Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 3

----------

1 Moi aussi, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à des enfants en Christ. Je vous ai nourris de lait et non d'une nourriture solide, car vous ne la supportiez pas encore. Même aujourd'hui encore vous ne la supportez pas, car vous êtes encore charnels. Car tant qu'il y a parmi vous de la jalousie et des discordes, n'êtes-vous point charnels et ne suivez-vous pas la conduite vulgaire des hommes? Tant que tel d'entre vous dit: moi, je suis du parti de Paul! tel autre: moi, de celui d'Apollos! n'êtes-vous pas de ces hommes? Qui est donc Apollos? Qui est Paul? Ce sont des serviteurs par lesquels vous êtes arrivés à la foi, selon la part que le Seigneur a faite à chacun. Moi j'ai planté, Apollos a arrosé, mais Dieu a fait croître; de sorte que celui qui plante et celui qui arrose ne sont rien, ni l'un ni l'autre; celui qui fait croître, Dieu, est tout. Celui qui plante et celui qui arrose sont placés sur la même ligne, et chacun recevra son propre salaire, selon son propre travail. Car nous sommes les ouvriers de Dieu: vous, vous êtes le champ de Dieu, la maison de Dieu, en construction.

III, 1-9. Après avoir formulé les principes généraux relatifs aux divers degrés de l'intelligence religieuse et de l'illumination de la conscience chrétienne, Paul en revient à l'application de ces principes aux faits qui avaient provoqué ses réflexions, c'est-à-dire aux divisions qui avaient éclaté à Corinthe. Dans quelle catégorie, de celles qui viennent d'être caractérisées, les membres de cette église, du moins en majorité, devaient-ils se voir placés? L'apôtre n'hésite pas; il y a plus, il choisit, pour les classer, un terme plus expressif encore, plus humiliant que celui qu'il avait employé tout à l'heure pour la théorie. Au lieu de sensuels, il dit charnels. C'est que les Corinthiens ne sont pas, à ses yeux, de ces croyants déjà purifiés et dirigés par l'esprit, de ces chrétiens qui réalisent l'idéal, autant que cela est donné à la faiblesse de l'homme. Chez eux, la chair dominait, si ce n'est par le vice, du moins parles préoccupations de la vanité, de l'amour-propre, de toutes sortes d'intérêts mondains, depuis tout le temps que Paul les voyait de plus près; leur éducation religieuse avançait bien lentement et il n'y avait pas lieu de la faire marcher plus vite à l'égard de l'intelligence, vu les obstacles moraux qu'ils y opposaient eux-mêmes.

Pour tempérer ce qu'il devait y avoir d'amer dans ce reproche et dans ce souvenir, l'apôtre a recours à une allégorie. Il compare ses Corinthiens à des enfants (terme qui trahit d'ailleurs de préférence des sentiments affectueux) qui devaient être nourris de lait, c'est-à-dire d'un enseignement simple et élémentaire. C'était bien le seul qui leur convînt alors et, de fait, le seul qui leur convienne encore en ce moment, et ils ont tort de se plaindre de ce qu'on ne leur ait pas offert la nourriture des adultes, la science plus approfondie de l'Évangile, l'étude sérieuse de ses vérités moins primitives. On devine que les Corinthiens avaient dû trouver cela chez quelqu'un d'autre, et arriver ainsi à mépriser l'enseignement de Paul, qui, à leur gré, ne savait pas s'élever assez haut. On devine aussi que cet autre était Apollonius. Eh bien, dit Paul, si j'avais à recommencer, j'agirais encore de même. À quoi bon une instruction supérieure, à la fois théologique et rhétorique, là où les dispositions morales ne se sont pas encore dégagées des habitudes d'une époque qui devrait être loin derrière vous? À quoi bon prêcher les profondeurs de Dieu (la gnosis, comme on disait plus tard; comp. aussi chap. VIII, 1 suiv.) à ceux qui n'ont pas accompli le premier pas demandé par l'Évangile, l'amendement de l'homme naturel et charnel?

Ce dernier fait, dit-il, est suffisamment constaté par vos discordes mêmes, vos querelles de noms propres, qui ne sont pas même des querelles sur des principes. Par elles, vous montrez que vous n'êtes que des hommes, c'est-à-dire des hommes ordinaires, comme ils le sont tous naturellement. (Les copistes n'auraient pas eu besoin de changer ici le texte comme trop obscur.) Et, à cette occasion, l'auteur commence une digression, qui s'étend jusqu'au chap. IV, V. 5, et qui est destinée, d'un côté, à faire ressortir ce qu'il y a de puéril dans des divisions de cette nature, de l'autre côté, à signaler les véritables points de vue à rechercher pour l'appréciation des prédicateurs chrétiens.

D'abord l'importance de ces derniers, en théorie, est minime, en comparaison de celle du bienfait même de l'Évangile qui vient de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ. Eux, ils sont des serviteurs, des ministres, des ouvriers en sous-ordre, travaillant sous la direction d'un maître, là où il les envoie et avec les moyens qu'il leur prête. Évidemment le directeur de la besogne, le dispensateur de la force à employer, le promoteur du succès, le maître enfin, est tout, l'ouvrier n'est rien, il est un instrument. Qui est-ce qui oublierait le premier pour le second? Dans un jardin, qui est-ce qui fait la chose essentielle? est-ce le jardinier qui manie la bêche ou l'arrosoir, ou le bon Dieu qui fait luire le soleil et donne la pluie, après avoir déposé dans la plante des forces qu'aucun art humain ne peut créer? Il y a donc une espèce de reniement de Dieu, du moins un oubli inconciliable avec la vraie piété, dans ces préoccupations humaines, dans cette exaltation des noms propres. En théorie, tous ces noms propres se placent sur la même ligne (v. 8), bien que relativement à l'ordre chronologique l'un ait pu précéder l'autre.

Mais dans l'appréciation pratique, il y a une tout autre mesure à appliquer que celle fournie par les sympathies personnelles, si souvent arbitraires, fortuites et mal fondées. C'est la valeur intrinsèque du travail, de la besogne faite par chaque ouvrier (jardinier, vigneron, laboureur, architecte — car tout ce morceau est riche en allusions à la vie matérielle), qui décidera définitivement de son mérite et de son salaire. Il travaille à la pièce, et à la condition de faire recevoir son travail par le juge compétent. C'est à cette dernière idée que Paul va s'arrêter un instant, et de toutes les images qui viennent de passer devant son esprit, c'est celle d'un édifice qu'il choisira pour donner à sa pensée une forme plus transparente et plus facile à saisir.

10 Selon la grâce de Dieu qui m'avait été accordée, moi, j'ai posé le fondement en architecte prudent, un autre continue la construction. Or, chacun doit prendre garde à la façon dont il construit. Car, pour ce qui est du fondement, personne ne peut en poser un autre que celui qui est posé, savoir: Jésus, le Christ. Mais que, sur ce fondement, quelqu'un bâtisse avec de l'or, de l'argent, des pierres de prix, du bois, de la paille, du chaume, l'œuvre d'un chacun finira par être appréciée, car c'est le jour où elle se révélera dans le feu, qui la fera connaître, et le feu prouvera de quelle nature aura été l'œuvre d'un chacun. Si l'œuvre de quelqu'un, qu'il aura bâtie dessus, subsiste, il aura son salaire; si l'œuvre de quelqu'un est consumée, il le perdra: quant à lui, il pourra se sauver, mais comme on l'est à travers le feu.

III, 10-15. Le travail à faire, pour continuer l'œuvre de Christ et pour en faire profiter l'humanité, est donc comparé à la construction d'un édifice. Un seul ouvrier ne suffit pas pour l'achever; plusieurs doivent se partager la besogne ou se relever successivement. Peu importe donc de savoir qui aura été le premier à l'œuvre. Nul ne doit se prévaloir de cette priorité, qui ne constitue pas un mérite, parce qu'elle dépend de circonstances étrangères à la volonté individuelle et avant tout de la grâce de Dieu qui choisit librement ses ouvriers. Cette pensée, reproduite en tête de notre morceau, a déjà été énoncée plus haut.

Puis, développant son allégorie, Paul rappelle que ce fut lui qui d'abord évangélisa les Corinthiens, qui posa chez eux le fondement. Il pense l'avoir fait en prudent architecte, qui commence toujours par là, et non par les parties supérieures ou accessoires. Vous avez donc tort, dit-il, de ravaler mon œuvre, parce qu'elle vous semble aujourd'hui moins apparente et qu'elle se dérobe pour ainsi dire aux regards dès que l'édifice commence à s'élever au-dessus du sol. Un autre continue mon œuvre, laquelle, sans doute, prend sous sa main un aspect plus attrayant, un développement plus notable. Mais cela ne lui donne pas, à lui, un mérite supérieur. Sans le fondement, où en serait-il? la question n'est pas de savoir s'il a construit telle partie supérieure de l’édifice, mais s'il a construit avec de bons matériaux et selon les bonnes règles. — Tout ce morceau, jusqu'au bout, est une allégorie, d'après notre sentiment. Nous traduisons donc aussi: Laissez venir le jour de l'incendie, et la valeur des matériaux se reconnaîtra facilement; les pierres et les métaux resteront, le bois et le chaume seront consumés. Seulement cette image, comme toutes les images, présente des inconvénients dans l'application. Car dans la construction d'un édifice on ne peut pas se passer de matériaux sujets à être détruits par le feu, et c'est le même architecte qui y emploie les matériaux les plus divers. Pour le sens figuré, Paul raisonne comme si divers architectes se partageaient le travail, selon leur goût particulier et en raison même de la diversité des matériaux. Enfin, il suppose que l'architecte lui-même demeure dans la maison qu'il a construite.

À cet inconvénient près, l'application n'est pas difficile. Le mérite de chaque ouvrier, chargé de l'édification de l'Église, ne se mesurera pas sur des considérations de quantité ou de priorité, mais de qualité. Son zèle personnel, ainsi que la nature et la méthode de son enseignement, voilà ce qui servira de base à une juste appréciation de son œuvre. Il arrivera un jour de crise pour la communauté, une épreuve extérieure ou intérieure, alors on verra si elle la soutient, si elle résiste. Si elle en sort victorieuse, alors, et alors seulement, l'ouvrier de Christ aura montré qu'il a rempli son devoir, et la couronne qui lui est promise ne lui fera pas défaut. Si elle succombe, il aura travaillé en pure perte, parce qu'il aura mal travaillé, et non seulement il ne sera pas question de récompense, mais il risquera d'être enveloppé lui-même dans la ruine; il échappera avec peine à une catastrophe qu'il n'aura pas su prévenir. (Pour la locution proverbiale, voyez Amos IV, 11. Zach. III, 2.)

Ce morceau a été très mal compris de tout temps, parce qu'on s'est obstiné à croire que Paul veut opposer un prédicateur orthodoxe à un faux docteur, à un hérétique. Rien n'est plus éloigné de sa pensée que cette antithèse. À quoi bon s'arrêter ici à dire aux Corinthiens que les faux docteurs risquent de ruiner l’Église? Ce n'était pas là une question à discuter, et dans cette partie de l'épître elle n'est même soulevée nulle part. Il donne lui-même la seule explication qui soit juste et acceptable (chap. IV, 6). Il veut faire sentir à ses lecteurs qu'ils ont tort, eux, de faire, hors de propos, une comparaison entre lui et Apollos, à un point de vue purement extérieur; que le mérite respectif des divers prédicateurs doit se juger d'après des considérations bien différentes, et qu'après tout ce jugement appartient à Dieu (chap. IV, 1 ss.). Il est si peu question ici de faux docteurs, que l'apôtre met en tête de son allégorie, comme pour en expliquer tout de suite la portée, cette thèse, que le fondement de la prédication évangélique est toujours le même; d'après cela, les personnes comparées entre elles sont toutes censées construire sur ce seul et même fondement. Elles peuvent bâtir bien ou mal, selon qu'elles y procéderont, mais s'il s'agissait de fausses doctrines, Paul parlerait avant tout de la prétention de jeter un autre fondement. De plus, le faux docteur ne serait pas sauvé, mais il serait nécessairement le premier à périr, comme le plus coupable, si ce n'est comme le seul coupable. Le jour n'est donc pas le jugement dernier; le feu n'est pas celui de l'enfer, et encore moins celui du purgatoire; l'or et le chaume ne représentent point les articles de la foi orthodoxe et les hérésies dogmatiques.

16 Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu et que l'esprit de Dieu demeure en vous? Si quelqu'un ruina le temple de Dieu, Dieu le ruinera, lui aussi. Car le temple de Dieu est sacré, et vous l’êtes aussi. Que nul ne s'abuse lui-même! Si quelqu'un parmi vous croit être sage, d'après l'esprit du siècle, qu'il commence par se faire ignorant, afin de devenir sage. Car la sagesse de ce monde-ci est folie aux yeux de Dieu, ainsi qu'il est écrit: «C'est lui qui prend les sages dans leur propre ruse,» et ailleurs: «Le Seigneur sait que les pensées des sages sont vaines.»

III, 16-20. Par une association naturelle des idées, l'apôtre arrive à une autre application de son allégorie, et en profite pour revenir à son point de départ, aux querelles intestines des Corinthiens. J'ai parlé d'un édifice, dit-il; mais cette image ne devrait pas être nouvelle pour vous. Ne vous rappelez-vous pas que je l'ai employée devant vous (comp. aussi chap. VI, 19. 2 Cor. VI, 16. Éph. II, 20, etc.), pour comparer l'Église à un temple et pour dériver de cette comparaison les qualités qu'elle doit avoir et les conditions de son développement? Hé bien, tout à l'heure j'ai repris cette image pour en déduire les devoirs des prédicateurs, je m'en servirai encore pour avertir ceux d'entre vous qui s'abusent sur l'importance relative des formes de l'enseignement.

Ici Paul reproduit ce qu'il a dit plus haut (chap. I, 18 ss.) sur la vraie et la fausse sagesse. Tel d'entre vous, dit-il, prétend posséder à fond la science de la vérité, il est à la hauteur du siècle et juge les autres, et nous en particulier, d'après le point de vue de sa sagesse humaine. Ah, qu'il commence par apprécier cette dernière à sa juste valeur, c'est-à-dire par la mépriser, par n'y voir qu'une folle illusion, par l'ignorer, alors il sera bien préparé à comprendre, à recevoir, à estimer la seule vraie sagesse, celle de l’Évangile. Aujourd'hui, son point de vue charnel, ses jugements inintelligents, ses prédilections dictées par l'esprit de parti, amènent nécessairement les discordes que je déplore, et les parties de l'édifice, au lieu de se rattacher bien solidement entre elles, se séparent et se détachent les unes des autres; le temple, au lieu de s'édifier et de s'élever, est ruiné, les pierres s'éparpillent, la peine de l'architecte est perdue. Tout temple est un lieu sacré; le dieu auquel il est consacré ne peut que punir celui qui est l'auteur de sa ruine. Or, la communauté des croyants est aussi un temple, malheur donc à celui qui fait prévaloir au milieu d'elle des passions ou des tendances qui méconnaissent ce caractère et qui la mettent à la merci des intérêts profanes! Encore une fois, il n'est pas question là d'hérésies, mais de ces mêmes luttes d'un esprit de parti vaniteux, léger et turbulent, dont l'histoire politique des Grecs montre autant d'exemples que l'histoire ecclésiastique.

Les deux citations sont tirées de Job V, 13 et du Psaume XCIV, 11. Les deux textes doivent faire ressortir ce fait, plusieurs fois attesté dans les pages précédentes, que la sagesse de l'homme s'éclipse en présence de celle de Dieu, qu'elle est vaine et imaginaire, si elle n'est perverse et coupable. Aussi bien l'homme qui la prend pour son guide unique, court-il à sa perte et se prend dans ses propres filets (métaphore empruntée à la chasse).

21 Ainsi donc, que personne ne fonde sa gloire sur des hommes: car tout est à vous, soit Paul, soit Apollos, soit Cephas, soit le monde; soit la vie, soit la mort; soit le présent, soit l'avenir: tout est à vous, vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu!

III, 21-23. L'auteur se résume en disant qu'un chrétien a tort de se prévaloir d'autre chose que de ce qui l'unit à Dieu et à Christ (chap. I, 31), car c'est là le seul vrai sujet de gloire pour lui. Rien n'est plus puéril, plus funeste même dans ses conséquences, que de vouloir accorder une valeur démesurée à des choses qui n'en ont pas du tout, ou qui n'ont qu'une valeur relative. Ainsi les apôtres sont sans doute des hommes que les églises peuvent entourer de leur respect, qu'elles honoreront surtout en profitant de leur instruction, mais ils ne sont pas personnellement la source d'un avantage ou d'un privilège, de sorte qu'on aurait à tirer gloire de leurs noms ou à s'appeler d'après eux. «Ils sont là pour vous, et non vous pour eux! Il y a plus: non seulement les individus que Dieu vous envoie, mais en général toutes vos destinées, le milieu social, le monde dans lequel il vous place, les jours qu'il vous accorde, la mort qu'il vous impose, en un mot, votre existence présente et à venir, en tant qu'elle est l'œuvre de Dieu, tout cela est fait et réglé pour votre salut. Vous, chrétiens, individuellement et collectivement, vous êtes élevés par Dieu à la dignité d'un but, d'un centre, d'un objet de sa sollicitude; n'allez donc pas vous asservir volontairement à des idées fausses, à des tendances qui vous déroutent, à des noms sans importance par eux-mêmes. Qu'au-dessus de vous, comme but de vos efforts, comme sujet de votre vraie gloire, il n'y ait que Christ, comme au-dessus de Christ il n'y a que Dieu (chap. XI, 3), auquel vous arrivez par lui.»

***

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant