Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 8

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1 Pour ce qui est des viandes sacrifiées aux idoles, nous savons que nous avons tous l'intelligence (L'intelligence rend orgueilleux; c'est la charité qui édifie. Si quelqu'un s'imagine avoir l'intelligence de quelque chose, celui-ci n'a point du tout encore l'intelligence comme il faudrait l'avoir; mais si quelqu'un aime Dieu, celui-là est reconnu par lui.)...

4 Pour ce qui est donc de manger des viandes sacrifiées aux idoles, nous savons qu'il n'y a point d'idoles au monde, et qu'il n'y a pas d'autre Dieu, hormis un seul. Car bien qu'il y ait de prétendus dieux qui seraient soit au ciel, soit sur la terre, comme il y a, en effet, un grand nombre de dieux et de seigneurs, pour nous, du moins, il n'y a qu'un seul Dieu, le père, de qui viennent toutes choses et vers lequel nous tendons, et un seul Seigneur Jésus-Christ, par lequel ont été faites toutes choses, et par lequel nous sommes aussi.

VIII, 1-6. Pour répondre à cette nouvelle question, Paul commence encore par poser un principe purement théorique et il le fait d'autant plus volontiers qu'il se proposait d'engager les partisans de ce principe à faire dans la pratique des concessions à ceux qui ne pouvaient gagner sur eux de le reconnaître aussi.

Il s'agissait de savoir s'il pouvait être permis de manger de la viande qui venait d'un autel païen; ceux qui étaient pour l'affirmative (les libéraux) se mettaient au point de vue du monothéisme absolu; et du fait de la nullité et de l'absurdité des croyances polythéistes, ils déduisaient la conséquence que tout ce qui de loin ou de près tenait au culte païen n'avait pour le chrétien aucune valeur religieuse, dans n'importe quel sens. C'est de cette thèse que Paul prend texte pour entrer en matière. Oui, dit-il, nous tous, chrétiens éclairés, moi comme vous, nous avons l'intelligence, c'est-à-dire nous apprécions à leur juste valeur les croyances et les rites du polythéisme, nous savons qu'il n'y a pas d'idoles au monde, c'est-à-dire aucun être réel du genre de ceux dont l'existence est supposée par le culte idolâtre. Nous sommes monothéistes, et par cette raison nous ne nous mettons pas à un point de vue qui suppose la réalité des dieux des Grecs.

Mais avant même d'achever sa phrase, il passe à un autre principe, lequel, dans sa pensée, prime l'autre. C'est que la connaissance de la vérité abstraite, la théorie à elle seule, n'est pas et ne doit pas être dans l'Église la règle unique et suprême de la pratique. L'intelligence peut donner à l'homme une certaine supériorité sur d'autres, mais si elle n'est pas complétée, tempérée par la charité, elle conduit à l'orgueil, à l'esprit de domination; elle n'édifie pas, elle blesse ou trouble les consciences timorées, plutôt qu'elle ne parvient à les élever à des conceptions plus larges. Si quelqu'un s'imagine savoir quelque chose et qu'il se prévaut de sa science, comme constituant à elle seule la perfection, c'est-à-dire ici, le vrai titre à faire valoir pour diriger l'Église, celui-là ne possède pas encore la seule vraie science chrétienne qui consiste à tout subordonner à l'amour de Dieu et aux intérêts spirituels du prochain. Celui au contraire qui, loin de se prévaloir de sa supériorité intellectuelle, cherche à faire profiter ses frères de ses pieux sentiments, de son dévouement actif, celui-là est le vrai disciple de Christ, il est reconnut par Dieu comme tel; il reçoit, pour ainsi dire, de Dieu un témoignage, une attestation qui lui assure une place plus éminente que celle qu'il croirait obtenir en faisant parade de son indépendance relativement aux préjugés traditionnels. Ces principes, introduits dès l'abord sous forme de parenthèse, et par cela même exprimés avec une brièveté presque énigmatique, seront discutés plus loin et appliqués d'une manière très-éloquente.

L'unité réelle de Dieu devant être opposée à la pluralité imaginaire des divinités du paganisme, de manière qu'il restât aussi une place pour la personne du Seigneur Jésus-Christ, l'apôtre se sert, pour parler des faux dieux, de la double expression de dieux et de seigneurs, sans qu'on soit autorisé à supposer qu'il veuille faire une distinction de deux catégories de divinités. N'était le besoin du parallélisme, nous préférerions dire des maîtres, au lieu des seigneurs; les dieux de la mythologie païenne étant censés être les maîtres dans diverses sphères du gouvernement du monde.

Nous n'avons pas besoin de relever le fait de la distinction faite par Paul entre le seul Dieu, le père, et le seigneur, Jésus. Elle s'est déjà rencontrée implicitement chap. III, 23, et se trouve amplement confirmée par une foule d'autres passages qui établissent entre les deux personnes un rapport de subordination. Comp. aussi chap. XI, 3; XII, 5 s.; XV, 27, etc. Quelques manuscrits ont ajouté ici une phrase relative au Saint-Esprit, qui ne fait que constater les préoccupations dogmatiques du moyen âge, sans pouvoir changer la portée du texte authentique.

Pour ce qui est des attributions jointes aux noms de Dieu et de Christ, il y en a chaque fois deux, la première relative à la création physique, dont la cause suprême est Dieu, dont le Christ est l'organe dans sa préexistence (Col. I, 15); la seconde relative à la création spirituelle ou régénération, dont Christ est le promoteur, et Dieu le but.

7 Mais tous n'ont point cette intelligence. Quelques-uns, conservant encore leur conviction relativement aux idoles, mangent cette viande comme étant sacrifiée aux idoles, et leur conscience, par suite de cette faiblesse, se trouve souillée. Or, ce n'est pas ce que nous mangeons qui nous recommandera à Dieu: si nous ne mangeons pas, nous n'y perdons rien, pas plus que nous n'aurons un avantage, si nous mangeons. Gardez-vous de faire en sorte que votre liberté devienne un achoppement pour les faibles.

10 Car si quelqu'un te voit, toi qui as l'intelligence, assis à table dans un temple d'idoles, sa conscience, à lui qui est faible, ne sera-t-elle pas portée à lui laisser manger de la viande sacrifiée aux idoles? Et voilà que le faible, le frère pour lequel Christ est mort, se perd par le fait de ton intelligence! Mais en vous rendant ainsi coupables envers vos frères, et en blessant leur conscience encore faible, vous péchez contre Christ même. Par cette raison, si ce que je mange peut être une occasion de péché pour mon frère, j'aimerais mieux ne plus manger de viande du tout, afin de ne pas y entraîner mon frère.

VIII, 7-13. Après avoir fait la part de la théorie abstraite, l'apôtre en vient à l'application et à la pratique. Et ici, avant toute autre considération, il s'arrête à un fait qu'il pouvait d'autant plus hardiment rappeler à ses lecteurs, que c'était très probablement ce fait qui les avait amenés à poser la question à laquelle il répond en ce moment. En effet, si l'on a été dans le cas de lui demander son avis au sujet de l'usage des viandes provenant de sacrifices païens, c'est que tout le monde n'était pas d'accord sur la valeur morale et religieuse de cet usage; à côté de ceux qui n'y voyaient pas de mal, il y en avait d'autres qui en étaient choqués. Tous ne s'étaient pas élevés à ce point de vue signalé plus haut, et d'après lequel la répudiation absolue des croyances du paganisme effaçait en même temps le caractère religieux qui s'attachait aux objets tenant à l'ancien culte. Tel chrétien, sans que sa croyance actuelle en fût moins sincère, n'avait pas encore pu se défaire de l'idée que les dieux, qu'il avait adorés autrefois, étaient des êtres réels, que, par conséquent, les viandes qui provenaient de leurs autels conservaient toujours un caractère sacré, qu'il s'y attachait une espèce de consécration positive. Eh bien, un pareil chrétien, entraîné par l'exemple d'un autre, ou par une fausse honte, à manger d'une pareille viande, sans avoir pu vaincre ses scrupules, se trouve être en conflit avec sa conscience, qui condamne intérieurement ce qu'il se permet en public. Or, tout ce qui se fait contre la conscience, fût-ce la chose la plus indifférente du monde, est un péché (Rom. XIV, 23).

Il se présente donc immédiatement un autre point de vue duquel il convient de traiter la question; ce n'est plus celui de la théorie abstraite, mais celui de la charité fraternelle, déjà indiqué provisoirement dans la parenthèse du premier verset. En effet, le chrétien libéral, élevé au-dessus des scrupules et des superstitions, n'a pas d'intérêt à faire valoir son opinion en tout état de cause. Dieu ne le jugera pas d'après ce qu'il mange; son libéralisme à l'égard des viandes ne saurait ajouter un appoint quelconque à sa valeur morale, et la privation qu'il pourrait s'imposer ne la diminuera pas. Mais ce qui est très important, ce qui constitue un devoir positif, et par conséquent une responsabilité, c'est que la règle de conduite que chacun se trace et qu'il suit, ne devienne pas une occasion de péché pour l'autre. Le plus fort doit respecter le plus faible; celui qui est libre de préjugés ne doit pas heurter en face celui qui ne s'en est pas encore défait (Rom. XIV, 13, 15, 21).

Nous apprenons, en passant, jusqu'où allait le libéralisme de certains membres de l'église. Il y en avait qui, sous prétexte que les faux dieux sont des êtres purement imaginaires, ce que Paul ne conteste pas, se permettaient d'assister à des festins célébrés dans les temples païens, et auxquels leurs amis ou parents païens les invitaient. Paul leur dira plus tard sa façon de penser sur cette manière d'agir considérée en elle-même. Ici, il relève seulement l'effet déplorable qu'elle peut avoir sur d'autres. Il se trouvera des chrétiens qui, tout en conservant leurs scrupules, ou tout en sentant intérieurement l'inconvenance de pareils procédés, se laisseront entraîner momentanément à faire comme ceux-là; ils se rendront à ces mêmes fêtes, ils mangeront de ces viandes, leur conscience leur fera des reproches, mais ils étoufferont sa voix, qui finira par se taire ailleurs aussi, et peut-être arriveront-ils à retomber soit dans le paganisme, soit au moins dans une coupable et périlleuse légèreté morale. Et pourquoi cela? parce qu'un frère, jaloux de s'affranchir d'une gêne à peine sensible, ou même désireux de faire parade de son indépendance, aura dédaigné de pratiquer dans une toute petite sphère, à propos d'une jouissance à peine digne d'être mentionnée, ce que Jésus a accompli avec un si admirable dévouement, avec une abnégation sans pareille, avec le sacrifice de sa vie — savoir, de consulter l'intérêt des hommes, ses frères, avant le sien propre! Ainsi envisagé, l'acte, qui tout à l'heure paraissait moralement indifférent, devient un véritable péché, et non seulement un péché contraire au devoir envers le prochain, mais un péché contre Christ même, dont il détruit l'œuvre (Matth, XVIII, 6 ss.).

Cette idée, que c'est un devoir pour le chrétien de faire le sacrifice de sa liberté (dans le sens indiqué), toutes les fois que la revendication et l'usage, même légitime, qu'il en ferait, pourrait causer un dommage moral à d'autres, cette idée, disons-nous, remplit tellement l'âme de l'auteur, qu'il s'y arrête maintenant fort au long, pour faire voir qu'elle règle et a toujours réglé sa propre conduite. Le chapitre suivant (chap. IX) forme ainsi une espèce de digression, et ce n'est qu'au dixième qu'il reviendra à la question des viandes, pour l'envisager à d'autres points de vue encore.

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