Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 7

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1 Pour ce qui est des choses au sujet desquelles vous m'avez écrit, je dis qu'il est bon pour l'homme de ne point toucher à une femme; cependant pour éviter tout dérèglement, que chacun ait sa femme, et chaque femme son mari; que le mari rende son devoir à la femme, et la femme de même au mari. Ce n'est pas la femme qui est la maîtresse de son corps, c'est le mari qui en est le maître; de même ce n'est pas le mari qui est maître de son corps, c'est la femme qui en est la maîtresse.

5 Ne vous refusez pas les uns aux autres, si ce n'est d'un consentement mutuel et temporairement, afin de vaquer à la prière; et puis unissez-vous de nouveau pour que le diable ne vous tente pas par suite de votre incontinence. Mais je vous dis cela par forme de concession et non comme un commandement; je désirerais plutôt que tous les hommes fussent comme moi-même; mais chacun a son don particulier de la part de Dieu, l'un de telle manière, l'autre de telle autre.

VII, 1-7. Paul n'était pas marié, et ce n'est pas par suite de circonstances fortuites, mais de propos délibéré qu'il persistait à vivre dans le célibat. Les motifs qui le déterminaient pouvaient s'appliquer à beaucoup d'autres chrétiens, et c'est ce qui lui suggère les conseils qu'il donne dans ce chapitre. Ces motifs étaient même tellement puissants, qu'il aurait pu en dériver une règle générale, si des considérations pratiques, basées à la fois sur la psychologie et la morale, ne l'avaient arrêté. Il se borne donc à formuler le conseil, mais il se hâte d'en circonscrire l'application et de la soumettre au contrôle de la prudence.

Il est bon que l'homme ne touche pas à la femme, voilà la thèse dans son absoluité. Il n'est pas nécessaire de faire remarquer qu'il ne s'agit ici nullement de rapports illégitimes, mais du mariage même. Cette thèse, cependant, est exprimée plus loin d'une manière beaucoup moins rigoureuse: je désirerais que tous fussent comme moi. Cela prouve que, quand l'apôtre dit: il est bon, il ne s'agit pas d'une loi morale, laquelle serait absolue et ne comporterait aucune exception, mais d'un avantage réel et désirable, auquel on peut renoncer. Le contraire ne sera donc pas (comme l'ascétisme des anciens interprètes l'a pensé): il est mauvais, mais: il y a inconvénient, gêne, désavantage.

La suite du raisonnement, tel qu'il est donné dans les lignes qu'on vient de lire, revient à ceci: La théorie serait belle et bonne, mais la pratique est difficile, à cause de la faiblesse humaine. Astreindre les hommes au célibat, ce serait les exposer de gaîté de cœur à tous les dérèglements de la passion. Tous n'ont pas reçu de Dieu le don de la continence, c'est-à-dire une force morale assez grande pour dominer et contenir absolument l'instinct naturel. Le mariage est donc une institution très salutaire, et c'est à ce point de vue que l'apôtre le recommande. Il faut convenir que ce raisonnement, dicté sans doute par une très louable prudence, ne révèle pas une conception bien élevée du mariage et de son but moral. Si l'abstention, la vie dans le célibat, est un don particulier de la grâce de Dieu, il est évident qu'il manque quelque chose à celui qui ne le possède pas. (Suspecta est mihi bonitas rei quam magnitudo alterius mali malum cogit esse inferius, Hieron. adv. Jovin., 1, 9.) On n'a qu'à lire le chapitre de Calvin sur le mariage, pour se convaincre que nous ne disons pas trop en nous exprimant ainsi. Nous ferons remarquer que dans d'autres épîtres (Eph. V, 24 ss. I Tim. II 15) il est parlé du mariage à un point de vue moins dédaigneux. Mais ici, et surtout dans le texte que nous avons sous les yeux, il apparaît comme un pis-aller, comme une institution qui n'aurait d'autre but que celui dont il vient d'être question.

Du reste, ces conseils ne s'adressent pas seulement à ceux qui auraient à se demander s'ils doivent se marier ou non; mais aussi et plus directement à ceux qui sont mariés, et qui penseraient devoir cesser les rapports conjugaux. À ceux-là aussi Paul donne des avis inspirés par un jugement sain et sage. Le mariage est un contrat qui implique des engagements mutuels; les conditions de ce contrat, de quelque nature qu'elles soient, et par conséquent aussi celles que la nature impose tacitement aux personnes qui s'unissent, ne sauraient être négligées ou rompues que d'un commun accord, autrement celui des deux époux qui se trouve lésé dans ses droits, est exposé, par la volonté ou le caprice de l'autre, à des dangers et à des tentations que le mariage est destiné à prévenir. Mais il est entendu que le consentement mutuel (pourvu qu'il n'aille pas jusqu'à s'imposer une obligation perpétuelle, par laquelle ces mêmes dangers seraient provoqués encore) peut modifier les rapports intimes, surtout si (ce que l'apôtre fera ressortir encore dans la suite de son discours) les préoccupations religieuses absorbent la vie des époux.

8 Je dis donc aux célibataires et aux veuves: il est bon pour eux de rester comme moi; cependant, s'ils ne peuvent s'astreindre à la continence, qu'ils se marient. Car il vaut mieux se marier que d'être agité par la passion.

VII, 8-9. Les phrases précédentes s'étant adressées plus particulièrement aux époux déjà unis, quoique au fond l'apôtre ait parlé du mariage en théorie, il ajoute ici quelques mots pour ceux qui ne sont point engagés dans ces liens. Les célibataires sont sans doute les hommes non mariés en général, et pas exclusivement les veufs, comme l'ont pensé quelques interprètes, qui ont conclu que Paul était veuf lui-même. La mention particulière des veuves s'explique par ce que, même en dehors de l'Église, l'opinion publique dans l'antiquité favorisait peu le second mariage à contracter par une veuve, tandis qu'elle ne trouvait rien à redire à celui d'un homme qui avait perdu sa première femme. Plus bas, v. 39, l'auteur revient une seconde fois à ce cas spécial. Pour le fond de la pensée, nous nous en rapportons à ce que nous avons dit sur les versets précédents. — Il ne faut pas oublier, du reste, que les veuves sont censées maîtresses de leur personne, tandis que les filles (v. 25 ss.) forment à cet égard une catégorie à part.

10 Et à ceux qui sont mariés, j'ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, que la femme ne se sépare point de son mari (et si elle est séparée, qu'elle reste sans se remarier ou qu'elle se réconcilie avec son mari), et que le mari ne répudie pas sa femme.

VII, 10-11. Ici il ne s'agit plus d'un simple conseil, mais d'un ordre, d'un principe fondamental et absolu. Aussi l'auteur a-t-il soin de rappeler que Jésus déjà s'est prononcé très formellement à cet égard (Matth. V, 32; XIX, 9. Marc X, 9. Luc XVI, 18). Le divorce est rejeté par le Seigneur comme contraire à l'institution même du mariage, et si la séparation des époux est amenée de fait par l'adultère, du moins une nouvelle union avec d'autres personnes leur est interdite. Les paroles que nous avons mises en parenthèse pourraient avoir en vue le cas exceptionnel que nous venons de mentionner; mais elles pourraient aussi avoir égard à des cas de séparation antérieurs à la conversion au christianisme, ou amenés précisément par la conversion de l'un des deux époux. Dans cette dernière supposition, la transition à ce qui suit serait bien simple.

12 Quant aux autres, je leur dis, moi (et non le Seigneur): si un frère a une femme païenne, et que celle-ci consente à demeurer avec lui, il ne doit pas la répudier; et une femme qui a un mari païen, lequel consent à demeurer avec elle, ne doit pas répudier son mari. Car le mari païen est associé à l'église par le fait de sa femme, et la femme païenne est associée à l'église par le fait de ce frère; autrement vos propres enfants seraient étrangers à la communauté, tandis qu'ils en sont membres. Cependant si le païen veut se séparer, qu'il se sépare! Le frère ou la sœur ne sont pas liés dans ces cas-là, bien que Dieu vous ait appelés en paix. Car que sais-tu, femme, si tu sauveras ton mari? ou que sais-tu, mari, si tu sauveras ta femme?

VII, 12-16. Avant de passer à une dernière catégorie, celle des filles vierges, l'apôtre s'arrête à un cas plus spécial et surtout nouveau, pour lequel Jésus n'avait point jugé à propos de formuler une règle, comme par anticipation. C'est celui des mariages mixtes. Il est bien entendu que l'idée d'un mariage à contracter entre une personne chrétienne et une personne païenne ne se présente pas même à l'esprit de l'apôtre; ce qu'il a en vue, ce sont des familles dans lesquelles la division religieuse s'introduit à la suite de la conversion, soit du mari, soit de la femme, sans que l'autre époux suive l'exemple donné. Quelle règle l'apôtre prescrira-t-il dans ces cas, qui pouvaient se présenter très fréquemment dans les premiers temps? Il distingue deux cas.

Si l'époux païen ne rompt pas de son côté le lien conjugal, l'époux chrétien n'a aucun motif de le rompre pour sa part. Il ne répudiera pas l'autre. C'est à dessein que Paul se sert de ce terme, qu'on n'emploie pas d'ordinaire en parlant de la femme, parce que la femme chrétienne pourrait être tentée de mépriser son mari païen et prendre l’initiative de la séparation. Loin de voir un motif de séparation dans les nouvelles croyances, ou dans les nouveaux rapports sociaux de l'époux converti, Paul insiste sur ce que ces derniers, par leur puissance salutaire, exercent même une influence sur la partie païenne, la rattachent, pour ainsi dire, par un lien invisible et préparateur, à une sphère dans laquelle elle n'est pas encore entrée librement et en pleine conscience» Il a confiance dans la puissance d'attraction qui émane de l'atmosphère chrétienne, et à laquelle, peut-être, un esprit plus lent à se décider, ou plus indifl'érent, ou plus superstitieux, ne résistera pas indéfiniment. L'époux païen d'une femme chrétienne, la femme païenne d'un époux chrétien, sont déjà en quelque sorte associés à l’église (c'est là le vrai sens du mot que nos traducteurs rendent par sanctifiés; car il ne s'agit pas du tout de sanctification morale), ils lui appartiennent comme des alliés, des voisins, des parents un peu éloignés de la famille.

À ce propos, l'auteur fait un rapprochement qui est aussi curieux qu'important pour l'histoire. Il assimile ces époux païens aux enfants des chrétiens, afin de justifier ce terme d'association qu'il vient d'employer. Il dit positivement: Si vous leur refusiez cette place ou cet avantage, vous le refuseriez à vos propres enfants, car ceux-ci n'ont pas plus de titres à être membres de l'église que les païens en question. Cette argumentation n'aurait pas le sens commun, elle serait purement et simplement impossible, si à cette époque le baptême des enfants avait été en usage. Car alors les enfants auraient appartenu à l'église par le baptême, et auraient eu un titre que n'avaient pas les païens. Mais les enfants non baptisés, les enfants non encore instruits dans l'Évangile (et c'est d'eux que Paul parle), ne sont pas plus chrétiens que ces païens; ou plutôt, ces derniers ne le sont pas moins qu'eux, car les uns et les autres sont associés à l'église, les uns par leurs époux ou épouses, les autres par leurs parents. (Le texte dit littéralement: autrement vos enfants seraient impurs, tandis qu'ils sont sacrés; ce sont des expressions empruntées au langage théocratique de l'Ancien Testament.)

Mais il y a un second cas: l'époux païen peut vouloir rompre le lien conjugal; alors l'époux chrétien n'est pas obligé de l'en empêcher; la séparation n'est pas pour lui un sujet de reproche ou de blâme. Il faudra s'en consoler par l'idée que la conversion n'aurait tout de même pas été obtenue. La partie chrétienne (frère ou sœur), n'est pas liée: cela ne veut pas dire qu'elle pourra contracter un nouveau mariage; car cette phrase s'explique suffisamment dans le sens indiqué plus haut; et d'après tout l'esprit de ce chapitre, nous ne saurions admettre que Paul, le cas échéant, aurait approuvé les secondes noces.

On voit d'ailleurs qu'il préférait le premier arrangement, qu'il regrettait la seconde issue dans le cas d'un mariage mixte; car au moment même où il accorde que les époux chrétiens peuvent laisser partir leurs consorts païens, il ne peut pas s'empêcher de répéter le principe souverain: Dieu votes a appelés en paix, c'est-à-dire, la vocation céleste qui a fait de vous des membres de l'Église de Christ, n'impliquait pas du tout la nécessité d'une désunion; la paix conjugale, domestique pouvait subsister.

17 En général, chacun doit rester dans la condition que le Seigneur lui a départie, et dans laquelle il se trouvait quand Dieu l’a appelé. C'est ainsi que je l'ordonne dans toutes les églises. Quelqu'un a-t-il été appelé étant circoncis? Qu'il ne cherche pas à faire disparaître les traces de la circoncision. Quelqu'un a-t-il été appelé étant incirconcis? Qu'il ne se fasse pas circoncire. La circoncision n'est rien et l'incirconcision n'est rien, comparée à l'observation des commandements de Dieu. Que chacun reste dans la condition dans laquelle il a été appelé.

21 Tu as été appelé étant esclave? Ne t'en préoccupe pas, mais lors même que tu pourrais devenir libre, reste plutôt ce que tu es, car l'esclave appelé à la communion du Seigneur est l'affranchi du Seigneur; de même celui qui est appelé étant libre est l'esclave de Christ. Vous avez été rachetés à grand prix; ne devenez pas les esclaves des hommes! Que chacun donc, mes frères, reste avec Dieu dans la condition où il était quand il a été appelé.

VII, 17-24. Ce morceau forme une espèce de digression, en ce sens qu'il n'y est pas parlé des rapports conjugaux, comme dans tout le reste du chapitre; mais il se rattache intimement à ce qui vient d'être dit des mariages mixtes. L'apôtre avait signalé un cas où il n'entendait pas interdire impérieusement la séparation des époux: seulement, ajoute-t-il, regardez cela comme l'exception à la règle; car, en thèse générale, toutes ces matières sont réglées par le principe souverain, que le christianisme, qui veut et peut sanctifier tous les rapports sociaux existants, ne prétend pas commencer par les rompre et n'a nullement besoin de le faire. Cela ne s'applique pas seulement au mariage, la foi en l'Évangile n'étant point gênée et le salut n'étant pas compromis par la condition dans laquelle un individu peut se trouver, à cet égard, au moment où la vocation divine arrive à lui; cela s'applique généralement à toutes les conditions de la vie civile.

Paul le prouve, en passant, par deux exemples d'autant plus instructifs qu'ils se présentaient tous les jours. On devenait croyant et membre de l'Église, soit comme Juif circoncis, soit comme païen non circoncis. Cette différence, purement extérieure, n'est d'aucune importance; la chose essentielle, capitale, c'est la présence et la puissance *de l'élément nouveau et spirituel, qui est le même pour tous (Gal. V, 6. Col. III, II, etc.). On aurait bien tort de croire qu'on ne serait chrétien parfait et héritier des promesses de Dieu, qu'autant qu'on se ferait circoncire si on ne l'a pas été, ou, dans le cas contraire, qu'autant qu'on détruirait cette marque du judaïsme (I Macc. I, 15).

Second exemple. En entrant dans l'Église, on pouvait être de condition libre ou servile. Ce dernier cas paraît même s'être présenté très fréquemment, et l'on aurait bien tort de se représenter les esclaves des anciens comme des êtres généralement et absolument inférieurs par leur origine ou leur éducation. Christ accepte tout le monde, sans distinction de condition sociale; au point de vue religieux, les différences sociales n'ont pas d'importance, elles s'effacent (Gal. III, 28. 1 Cor. XII, 13). Cette pensée est développée ici d'une manière on ne peut plus spirituelle. Le chrétien qui est de condition libre, dans le sens civil, ne doit pas se croire meilleur ou plus élevé que celui qui est esclave, parce qu'il s'est donné un maître à l'égard duquel il a contracté des obligations bien autrement sévères que toutes celles que la servitude domestique pourrait imposer. D'un autre côté, le chrétien qui est de condition servile ne doit pas s'en affliger, car il a obtenu, par la communion avec son Sauveur, une liberté bien autrement précieuse que celle qu'il aurait pu rechercher ou espérer dans sa position matérielle (Rom. VI, 16 ss.). Cela est si vrai, que l'apôtre se laisse aller jusqu'à dire un mot qui a paru tellement choquant aux commentateurs, qu'ils l'ont arbitrairement changé au moyen d'une traduction contraire au texte: l'esclave chrétien doit envisager la condition que la Providence lui a faite comme un moyen d'éducation pour le salut, comme une sphère d'activité particulière qui lui est assignée; il doit apprendre à aimer le genre de devoirs qui s'y rattachent et concentrer ses pensées sur le soin de mettre ces devoirs en rapport intime avec ceux qui le ramènent à Christ (Eph. VI, 5 ss.), au point qu'il parvient à se complaire dans sa position, et à oublier son ancien désir de recouvrer sa liberté.

En apparence, la phrase: ne devenez pas les esclaves des hommes! est en contradiction flagrante non seulement avec cette dernière pensée, mais avec la tendance du morceau tout entier. Or, comme cela est impossible, il est évident qu'en disant à ses lecteurs de ne pas devenir les esclaves des hommes (qu'on veuille bien remarquer le verbe), Paul parle d'une tout autre espèce de servitude que celle de l'assujettissement domestique. Par une association d'idées très-naturelle, il corrobore sa thèse, que la condition servile n'est pas un mal au point de vue chrétien, par cette vérité morale: Vous êtes maintenant les hommes (serfs, esclaves, dépendants, sujets) de Christ, dans un sens qui ne saurait être douteux; vos pensées, vos désirs, vos actions doivent se diriger et se régler uniquement sur ce maître-là; gardez-vous d'en reconnaître ou d'en suivre un autre dans cette même sphère.

25 Relativement aux vierges, je n'ai point de commandement du Seigneur; mais je vous donne mon opinion, comme quelqu'un qui, par la miséricorde du Seigneur, est digne de confiance. J'estime donc que cela est bon, à cause des temps difficiles qui vont venir; qu'il est bon pour l'homme de vivre ainsi. Si tu es lié à une femme, ne cherche pas à rompre ce lien; si tu n'es pas lié à une femme, n'en recherche pas une. Cependant si tu te maries, tu ne commets pas de péché, et si une vierge se marie, elle ne commet pas de péché. Mais ceux qui sont dans cette condition éprouveront des difficultés domestiques, et moi je voudrais vous les épargner.

29 Car je vous dis ceci, mes frères: le temps est limité, afin qu'à l'avenir ceux-là même qui ont des femmes soient comme s'ils n'en avaient pas, et ceux qui pleurent, comme s'ils ne pleuraient pas, et ceux qui se réjouissent, comme s'ils ne se réjouissaient pas, et ceux qui achètent, comme s'ils ne possédaient pas, et ceux qui jouissent du monde, comme s'ils ne jouissaient pas: car l'état de ce monde va passer. Or, moi je voudrais que vous fussiez sans soucis: le célibataire se soucie de ce qui regarde le Seigneur, et de la manière dont il plaira au Seigneur; l'homme marié se soucie de ce qui regarde le monde, et de la manière dont il plaira à sa femme.

34 De même il y a une différence entre la femme mariée et la vierge: celle qui n'est pas mariée se soucie de ce qui regarde le Seigneur, afin d'être sainte de corps et d'esprit; la femme mariée se soucie de ce qui regarde le monde, et de la manière dont elle plaira à son mari. Je dis cela dans votre propre intérêt, et non pour vous tendre un piège; mais en vue des convenances et pour favoriser un attachement au Seigneur sans distraction. Cependant si quelqu'un devait croire qu'il en résulterait des inconvénients s'il ne mariait pas sa fille, quand elle est devenue nubile, et qu'il faudrait agir en conséquence, il fera ce qu'il voudra; il ne commet pas de péché: qu'on se marie! Mais celui qui reste ferme dans sa résolution, et qui, libre de toute contrainte, est maître de faire ce qu'il veut, et qui a décidé dans son cœur de garder sa fille vierge, celui-là fait bien. De sorte que celui qui marie sa fille fait bien, et celui qui ne la marie point fait mieux.

VII, 25-38. L'apôtre se proposait de donner aussi un conseil relatif aux filles à marier, et ce conseil se résume en effet dans les deux dernières lignes du morceau que nous venons de transcrire. Mais en abordant ce nouveau sujet, il se livre à des considérations d'une portée plus générale et développe des motifs qui s'appliquent en même temps aux cas déjà énumérés précédemment.

Nous apprenons ainsi, de la manière la plus positive et la plus explicite, que la préférence accordée par Paul à la vie de célibataire n'est point la conséquence d'une conception ascétique qui aurait attaché au célibat une sainteté particulière et méritoire, mais qu'elle lui était dictée par des raisons très-simples et très-sensées, les unes morales, les autres puisées dans une prudente et prosaïque appréciation des circonstances du moment. Le temps, dit-il, est limité', d'ici à la fin de l'état actuel du monde, qui va passer, il ne s'écoulera plus qu'un nombre d'années comparativement restreint; la période présente, qui aboutira à la parousie du Seigneur, amènera des temps difficiles. Il importe donc de rester dégagé, autant que possible, de tout ce qui pourrait augmenter ces difficultés au point de vue matériel et détourner l'esprit de ce qui, dans ces circonstances, doit le préoccuper plus exclusivement. Car ceux qui ont charge de famille ressentent d'une manière plus douloureuse la pression d'un état de choses plein de troubles et de dangers; des distractions de tout genre, légitimes et naturelles, il est vrai, mais gênantes aussi et pleines de soucis, leur font perdre de vue ce qui regarde plus directement^leur bien-être spirituel, le salut de l'âme. Sans doute, ces intérêts-là sont les mêmes pour tous et toujours, et l'apôtre ne veut pas dire qu'ils sont en opposition directe et constante avec ceux de la vie de famille; toujours est-il que cette dernière absorbe une bonne partie de l'énergie de la volonté et de la liberté de l'esprit, alors que la situation générale du monde et les besoins moraux de la génération qui doit inaugurer le royaume de Christ demanderaient une indépendance absolue des individus relativement aux choses d'ici-bas.

Avec notre traduction, qui a peut-être réussi à effacer quelques obscurités de la rédaction, sans faire tort au sens, les détails n'ont guère besoin d'explication. Paul, en commençant, se prévaut de la grâce que le Seigneur lui a faite de le charger de l'apostolat, pour donner du poids à son avis (comp. v. 40). Quand il dit: J'estime que cela est bon, il a en vue tout ce qu'il a déjà dit en faveur du célibat, mais il se hâte de déclarer, et à plusieurs reprises, qu'il donne là un conseil, et non un ordre. Il s'agit d'un rapport social à l'égard duquel chacun est libre, et que la loi morale ne prétend pas régler d'une manière uniforme. Tout au plus on peut parler de convenances, de bienséance; car une vie exclusivement consacrée aux choses religieuses répond mieux à l'idéal d'une communion avec Christ, qu'une existence réclamée et tiraillée par mille devoirs matériels. Ce qui est dit d'un piège^ s'explique parfaitement par les premiers versets du chapitre, en ce qu'un devoir factice, que les dispositions naturelles rendraient onéreux et tyrannique, conduit à la tentation et aux chutes, en d'autres termes, donne prise à Satan.

Le sens des v. 29 ss. est généralement mal compris, si bien que les éditions ont fini par varier, soit dans le texte même, soit dans la ponctuation. Voici ce que l'apôtre paraît avoir voulu dire: J'affirme que le temps est limité, que Dieu lui a posé des termes qu'il est possible d'entrevoir dès à présent, afin (but de Dieu, et non pas but de l'affirmation de Paul) que les hommes dûment avertis et prenant l'avertissement à cœur, se détachent désormais des choses de ce monde, et ne se préoccupent pas démesurément ou exclusivement des intérêts du jour, affaires, plaisirs et peines du moment. La vie conjugale même, la vie de famille, ne devra plus être un élément de distraction, une cause de souci prédominant.

Du reste, pour bien comprendre la manière dont Paul traite la question du mariage des vierges, il faut bien se rappeler que, d'après les mœurs de cette époque, les pères disposaient de leurs filles comme ils l'entendaient. Car évidemment c'est à eux que l'apôtre s'adresse directement, et non aux filles elles-mêmes; il n'est fait mention des dispositions personnelles de ces dernières qu'autant que les résolutions des pères pourraient être déterminées en vue de périls plus graves, que notre texte ne fait qu'effleurer en passant.

39 Une femme est liée à son mari aussi longtemps qu'il est en vie. Si le mari vient à mourir, elle est libre de se remarier à qui elle veut, pourvu que ce soit dans le Seigneur. Mais elle sera plus heureuse si elle reste comme elle est, selon mon opinion. Et moi aussi je crois avoir l'esprit de Dieu.

En terminant, l'apôtre revient aux veuves; soit qu'il ait oublié ce qu'il avait déjà dit aux v. 8 et 9, soit qu'il juge à propos de l'inculquer de nouveau. L'avis qu'il donne est toujours le même: le second mariage n'est pas un péché, mais à son point de vue il vaut mieux s'en abstenir. Il y a cependant dans ce texte trois éléments qu'il convient de relever.

D'abord le second mariage, si tant est qu'une veuve s'y décide, doit se faire dans le Seigneur. Cela peut être expliqué de deux manières. Un grand nombre de commentateurs pensent que Paul a voulu dire qu'en tout cas le second mari doit être chrétien, et appartenir à l'Église. Nous sommes convaincu que l'idée de permettre ou de voir avec une certaine indifférence des mariages entre chrétiens et païens, à contracter postérieurement à la conversion de l’un des deux époux, n'a pas même pu venir à l'apôtre. Malgré cela, nous ne croyons pas qu'il en parle ici. Car dans ce cas, on se demanderait avec raison pourquoi il les interdirait aux veuves seules et non pas généralement à tous les membres de la communauté ? Nous préférons donc donner à cette phrase un sens beaucoup plus large et tel qu'il résulte de l'esprit de tout le chapitre. Le second mariage d'une veuve n'est pas blâmable en lui-même, pourvu qu'il se fasse sous les auspices du Seigneur, de son aveu et avec son agrément, c'est-à-dire par des motifs honnêtes et de manière que ces nouveaux engagements ne lui fassent pas oublier ses intérêts spirituels.

Voilà aussi pourquoi la veuve est estimée plus heureuse si elle reste comme elle est. Il ne s'agit pas de la félicité future et céleste qui serait plus grande par le fait même du veuvage; mais de ce bonheur intime qui naît de la concentration de toute la vie sur les choses spirituelles (et dont il vient d'être parlé v. 32 ss.), et pas exclusivement de l'absence des soucis du ménage,

Enfin, en revendiquant pour lui la possession de l'esprit de Dieu, Paul indique assez clairement qu'il y avait à Corinthe des gens qui étaient d'un autre avis, c'est-à-dire qui rejetaient le célibat d'une manière absolue ou du moins qui refusaient de lui reconnaître les avantages qu'y voyait Paul. Ce dernier, convaincu que sa manière de voir n'était pas contraire à l'Évangile, mais qu'elle favorisait, au contraire, son action sur le noyau nouvellement formé du peuple de Dieu, était certainement autorisé à se dire ici l'organe de l'esprit de Dieu. Mais on remarquera qu'il n'y a ni au fond, ni surtout dans la forme de sa phrase, rien qui représente la conception traditionnelle d'une inspiration toute spéciale, exclusivement réservée à treize personnes, ni plus ni moins, et qui aurait mis un abîme entre elles et toutes les autres. Ainsi plus haut, lorsque Paul parlait de ses rapports avec Apollonius, il n'y avait pas non plus de trace de cette différence absolue, de cette distance infranchissable, que le dogmatisme des écoles a établie de son chef entre quelques individus privilégiés et l'universalité des vrais croyants, qui ne le seraient pas s'ils ne participaient pas à ce même esprit.

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L'auteur arrive à un second point controversé, au sujet duquel les Corinthiens lui avaient demandé son avis. C'est celui de l'usage des viandes provenant des sacrifices païens. Cette question est traitée fort au long dans les chap. VIII-X, et par cela seul nous voyons quelle importance on y attachait. Il y est fait allusion ailleurs encore dans la littérature et dans l'histoire du siècle apostolique (Apoc. II, 14, 20. Actes XV, 20, 29), et les divers textes qui en parlent nous font voir qu'on était divisé sur l'appréciation du fait, et que la divergence des opinions se manifestait même avec une grande vivacité. Nous verrons avec quelle élévation d'esprit, avec quelle délicatesse de sentiment, avec quelle prudence pastorale Paul en saisit les diverses faces; mais nous ne voulons pas anticiper sur son exposition. Nous nous bornerons à dire qu'il avait devant lui des chrétiens qui ne voyaient pas de mal à prendre part à des fêtes de famille inaugurées par des sacrifices idolâtres, et d'autres qui avaient horreur de manger de la viande achetée au marché, mais provenant originairement des autels; d'un côté, des scrupules excessifs de conscience qui rappellent la rigidité du pharisaïsme judaïque; de l'autre, une légèreté de conduite qui frisait l'indifférence religieuse et bravait le scandale. Il s'agissait ici de sauvegarder les principes et d'en régler l'application dans l'intérêt de tous.

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