Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 11

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L'apôtre aborde maintenant une autre série de sujets, à l'égard desquels il ne s'agit plus seulement de donner des avis salutaires et de déterminer le vrai point de vue pour l'intelligence du devoir, mais de réprimer des abus et des désordres plus ou moins regrettables (chap. XI - XIV). Il en traite successivement trois.

Le premier (chap. XI, 2-16), concerne la mise des femmes de la communauté qui paraissaient en public, dans les assemblées de prière, sans se couvrir d'un voile, comme le demandait l'usage généralement reçu. Nous ne savons pas les motifs de cette innovation, qui ne peut avoir eu lieu que depuis le dernier séjour de Paul à Corinthe. Il est possible que là aussi l'idée mal comprise de liberté ait été la cause première d'une mode choquante, du moins l'argumentation de l'apôtre favorise une pareille supposition.

2 Je vous loue de ce que vous vous souvenez de moi en toutes choses et de ce que vous observez les instructions que je vous ai transmises. Cependant je dois vous rappeler que le chef de tout homme, c'est Christ, que le chef de la femme, c'est le mari, et que le chef de Christ, c'est Dieu. Tout homme qui prie ou qui prêche ayant la tête couverte, déshonore son chef, et toute femme qui prie ou qui prêche la tête découverte, déshonore son chef: autant vaudrait qu'elle l’eut rasée. Car si une femme ne met pas de voile, qu'elle se coupe aussi les cheveux; mais s'il est honteux pour une femme de se couper les cheveux ou de se raser la tête, qu'elle se voile donc!

7 Car l'homme ne doit pas se voiler la tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire du mari. En effet, ce n'est pas l'homme qui est issu de la femme, mais c'est la femme qui est issue de l'homme; et l'homme n'a pas été créé à cause de la femme; c'est la femme qui a été créée à cause de l'homme. C'est pour cela que la femme doit avoir sur la tête un signe de puissance, à cause des anges. Toutefois, à l'égard du Seigneur, la femme n'est point sans l'homme, ni l'homme sans la femme. Car de même que la femme est issue de l'homme, de même l'homme naît de la femme, et tous les deux sont de Dieu.

13 Jugez-en vous-mêmes: Est-il convenable qu'une femme prie Dieu sans être voilée? La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c'est une honte pour un homme de laisser croître les cheveux, tandis que si la femme les laisse croître, c'est pour elle un honneur, parce que la chevelure lui a été donnée en guise de voile. Si quelqu'un prétend susciter une querelle à ce sujet, moi je n'ai pas cette habitude, et les églises de Dieu ne Font pas non plus.

XI, 2-16. Paul commence par constater qu'en thèse générale ses instructions et règlements relatifs au culte et à l'ordre ecclésiastique sont observés à Corinthe. Cependant il y a là une première réserve à faire sur le sujet indiqué plus haut: à cet égard, nous voyons bientôt de quoi il veut parler, mais il faut convenir que son exposition et surtout son argumentation ne sont pas fort transparentes. Essayons de nous en rendre compte en établissant l'enchaînement logique des idées.

Au point de vue chrétien, religieux, les deux sexes sont égaux (Gal. III, 28. Comp. le commentaire sur 1 Cor. VII, 17 ss.), ou, comme il est dit ici: à l'égard du Seigneur, l'un n'est pas sans l'autre, aucun des deux n'a un privilège. Mais dans les relations de la vie de famille, la femme est encore soumise au mari, tandis que lui n'a d'autre chef que Christ seul, lequel, à d'autres égards, est aussi le chef de la femme. On voit qu'il ne s'agit point ici de conditions sociales et politiques dans lesquelles un homme peut être le subordonné de l'autre, mais uniquement de considérations anthropologiques et psychologiques générales. L'apôtre fait donc en même temps la part de la loi de la nature qui assigne à chaque sexe sa place particulière dans la société, et celle delà loi morale qui écarte toute distinction.

Personne ne voudra douter de la justesse de ces deux thèses et à nos yeux elles sont aussi évidentes que généralement acceptées. Il n'est pas même nécessaire de supposer que dans le temps, à Corinthe, quelques personnes, notamment de l'autre sexe, en aient contesté la valeur. Paul cependant veut les prouver, et à cet effet il se sert de préférence d'arguments scripturaires, tels qu'on savait les découvrir dans les écoles juives pour toutes sortes de thèses théologiques. L'égalité des sexes, au point de vue religieux, est prouvée: 1° par le fait que Dieu est le créateur de l'un tout aussi bien que de l'autre; 2° par le fait, que tout homme naît d'une femme, par conséquent lui est postérieur, ce qui neutralise le fait opposé, que la première femme était issue du premier homme, rapport qui peut sembler constituer une supériorité absolue du sexe masculin. L'inégalité des sexes, au point de vue social, est prouvée: 1° par ce même fait de la création primitive qui assigne à la femme une place secondaire; 2° par le récit de la Genèse qui constate que la femme a été créée à cause de l'homme (comp. 1 Tim. II, 13). Rien n'est plus facile que de rétorquer de pareils raisonnements, et de tirer des mêmes prémisses des conclusions toutes différentes; mais la faiblesse des arguments n'affecte pas la valeur de la vérité elle-même qu'il s'agit de défendre.

Mais on se demande pourquoi l'auteur s'engage dans cette discussion à propos de costumes? Voici comment la liaison des idées s'établira, dès qu'on voudra bien se souvenir qu'en grec on n'a qu'une seule expression pour désigner la tête (partie du corps) et le chef (le supérieur): la femme a pour chef l'homme (le mari), l'homme n'a point de chef, si ce n'est Christ; c'est donc elle, et non lui, qui doit porter sur sa tête une marque, un symbole de dépendance sociale; ce symbole, c'est le couvre-chef, le voile, ou n'importe quel genre de coiffure usité alors en Grèce par les femmes, pour couvrir la tête. La nature elle-même a donné à cet égard une espèce d'enseignement, en faisant une différence entre les deux sexes relativement à la chevelure. L'homme l'a moins longue que la femme, à qui elle pourrait servir comme un voile naturel, et qui est ainsi avertie de ne point s'écarter dans sa toilette d'une règle tracée pour ainsi dire parle créateur. L'homme, au contraire, portera la tête libre, non couverte, en signe de son indépendance sociale. Tout écart de cette double règle serait une honte pour celui ou celle qui s'en rendrait coupable, et par cela même devrait être considéré comme une atteinte à l'honneur du chef ou supérieur. Car une femme qui se conduit mal déshonore en même temps son mari, et de même l'homme, en pareil cas, déshonorerait son chef à lui, le seul supérieur qu'il ait, c'est-à-dire Christ. La même idée est encore exprimée au point de vue opposé: la femme est la gloire du mari, l'homme est la gloire de Dieu. Cela veut dire: l'excellence du chef respectif retombe ou se reflète sur l'inférieur immédiat, de Dieu sur l'homme, du mari sur la femme. Mais cette gloire du supérieur est ternie, si l'inférieur s'en rend indigne par sa conduite.

Nous avons bien de la peine à suivre l'auteur dans ces singuliers raisonnements, et cela d'autant plus que nous ne pouvons nous cacher que ses appréciations sont sujettes aux variations incessantes des mœurs et des modes. Au moment même où il écrivait, les Juifs se couvraient la tête dans les cérémonies religieuses, et les Romains mettaient le chapeau comme symbole de la liberté. Paul raisonne en vue de ce qui était recommandé par l'usage de la bonne société en Grèce; il serait arrivé plus droit au but en recommandant à ses lecteurs de se régler, dans des choses de ce genre, sur les formes reçues, et de ne point vouloir se distinguer par des innovations excentriques et choquantes. Son conseil, tel qu'il est formulé et motivé, n'est plus applicable, malgré l'énergie paradoxale qu'il y met en disant qu'une femme qui ne veut pas porter de voile, ferait bien de se couper les cheveux tout à fait, et de se raser la tête, c'est-à-dire de se défaire du dernier reste de pudique modestie que la nature lui laisse encore, après qu'elle aura éloigné tout ce que la bienséance fait mettre aux personnes de son sexe. Si elle ne veut pas en arriver là (ce qu'aucune femme ne voudra), pourquoi donc se permet-elle le premier pas dans cette fausse direction?

Du reste, dans tout ce morceau, Paul a en vue les réunions d'édification, où la décence et le bon ordre étaient doublement nécessaires, et où les chrétiens devaient avant tout éviter ce qui pouvait choquer les païens, les simples curieux. En Grèce, une honnête femme ne paraissait pas en public sans voile; quelle idée un assistant étranger à la communauté, introduit par un ami, un parent, devait-il se faire d'une assemblée mixte dans laquelle on voyait un grand nombre de femmes s'offrant aux regards de tout le monde! L'apôtre ne s'arrête encore qu'à ce fait purement extérieur; plus tard il relèvera cet autre abus, que ces femmes se permettaient même de prendre la parole, de prêcher! Voyez sur ce dernier fait, chap. XIV, 34, et sur le sens du mot grec que nous traduisons par prêcher, le chap. XIV tout entier.

Relevons encore en passant la thèse que Dieu est le chef de Christ au même titre que le mari est le chef de la femme (chap. III, 23), ou que Christ lui-même est le chef de l'homme, et constatons que c'est là le subordinatianisme le plus nettement caractérisé. Plus loin, on trouve l'idée que les anges sont présents dans les assemblées des fidèles, idée empruntée au judaïsme (Tob. XII, 12. Ps. CXXXVIII, 1, en grec), et qui se rattache à cette autre, exprimée également par notre apôtre (Éph. III, 10), savoir que rétablissement du royaume de Christ est pour les anges un sujet de contemplation et de méditation édifiante.

Tout ce morceau a été l'objet d'explications très diverses, et nous ne prétendons pas affirmer que les raisonnements de l'apôtre ne sauraient être combinés d'aucune autre manière. Par exemple: au lieu de la nature, on pourrait être tenté de traduire: un sentiment naturel, et de cette manière on arriverait beaucoup plus directement au seul argument que nous ayons reconnu comme universellement et perpétuellement valable. Car le sentiment naturel, en fait de costume, c'est après tout la bienséance réglée par l'usage; et l'apôtre laissant là son scolaticisme rabbinique aurait fini par s'adresser à l'instinct des convenances. Cette tournure nous ferait encore mieux comprendre pourquoi il termine en disant: Permis à qui voudra de disputer sur tout cela; moi je n'ai pas l'habitude de faire de la controverse oiseuse, là où le bons sens a décidé.

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Le second abus que l'apôtre relève, et à l'égard duquel il adresse aux Corinthiens des reproches plus sévères encore, ce sont les désordres qui s'étaient glissés dans la célébration de la sainte cène. Selon la coutume de la primitive Église, le rite sacré s'accomplissait à la suite d'un repas fraternel (d'une agape), qui réunissait tous les membres de la communauté et qui leur fournissait en même temps l'occasion d'exercer la charité, en tant que les plus aisés pourvoyaient à l'entretien des indigents. À Corinthe, à ce qu'il paraît, ces réunions avaient beaucoup dégénéré. À la suite des divisions qui y avaient éclaté parmi les chrétiens, les agapes, tout en se continuant pour la forme, étaient devenues une occasion de manifester les antipathies réciproques; on se séparait par petits groupes, chacun prenait son repas pour lui ou avec ses amis, et le but essentiel de la réunion, la célébration de la cène, perdait toute sa dignité et sa valeur morale et religieuse. — Comme ce morceau commence par ces mots: D'abord j'apprends, etc., nous entrevoyons qu'un autre abus, également relatif à la tenue des assemblées, sera discuté ultérieurement.

17 En vous donnant cet avertissement, je ne puis pas vous louer non plus de ce que vos réunions, loin de vous profiter, vous font du tort. Car d'abord j'apprends que lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions — et je suis enclin à le croire, car il faut bien qu'il y ait parmi vous des partis, afin que les bons soient reconnus comme tels par l'épreuve —: lors donc que vous vous réunissez, ce n'est pas le vrai repas du Seigneur que vous célébrez.

21 Car quand on se met à table, chacun commence par prendre son propre repas, et tel souffre de la faim, tel autre se gorge. N'avez-vous pas vos maisons, s'il ne s'agit que de boire et de manger? Ou méprisez-vous l'église de Dieu, en rendant les indigents honteux? Que vous dirai-je? Vous louerai-je? En ceci je ne vous loue point!

23 Car il m'est revenu à moi, de la part du Seigneur, ce que je vous ai aussi transmis, savoir que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut trahi, prit le pain, et après avoir rendu grâces, il le rompit en disant: «Ceci est mon corps qui est pour vous; faites ceci en mémoire de moi!» De même il prit la coupe, après le souper, en disant: «Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang; faites ceci en mémoire de moi aussi souvent que vous en boirez!» En effet, aussi souvent que vous mangez de ce pain et que vous buvez de cette coupe, vous rappelez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il soit venu; de sorte que quiconque mange de ce pain ou boit de la coupe du Seigneur d'une manière indigne, se rend coupable à l'égard du corps et du sang du Seigneur.

28 Que chacun s'examine donc lui-même et mange ainsi de ce pain et boive de cette coupe; car celui qui mange et qui boit, mange et boit sa propre condamnation, s'il n'apprécie pas le corps. C'est pour cela qu'il y a parmi vous beaucoup de malades et d'infirmes, et qu'un grand nombre de personnes meurent. Si nous nous examinions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés; si nous sommes jugés, c'est que le Seigneur veut nous châtier, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde.

33 Ainsi donc, mes frères, lorsque vous vous réunissez pour un repas, attendez-vous les uns les autres. Si quelqu'un est pressé par la faim, qu'il mange chez lui afin que vos réunions ne tournent pas à votre condamnation. Pour les autres choses, je les réglerai quand je viendrai.

XI, 17-34. Ce morceau contient deux instructions distinctes, mais qui se tiennent de très près; l'apôtre s'explique sur le but des agapes et sur celui de la sainte cène. Les deux institutions avaient une grande portée religieuse et morale; Tune comme Fautre pouvait être viciée par l'esprit profane avec lequel on y participait (et c'était le cas à Corinthe); la seconde, le rite sacramentel, n’était surtout par le rapport dans lequel elle se trouvait ici avec des réunions qui avaient perdu tout caractère chrétien.

À l'égard des agapes, nous n'avons que peu d'observations à faire sur un texte qui s'explique lui-même. Paul dit avoir appris que les divisions, dont il a déjà longuement parlé plus haut, se manifestaient jusque dans les réunions générales, et cela d'une manière bien regrettable. Tout affligé qu'il en est, il exprime sa douleur en ménageant encore ses lecteurs: je suis enclin à le croire, dit-il, je dois le croire dans une certaine mesure, je ne veux pas exagérer, mais même avec cette restriction, je ne puis vous louer. Ce refus d'un éloge, c'est bien le blâme accentué; ceux que cela regardait n'auront pas manqué de le comprendre. D'ailleurs, dans le fait même qu'il déplore, l'apôtre trouve une espèce de consolation: le mal devient, entre les mains de Dieu, un moyen d'arriver au bien; avec la faiblesse des hommes, il est inévitable (Matth. XVIII, 7), mais il a le bon effet d'éprouver la force morale, de trier et d'affermir les caractères.

Quant aux repas communs, ils sont institués: 1° dans un but de charité, et ils manquent ce but quand les riches étalent insolemment leurs provisions abondantes, sans en faire part à leurs frères; 2° dans un but de fraternité, qui certes n'est pas atteint quand on se presse de manger ce qu'on a apporté, sans attendre que tout le monde soit réuni; 3° dans un but religieux, parce que la cène, le rite commémoratif du Seigneur, doit s'y rattacher. Or, non seulement ce but est ici perdu de vue, mais le sacrement est profané indignement quand on convertit le local réservé à une réunion de prières en une salle d'auberge, où chacun vient manger et boire quand cela lui plaît et tant qu'il veut, sans se soucier des autres.

Ceci amène, de la part de l'apôtre, une instruction sur le rite de la cène lui-même, et la forme tout élémentaire de cette instruction fait encore mieux ressortir la gravité de l'abus qui s'était introduite à Corinthe; il fallait remonter jusqu'au plus simple exposé des faits historiques pour réveiller un sentiment qui paraît s'être affaibli ou perdu dans une mesure inconcevable.

Cet exposé historique est de nature à provoquer une comparaison avec les textes parallèles des évangiles. Identiques au fond, les différents récits qui nous sont parvenus varient dans les formules, ce qui a souvent engagé les copistes à rétablir l'harmonie par des additions ou des changements. Nous nous sommes expliqué à ce sujet dans notre commentaire sur les évangiles. On a de tout temps remarqué que l'analogie de notre texte avec celui de Luc est plus grande que celle avec les autres rédactions. On aurait tort d'en conclure que Paul a puisé dans Luc, opinion fort ancienne sans doute, mais qui ne se soutient plus aujourd'hui. En disant que la connaissance des faits lui est revenue de la part de Christ, Paul ne détermine pas le mode de transmission; mais comme il s'agit de faits matériels, nous ne voyons pas pourquoi on ne s'arrêterait pas à l'idée d'une communication faite par des disciples plus anciens, au lieu d'avoir recours à une révélation immédiate.

Quant à la signification du rite, nous voyons par les explications mêmes de l'apôtre, qui sont nécessairement conformes à celles du chapitre précédent, que la chose essentielle pour lui, c'est la communion du croyant avec le Sauveur. Cette communion doit être: 1° permanente; c'est pour cela que Paul insiste sur la commémoration: toutes les fois que le rite se célèbre, mus rappelez (au présent de l’indicatif et non à l’impératif) la mort de Christ. C'est là ce que vous faites en votre qualité de membres de l'Église, du moins en théorie, bien que, en pratique, vous autres Corinthiens, vous ayez perdu de vue cet élément indispensable. Cette commémoration ne cessera que lorsque le Seigneur sera revenu lui-même, parce que alors la communion s'établira d'une manière directe et visible. Mais il est évident que la commémoration dont il est parlé ne saurait être un simple souvenir historique, relatif à un fait qui autrement ne nous, intéresserait pas. La communion doit être: 2° spirituelle, intime, personnelle. Le corps de Jésus a été pour les hommes (les copistes ont ajouté arbitrairement rompu, mot très mal choisi d'ailleurs); il a donné sa vie pour eux; son sang a été versé pour cimenter une nouvelle alliance. Celui qui prend part à cette cène, et qui à cette occasion rappelle la mort du Seigneur, non seulement se souvient du but de ce sacrifice, mais en réclame le bénéfice pour lui. Il s'ensuit qu'on ne doit s'approcher de la table du Seigneur qu'après un sérieux examen de la disposition dans laquelle on se trouve, car de même que celui qui s'unit au Seigneur de cœur et d'âme reçoit dans le pain et dans la coupe un gage de la grâce divine, de même celui qui y participe d'une manière indigne, c'est-à-dire sans apprécier la valeur et la portée des faits dont cet acte doit vivifier le souvenir, se rend coupable de profanation des choses saintes, et la participation à la cène devient pour lui une cause de répulsion et de châtiment.

Dans tout cela, pas plus qu'au chapitre précédent, il n'y a pas un mot qui nécessite l'interprétation réaliste, d'après laquelle le corps et le sang du Christ seraient matériellement présents dans le sacrement. Paul, en racontant que Jésus vivant et assis à table avec ses disciples leur présenta le pain et la coupe en disant: ceci est mon corps, etc., n'a pas pu songer à insinuer qu'en ce moment là son corps et son sang se trouvaient déjà hors de sa personne dans les objets qu'il tenait à la main.

En terminant, l'apôtre déclare que ce qu'il a dit d'un châtiment n'est pas une menace en l'air. Il se croit autorisé à rapprocher de l'abus profane qu'il vient de signaler, les nombreux cas de maladies et de mort qui à cette époque affligeaient l'église de Corinthe. Et dans ce châtiment même, il voit la main bienfaisante du père céleste. Car, à vrai dire, c'est moins la marque de sa juste colère, qu'un moyen d'éducation par lequel il veut ramener les coupables en temps utile, pour qu'ils ne soient pas enveloppés dans la catastrophe finale, qui frappera le monde resté hostile à Christ (chap. V, 5). Malheureusement une traduction française est obligée d'effacer la meilleure part de cette pensée très ingénieusement exprimée. En grec, un seul et même mot, avec de légères modifications de forme, sert à ce que nous rendons successivement par apprécier, examiner, juger, et condamner.

Paul passe maintenant à un troisième abus qu'il trouve nécessaire de signaler et de redresser dans la tenue des assemblées d'édification de Corinthe. Par suite de circonstances qui ne nous sont pas connues dans leurs détails, mais qui tenaient sans doute d'un côté à l’exaltation religieuse, de l'autre à l'esprit mobile et superficiel des Grecs, les extases réelles ou affectées, les discours plus ou moins inintelligibles de personnes emportées par une surexcitation fébrile du sentiment religieux, ou se plaisant dans une émotion en partie factice, avaient de plus en plus pris la place de renseignement simple et régulier, de la prière intelligible et populaire, de la prédication chaleureuse, mais consciente d'elle-même, en un mot, de ce qui pouvait et devait servir à l'édification commune. Les réunions étaient consacrées à des scènes étranges qui pouvaient tenir en émoi la curiosité, mais qui ne satisfaisaient nullement les besoins réels et intimes; et ce qui avait pu être dans le principe un phénomène exceptionnel et individuel, et partant un symptôme de l'énergie des nouvelles convictions, était devenu une espèce de mode et d'habitude, une contagion maladive. Les personnes saisies (réellement ou en apparence) de pareils transports d'exaltation, et interrompant subitement les discours des autres par des cris, des phrases entrecoupées, des chants et d'autres manifestations désordonnées, étaient appelées par les chrétiens de Corinthe des inspirés, et l'on attachait à cette désignation une espèce de prérogative, de manière que les services rendus à la communauté à tout autre titre n'étaient plus guère appréciés. L'apôtre commence donc par établir les vrais principes, pour rectifier le jugement des Corinthiens sur l'action de l'Esprit saint.

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