Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Chapitre 2

----------

1 Moi aussi, mes frères, en venant chez vous, je ne vins point vous annoncer l’enseignement de Dieu à grands frais de rhétorique ou de philosophie. Car je me proposais de ne rien savoir chez vous si ce n'est Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Aussi me suis-je présenté chez vous dans ma faiblesse, avec timidité et avec une grande humilité, et ma parole et ma prédication ne s'appuyaient pas sur le langage persuasif de la philosophie, mais sur la démonstration de l'esprit et de la puissance, afin que votre foi ne se fondât point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.

II, 1-5. Après les considérations générales et plutôt théoriques que nous avons lues plus haut, Paul arrive aux faits qui le regardent personnellement. Il justifie sa méthode d'enseignement et de prédication, qui n'avait point satisfait le goût d'une partie des membres de l'église de Corinthe. Cette conviction, dit-il, que l'Évangile se fonde sur un fait non seulement étranger à la philosophie humaine, mais rejeté par elle avec dédain, m'a aussi guidé autrefois, quand je vins vous l'annoncer pour la première fois. Je me gardai bien alors de chercher à vous le rendre familier, à vous le faire accepter, au moyen des ressources de l'art oratoire ou de la dialectique. La vérité ne gagne rien à ces artifices, la forme étant souvent prise pour l'essence, par les esprits superficiels, et l'erreur réussissant tout aussi souvent à se faire accepter sous ce masque trompeur. Je vous ai donc prêché l'Évangile du sauveur crucifié, purement et simplement, sans essayer de lui donner une forme moins choquante pour ceux qu'il n'aurait pas gagnés par sa puissance propre.

Par philosophie, l'apôtre entend en partie (v. 6 ss.) la doctrine elle-même, en tant qu'elle devient un sujet de méditation pour une intelligence plus exercée (l'élément spéculatif du christianisme); mais avant tout aussi la méthode qui sait présenter les thèses qu'on veut faire adopter à d'autres, sous la forme la plus avenante et avec les arguments les plus insinuants. C'est alors plutôt ce que les Grecs ont appelé l'art des sophistes, dans le bon sens du mot. La faiblesse naturelle de celui qui renonce à l'emploi des ressources de la rhétorique, pour laisser parler et agir la vérité par elle-même, la timidité et l’humilité du simple homme du peuple, de l'étranger qui se trouve encore gêné par la différence du langage et de la nationalité, forment une antithèse naturelle avec les allures pompeuses des rhéteurs, avec l'assurance de ceux qui visent à persuader, au risque de ne pas convaincre. L'apôtre de Christ a une telle confiance dans la valeur intrinsèque, dans la puissance propre de la parole de Dieu, qu'il est sûr de la voir agir sur les cœurs sans qu'il ait besoin d'y rien ajouter du sien. À la persuasion factice et trompeuse est opposée la démonstration, c'est-à-dire la conviction opérée réellement, et inculquée profondément par l'action puissante de l'esprit de Dieu. Car c'est Dieu lui-même, et non le faible mortel, qui doit être l'auteur de la foi. Il est évident que tout ce passage est inspiré à l'auteur par un besoin apologétique, mais il est aussi facile de constater qu'il ne s'agit pas ici de différences radicales dans les doctrines, mais de diverses méthodes d'enseignement. Et c'est pour cela précisément que Paul s'élève contre les divisions qui ont éclaté à Corinthe, l'importance du différend n'étant point de nature à motiver la scission.

6 Quant à la philosophie, je la prêche aux hommes mûrs; mais une philosophie qui n'est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle qui sont condamnés à passer; mais je prêche la philosophie divine, autrefois secrète et cachée, que Dieu, avant les siècles, a décrétée d'avance pour aboutir à notre gloire, et qu'aucun des chefs de ce siècle n'a connue (car s'ils l'avaient connue, ils n'auraient pas crucifié le glorieux Seigneur!), mais telle que l'a décrite cette parole de l'Écriture: «Ce qu'aucun œil n'a vu, ce qu'aucune oreille n'a entendu, ce qui n'est venu à l'esprit d'aucun homme, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment.» C'est à nous que Dieu l’a révélée par son esprit. Car l'esprit sonde tout, même.les profondeurs de Dieu. Car qui d'entre les hommes sait ce qui se passe dans un homme, si ce n'est l'esprit de cet homme qui est en lui-même? De même personne ne sait ce qui est en Dieu, si ce n'est l'esprit de Dieu.

12 Or nous, nous n'avons point reçu l'esprit du monde, mais l'esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions ce qui nous a été donné par la grâce de Dieu. Et c'est aussi là ce que je prêche, avec des paroles qui ne sont pas enseignées par une philosophie humaine, mais suggérées par l'esprit, me réservant d'expliquer les choses spirituelles à ceux qui ont l'esprit. L'homme sensuel n'accepte pas ce qui est de l'esprit de Dieu; pour lui, c'est une folie, et il ne peut le comprendre, parce que cela doit être jugé à l'aide de l'esprit. L'homme spirituel, au contraire, sait juger de toutes choses, tandis que lui-même n'est jugé par personne. Car qui est-ce qui connaît la pensée du Seigneur pour pouvoir l'instruire? Mais nous, nous avons la pensée de Christ!

II, 6-16. Tout ce morceau exprime au fond une seule et même idée. Si autrefois chez vous, dit l'apôtre aux chrétiens de Corinthe, je me suis fait une loi de prêcher l'évangile du Sauveur crucifié dans toute sa simplicité et sans aucun apprêt rhétorique ou philosophique, ce n'est pas que cet évangile fût une doctrine destinée exclusivement aux esprits faibles, et incapables d'offrir un aliment à ceux dont l'intelligence cherche à s'élever à des conceptions d'une nature plus sublime. Au contraire, il satisfait pleinement tous les légitimes désirs de ce genre, il présente à l'esprit humain les sujets de méditation les plus graves et les plus élevés, il lui fait connaître des choses que jamais la science humaine n'a trouvées, il lui permet de jeter un regard dans les profondeurs de Dieu, dans ses desseins, autrement impénétrables, à l'égard de l'humanité, en un mot, il est la philosophie la plus haute et la plus riche en même temps (voyez Hist, de la théol. apost., 1. III, chap. 10), c'est une philosophie tout autre que celle qu'enseignent les chefs de ce siècle, ceux que le monde reconnaît pour ses esprits les plus éminents, dont les systèmes dominent dans les écoles, plus ou moins passagèrement, pour se contredire, se réfuter, se ruiner et se remplacer les uns les autres; c'est une philosophie qui n'a pas sa source dans l'entendement humain, mais qui vient de Dieu même; c'est l'ensemble de ses décrets éternels, jadis inconnus au monde, aujourd'hui révélés pour notre gloire et notre bonheur. Mais cette philosophie ne saurait être prêchée qu'à ceux qui sont capables de la comprendre.

Voilà l'exposition de l'idée fondamentale de ce morceau. Il nous reste à faire une série de remarques de détail sur différentes phrases incidentes.

Il est difficile de dire ce que Paul aura donné aux uns et ce qu'il aura réservé aux autres, en faisant ainsi une distinction, d'après les capacités respectives, entre plusieurs catégories d'auditeurs qu'il pouvait avoir devant lui. La différence aura porté d'abord sur la méthode suivie; par exemple, les études typologiques ou d'exégèse allégorique et spirituelle (comme on disait), auront été réservées pour un enseignement supérieur (Hébr. VI, 1); d'autre part, un enseignement fondé sur la conscience du péché et partant de là pour apprécier l'évangile de la grâce, pouvait être ou paraître plus élémentaire qu'une exposition dogmatique qui partait de la notion de Dieu et de l'idée de la prédestination (comp. l'épître aux Romains avec celle des Éphésiens). Les grandes théories de Paul sur le développement providentiel de l'histoire, sur les destinées de l'Église et du Judaïsme (Rom. IX ss., etc.), et autres pareilles, étaient certes peu faites encore pour des hommes auxquels il fallait d'abord faire connaître le vrai Dieu et dont la conscience avait besoin d'être éveillée avant tout.

La citation du 9e verset ne se retrouve pas textuellement dans l'Ancien Testament, et les Pères admettaient sans difficulté que Paul alléguait ici un passage tiré de quelque livre apocryphe. Mais il est plus probable qu'il citait de mémoire (comp. És. LXIV, 4) et qu'il ne se rappelait pas exactement les paroles du texte qu'il avait en vue.

Nous, dit-il, plus loin, nous possédons cette philosophie, donc nous pouvons aussi l'enseigner quand il y a lieu de le faire. Nous, c'est avant tout lui-même, et l'on pourrait à la rigueur s'arrêter à lui, parce qu'il a l'habitude de parler au pluriel. Mais sans doute il n'a pas voulu s'attribuer cette science d'une manière exclusive. Il expose une théorie, un principe religieux; donc il ne parle pas pour lui seul; il a en vue tous ceux qui se trouvent placés dans les mêmes conditions. Nous la possédons, continue-t-il, par une révélation, et il est impossible d'y arriver autrement. Car de même que la pensée intime d'un homme n'est connue d'aucun autre homme, et ne peut l'être que de ce seul individu, de même la pensée intime de Dieu, objet de cette philosophie évangélique que l'apôtre vient de revendiquer comme la sienne, ne peut être connue que de Dieu seul. À ce propos, l'apôtre analyse l'être divin, comme nous avons l'habitude de le faire à l'égard de notre être, quand nous distinguons l'homme qui pense de l'homme qui est l'objet de la pensée (l'esprit de la personne entière); il distingue l'esprit de Dieu, principe pensant, sachant, révélant, de l'être divin conçu dans la totalité de son existence. D'un autre côté, l'objet de la révélation est plus particulièrement désigné par le terme des profondeurs de Dieu: ce sont les bienfaits inépuisables réservés à l'humanité (v. 12), mais naguère encore cachés à ses yeux (v. 7). Comp. aussi Rom. XI, 33 suiv.

Oui, l'intelligence humaine ne saisit ces choses que par une communication spéciale de la part de l'esprit de Dieu. Le monde ne peut rien enseigner de pareil, il n'en sait rien. Ce sont des choses spirituelles, ainsi nommées d'abord à cause de la source à laquelle nous les puisons, puis en raison de leur nature, enfin en vue de la faculté qui peut en prendre connaissance. Car pour les saisir, les accepter et les comprendre, il faut être soi-même un homme spirituel (plus haut il avait dit un homme mûr, litt.: adulte), c'est-à-dire inspiré, dirigé par l'esprit de Dieu. Tous les hommes ne sont pas dans ce cas ou rapport. Ils commencent généralement par être sensuels, c'est-à-dire que chez eux dominent les facultés et les principes de la vie naturelle, de ce qu'on peut appeler la vie animale, au physique comme au moral, les affections, les passions, le jugement, l'entendement, la volonté, tels qu'ils se développent dans le cours ordinaire des choses. Ils sortent de cette condition pour s'élever à l'autre, quand l'esprit de Dieu les pénètre, les sature pour ainsi dire d'un élément nouveau et supérieur, quand il s'assimile leurs facultés et les sanctifie. Il est vrai que l'homme, de sa nature, a aussi un esprit, et non pas seulement un principe de vie physique, une âme, mais cet esprit est sans force et sans lumière suffisante. C'est par le contact vivifiant avec l'esprit de Dieu qu'il arrive à prendre le dessus, à se fortifier, à devenir le principe même de la vie, qui s'appellera désormais la vie spirituelle. Là où il faut encore des efforts pour faire naître celle-ci, on aurait tort de porter l'enseignement sur des choses qui dépassent l'horizon de l'homme naturel et imparfaitement formé (chap. III, 1 ss.). Tout aussi peu qu'un homme privé de la vue peut juger des couleurs, tout aussi peu l'homme sensuel peut juger, et par suite accepter, ce qui est de la compétence de l'esprit seul. L'homme spirituel, au contraire, sait comprendre et apprécier les choses les plus élevées, il a le don du discernement (1 Cor. XII, 10), il sait si quelque chose, une idée, un enseignement, est bien de Dieu, ou si cet enseignement prétend faussement se prévaloir d'une origine divine. Lui-même cependant n'est jugé par personne, sous-entendu d'une manière compétente, par ceux qui ne sont pas à la même hauteur. (Il y a ici une arrière-pensée qui se révélera chap. IV, 3.)

La dernière ligne ne se rattache pas à ce qui précède immédiatement, mais résume le morceau tout entier. Paul se sert à cet effet d'une parole d'Ésaïe (chap. XL, 13), qui ne répond pas tout à fait à sa pensée, parce qu'il ne s'agit pas ici d'instruire Dieu, mais de le comprendre; toujours est-il qu'il veut de nouveau affirmer que cela n'est possible qu'à ceux qui ont reçu l'esprit de Dieu. Seulement il remplace cette dernière formule par celle de l'esprit de Christ, parce que, à vrai dire, ce n'est que par et en Christ qu'une pareille communication peut se faire; ce n'est qu'en bien connaissant Christ qu'on arrive à bien connaître Dieu. J'ai donc dû, dit-il, commencer par vous prêcher Christ, avant de m'élever aux régions plus élevées des mystères de Dieu.

***

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant