Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 4

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1 Voici donc comment on doit nous considérer: comme ministres de Christ et comme administrateurs des desseins cachés de Dieu. Du reste, ce qu'on demande à des administrateurs, c'est qu'ils soient trouvés fidèles. Quant à moi, peu m'importe que je sois jugé par vous ou par un tribunal humain; je ne me juge pas non plus moi-même; car, bien que ma conscience ne me reproche rien, ce n'est pas là ce qui me justifie: c'est le Seigneur qui est mon juge. Ne portez donc point de jugement prématuré, jusqu'à ce que le Seigneur vienne, lequel mettra au grand jour ce qui est caché dans les ténèbres, et qui manifestera les intentions des cœurs: c'est alors que chacun recevra de la part de Dieu l'éloge qui lui est dû.

IV, 1-5. Résumé de la discussion précédente: Les apôtres ou prédicateurs ne relèvent pas du jugement des hommes; ils relèvent de celui duquel ils tiennent leur mission, c'est-à-dire, de Christ. Ils sont ses ministres, c'est-à-dire ses serviteurs, les exécuteurs de ses ordres, et ils remplissent dans la grande maison de Dieu les fonctions dévolues, dans un ménage humain, à l’économe, lequel (d'après l'organisation usitée alors, du moins chez les familles aisées et entretenant un grand nombre de domestiques) est le dispensateur et répartiteur des provisions ou rations destinées à l'entretien journalier de tout le personnel. De même ces délégués de Christ ont à administrer, c'est-à-dire à distribuer à qui de droit, les trésors de la révélation évangélique, ce qui naguère était encore un mystère pour l'humanité (chap. II, 7), mais ce qui aujourd'hui doit devenir le bien commun de tous. Or, de même que la première qualité requise dans un économe, c'est la fidélité avec laquelle il sauvegarde les intérêts de son patron, tout en pourvoyant aux besoins de chaque membre de la famille, de même l'économe de Dieu doit être fidèle, c'est-à-dire s'appliquer à faire parvenir au plus grand nombre possible la connaissance aussi complète que possible du bienfait de Dieu en Christ. Mais il n'appartient pas à ceux qui reçoivent, il n'appartient pas non plus à celui qui donne (lors même que sa conscience ne lui reproche rien), de décider en dernier ressort s'il a fait son devoir. Il faut réserver ce jugement à Christ, lequel, ne se bornant pas à constater les faits matériels, mais scrutant aussi les cœurs et les mobiles secrets de chaque acte, saura seul donner à chacun ce qui peut lui revenir à bon droit.

6 Tout cela, mes frères, je l’ai rapporté pour la forme à moi-même et à Apollos, à cause de vous, pour que vous appreniez, par notre exemple, à ne pas dépasser la limite tracée, et à ne pas vous livrer à un vain orgueil en faveur de l'un et aux dépens de l'autre. Car qui est-ce qui vous donne un privilège? que possédez-vous, que vous n'ayez reçu? Et si vous l'avez reçu, pourquoi vous vantez-vous, comme si vous ne l'aviez pas reçu?

8 Vous êtes donc déjà rassasiés! Vous êtes donc déjà assez riches! Vous êtes entrés, et sans nous, dans le royaume! Eh, plût à Dieu que vous y fussiez entrés, pour que nous aussi nous pussions y entrer avec vous! Car je crois vraiment que Dieu nous a mis à la dernière place, nous autres apôtres, comme des malfaiteurs condamnés à mort, puisque nous sommes donnés en spectacle au monde entier, aux anges et aux hommes! Nous sommes sots à cause de Christ, vous êtes les sages en Christ! Nous sommes faibles, vous êtes les forts! Vous êtes honorés, nous sommes méprisés!

11 Jusqu'à cette heure, nous souffrons la faim, la soif, le dénuement, nous sommes maltraités, nous menons une vie errante, nous nous fatiguons en travaillant de nos mains; on nous insulte et nous bénissons, on nous persécute et nous supportons, on nous calomnie et nous exhortons: nous sommes, pour ainsi dire, les balayures du monde, le rebut d'entre tous, jusqu'à ce jour!

IV, 6-13. Ce morceau, écrit avec une grande vivacité, et non sans une teinte d'humeur et d'ironie, a pour but de châtier le vain et sot orgueil qui est inséparable de cet esprit de coterie, signalé et blâmé précédemment. En effet, dans ce qu'il venait de dire, Paul s'était pour ainsi dire effacé, amoindri à dessein; il avait donné l'exemple de la modestie; il avait mis en avant et son nom et celui d'Apollonius, non pour exalter son mérite, pour faire parade de ses travaux, mais pour faire hommage de ses efforts et de ses succès à celui duquel il tenait sa mission. Eh bien, si lui, apôtre, fondateur de l'église de Corinthe, lui, avec son dévouement incontestable, ses travaux incessants, sa haute réputation, proclamait qu'il n'était rien et que Dieu était tout, comment les membres de cette éghse, si peu avancés encore, si peu sûrs d'eux-mêmes, si peu éprouvés, si peu exempts de défauts, comment se permettent-ils de se gérer orgueilleusement comme les juges et appréciateurs de leurs guides spirituels? Ils auraient dû contempler ces derniers dans une tout autre intention, et se pénétrer, en les voyant agir, de cette maxime: <(~Pas au delà de ce qui est écrit 1)^ (traduction littérale), c'est-à-dire au delà du point où il convient de s'arrêter. Savoir garder la mesure, surtout quand il s'agit de se poser soi-même, voilà un principe très-sa4utaire, que Paul a dû fortement recommander à cette occasion. Il ne s'agit ni de ce que lui a écrit, dans les pages précédentes, ni de ce que l'Écriture aurait dit, n'importe dans quel passage.

Puis, se tournant vivement vers ceux qui prétendent s'arroger ainsi le droit de juger les autres, il les confond par des questions, des exclamations, des sarcasmes. Admettons, dit-il, que vous ayez quelques bonnes qualités, quelque supériorité; est-ce vous qui vous les êtes données? N'est-ce pas un don de Dieu? Mais quelle vanité est la vôtre! avec le peu que vous avez, vous élevez de telles prétentions! Vous n'avez donc plus rien à apprendre, vous êtes des chrétiens parfaits, vous êtes arrivés au but! Ah, si moi j'en pouvais dire autant de moi! ah, si vous vouliez me faire la faveur de m'emmener avec vous!

Et à ce propos, l'auteur trace en quelques lignes le tableau de la destinée peu brillante des apôtres de Jésus-Christ, telle que lui surtout la connaissait par une assez longue expérience. S'il y mêle une certaine amertume, ce n'est pas qu'il veuille se plaindre de son sort ou qu'il se sente découragé; ce qui domine la forme de sa pensée, c'est l'antithèse entre l'humble condition à laquelle il s'est soumis, et les prétentions hautaines de ceux qu'il réprimande en ce moment; c'est la triste conviction que la lutte pénible du ministre de Christ avec un monde ennemi n'est guère prise en considération par ceux qui le jugent d'après des points de vue tout à fait secondaires.

Il y a là quelques expressions qui frisent l'exagération, quelques réminiscences de paroles de Jésus (Matth. V, 44), qui, sous la forme qu'elles prennent ici, pourraient sembler trahir, de la part de l'apôtre, un sentiment trop fortement accusé de sa valeur morale. Mais il ne faut pas perdre de vue le dégoût que pouvait lui inspirer le langage d'hommes tels que les chapitres suivants vont nous les faire connaître, ni surtout la sincérité évidente de tout ce que sa profonde humilité chrétienne lui avait dicté plus haut, et de ce que son cœur de père va lui inspirer plus loin de protestations d'attachement.

Les détails s'expliquent facilement. Ce qui est dit d'un spectacle offert au monde entier, ciel et terre, est emprunté aux usages contemporains, d'après lesquels les exécutions capitales se faisaient au cirque, devant des assemblées nombreuses, et souvent d'une manière barbare (chap. XV, 32). Il faut rester ici dans les généralités et ne pas demander comment les anges pourraient éprouver du plaisir à voir souffrir un apôtre; les images ne répondent jamais dans toutes leurs parties à l'idée qu'elles doivent représenter d'une manière plus pittoresque ou plus saisissante. L'antithèse entre la sottise, la faiblesse, le mépris et la sagesse, la puissance et l'honneur, n'est que la reproduction de ce que nous avons lu chap. I, 27.

14 Ce n'est pas pour vous faire honte que j'écris cela, mais je vous avertis comme mes enfants bien-aimés. Car vous pourriez avoir des milliers de maîtres en Christ, que vous n'auriez pas beaucoup de pères: car c'est moi qui suis votre vrai père en Jésus-Christ, par la prédication de l'Évangile. Je vous exhorte donc à suivre mon exemple. C'est pour cette raison que je vous envoie Timothée, qui est mon fidèle et bien-aimé fils dans le Seigneur; il vous rappellera quels sont mes errements en Christ, et dans quel sens j'enseigne partout, dans toutes les églises.

18 Quelques-uns, dans leur vain orgueil, ont prétendu que je ne viendrais plus chez vous; mais je viendrai chez vous bientôt, s'il plaît au Seigneur, et je connaîtrai, non pas ce que disent ces orgueilleux, mais ce qu'ils font. Car le royaume de Dieu ne se fonde point sur des paroles, mais sur des actions. Que préférez-vous? Dois-je venir chez vous avec la verge, ou avec amour et dans un esprit de douceur?

IV, 14-21. Les dernières paroles que l'apôtre venait d'écrire, le tableau si peu riant de la carrière apostolique qu'il mettait sous les yeux de ses lecteurs, pouvaient soulever des réclamations de leur part. Ils avaient bien pu juger plus ou moins légèrement leurs conducteurs spirituels, mais ils ne s'étaient point rendus coupables envers eux de calomnies, d'attaques, de mauvais procédés. Aussi Paul, sentant qu'il s'était laissé aller un peu loin dans cette occasion, éprouve-t-il le besoin d'expliquer sa pensée. Son but n'avait point été de faire aux Corinthiens des reproches amers et sanglants, de les charger d'inculpations directes et excessives: ce qu'il avait voulu, c'était de leur faire sentir combien ils avaient tort, en jugeant leurs apôtres, d'oublier dans quelle condition ceux-ci se trouvaient placés, et combien peu il convenait à d'autres de se gérer comme leurs juges ou leurs supérieurs. Cet avertissement lui était dicté, non par le besoin de blâmer ou de châtier, mais par un sentiment tout paternel. Car après tout, comme maître, précepteur, pédagogue, ayant à enseigner, à morigéner, à reprendre au besoin ses élèves, Paul pouvait déjà se perdre dans la foule; mais il peut faire valoir, auprès des chrétiens de Corinthe, un privilège qu'il ne partageait avec aucun de ses collègues ou successeurs: il a été leur père spirituel, leur premier guide dans la connaissance de Christ; il peut et veut les traiter, non pas comme des écoliers, mais comme ses enfants, dans toute la force de ce terme. Il ose donc leur dire de le prendre pour modèle, soit à d'autres égards, soit surtout et particulièrement à l'égard de cette modestie chrétienne, qui ne s'exagère jamais le mérite personnel, mais se plaît à rendre hommage à Dieu de tout ce qu'il peut y avoir de bon dans l'homme ou d'heureux dans ses destinées.

Quant au voyage de Timothée, nous en avons parlé dans l'introduction. Il est évident, par le contexte, que la mission de ce disciple se rattachait au besoin de remédier aux nombreux inconvénients ou désordres qu'avaient fait naître les discordes éclatées au sein de l'église de Corinthe. Il était chargé de rappeler aux chrétiens de cette ville les errements de Paul, ses principes, sa manière d'agir, et de ramener ainsi les choses dans la voie de l'ordre et de l'union. Mais cette mission même présentait un autre inconvénient, qui revient à l'esprit de l'apôtre au moment où il écrit. On pouvait la regarder comme une preuve de ce qu'il n'osait plus revenir à Corinthe, parce qu'il sentait son influence minée, son autorité insuffisante. En effet, ceux qui s'émancipaient de sa tutelle aimaient à se persuader à eux-mêmes et aux autres, que sa présence ne viendrait plus les gêner. Peut-être même se vantaient-ils de lui avoir fait passer l'envie du retour. Paul revient ainsi à une promesse, qui a presque l'air d'une menace. Je connais, dit-il, les forfanteries de certaines gens, je connaîtrai, en temps et lieu, la valeur de ces discours en l’air. Qu'ils sachent parler, faire de beaux discours, imposer à la foule, je n'en doute pas; mais je veux voir ce qu'ils peuvent, ce qu'ils font, quels sont les effets moraux qu'ils produisent, ce que l'église y gagne. On aurait tort de penser que l'apôtre les provoque, qu'il veut dire: je saurai s'ils peuvent me résister, s'ils sont plus puissants que moi. La force ou puissance dont il parle, est opposée au simple parler. Je veux les voir à l'œuvre, prêt à reconnaître leurs titres, s'ils les justifient par des résultats et non pas seulement par des prétentions.

La dernière ligne forme la transition au morceau suivant. Car s'il peut être question pour l'apôtre de venir la verge à la main, plutôt qu'avec les démonstrations de l'amour paternel, c'est que l'état des choses, tel qu'il lui avait été dépeint dans des rapports dignes de foi, devait être bien loin de l'idéal, bien loin aussi de celui qu'il avait autrefois constaté lui-même. Cependant l’image rattache encore cette phrase à ce qui précède, car nous y retrouvons l'antithèse du père et du pédagogue.

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