Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 9

----------

1 Ne suis-je pas libre? Ne suis-je pas apôtre? N'ai-je pas vu notre Seigneur Jésus? N'êtes-vous pas, vous, mon œuvre dans le Seigneur? Si je ne suis pas apôtre pour d'autres, du moins je le suis pour vous: car le sceau de mon apostolat, c'est votre union avec le Seigneur. Voilà ce que je réponds à ceux qui prétendent me juger. Eh bien! N'ai-je pas le droit de manger et de boire? N'ai-je pas le droit d'emmener avec moi une sœur, ma femme, comme font les autres apôtres, et les frères du Seigneur, et Pierre? ou bien est-ce que moi seul et Barnabas nous n'aurions pas le droit de nous dispenser de travailler?

IX, 1-6. Tout à l'heure Paul insinuait que les chrétiens libres ou libéraux, c'est-à-dire élevés au-dessus des scrupules et des préjugés traditionnels, devaient s'imposer volontairement certaines réserves, renoncer à certains droits, s'abstenir de certaines jouissances indifférentes en elles-mêmes, pour ne point choquer leurs frères. Il s'applique maintenant cette recommandation à lui-même. Lui aussi, en sa qualité d'apôtre, a certains droits à exercer, certaines libertés à revendiquer: par exemple, et en première ligne, le droit de vivre aux dépens des églises qu'il évangélisait, de se faire nourrir par les fidèles, au lieu d'être obligé de gagner son pain par un travail manuel; voire même de faire participer à ce privilège sa femme, sa famille. Du moins d'autres apôtres en usent ainsi, notamment Pierre, qu'on a l'habitude de lui opposer. (Nous apprenons, à cette occasion, que les autres apôtres, du moins en majorité, étaient mariés, et qu'ils faisaient des voyages de mission, ce qui n'est mentionné nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament, si ce n'est à l'égard de Pierre et de Jean. Pour les frères du Seigneur, comp. Actes I, 13, 14.)

Il est donc bien et dûment établi que Paul pourrait, en sa qualité d'apôtre, exiger de la part des églises, et par conséquent des Corinthiens, des services matériels et pécuniaires. Tout à l'heure nous apprendrons pour quels motifs il ne les réclame pas, pourquoi il renonce à ses droits et privilèges, se posant ainsi comme modèle en face de ceux qui insistent sur les leurs. Mais avant d'y arriver (v. 15 ss., comp. v. 12), il énumère une série d'arguments sur lesquels il fonde ces droits (v. 7-14), et dans le morceau que nous venons de transcrire, il a soin de constater préalablement ses titres personnels à l'apostolat, puisque de côté et d'autre on les lui contestait. 11 a vu le Seigneur, une première fois sur le chemin de Damas, et plus tard encore (Act. XXII, 17. 1 Cor. XV, 8. 2 Cor. XII, 1); il a reçu de lui directement sa mission (Gal. 1, 1); il a travaillé en conséquence, et les succès même qu'il a obtenus, l'existence des églises qu'il a fondées (les Corinthiens seront les derniers à le méconnaître!), sont autant de preuves matérielles de sa vocation; c'est pour ainsi dire le sceau (l'attestation authentique et irréfragable) que Dieu lui-même a apposé à la prétention qu'il formule ici par écrit, ou qu'il fait valoir partout où la critique s'attache à ses pas.

7 Qui est-ce qui fait jamais le service militaire à ses propres frais? Qui est-ce qui plante une vigne sans en manger le fruit? Qui est-ce qui fait paître un troupeau sans se nourrir du lait de ce troupeau? Et ce que je dis là, est-ce simplement une règle humaine, ou bien plutôt la loi ne dit-elle pas la même chose? Mais il est écrit dans la loi de Moïse: «Tu ne muselleras pas le bœuf qui foule le blé.» Est-ce que Dieu s'occupe des bœufs, ou bien parle-t-il exclusivement en vue de nous? Oui, c'est en vue de nous que cela a été écrit, savoir que celui qui laboure la terre et celui qui bat le blé, doivent le faire avec l'espérance d'y avoir part. Si nous avons semé chez vous la semence spirituelle, est-ce trop si nous demandons à faire une récolte matérielle?

12 Si d'autres exercent leur droit sur vous, ne pourrais-je pas le faire, moi, à plus forte raison? Mais je n'ai point fait valoir ce droit; au contraire, je renonce à toute prétention, pour ne pas créer des obstacles à l'évangile de Christ. Ne savez-vous pas que les sacrificateurs sont nourris par le temple? que ceux qui font le service de l'autel sont les commensaux de l'autel? De même le Seigneur a ordonné que ceux qui annoncent l'Évangile vivent de l'Évangile. Eh bien, moi je n'ai fait valoir aucun de ces droits.

IX, 7-15. L'ouvrier est digne de son salaire! C'est là plus qu'un adage populaire, plus qu'une maxime applicable à diverses conditions de la vie sociale, c'est un principe expressément formulé par le Seigneur même (Matth. X, 10. Luc X, 7), précisément en vue de la mission qu'il donnait à ses disciples. Il y a plus: la loi mosaïque, cette loi émanée de Dieu, le consacrait déjà et de deux manières, tant en assignant aux sacrificateurs, aux ministres du sanctuaire, leur part des offrandes, que par un commandement direct et général, bien qu'exprimé sous une forme allégorique (Deut. XXV, 4).

Ce dernier argument présente un grand intérêt, en ce qu'il nous permet d'apprécier la théorie exégétique de l'apôtre et de son siècle. Il ne dit pas que ce que la loi prescrit au sujet des animaux qu'on emploie aux travaux des champs, pourra être légitimement et utilement appliqué aussi à des rapports plus élevés; il affirme, au contraire, explicitement et énergiquement, que le texte même, dans son sens direct et unique, a en vue les missionnaires, les ministres de l’Évangile, la loi n'étant pas écrite en vue et au profit des créatures inférieures à l'homme, mais se rapportant essentiellement à la sphère des grands intérêts de l'humanité, dont Christ est le centre et le pivot. Ainsi la théorie du double sens est proscrite en même temps que ce que nous appellerions l'interprétation historique et littérale. Du reste, en ajoutant que celui qui laboure, etc., doit le faire avec l'espérance d'en avoir sa part, Paul ne veut pas dire que ces phrases se trouvent textuellement dans l'Écriture (supposition qui a fait croire à quelques commentateurs qu'il cite ici un texte apocryphe), c'est lui qui les tire comme conséquence et application du texte relatif aux bœufs, en revenant à l'allégorie déjà indiquée plus haut (chap. III, 9), et d'après laquelle les ministres sont comparés à des ouvriers laboureurs (comp. Matth. IX, 37. Jean IV, 36 ss.).

Le droit de l'apôtre, de demander à la communauté les moyens de subsistance pour lui et sa famille, est donc suffisamment constaté. Tout de même il déclare n'en avoir pas voulu user. Il va développer les motifs qui l'ont engagé à en agir ainsi; il les résume d'avance dans cette phrase: pour ne pas créer des obstacles à l’Évangile, c'est-à-dire, pour ne rien faire qui, par suite d'une fausse interprétation, peut-être dictée par la malveillance, pourrait amoindrir la puissance de la parole de Dieu, si les auditeurs, au lieu de se donner entièrement à l'influence salutaire de l'Évangile, se préoccupaient des avantages matériels que le prédicateur retirerait de ses fonctions, et y trouvaient à redire.

15 Cependant je ne vous écris pas ceci pour qu'on en agisse ainsi envers moi, car j'aimerais mieux mourir que de me laisser enlever ce sujet de gloire! Car si je prêche l'Évangile, je n'ai pas là de quoi me glorifier; c'est une obligation qui m'est imposée, et malheur à moi si je ne le prêche pas! Si je le faisais de mon propre mouvement, alors j'aurais un mérite; mais si je le fais par ordre, c'est un ministère qui m'est confié. Quel est alors mon mérite? c'est qu'en prêchant l'Évangile, je l'annonce gratuitement, de manière à ne pas faire valoir mes droits de prédicateur.

IX, 15-18. En insistant tant sur ses droits, l'apôtre risquait d'être mal compris: ses lecteurs pouvaient y voir une réclamation, peut-être un reproche. Il se hâte donc d'écarter ce soupçon; il se fait gloire d'avoir renoncé à toute espèce d'émoluments ou d'avantages matériels; d'avoir pourvu à ses besoins par le travail de ses mains. C'est là même, ajoute-t-il, la seule gloire que je puisse revendiquer, mon seul mérite, la seule chose qui constitue un titre à la récompense. Car mon ministère en lui-même, mes travaux apostoliques, c'est tout simplement une charge que le Seigneur m'a imposée; je suis, à cet égard, son serviteur, et si je fais mon devoir, c'est une obligation, et je n'ai rien à demander au delà (Luc XVII, 10). Ce raisonnement, si simple et si transparent, est singulièrement défiguré dans nos traductions, qui ne voient pas que le 17e verset introduit un dilemme, dont le premier membre contient une supposition inadmissible (que Paul se soit fait apôtre de son propre gré et par un louable dévouement) et une conséquence inadmissible aussi (qu'il ait un mérite, une récompense à demander), le second membre, au contraire, le cas réel, conforme à la vérité (qu'il exerce une charge à lui octroyée par une volonté supérieure), et la conséquence de ce cas (qu'il ne saurait être question de mérite ni de récompense, mais seulement de fidélité, chap. IV, 1). Il ne faut pas oublier que l’économe, dans l'antiquité, est un esclave.

19 Car, quoique libre à l'égard de tous, je me suis fait le serviteur de tous, pour gagner le plus grand nombre. Je me suis fait juif pour les Juifs, afin de gagner les Juifs; pour ceux qui sont sous la loi, je me suis assujetti à la loi, bien que je ne sois pas sous la loi, afin de gagner ceux qui sont sous la loi; pour ceux qui sont sans la loi, je me suis dégagé de la loi, non pas comme étant étranger à la loi de Dieu, mais comme engagé à celle de Christ, afin de gagner ceux qui sont sans la loi. Je me suis fait faible avec les faibles, afin de gagner les faibles; je me suis fait tout à tous, pour en sauver de toute manière quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l'Évangile, afin d'y avoir part.

IX, 19-23. Ici l'apôtre généralise son principe et élargit le cercle de sa pensée. Partout et toujours, dit-il, j'ai subordonné l'usage de ma liberté au but de mon ministère; partout où je trouvais à gagner quelqu'un à la foi évangélique, en ménageant d'innocents préjugés, en m'accommodant à des points de vue bornés, en me pliant aux habitudes des hommes, je n'ai eu garde de me montrer exigeant et roide, de faire valoir mon intelligence supérieure et ma liberté, d'effrayer des consciences timorées. Avec les Juifs, j'observe les jeûnes, je m'abstiens de travailler le jour férié, je me soumets à toutes les fastidieuses exigences de l'ascétisme pharisaïque, non que je les regarde comme obligatoires, mais pour ne pas faire retomber sur l'Évangile les préventions que pourrait faire naître une conduite plus libre. Avec les païens, au contraire, je vis de façon que ma qualité de Juif ne les gêne pas, et je me garde bien de les éloigner de l'Évangile, en insistant sur les devoirs légaux du judaïsme dans lequel j'ai été élevé. Moi aussi, je sais être libre, mais je ne veux l'être que là où ma liberté ne fait pas de tort aux autres; et si je m'affranchis de la loi, dans des circonstances où cela ne peut avoir aucun inconvénient, ce n'est pas que je me regarde dégagé de toute loi; il me reste toujours celle de Christ, qui est pour moi la loi suprême de Dieu, celle sur laquelle, en toute occasion, doit se régler ma manière d'agir comme apôtre. Car, comme tel, je n'ai à me préoccuper que d'une seule chose, savoir du progrès de l'Évangile, et non de mes aises et droits à moi. Si je réussis à faire triompher l'Évangile, les biens qu'il promet me sont assurés à moi aussi, et cela vaut mieux que cette liberté du moment à laquelle je sacrifierais mon devoir.

24 Ne savez-vous pas que ceux qui courent dans la lice, courent tous, mais qu'un seul remporte le prix? Courez donc de même, afin de le remporter! Quiconque veut être athlète, s'impose toutes sortes d'abstinences: les autres le font pour obtenir une couronne périssable; nous le ferons pour une couronne qui ne périra point. Moi donc, je cours de telle sorte que ce ne soit pas à l'aventure; je m'exerce au pugilat comme quelqu'un qui ne veut pas frapper en l'air; au contraire, c'est mon propre corps que je bats et que je tiens en servitude, pour ne pas manquer à l'épreuve après avoir fait le héraut pour les autres.

IX, 24-27. L'apôtre termine sa longue digression par une comparaison qui, sous sa plume, se change en allégorie. En même temps, après avoir si longtemps parlé de lui-même (naturellement sans perdre de vue l'application qu'il s'agissait de faire de son exemple à ses lecteurs), il revient à l'exhortation directe.

La comparaison de la vie du chrétien avec les exercices du stade ou des jeux publics de la Grèce, revient plus d'une fois dans les épîtres, quelquefois dans de simples allusions fugitives; mais nulle part elle n'était mieux placée que dans une lettre aux Corinthiens, dans le voisinage desquels, sur l'isthme même, ces jeux se célébraient périodiquement. On peut trouver dans les paroles du texte plusieurs points de comparaison, qui se présentaient trop naturellement pour que l'auteur ne dût pas en profiter; mais il n'y en a qu'un seul qu'il développe avec intention et qui, à vrai dire, avait amené l'image. C'est l'idée que, pour remporter le prix, il faut s'assujettir à des privations et à des fatigues; que la couronne ne s'obtient pas sans peine. Or, la couronne du chrétien, c'est le salut et la vie avec Dieu; le chemin à parcourir pour y arriver, n'est pas une promenade aisée où il s'agirait de jouir commodément de toutes sortes d'avantages. C'est une dure préparation, une suite de renoncements, un effort vers un but qu'on ne saurait perdre de vue un instant, une course fatigante, une lutte qui fait ruisseler la sueur.... Ce qui est vrai pour l'apostolat, sera vrai, dans une mesure proportionnelle, pour toute carrière chrétienne; car le vrai disciple de Christ ne se fera jamais du devoir une idée telle qu'il puisse lui apparaître comme un exercice facile. L'antithèse entre le fait que dans le stade un seul remporte le prix, tandis que dans l'Église tous peuvent y arriver, cette antithèse peut être relevée, mais ce n'est pas elle que l'auteur avait en vue. Il veut dire au contraire: il n'y a de vainqueur dans l'arène que celui qui fait le plus d'efforts, qui s'est le plus privé de plaisirs, de bonne chère, de tout ce qui peut énerver et affaiblir le corps; eh bien, c'est lui que vous devez prendre pour modèle. Nous risquerions de décolorer la dernière phrase en traduisant: après avoir prêché (ou: tout en prêchant) aux autres. Le sens est bien le même, mais en disant: le héraut, nous nous retrouvons au stade grec, où des proclamations solennelles appelaient les athlètes. Et c'est bien un rôle pareil que remplit un délégué de Christ auprès du monde qu'il vient convier à un exercice bien autrement sérieux.

***

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant