de rendre compte de sa propre disposition, et chez le second des facultés correspondantes. Or, cette conscience et ce moyen manquent ici; toute communication est interrompue entre celui qui est en extase (en esprit) et le simple auditeur. Celui-ci, étranger à cette disposition extraordinaire (v. 16), ne comprend rien à ce qui se passe dans l'âme de l'autre (v. 2, 7-11) et par conséquent il n'est pas édifié (v. 3 ss., 6, 12, 17, 19).

Avant de dire maintenant pourquoi l’on a donné le nom de glossolalie aux phénomènes qui accompagnent l’exaltation ou l'extase religieuse, constatons, d'après nos textes, les différents degrés d'intensité avec lesquels cette extase se manifeste.

Le premier fait qui se présente ici à notre observation, c'est celui qui est habituellement désigné par le nom de contemplation, d'état contemplatif. Il consiste essentiellement en ce que la pensée, entraînée par l'esprit de Dieu, se concentre sur un sujet religieux, de manière à oublier toute autre chose, et plus particulièrement la situation extérieure, l'entourage matériel. D'un simple recueillement qu'il peut avoir été d'abord, cet état passe à une absorption complète et arrive facilement à remplacer les objets extérieurs, qu'on finit par ne plus apercevoir, par des objets aperçus en quelque sorte au moyen d'organes nouveaux et autres que ceux du corps. Ces visions peuvent être momentanées et passagères, elles peuvent aussi durer plus longtemps et comprendre toute une série d'images qui forment suite et qui semblent traduire les expériences intérieures en une véritable histoire objective (Actes X, 10 ss.). On dirait que l'âme a quitté le corps pour se transporter dans un autre monde (2 Cor. XII, 1 ss.). Dans cet état, la langue est tantôt comme paralysée, ou l'homme croit seulement participer à ce qu'il voit par des paroles échangées avec d'autres êtres (Actes XXII, 17 ss.); tantôt elle est du moins incapable de parler à haute voix, ou de trouver les mots qu'il lui faudrait pour exprimer ses sentiments: il lui échappe un mot, un seul mot (Rom. VIII, 15), résumant tous les mouvements de l'âme, on pourrait même dire que c'est l'esprit de Dieu qui parle à notre place (Gal. IV, 6), ou bien elle doit se contenter de produire des soupirs inarticulés (Rom. VIII, 26), qui ne correspondent pas moins à des sentiments religieux très positifs et très profonds. Certes, on peut dire qu'il y a ici un entretien avec Dieu (1 Cor. XIV, 2), lequel comprend mieux que nous-mêmes, dans ce moment, ce que nous avons à lui dire (Rom. VIII, 27); mais il y a aussi pour nous-mêmes un effet bienfaisant, une satisfaction de nos besoins les plus intimes, une édification, en ce que nous nous rapprochons de la source de tout bien et de toute vérité (I Cor. XIV, 4).

Ces divers effets spirituels existeront encore dans une autre série de cas, savoir lorsque, au lieu d'une contemplation concentrée en elle-même, la surexcitation du sentiment religieux produit une plus grande énergie de communication à l'extérieur. Alors il se manifeste des phénomènes opposés. C'est le besoin de parler qui se fait sentir davantage, mais comme la conscience du moi et l’intelligence sont obscurcies ou neutralisées, la communication rationnelle est ou incomplète ou impossible. Tantôt ce sont encore les formes de la prière et du chant (v. 15) qui se font reconnaître par le son et la modulation de la voix, bien que les idées ne s'y dessinent plus d'une manière nette. Tantôt ces mêmes idées se croisant et se bouleversant, ou prenant du moins un essor trop précipité, le travail de la raison, qui doit diriger la langue, ne peut plus en suivre le cours, et celle-ci n'arrive qu'à formuler des paroles entrecoupées, des mots sans suite, des fragments de phrases, des exclamations d'autant plus véhémentes qu'elles ont plus de peine à se produire. Dans ce cas, qui est encore le moins déplacé dans l'assemblée, on pourrait pour ainsi dire compter les mots qui se disent (v. 19), ce qu'on ne fait pas lorsqu'un discours peut s'apprécier d'après son sens. Tantôt enfin la langue ne parvient plus même à articuler les sons (v. 9), comme lorsque d'un instrument on tire des sons sans suite, sans règle, sans mélodie (v. 7, 8), l'effet moral que la musique doit produire sur les auditeurs est complètement perdu. Ce sont des cris plutôt que des paroles, ce sont peut-être des soupirs et des larmes, et de là il n'y a plus qu'un pas à une participation prépondérante de la nature purement physique, à des gestes désordonnés qui doivent suppléer à l'impuissance de l'organe de la parole, à des convulsions nerveuses, à des syncopes et à d'autres phénomènes de ce genre. Il n'y a pas un seul de tous ces phénomènes, instruction intelligente, prophétie enthousiaste, extase, vision et convulsion, qui ne se présente déjà dans l'histoire ancienne d'Israël.

On comprend que dans le premier des deux cas que nous venons de décrire, alors que la force de l'exaltation momentanée n'a pas encore complètement interrompu le lien entre le sentiment et la langue qui doit lui servir d'organe, il y a encore moyen pour l'auditeur, jusqu'à un certain point, de se rendre compte de la pensée dominante de l'individu inspiré. Ses exclamations, ses phrases sans suite feront comprendre ce qui l'agite. On l'entendra proclamer les grandes choses que Dieu a faites (Act. II, 11; X, 46); on démêlera dans ses paroles incohérentes la préoccupation momentanée relativement à un fait, à un dogme évangélique. Il faudra une attention plus grande et moins sûre du résultat, pour saisir cette pensée au vol, pour s'en rendre compte, et pour l'expliquer à d'autres. Mais cette interprétation sera bien plus difficile, sinon impossible, lorsque le dernier chaînon qui doit rattacher la parole à l'idée sera rompu aussi, et que la forme même du son fera défaut à l’intelligence. Alors ou bien l'interprétation ne pourra pas avoir lieu (chap. XIV, 28), ou bien elle se fera d'après une appréciation générale de la disposition de l'esprit dont on aura pu contempler les mouvements, ce qui est aussi un charisme particulier qui n'est pas donné à tout le monde (chap. XII, 10). L'exemple le plus frappant de ce fait, c'est le discours prononcé par Pierre, à la Pentecôte, pour expliquer la glossolalie de ses condisciples. Quelquefois aussi l'individu, transporté ainsi momentanément hors de lui, pourra, en se retrouvant, rendre compte lui-même de ce qui s'est passé en lui (chap. XIV, 5, 13), ou dans les autres, saisis subitement de la même manière et en même temps (v. 27).

Il est temps d'arriver à l'explication du mot grec que nous avons dû conserver dans la rédaction française, parce que toute permutation avec un terme usuel et moderne aurait pu égarer le lecteur. On a vu suffisamment par ce qui précède qu'il ne s'agit pas du tout d'un parler en une langue étrangère, inconnue, non apprise. Le mot grec (...) a plusieurs significations qui ne se retrouvent pas toutes en latin dans le mot lingua, ni dans les vocables correspondants des idiomes modernes. Il signifie à la fois la langue, dans le sens anatomique, c'est-à-dire l'organe de la voix (Marc VII, 33. Luc I, 64. Jacq. III, 5), et la langue dans le sens philologique, sermo, le langage, l'idiome, signe distinctif des différentes nationalités (Apoc. VII, 9. X, II, etc.). Mais il signifie encore un mot isolé, vocabulum, surtout en tant qu'il a besoin d'explication, ou qu'il appartient à un ordre d'idées particulier. Ainsi il y a des gloses attiques ou laconiques, poétiques, techniques, etc. Voyons maintenant dans quel rapport se trouvent ces diverses significations avec les termes employés dans notre texte. Nous disons les termes, car il y en a plusieurs, qui tous ne se seront pas formés immédiatement après la Pentecôte, mais seulement après des expériences réitérées du phénomène, et qui doivent avoir passé dans l'usage général avant que Paul écrivît aux Corinthiens.

Il y a d'abord parler en glose au singulier (chap. XIV, 2, 4, 13, 14, 27). Il est évident qu'on ne peut pas dériver cette formule de la deuxième ou de la troisième signification; il est absurde de lui supposer ce sens: parler dans un langage, dans un vocable. On n'a qu'à essayer de cette interprétation dans les versets cités, pour se convaincre de l'impossibilité absolue de s'y arrêter. Il ne reste donc que la première signification, celle de l'organe physique. Parler avec la langue (..., v. 9), est donc une manière de s'exprimer ainsi nommée précisément parce que l'organe physique seul y est actif, et non l'intelligence qui devrait le diriger. Cela est d'autant plus certain que l'apôtre ajoute (1. c.) que de cette manière il résultera seulement des paroles non articulées, un langage non susceptible d'être compris. Cette première phrase correspond évidemment à l'état où le discours n'existe plus même par fragments. Ce qui se dit dans un tel état est appelé glose (v. 26), non pas un mot, non pas une langue, mais une manifestation où l'organe physique de la parole joue le rôle le plus marquant et frappe ainsi le plus l'attention des assistants. J'aime mieux, conclut l'apôtre (v. 19), dire cinq mots dictés par la raison, et par conséquent intelligibles, que mille mots en glose, pour la prononciation desquels ma langue seule est en activité, sans le concours des facultés de l'esprit.

Il y a ensuite le pluriel parler en gloses (v. 5, 6, 18; comp. V. 23, 39. Act. X, 46. 1 Cor. XII, 30, où cependant la démonstration est moins évidente, parce que le sujet est également au pluriel). La signification que nous avons dû préférer tout à l'heure n'est plus applicable ici, un homme n'ayant pas plusieurs langues dans sa bouche. Mais l'autre signification, celle de langues ou d'idiomes, n'est pas admissible non plus, parce que la chose essentielle dans ce cas, la signification d'étrangères, inconnues, ne serait pas mentionnée. De quelle utilité vous serais-je, dit Paul, si je venais vous parler en gloses, et non comme docteur ou prophète? Mais le choix de l'idiome ne change pas la nature de l'enseignement; toutes les langues peuvent y servir. La différence consiste, comme nous l'avons fait voir, dans le degré de la prépondérance de l'élément divin, qui inspire l'individu, sur l'intelligence de ce dernier. Les gloses seront donc les discours en mots, en phrases isolées, entrecoupées, en exclamations incohérentes, trahissant, les unes comme les autres, un état de fermentation ou d'exaltation qui ne permet pas au sentiment de se faire jour, au moyen de la parole, par l'intermédiaire de la réflexion. De là vient une seconde abréviation, parallèle à la première. On-dit les gloses purement et simplement (chap. XIII, 8; XIV, 22) pour cette manifestation, prise dans son ensemble, comme on disait la glose pour la précédente. La forme est nommée, dans les deux cas, à la place de l'état qu'elle rend visible ou saisissable. On pourrait cependant encore dire que le pluriel désigne la répétition du phénomène, comme on dit les esprits pour marquer la répétition de tout phénomène d'inspiration, bien qu'il ne puisse pas être question de plusieurs esprits de Dieu (1 Cor. XII, 10; XIV, 12, 32. Apoc. XXII, 6).

Maintenant on comprend aussi pourquoi l'apôtre parle de différentes espèces de gloses (chap. XII, 10, 28), les phénomènes n'étant pas toujours les mêmes, et le degré d'intelligibilité, soit de la pensée exprimée, soit de la parole articulée, soit enfin du son simple, variant dans l'occasion.

Enfin, dans leur ensemble, ces manifestations, caractérisées au point de vue de ce qui frappe l'oreille des assistants, pouvaient être appelées des langues nouvelles (Marc XVI, 17), des langues autres que celles que les hommes parlent communément (Act. II, 4), puisqu’en effet l'esprit de Dieu révélait ici sa présence et son action par un genre de communication absolument différent de celui qui servait de moyen à ses instructions ordinaires. Voilà donc la signification de langage employée à son tour, et, pour lui donner sa plus grande extension possible, Paul dépasse même la sphère humaine et nomme encore les anges (chap. XIII, 1) comme des êtres plus abondamment pourvus de l'esprit de Dieu, sans doute, et pouvant ainsi le glorifier dans un langage bien autrement sublime, tandis que le nôtre est si souvent impuissant à rendre compte de la richesse insondable des sentiments que le croyant est heureux de découvrir dans son propre cœur. (Cependant nous sommes enclin à croire que les autres langues, les langues nouvelles, de Marc et des Actes, proviennent de l'opinion qu'on a pu se faire à distance de ce que nous appelons vulgairement le don des langues).

Ajoutons encore quelques mots pour prouver que cette opinion vulgaire est incompatible avec notre texte.

«Celui qui parle en glose, dit-il, ne parle pas aux hommes, mais à Dieu seul.» Comment donc? Le don des langues devait avoir pour but d'instruire ceux qui ne parlaient ni le grec ni l'hébreu, et voilà que nul n'en profite? Le miracle s'est donc fait sans rime ni raison? «Personne n'y comprend rien!» Même dans une ville où affluaient alors les marins, les marchands, les voyageurs, les curieux de tous les pays? Mais dans quelle langue du bout du monde les inspirés de Corinthe ont-ils donc parlé? Et notez bien que Paul ne dit pas: Celui qui parle dans une langue étrangère; il dit glose tout court; donc si glose est l'équivalent d'idiome, cela revient à dire: «quiconque parle dans un idiome quelconque.» Comment veut-il donc qu'on parle, si ce n'est dans une langue?

«La glossolalie a pour caractère particulier des sons non articulés (v. 9), semblables à des sons d'instruments qui ne forment pas de combinaison musicale, des sons tels qu'ils peuvent résulter du jeu d'une machine inanimée, des sons confies, non nettement distincts, des sons en Vair (v. 7 ss.).» Comment l'apôtre se permettrait-il de pareilles comparaisons, comment seraient-elles seulement possibles logiquement, s'il s'agissait de langues étrangères parlées selon toutes les règles de leur grammaire et de leur syntaxe respectives?

«Celui qui parle en glose doit prier Dieu, afin qu'il puisse aussi interpréter (v. 13), ou bien un autre doit faire l'interprétation à sa place (v. 26 s.).» Ici les questions se présentent en foule: D'abord, pourquoi l'esprit de Dieu inspire-t-il un discours en langue étrangère, s'il veut qu'on l'interprète ensuite? Évidemment les auditeurs ne l'ont pas compris dans sa première forme. Mais alors le miracle était encore sans but et ne répond pas à l'idée que la tradition s'en est formée. Puis il est dit qu'on doit prier Dieu pour avoir le don de l'interprétation. Cela revient à dire que l'orateur ne comprenait pas un mot, lui le premier, de ce qu'il disait. C'est bien là cette théorie de l'inspiration qui fait des apôtres des machines. Mais enfin, à défaut de l'orateur même, un assistant pouvait interpréter: il y avait donc des assistants qui savaient la langue étrangère dans laquelle on avait parlé. Mais comme l'interprétation elle-même est un don de l'esprit, cet assistant était donc déjà chrétien: pourquoi alors le Saint-Esprit suggérait-il le discours en langue étrangère à un individu qui n'y comprenait rien et non pas à celui qui la savait? Était-il besoin, pour édifier le second, de faire du premier un instrument ridicule, de le faire passer pour fou (v. 23)?

«La glossolalie n'est point faite pour la communauté assemblée (v. 19), devant laquelle il faut parler de manière à édifier les autres. Celui qui parle en gloses doit se taire dans l'assemblée (v. 28) et parler quand il est seul, pour lui-même et pour Dieu.» Voilà qui devient curieux! Il en résulterait, au gré des partisans du don des langues, que le chrétien, dans sa prière domestique, choisira de préférence une langue étrangère qu'il n'a pas apprise, au lieu de sa langue maternelle dans laquelle il aura prié jusque-là? Cela ne tourne-t-il pas à l'absurde?

Plusieurs passages de notre texte contiennent des antithèses; la glose est opposée à ce qui n'est pas elle. Dans l'hypothèse du don des langues, ce devrait être la langue maternelle. Paul dirait alors: Ne parlez pas dans une langue étrangère, mais dans une langue que vous comprenez et que vos auditeurs comprennent aussi, dans la vôtre enfin. Eh bien, nulle part il ne dit cela. À la glose, il oppose l’intelligence (v. 19; cp. v. 14); à la glossolalie, un langage qui ait un sens précis, formel, logique, dans le maniement duquel la raison soit active. Or, peut-on nier qu'une langue quelconque, parlée par un peuple d'hommes, soit une langue rationnelle? Il en résulte que la glose dont parle Paul n'est point du domaine de la raison, partant ne rentre pas dans celui de la linguistique.

Enfin, pour couper court à une discussion désormais superflue, rappelons encore que l'apôtre, pour faire sentir aux Corinthiens combien peu la glossolalie est à sa place dans une assemblée de chrétiens, la compare — à un discours en langue étrangère! ! Si vous parlez en glose, dit-il (v. 10,11), c'est tout comme si vous vouliez parler dans une langue étrangère, une langue des barbares; l'un serait tout aussi absurde que l'autre. Glossolalie et langage étranger sont donc deux choses qui ont quelque analogie relativement à certains effets, mais qui sont positivement différentes quant à leur nature. Paul, pour plus de clarté, se sert du mot (...), la voix, pour parler des idiomes, parce que le mot (...), la glose, qui est ordinairement employé dans ce sens, en a déjà reçu un autre dans son texte.

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20 Mes frères, ne soyez pas des enfants à l’égard du bon sens; soyez enfants pour la méchanceté: à l'égard du bon sens, soyez des adultes. Il est écrit dans la loi: «C'est par des hommes d'une autre langue et par la bouche des étrangers que je parlerai à ce peuple-ci, et même ainsi ils ne m'écouteront pas dit le Seigneur.»

22 Par conséquent, les gloses sont un signe, non pour les croyants, mais pour les incrédules; la prophétie, au contraire, est, non pour les incrédules, mais pour les croyants. Or, si la communauté entière se réunit en assemblée et que tous parlent en gloses, les simples auditeurs ou les incrédules qui pourront entrer, ne diront-ils pas que vous êtes fous?

23 Si, au contraire, tous parlent comme prophètes, et qu'il entre quelque incrédule ou un simple auditeur, il se trouvera censuré par tous, scruté par tous, les replis cachés de son cœur seront découverts, et ainsi il sera amené à se jeter la face contre terre pour adorer Dieu, et pour confesser que positivement Dieu est au milieu de vous.

XIV, 20-25. Il résulte de tout ce qui a été dit plus haut que la manifestation des transports religieux dont un individu peut être saisi, n'est point faite pour les besoins réguliers de l'Église, pour l'édification mutuelle. Elle peut, dans certains cas, être un signe, un avertissement providentiel, pour ceux qui ne croient pas encore, s'ils veulent bien se persuader qu'il y a là une manifestation directe de Dieu, ou pour des chrétiens qui jusque-là auraient méconnu cette vérité fondamentale que le salut de Christ est gratuitement offert même à des hommes non circoncis (Act. X, 45; XI, 15 ss.). Nous disons, dans certains cas, car cet effet n'est pas toujours assuré. Le phénomène de la glossolalie, comme tout état extatique, a trop de ressemblance avec la folie, ou avec l'ivresse purement physique (Act. II, 13), pour que l'esprit du monde ne le confonde pas quelquefois avec ces dernières. (Comp. l'Introduction aux Prophètes, tome P'', page 22).

Par ces raisons, ce serait un véritable enfantillage que d'accorder à la glossolalie la plus large part du temps consacré à l'édification commune; ce serait une conduite indigne d'une communauté chrétienne arrivée à l'âge adulte, c'est-à-dire à un degré supérieur d'intelligence ecclésiastique. On recommande bien aux disciples de Christ de devenir comme les enfants (Matth. XVIII, 3), mais c'est à d'autres égards et dans le sens moral, non dans celui de l'intelligence.

Pour appuyer ce qu'il dit de l'utilité éventuelle de la glossolalie, Paul cite un passage d'Ésaïe (chap. XXVIII, 11, 12), mais de mémoire, et très librement. Dans ce texte il est dit que, puisque Israël ne veut pas écouter ses prophètes, Jéhova lui parlera par la bouche d'un peuple étranger, des Assyriens; c'est comme qui dirait une autre langue, celle du châtiment. Cette autre langue est donc ici le terme de comparaison: Pour les hommes qui ne se convertissent pas sur des invitations ordinaires, une manifestation différente, analogue à celle que mentionne le prophète, peut éventuellement produire un effet, quoique cela ne soit pas sûr, comme le texte d'Ésaïe le dit lui-même.

Le besoin de faire ressortir la vérité de sa thèse par l'antithèse correspondante (c'est la prophétie qui est faite pour la communauté et non la glossolalie), mène l'apôtre beaucoup trop loin, en ce qu'il ajoute: la prophétie n'est pas pour les incrédules. Aussi bien se corrige-t-il immédiatement. Sans doute c'est la prophétie, l'enseignement inspiré mais intelligible, qui doit l'emporter sur la glossolalie dans l'assemblée des chrétiens, mais ce n'est pas à dire qu'elle ne pourra pas être utile à ceux aussi qui ne sont pas encore convertis, à des païens assistant par hasard à la réunion comme curieux, à de simples auditeurs bénévoles, laïques, étrangers. Au contraire, ceux-ci entendant des choses qui les touchent au fond du cœur, cette onction du discours, cette énergie de conviction, cet enthousiasme prophétique les saisiront; ils se sentiront pécheurs, leur conscience se réveillera. Un pareil effet ne sera guère produit par des cris inarticulés et vides de sens pour les auditeurs.

26 Qu'est-ce à dire, mes frères? Quand vous vous assemblez, tel d'entre vous aura un chant, tel une instruction, tel autre une révélation, une glose, une interprétation: tout doit se faire pour l'édification. Si l’on parle en glose, que ce soient chaque fois deux ou trois au plus, et l'un après l'autre; puis que quelqu'un en donne l'interprétation. S'il n'y a pas d'interprète, l'autre doit se taire dans l'assemblée et parler à lui seul et à Dieu.

29 Quant aux prophètes, que deux ou trois parlent et que les autres examinent; et si un autre reçoit une révélation pendant qu'il est assis là, que le premier se taise. Car vous pouvez tous prophétiser, l'un après l'autre, afin que tous apprennent et que tous soient instruits, et l'inspiration prophétique est au pouvoir des prophètes. Car Dieu n'est pas un dieu de désordre, mais un dieu de paix.

XIV, 26-33. L'auteur, après avoir terminé la partie théorique de son exposition sur les charismes en général et sur la glossolalie en particulier, ajoute encore quelques règles pratiques relatives à la tenue des assemblées. Il se préoccupe du désordre qui peut se mettre dans ces dernières quand les personnes qui prétendent prendre la parole le font au gré de leur disposition momentanée, sans égard pour les autres. À cette époque il n'y avait pas nécessairement des prédicateurs attitrés, et rien n'empêchait que qui que ce fût ne parlât à son tour. Voilà pourquoi Paul pose d'abord la règle générale que tout doit se faire pour l'édification, que l’on doit ménager à tous la faculté déparier, n'importe le genre de discours qu'ils voudront employer, que personne ne doit s'emparer de la parole indéfiniment.

Cependant ici encore le don de la prophétie doit avoir le pas sur la glossolalie. Celle-ci ne peut produire un effet salutaire qu'autant qu'elle est suivie, nous pourrions dire fécondée, par une interprétation. Sans cette dernière elle n'a pas sa place dans la réunion, elle doit se restreindre à des épanchements intimes. Avec la glossolalie, le désordre et la perturbation peuvent entrer dans l'assemblée, parce que dans un moment de transport extatique l'homme n'a pas conscience de ce qui l'entoure, il interrompt les autres; les paroles, les cris même se croisent, et il y a lieu de défendre la glossolalie tout à fait si Ton ne parvient pas à faire en sorte que chacun attende son tour. À cet égard encore la prophétie présente un grand avantage. Les prophètes, dans un certain sens, sont maîtres de leur inspiration: quand elle leur vient, ils n'ont pas besoin de parler immédiatement; ils peuvent parler et se taire selon les convenances de l'assemblée, et retenir ce qui leur a été révélé jusqu'au moment le plus opportun. Quand l'un parle après l'autre, tous peuvent être édifiés: quand plusieurs parlent à la fois, il est difficile d'en comprendre même un seul.

33 Comme dans toutes les communautés de fidèles, vos femmes doivent se taire dans les assemblées; car elles n'ont pas mission de parler; elles doivent être soumises, comme la loi le dit aussi. Si elles désirent s'instruire sur quelque point, qu'elles interrogent leurs maris à la maison, car il sied mal à une femme de parler dans une assemblée publique. Ou bien serait-ce de chez vous que la parole de Dieu est sortie? ou est-ce à vous seuls qu'elle est parvenue?

XIV, 33-36. Dans une église où les transports extatiques paraissent avoir été à l'ordre du jour, nous ne serons pas étonnés de voir les femmes prendre une part active aux manifestations du sentiment religieux, surtout par la glossolalie, mais aussi par des discours prophétiques (chap. XI, 5. Comp. Act. XXI, 9). Ici de nouveaux inconvénients se présentaient: une population aussi peu assurée dans ses principes moraux que l'étaient les Corinthiens (chap. V, VI, XI), devait être exposée à bien des dangers par suite de cette espèce d'émancipation de l'autre sexe. Paul défend donc purement et simplement aux femmes de parler en public, de quelque manière que ce soit, et il fonde cette défense sur la loi générale de l'infériorité de leur sexe (Gen. III, 16). Nous n'avons pas à examiner jusqu'à quel point cette défense absolue s'accorde avec le point de vue religieux de l'inspiration universelle (Act. II, 14 ss., 38; VIII, 12, 17, etc. Gal. III, 2, 28, etc.), et avec le principe pratique de ne pas éteindre l'esprit là où il se manifeste véritablement (I Thess. V, 19). Il n'y a qu'à dire que la théorie mystique et enthousiaste se trouve ici en face des exigences de la froide raison et d'une discipline basée sur l'expérience et la psychologie.

Corinthe ne doit pas faire ici exception; elle n'a pas de privilège, elle n'est pas la métropole et le berceau du christianisme, elle doit des égards aux règles établies ailleurs.

37 Si quelqu'un pense être prophète ou inspiré, qu'il reconnaisse que ce que je vous écris est du Seigneur. Mais si quelqu'un veut l'ignorer, qu'il l'ignore! Ainsi, mes frères, aspirez au don de la prophétie, sans empêcher qu'on parle en gloses; seulement que tout se passe décemment et avec ordre.

XIV, 37-40. L'apôtre fait remonter au Seigneur les avis qu'il donne sur toutes ces matières. Comme Jésus ne s'est point expliqué sur les détails, il faudra bien s'en tenir à la certitude morale qu'avait Paul de n'avoir rien ordonné qui ne fût en parfaite harmonie avec l'esprit de l'enseignement du maître.

En distinguant le prophète et l'inspiré, il fait voir que par ce dernier terme il désigne de préférence les extatiques, comme le faisaient les Corinthiens.

Qu'il l'ignore! Locution permissive qui décline la responsabilité. Ce sera à ses risques et périls; il en répondra.

On pourrait s'étonner peut-être qu'en vue de pareils phénomènes psychiques l'apôtre se contente de circonscrire dans des limites plus, étroites la place qu'il leur accorde dans l'Église, et qu'au lieu de les proscrire complètement, il remercie Dieu de les connaître par son expérience personnelle (v. 18). Pour comprendre ceci, nous le répétons, il faut faire abstraction du point de vue par trop rationaliste de notre siècle. La réflexion nous domine, l'exaltation du sentiment nous est étrangère. La conviction sérieuse qu'avaient les premiers chrétiens de l'immédiateté de l'action de Dieu, leur faisait juger autrement ce dont nous serions plus étonnés que touchés, nous qui sommes plus empressés de renvoyer nos extatiques à la faculté de médecine que de les garder pour l'édification des fidèles. Toutefois on admirera la sage réserve de Paul qui, dix fois dans ce chapitre, insinue combien le laisser-aller dans cette voie est dangereux pour l'Église et pour les individus.

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