Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 6

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1 Tel d'entre vous, quand il a une affaire avec l'autre, se permet de la faire juger par les païens et non par les fidèles. — Ne savez-vous donc pas que ce sont les fidèles qui jugeront le monde? Or, si c'est par vous que le monde doit être jugé, êtes-vous donc indignes de rendre des jugements de moindre importance? Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? Pourquoi pas, à plus forte raison, les choses de cette vie? Lors donc que vous avez à faire juger des choses de cette vie, vous faites siéger des hommes qui ne jouissent d'aucune considération dans l'église?

5 Je le dis à votre honte: ainsi il n'y a donc parmi vous pas un seul homme intelligent qui puisse être l'arbitre entre ses frères? Mais le frère plaide contre le frère, et cela devant des infidèles! C'est déjà un défaut à vous, en général, que vous ayez des procès les uns avec les autres: pourquoi ne vous laissez-vous pas plutôt faire tort? pourquoi ne vous laissez-vous pas plutôt dépouiller? Mais c'est vous qui dépouillez les autres et qui leur faites tort, et encore à des frères!

9Ne savez-vous donc pas que les injustes n'hériteront point le royaume de Dieu? Ne vous y trompez point! Ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni ceux qui se livrent à des débauches infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les avares, n'hériteront le royaume de Dieu. Et vous étiez tels, de manière ou d'autre; mais vous avez été purifiés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés par la communion avec la personne du Seigneur Jésus et avec l'esprit de notre Dieu.

VI, 1-11. Le mot juger, que Paul écrivait en terminant le morceau précédent, lui rappelle un autre symptôme du peu d'énergie que le sentiment chrétien déployait au sein de l'église de Corinthe: c'étaient les procès entre chrétiens dont il avait entendu parler.

À ce sujet, il commence par leur faire sentir que c'est un fait déplorable, que des querelles relatives à de petits intérêts du moment soient portées devant les tribunaux païens (litt.: injustes, style de l'Ancien Testament. Les évangiles disent pécheurs, dans le même sens). C'est une honte pour des hommes auxquels Jésus avait enjoint de souffrir plutôt l'injure que de la rendre (Matth. V, 38 ss.); c'est une honte encore, parce que, en cas de différend, il devrait bien se trouver parmi les fidèles un arbitre assez sage pour mettre les partis d'accord à l'amiable; c'est une honte, enfin, quand on songe à ce qui est promis aux élus de Christ, savoir, de siéger à côté de lui lors du jugement dernier, quand le monde incrédule et les anges des ténèbres recevront leur arrêt (Matth. XIX, 28. Luc. XXII, 29. Apoc. XX, 4, 5).

Avoir des procès qu'il faut porter devant les tribunaux, c'est dans la plupart des cas le symptôme d'une condition morale très-imparfaite. Cela trahit l'absence de cet esprit de justice qui est nécessaire pour obtenir le céleste héritage, et un pareil défaut est tout aussi condamnable que tel autre vice. Par cette association d'idées, l'apôtre est amené à une nomenclature des vices répandus dans la société humaine, et tous également opposés au royaume de Dieu. De tels vices étaient les vôtres, dit-il à ses lecteurs; mais aujourd'hui vous devez en être lavés et purifiés. La réalité pouvait laisser à désirer, la théorie est absolue, l'idéal du chrétien ne comporte pas la présence de pareils défauts.

On se trompe ici en voulant faire dire à l'auteur: «Quelques-uns d'entre vous ont eu ces vices,» comme s'il voulait insinuer que d'autres en avaient été complètement exempts. Telle n'est pas sa pensée. Car l'homme non régénéré a des vices pareils en tout état de cause; il est impossible que quelqu'un soit tout à fait pur, alors que l'Église même ne connaît pas encore d'hommes sans péché. Mais il n'est pas dit que chacun ait eu tous les vices énumérés ici. La phrase est distributive: l'un avait tel vice, l'autre tel autre.

12 «Tout m'est permis!» Mais tout n'est pas salutaire. «Tout m'est permis!» Mais moi je ne dois pas me laisser dominer par quoi que ce soit. Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments; mais Dieu mettra fin à l'un comme aux autres.

VI, 12, 13. Ces quelques lignes sont évidemment destinées à prévenir ou à corriger un malentendu. Paul avait dû maintes fois entretenir les Corinthiens de la liberté chrétienne en vue de la servitude de la loi, en qualifiant d'indifférentes, au point de vue religieux, des choses auxquelles les Juifs attachaient un caractère sacré. Sa formule à cet égard, en ramenant son enseignement à sa plus simple expression, avait dû être: Tout m'est permis! et il ne pouvait pas y avoir de doute sur le genre d'application à donner à cette maxime (chap. X, 23. Gal. V, 13). Mais les Corinthiens s'en emparèrent, comme on voit, pour élargir le cercle des choses permises et arrivèrent à traiter d'indifférentes des choses condamnables. Il paraît, d'après la suite de notre texte, que ce furent surtout les relations illégitimes et désordonnées des deux sexes qu'ils jugeaient à la façon des païens. L'apôtre s'applique donc ici à établir les vrais principes.

Oui, dit-il, j'ai prononcé la formule en question, mais j'y ai mis les restrictions nécessaires pour prévenir l'abus. Ainsi il n'est pas toujours utile et salutaire, moralement parlant, d'user d'une liberté qu'on a réellement; ensuite il ne faut pas user de la liberté de manière à tomber dans un nouvel esclavage, plus honteux que le premier, celui de la passion remplaçant le joug de l'ascétisme. Une application très actuelle de ces principes se trouvera plus loin (chap. VIII à X), relativement à l'usage de certaines viandes, où la liberté incontestable du chrétien sera restreinte par des considérations morales d'un ordre plus élevé. Nous disons la liberté incontestable — car certes, un ordre de choses qui passera, comme l'organisation du système de la nutrition du corps humain, ne saurait avoir de valeur religieuse en soi-même. Dieu a donné à certaines substances la vertu de pouvoir nous nourrir; il a donné à nos intestins la vertu de les digérer, c'est-à-dire d'accomplir cette nutrition; tout cela est fait pour la vie présente et cessera avec elle. La religion n'y est pas intéressée. À cet égard donc, Paul maintient sa thèse, sauf les réserves indiquées. Mais cette thèse de liberté ne doit pas être appliquée aux rapports des deux sexes, parce qu'il y a là à faire valoir des considérations essentiellement religieuses.

13 Mais le corps n'est point fait pour le libertinage; il est pour le Seigneur, et le Seigneur est pour le corps, et Dieu, qui a ressuscité le Seigneur, nous ressuscitera aussi par sa puissance. Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres de Christ? Prendrai-je donc les membres de Christ pour en faire les membres d'une prostituée? A Dieu ne plaise! Ne savez-vous pas que celui qui s'attache à une prostituée est avec elle un même corps? Car il est dit: «Les deux deviendront une seule chair.» Au contraire, celui qui s'attache au Seigneur est avec lui un même esprit.

18 Fuyez l'impudicité! Tout autre péché que l'homme pourra commettre se fait hors du corps, mais celui qui se livre à l'impudicité pèche contre son propre corps. Ou bien ne savez-vous pas que vos corps sont le temple de l'Esprit saint qui est en vous et que vous tenez de Dieu, et que vous ne vous appartenez pas à vous-mêmes? Car vous avez été rachetés à grand prix; glorifiez donc Dieu dans votre corps.

VI, 13-20. Ce morceau a été souvent mal compris par les interprètes, mais il faut convenir que l'argumentation dont se sert l'apôtre est de nature à provoquer des malentendus. Ainsi Tertullien déjà en a pu tirer la conséquence que le mariage ne valait pas mieux que le libertinage et la prostitution, parce que Paul, en invoquant le passage de la Genèse (lequel a positivement en vue l'union conjugale), condamne les rapports sexuels en eux-mêmes et indépendamment de leur légitimité civile. Les modernes, à leur tour, ont insisté sur un autre point: Paul établit une différence entre les péchés commis hors du corps et ceux commis dans ou avec le corps, et déclare ces derniers plus graves. Ou objecte qu'un péché que l'homme commet contre lui-même doit, au point de vue abstrait, être moins grave qu'un péché qu'il commet contre un autre; ou, pour mieux dire, une différence de gravité ne doit pas être admise du tout.

Ces objections, nous le répétons, ont pu être provoquées par la forme un peu paradoxale de l'argumentation, et, en s'arrêtant à la lettre, on trouvera toujours celle-ci en défaut. Mais il convient d'en rechercher l'esprit et de se rendre bien compte de l'idée de l'apôtre. Il est clair qu'il fait une différence entre le ventre et le corps, et c'est sur cette différence qu'il fonde son raisonnement. Par le ventre, il entend l'organisme physique destiné à la conservation de la vie présente; par le corps, il désigne un élément qui survivra à l'état présent des choses. Le ventre périra, disparaîtra avec la mort; le corps est considéré comme une partie intégrante de la personne humaine; comme telle, il est appelé, lui aussi, à la vie éternelle, dans le sens qui sera déterminé au chap. XV; il appartient donc, et dans un sens plus élevé, à Dieu et au Sauveur; il subira avec le croyant cette transformation spirituelle qui le rendra propre à une autre existence. À ce point de vue, il est un temple de Dieu, la demeure de son esprit, la forme visible de cette personnalité désormais sacrée à laquelle est promis l'héritage de la vie; toute souillure du genre indiqué est donc une profanation, un sacrilège. La différence signalée dans le texte est donc précisément celle que la loi civile reconnaît aussi, en distinguant du crime commun celui qui blesserait en même temps le respect dû au saint lieu. Ainsi pour comprendre l'argumentation de l'apôtre et pour la justifier, il faut tenir compte de ce mysticisme qui est au fond de toute sa théologie et sans lequel le chap» XV aussi n'offrirait qu'une série de paralogismes. Le chapitre suivant nous fera voir que ce point de vue déterminait aussi chez lui l'appréciation des rapports conjugaux légitimes.

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L'apôtre aborde maintenant une autre série de sujets. Il va répondre aux diverses questions que les Corinthiens lui avaient posées dans leur lettre. La première de ces questions concernait le mariage et peut-être énumérait-elle déjà d'avance tous les cas que Paul va passer en revue; peut-être aussi celui-ci éprouve-t-il le besoin de préciser sa pensée, en appliquant ses principes successivement à un grand nombre de cas divers. Nous renvoyons nos lecteurs à l'introduction pour tout ce qui concerne les faits généraux qui peuvent servir à l'intelligence de ces textes. Nous nous bornerons ici à constater le sens propre de ces derniers.

Il en résultera d'une manière incontestable, que Paul préfère le célibat au mariage; les motifs de cette préférence se produiront avec plus ou moins de précision dans tout le cours du chapitre. Mais il se garde bien de l'élever à la dignité d'une vertu chrétienne et de lui reconnaître un mérite particulier, comme l'église catholique l'a fait plus tard. En général, toute son exposition paraît avoir plutôt pour but de protester contre les exagérations ascétiques et d'en prévenir les conséquences fâcheuses, que de les favoriser par la recommandation absolue d'une théorie qui n'aurait pas tenu compte des conditions inhérentes à la nature humaine.

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