Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE AUX GALATES

Chapitre 4

----------

1 Je dis donc que l'héritier, aussi longtemps qu'il est mineur, ne diffère pas de l'esclave, bien qu'il soit le maître de tout; mais il est placé sous des tuteurs et des administrateurs jusqu'à l'époque prédéterminée par le père. De même nous, tant que nous étions mineurs, nous étions asservis sous ce que le monde avait d'élémentaire; mais lorsque les temps furent accomplis, Dieu envoya son fils, né d'une femme, né sous la loi, afin qu'il rachetât ceux qui étaient sous la loi, pour que nous reçussions la qualité de fils.

6 Et ce qui prouve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans vos cœurs l'esprit de son fils, lequel crie: Abba, Père I Ainsi donc, tu n'es plus esclave, mais fils, et si tu es fils, tu es aussi héritier, grâce à Dieu.

IV, 1-7. Ce morceau n'est que le développement de la pensée ébauchée dans les dernières lignes du chapitre précédent, et dépend surtout de l'idée de la loi considérée comme pédagogue, c'est-à-dire comme une personne exerçant une autorité de contrainte sur quelqu'un qui ne doit pas encore jouir de sa pleine liberté, laquelle lui est réservée pour une époque ultérieure. À cet égard, l'enfant mineur, placé sous tutelle, est sur la même ligne, provisoirement, que l'esclave, mais avec cette grande différence, qu'à une époque déterminée, celle de la majorité, il est émancipé et entre dans la jouissance de son patrimoine. Dans cette comparaison il faut faire abstraction de ce que le père est censé mort, tandis que cela ne saurait se dire de Dieu; en outre, l'héritier, dans le sens civil, a des droits; l'héritier dans le sens évangélique n'a que des promesses émanées de la grâce libre; enfin, dans le droit civil, c'est une loi uniforme qui détermine l'époque de la majorité; tandis qu'ici c'est le libre arbitre du Père céleste qui a prédéterminé le moment de la venue du Christ libérateur. Tout le parallélisme porte donc sur l'analogie déjà signalée précédemment, et se fonde sur le caractère transitoire de la loi; les autres détails sont accessoires. Voici maintenant l'interprétation de l'allégorie, telle que Paul la donne lui-même.

Nous aussi, dit-il, soit les hommes en général, soit plus particulièrement les Juifs régis par leur loi, nous étions dans une pareille condition. Nous avions un patrimoine en perspective, mais nous n'en jouissions pas encore; nous étions sous la tutelle de la loi jusqu'à l'époque de l'émancipation opérée par le fils de Dieu. Par cette émancipation, nous sommes devenus de droit ce que nous étions de fait, des enfants, c'est-à-dire des héritiers entrant en possession. Car, d'après l'allégorie même, nous sommes nés enfants, nous sommes des créatures de Dieu, dans le sens naturel, mais nous ne jouissions pas des droits des enfants; nous étions assimilés à des esclaves, lesquels n'ont point de droit d'hérédité.

À cette pensée principale se rattachent ici plusieurs idées ou formules qui demandent une explication particulière.

D'abord la condition antérieure à l'émancipation opérée par Christ est appelée un asservissement sous les éléments du monde. Cette expression a été très diversement expliquée, bien que le contexte suffise pour l'intelligence de la pensée de l'auteur. Mais c'est précisément cette pensée qui a paru inadmissible et qu'on a voulu écarter par une interprétation plus ou moins recherchée. Les passages parallèles (ci-dessous v. 9 et Col. II, 8, 20) font voir clairement que Paul veut appliquer le terme en question à toutes les conceptions et formes religieuses antérieures à l'Évangile (judaïsme et paganisme), pour les caractériser toutes comme quelque chose d'imparfait, de préalable, de rudimentaire; quelque chose qui n'était calculé que pour ce monde-ci et ses besoins provisoires et passagers; quelque chose de sensuel, dont on doit se défaire, qu'il faut dépasser. Les éléments, en grec, comme partout, c'est l'ABC, ce par quoi l'on commence une étude, mais à quoi l'on ne saurait s'arrêter. On a été choqué de voir ainsi la loi juive abaissée au niveau du paganisme, Mais Paul n'a pas eu autant en vue de l'abaisser ainsi, ou d'élever le paganisme jusqu'à elle, que d'établir que l’Évangile est bien au-dessus de tous les deux.

Ensuite il rappelle en passant que l’émancipation a été opérée par le Fils de Dieu, né de la femme, né sous la loi, afin de racheter (délivrer) ceux qui étaient sous la loi. La théologie a trouvé à ce propos bien des questions à poser, auxquelles le texte ne répond pas. On peut cependant constater que l'apôtre veut insister sur l'égalité de Christ avec les autres hommes, égalité résultant: 1° de sa naissance, à l'égard de laquelle la formule employée ne dit pas un mot de plus que Job. XIV, 1 et Matth. XI, 11; 2° de sa condition native de sujet de la loi. De plus, nous n'avons pas à craindre de nous tromper sur le but de cette assertion de l'égalité, en disant que le Fils de Dieu, notre égal, en brisant le joug de la loi, non par la désobéissance, comme le font les autres hommes, mais par l’obéissance, l'a brisé pour nous aussi, en tant que nous devenons fils comme lui et par lui. Car c'est par son intervention que nous recevons la qualité de fils. Nous la recevons, dans le sens ci-dessus indiqué, c'est-à-dire pour entrer enfin en jouissance de ce que Dieu nous avait promis dès avant la promulgation de la loi; et nous recevons la qualité de fils, la dignité, l'usage des privilèges qui y sont attachés, non pas, comme on traduit vulgairement: l’adoption, bien que le terme grec ait proprement cette dernière signification; car d'après l'allégorie qui domine tout ce morceau et qui en dicte les formes, l'apôtre ne veut pas assimiler les hommes (même les païens) à des êtres étrangers à la * famille de Dieu, qui n'y entreraient que par un acte subséquent et arbitraire, mais à des enfants de la maison qui ne doivent arriver à la jouissance d'un héritage, qui leur est destiné déjà antérieurement, qu'après un terme fixé. L'adoption, dans le sens du droit civil, pourrait être admise, s'il s'agissait de représenter les païens comme des adoptés et les Juifs comme des héritiers naturels. Mais cette distinction des nationalités n'a rien à faire dans la présente conception.

La preuve de ce que l'élévation à la dignité d'enfants a eu lieu réellement, c'est la présence du Saint-Esprit, cette expérience intime à laquelle Paul en avait appelé dans les premières lignes du chapitre précédent (comp. Rom. VIII, 14-17). Aujourd'hui qu'une voix intérieure nomme Dieu notre père et que nous nous sentons heureux de ce nouveau rapport auparavant inconnu, aujourd'hui nous avons la conscience d'être enfants, et non plus serviteurs d'une loi rigide et menaçante qui levait contre nous la verge du pédagogue. La profondeur de ce sentiment filial se caractérise d'une manière très naïve par l'emploi du mol hébreu Abla, père, emprunté sans doute à une formule de prière liturgique usitée chez les chrétiens primitifs et devenue ainsi très-populaire, peut-être à l'oraison dominicale elle-même. Le sentiment religieux et la langue maternelle sont deux éléments inséparables dans la vie intime de l'homme.

Les derniers mots du 7e verset présentent une grande variété de leçons. Probablement Paul n'a écrit que ceci: si tu es fils, tu es aussi héritier, et les copistes, trouvant la phrase trop maigre, ont cherché à la compléter de diverses manières, parmi lesquelles celle que la critique moderne a recommandée est du moins la plus simple et paraît la plus ancienne.

8 Autrefois, sans doute, quand vous ne connaissiez pas encore Dieu, vous serviez ce qui n'était pas dieu de sa nature; mais à présent que vous avez appris à connaître Dieu, ou plutôt, que Dieu vous a reconnus, comment pouvez-vous de nouveau vous tourner vers ces éléments pauvres et impuissants, auxquels vous voulez de nouveau et derechef vous asservir? Ce sont les jours que vous observez avec soin, et les lunaisons, et les époques de solennités et les années? J'ai peur pour vous, que je n'aie travaillé en vain pour vous.

IV, 8-11. L'apôtre interrompt son exposition dogmatique pour faire un nouvel appel à la conscience et aux souvenirs de ses lecteurs. Il s'adresse particulièrement à ceux qui avaient été païens. À l'époque de leur minorité, ils étaient sans doute très loin de la vérité, idolâtres, polythéistes, adorant ce qui n'était pas adorable, et l'on n'a pas tort de dire qu'ils étaient esclaves; car c'était bien une servitude honteuse que la leur. Mais aujourd'hui, comment s'expliquer qu'ils en préfèrent une nouvelle à la liberté des enfants qui leur est offerte? On voit ici comment Paul peut arriver à assimiler la loi mosaïque au paganisme, en leur donnant à tous les deux le nom d’éléments; c'est que, en face de l'Évangile, ils ont une qualité commune, indépendamment de celle que nous avons déjà signalée, celle d'être une servitude pour leurs adhérents, retenant en tutelle ceux que Dieu veut émanciper. À titre d'exemple, l'apôtre parle des rites concernant les fêtes, sabbats et nouvelles lunes, les solennités religieuses annuelles, auxquelles les Juifs et les judéo-chrétiens attachaient une grande importance, mais qui n'en ont pas du tout au point de vue de l'Évangile. Ah, certes! des hommes, qui en sont à se préoccuper, comme d'une chose capitale, du devoir de rester oisifs un jour sur sept, font voir que la prédication d'un apôtre comme Paul ne leur a pas profité.

Au V. 9 (comp. 1 Cor. VIII, 3), la phrase: vous avez appris à connaître Dieu ou plutôt vous avez été reconnus par lui, substitue, par une tournure ingénieuse, à l'idée historique de la conversion spontanée des païens, l'idée évangélique de leur vocation par la grâce de Dieu.

12 Devenez comme moi, mes frères, je vous en supplie, car moi aussi je suis comme vous. Vous ne m'avez pas offensé. Vous savez que je vous ai annoncé l'Évangile, la première fois, dans un état de maladie, et malgré cette épreuve que je subissais dans mon corps, vous ne me méprisâtes point, vous ne me repoussâtes point, mais vous me reçûtes comme un ange de Dieu, comme le Christ Jésus. Qu'est donc devenue votre protestation de bonheur? Car je vous atteste que, si cela avait été possible, vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner!

16 Ainsi je suis devenu votre ennemi en vous disant la vérité? Ils ont du zèle pour vous, mais pas de la bonne façon; mais ils veulent vous détacher de moi pour que votre zèle se tourne vers eux-mêmes. C'est une belle chose que d'être l'objet du zèle des autres, constamment et de la bonne façon, et non pas seulement quand je suis présent parmi vous. Ah, mes enfants, pour lesquels je souffre de nouveau les douleurs d'une mère, jusqu'à ce que Christ soit formé en vous, que je voudrais être présent parmi vous en ce moment, et changer ma voix, car je ne sais où j'en suis avec vous!

IV, 12-20. La discussion purement objective des questions qui avaient provoqué la rédaction de l'épître, ramène le calme dans l'esprit de l'auteur, entraîné à son début par la vivacité de ses sentiments. Son ton devient cordial; son affection pour les membres d'une église fondée par lui reprend le dessus; il en vient à regretter son absence de chez eux, parce qu'il sait bien que dans la conversation intime on peut donner à la voix l'intonation propre à chaque circonstance et à chaque mouvement de l'âme, tandis que la parole écrite reste froide et monotone.

L'apôtre se complaît à rappeler aux Galates l'époque de son premier séjour parmi eux. Il était alors malade (le texte permet même de traduire: je dus m'arrêter chez vous à cause d'une maladie); tout de même ils étaient venus au-devant de lui, l'avaient aimé, lui avaient montré un dévouement tel que Paul est en droit de l'exprimer ici par une locution proverbiale et hyperbolique. Pourquoi cet amour s'est-il refroidi? pourquoi aujourd'hui s'estiment-ils moins heureux d'avoir été instruits par lui? Il le sait bien: il y a des gens qui l'ont desservi auprès d'eux. Ces gens, leur dit-il, vous recherchent, vous obsèdent, se disent dévoués à vos intérêts; mais je ne crois pas que ce soit là un zèle sincère et désintéressé, car il est exclusif et commence par détruire la bonne harmonie qui existait entre vous et moi.

En terminant, Paul retrouve le mot enfants, qui marque la chaleur de son affection et qu'il fait servir aussitôt à une allégorie bien connue (1 Cor. IV, 15. 1 Thess. II, 7, II). En convertissant les Galates, il les a mis au monde de nouveau; il a été leur père ou leur mère dans le sens spirituel. Aujourd'hui, il s’agit de les ramener à la vérité: c'est comme un nouveau travail d'enfantement, dont le résultat doit être que Christ soit formé en eux, c'est-à-dire qu'il soit reconnu pour ce qu'il est à l'homme. Car il doit vivre dans le croyant (chap. II, 20); il faut donc d'abord qu'il se forme, comme l'enfant dans le sein de sa mère, puis, qu'il croisse et arrive à sa croissance parfaite, ou, en renversant l'image, que le croyant croisse en lui.

Jusque-là tout est clair; il y a cependant quelques détails qui peuvent créer des difficultés et qui, par cela même, ont donné lieu à des variantes dans les copies. Ainsi dans la toute première phrase le texte dit simplement: devenez comme moi, car moi comme vous, sans verbe. Faut-il suppléer ici: car moi je suis devenu comme vous? Philologiquement c'est ce qu'il y a de plus naturel; il en résultera le sens: «laissez votre judaïsme et revenez à l'Évangile que je prêche; j'ai fait le même chemin..... et, de Juif que j'étais, je suis devenu étranger à la loi, comme vous l'étiez par votre naissance.» On arrivera plus facilement à un sens analogue, en traduisant, comme nous l'avons fait: Je suis comme vous, dégagé de toute obligation envers la loi; car Paul pouvait très bien se représenter les Galates, les ethnico-chrétiens, comme étant libres vis-à-vis de la loi, tout en les invitant à le devenir', la première formule est celle de la théorie, l'autre est dictée par la situation du moment. On a aussi pensé que cette phrase devait simplement parler du besoin d'union et de réconciliation: «venez à moi, comme moi je viens à vous!» La suite du texte peut recommander cette interprétation, mais les paroles elles-mêmes ne la permettent guère.

La variante du v. 14: l'épreuve que vous subissiez, et celle du V. 17: ils veulent nous exclure, peuvent être relevées, parce qu'elles se trouvent dans beaucoup d'éditions. Cette dernière n'a aucune valeur critique, et l'autre, mieux documentée, ne donne qu'un sens forcé: ma maladie pouvait faire de moi un sujet d'aversion, mais vous avez noblement repoussé cette mauvaise impression, vous n'avez pas jugé un apôtre d'après des circonstances fortuites et matérielles, etc. Le v. 18, assez obscur en lui-même, doit dire: Je ne blâme pas le zèle en général, ni cette espèce de jalousie qu'on peut montrer dans son attachement pour une personne. Mais il est essentiel que le motif en soit bon et le but noble, surtout aussi que ce zèle subsiste après la séparation: tandis que le vôtre pour moi, par exemple, a cessé après mon départ.

Après cette digression, l'apôtre reprend son argumentation concernant le rapport de la loi avec l'Évangile, par une nouvelle preuve tirée de l'Écriture.

21 Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n'entendez-vous point lire la loi? Car il est écrit qu'Abraham avait deux fils, l’un de la femme esclave, l'autre de la femme libre. Mais celui de l'esclave était né selon l'ordre de la nature, celui de la femme libre en vertu de la promesse.

24 Ceci est une allégorie. Car ces femmes sont deux alliances, l'une du mont Sinaï, enfantant pour la servitude: c'est Agar, car ce mot d'Agar désigne en Arabie le mont Sinaï; et elle correspond à la Jérusalem actuelle, laquelle est en servitude avec ses enfants. Mais la Jérusalem céleste est libre; c'est notre mère à nous. Car il est écrit: «Réjouis-toi, stérile, qui n'as point enfanté! éclate en cris de joie, toi qui n'as pas senti les douleurs maternelles, car les enfants, de la délaissée seront plus nombreux que ceux de la mariée.»

28 Et vous, mes frères, vous êtes, dans la série d'Isaac, les enfants de la promesse. Mais comme alors celui qui était né selon l'ordre de la nature persécutait celui qui était né selon l'esprit, ainsi il en est encore maintenant. Mais que dit l'Écriture? «Chasse l'esclave et son fils! car le fils de l'esclave ne doit pas hériter avec le fils de la femme libre.» Donc, mes frères, nous ne sommes pas enfants de l'esclave, mais de la femme libre.

IV, 21-31. Il est de toute évidence, que Paul regarde l'histoire d'Agar et de Sara et de leurs deux fils, comme une pure allégorie, sans fond réel et objectif. Autrement son raisonnement, comme Luther l'a très bien observé, n'aurait pas la moindre valeur. Il aurait le mérite plus ou moins douteux d'une ingénieuse combinaison, d'un ornement rhétorique, et rien de plus. Mais il y voit la représentation symbolique d'une vérité abstraite, représentation choisie et dictée par le Saint-Esprit, auteur de l'Écriture, et il est tellement convaincu de la nécessité de son interprétation, qu'il a l'air de s'étonner que les Galates ne l'aient pas découverte eux-mêmes, rien qu'à la simple lecture qui a dû leur être faite de cette péricope à la synagogue. On arrive à la même conclusion par le V. 30, où les paroles que l'histoire met dans la bouche de Sara, et qui, si elles appartenaient à cette femme, ne feraient que constater son mauvais caractère (comp. Gen. XXI, 10 avec XVI, 2), sont données comme des paroles du Saint-Esprit, dans la bouche duquel elles ont un sens tout différent et, d'après l'explication de Paul, parfaitement plausible. Par la même voie, on arrive aussi à comprendre comment l'exégèse, non pas de Paul seul, mais de tout son siècle, et des siècles suivants, a dû être amenée à cette théorie du sens allégorique de l'histoire sainte. Pris à la lettre, bien des récits qui en font partie sont contraires à la nature et à la morale, même orientale, même légale, et l'on se persuadait facilement que cette forme a été choisie exprès pour que le lecteur ne s'y arrêtât pas, mais cherchât à pénétrer jusqu'à l’idée. (Voyez notre commentaire sur l'épître aux Hébreux, surtout chap. VII.) Nous pouvons aujourd'hui admettre sans peine que les rédacteurs de la Genèse ont recueilli les traditions relatives aux patriarches, dans la pensée que c'étaient des histoires; mais il est bien plus facile encore de démontrer que dans l'origine c'était tout autre chose, savoir, soit des idées religieuses revêtues de formes concrètes, soit des faits nationaux ou ethnographiques individualisés. Et, à ce point de vue, nous défions la science d'opposer à Paul une fin de non-recevoir, relativement à la méthode qu'il emploie, et qui, à ses yeux, est non seulement légitime, mais qui est encore la conquête la plus précieuse de la science théologique.

Agar et Sara sont donc les deux alliances, l'ancienne et la nouvelle. Chacune a sa postérité, son peuple, son église. Mais Agar, avec la sienne, est esclave et sans héritage, Sara avec la sienne est libre et héritière. C'est, en d'autres termes, ce que nous avons lu dans la première ligne du chapitre. Jusque-là tout est simple et naturel. Mais l'exposition et l'application amènent quelques détails qui réclament notre attention.

D'abord il est dit qu'Ismaël est né selon l'ordre de la nature, littéralement: selon la chair, tandis qu'Isaac est né en vertu de la promesse. Or, ceci n'est pas dit dans la Genèse. Isaac aussi est né selon l'ordre de la nature. Mais Paul s'attache à ce qui est dit de la décrépitude des deux parents et de l'intervention réitérée de la parole divine, pour en inférer que la naissance d'Isaac est représentée comme miraculeuse, et pour la rapprocher en conséquence de la filiation spirituelle dont il avait parlé chap. III, 7. 29. Comp. Rom. IX, 8.

Ensuite l'apôtre confirme son parallélisme par un argument philologique. Le nom arabe (local) du mont Sinaï est Agar, ce qui prouve surabondamment que l'interprétation donnée n'est pas arbitraire, ou purement affaire d'imagination. Nous ne pouvons pas vérifier aujourd'hui cette assertion, parce que le fait n'est mentionné nulle part ailleurs; mais cela n'autorise pas les nombreuses manipulations critiques et exégétiques qu'on a fait subir à notre texte. Il serait bien possible que les habitants de l'Arabie Pétrée eussent donné à la cime principale de la chaîne du Sinaï le nom de Hadjar, c'est-à-dire La Roche. Seulement ce nom n'a rien de commun avec le nom de la servante d'Abraham, dont l'orthographe est différente (dans les consonnes mêmes de la forme authentique), et qui se retrouve dans celui d'une tribu d'Arabes Ismaélites dont elle est censée être la souche.

La forme du raisonnement laisse quelque chose à désirer relativement au parallélisme. Après avoir dit: l'une, celle du mont Sinaï, enfantant pour la servitude, c'est Agar, qui correspond à la Jérusalem actuelle — l'auteur aurait dû continuer: l'autre, l'alliance de l'Évangile, enfantant pour la liberté et l'héritage, c'est Sara, qui correspond à la Jérusalem céleste. Mais ce parallélisme, qui manque dans le texte, se rétablit aisément dans la pensée du lecteur.

La Jérusalem actuelle, c'est l'institution mosaïque, l'ancienne alliance, assujettie à la servitude de la loi. Ses enfants, c'est le peuple d'Israël, s'attachant à cette loi, la postérité naturelle d'Abraham, nombreuse sans doute, mais pas autant que sa postérité spirituelle (chap. III, 7), représentée par les enfants de Sara, nés en vertu de la promesse, les croyants de toute origine. Cela est prouvé au moyen d'un passage d'Ésaïe (chap. LIV, I), interprété de manière que la stérile et la délaissée, c'est Sara; la mariée, Agar. Ce rapprochement s'explique en ce que, au point de vue du prophète (d'après Paul), la nouvelle alliance, n'existant encore qu'idéalement, est stérile pour le moment, bien que ce soit à elle qu'est réservée la nombreuse progéniture, tandis que l'alliance existant de fait, tout en étant représentée comme une femme mariée et mère, n'a qu'une force d'expansion limitée.

Les persécutions d'Isaac par Ismaël appartiennent à la tradition rabbinique, et sont étrangères à la Genèse. L'application pratique que Paul en fait est facile à saisir; de même on voit sans peine, que les paroles de Sara, interprétées dans le sens allégorique, forment la pointe de tout ce morceau.

***

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant