Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE AUX GALATES

Chapitre 2

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1 Ensuite, quatorze ans après, je me rendis de nouveau à Jérusalem avec Barnabas, en emmenant aussi Tite. Je m'y rendis d'après une révélation et je leur exposai l'évangile que je prêche parmi les païens (mais je le fis en particulier, à ceux qui étaient les plus considérés), pour qu'ils jugeassent si je travaille ou si j'avais travaillé en vain. Mais Tite même, qui m'accompagnait, et qui était Grec, ne fut pas forcé de se faire circoncire.

4 Cependant, à cause des faux frères intrus, qui s'y étaient glissés pour attenter insidieusement à la liberté que nous avons en Jésus-Christ, afin de nous asservir.... je ne leur cédai pas un seul instant de manière à me soumettre à leurs exigences, afin que la vérité de l'Évangile fût maintenue pour vous. Mais de la part de ceux qui étaient considérés comme une autorité (peu m'importe d'ailleurs qui ils étaient, car Dieu ne regarde pas aux personnes!).... ceux, dis-je, qui étaient les plus considérés, ne m'imposèrent rien de plus; au contraire, voyant que l'évangélisation des non-circoncis m'était confiée à moi, comme celle des circoncis l'était à Pierre (car celui qui avait donné à Pierre les forces pour l'apostolat auprès des circoncis, me les avait données à moi aussi pour les païens), et reconnaissant la grâce qui m'avait été accordée, Jacques et Céphas et Jean, qui passaient pour être les colonnes de l'Église, me donnèrent la main, à moi et à Barnabas, en signe de communion, afin que nous allassions, nous, chez les païens, et eux, chez les circoncis; à cette seule condition que nous songerions aux pauvres; ce que je me suis aussi empressé de faire.

II, 1-10. Voici maintenant la seconde partie de l'argumentation apologétique, commencée au premier chapitre: les apôtres de Jérusalem eux-mêmes, eux qui sont considérés, par ceux qui me combattent aujourd'hui, comme les chefs, les autorités, les colonnes de l'Église, n'ont rien trouvé à redire à ma prédication, ne m'ont imposé aucune condition additionnelle à ce qui rentrait dans mon évangile; ils m'ont donné la main comme à un ami et collègue. On a donc bien tort de les invoquer contre moi.

Les faits que Paul a ici en vue sont les mêmes que ceux qui sont racontés au quinzième chapitre des Actes et qu'on désigne vulgairement sous le nom des Conférences de Jérusalem. 11 est impossible de méconnaître cette identité, mais il est impossible aussi de ne pas voir que les deux relations diffèrent à l'égard de certaines circonstances plus ou moins im.portantes. Les deux principales différences consistent: 1° en ce que le récit de Luc est de nature à nous représenter une assemblée solennelle de la communauté entière, ou du moins d'un grand nombre de personnes, délibérant, votant, décrétant et promulguant des résolutions à la façon des conciles postérieurs, tandis que Paul parle d'un entretien familier avec les principaux apôtres, entretien auquel se mêlèrent, sans y être appelées, d'autres personnes qui vinrent soulever un débat très-animé et contradictoire; 2° en ce que Luc efface autant que possible toutes les traces d'une divergence dans les points de vue, tandis que Paul insiste, au contraire, sur la chaleur de la discussion, et fait voir que l'entente n'était pas universelle. Nous avons essayé ailleurs (Revue de théol., déc. 1858; janv. 1859. Hist. de la théol. apost., liv. III, chap. 4 et ss.) de réduire ces différences de manière à rapprocher les deux récits, si ce n'est à les faire coïncider de tous points. Nous nous bornerons ici à analyser celui de Paul.

La date chronologique placée en tête de ce morceau a beaucoup embarrassé les commentateurs. D'abord il s'agit de savoir à quelle époque antérieure elle se rapporte. On a pensé à la conversion de l'apôtre; il est cependant plus naturel de songer au premier voyage de Jérusalem. Puis, dans ces deux cas, il se trouve que Paul glisse sur un voyage intermédiaire qu'il avait fait à Jérusalem, d'après Actes XI, 30; XII, 25, et qui doit avoir eu lieu six ou huit ans avant celui dont il est parlé ici. Comment s'expliquer ce silence? Paul devait-il négliger le fait dans une argumentation où il tenait à prouver que les apôtres n'ont pas été ses maîtres? Pour écarter la difficulté, on a été jusqu'à changer le texte (quatre ans, au lieu de quatorze), jusqu'à dire que le voyage du onzième chapitre des Actes, entrepris par Paul et Barnabas, n'a été accompli que par ce dernier, le premier s'étant arrêté en route; enfin, jusqu'à supposer que le récit des Actes pourrait bien être sujet à caution dans son entier. Nous pensons qu'on s'exagère ici la difficulté. Dès que Paul a prouvé qu'à son premier voyage de Jérusalem il n'a pas eu besoin de se faire instruire par les apôtres, il est évident qu'une pareille instruction ne lui a pas été nécessaire plus tard, puisque son apostolat, ses prédications, à Antioche et ailleurs, étaient des faits universellement connus. Peu importait donc de récapituler tous ses voyages postérieurs. Il se hâte d'arriver à celui qui lui fournissait les arguments nécessaires pour établir le second fait essentiel, savoir l'accord, la communion qui existait entre lui et les apôtres, accord constaté à une époque comparativement récente, et subsistant actuellement encore. Le premier fait recevait son importance de ce qu'il appartenait au début de la carrière apostolique de Paul, le second, de ce qu'il avait de l'actualité. Voilà pourquoi les deux voyages en question (l'un appartenant à peu près à l'an 37, l'autre à l'an 51) sont mentionnés seuls.

Le résultat du voyage, à constater plus loin, est d'avance signalé comme un fait très-important, parce que le voyage lui-même a été entrepris non par un motif purement humain, mais à l'instigation même de l'esprit de Dieu. Ceci reconnu et établi, l'issue des conférences ne pouvait ne pas être conforme aux volontés du Seigneur. Le but du voyage était de leur exposer l'évangile prêché à Antioche, c'est-à-dire les principes qui guidaient les missionnaires de ces contrées dans l'admission des païens; car c'était là le seul et unique sujet de controverse. Paul a pu se servir de ce pronom indéterminé leur, parce qu'il résultait de tout l'ensemble de son récit, qu'il s'agissait uniquement des apôtres; ce sont eux qu'il avait en vue, si bien qu'il ne croit pas même nécessaire de les désigner plus spécialement; au contraire, il insiste sur ce que c'étaient eux seuls auxquels il voulait avoir affaire, parce que leur témoignage devait suffire pour diriger l'opinion. À Jérusalem même, ils étaient les plus considérés, donc les autres fidèles ne pouvaient pas raisonnablement faire prévaloir des opinions particulières contre leur déclaration. Tout de même l'apôtre insiste sur ce que sa démarche n'était pas faite avec l'arrière-pensée qu'il faudrait se soumettre à leur décision comme émanant d'une autorité supérieure, quelle qu'ait été leur manière de voir. Il déclare, au contraire, que ce n'était pas là une affaire de vote, de prépondérance personnelle, d'autorité hiérarchique (v. 6); il se pose comme l'égal des apôtres de Jérusalem (v. 7, 8). S'il est allé leur exposer son évangile, pour qu'ils le jugeassent, ce ne peut avoir été dans ce sens qu'il éprouvait le besoin de le faire approuver, ou qu'il aurait été dans le doute lui-même. La phrase a son explication naturelle dans la situation même: à Antioche, on lui conteste la justesse de ses principes, on le gêne, on veut l'arrêter. Eh bien, il en appelle aux apôtres, que ses adversaires invoquent comme une autorité, et il va leur dire: jugez vous-mêmes! mais il le dit dans l’entière conviction qu'ils ne sauraient lui donner tort, et en tout cas avec la ferme résolution de ne pas céder.

Cela résulte clairement de la suite du récit, qui est un peu embrouillé, parce que deux faits très-divers se pressent en même temps dans les souvenirs de l'auteur et qu'il lui arrive de vouloir en faire marcher de front l'exposé. Il y a en premier lieu le suffrage des chefs, des colonnes, de ces hommes si haut placés dans l'opinion et qu'on prétend invoquer contre lui. Eux.... mais ils étaient si loin de lui donner tort, qu'ils n'ont pas même songé à exiger la circoncision d'un Grec qu'il avait amené avec lui; à plus forte raison n'auront-ils rien demandé de semblable à l'égard des autres restés à cent lieues de là! Mais il y avait en second lieu l'opinion tout opposée de quelques individus qui s'étaient introduits, c'est-à-dire qu'on n'y avait pas appelés, auxquels on ne reconnaissait pas le droit de jeter leurs préjugés dans la balance. Ceux-là firent opposition; ils demandaient tout juste ce que les apôtres ne demandaient pas. Paul les appelle des faux frères; des hommes qui dénaturaient l'Évangile en voulant en retrancher la chose essentielle, la liberté relativement à la loi. Eh bien, oui, dit-il, j'ai dû combattre pour cette liberté, pour la revendiquer; mais en fin de compte on m'a donné raison et ceux du moins dont les noms peuvent servir d'arguments à quelques-uns m'ont tendu la main de communion fraternelle. — Cette paraphrase rend la pensée du narrateur de la seule manière admissible, et la difficulté résultant de l'incohérence de la phraséologie, disparaît devant l’évidence des faits. Il est ridicule de faire dire à Paul qu'il a dû circoncire Tite, à cause des faux frères, par amour de la paix.

Au demeurant, Paul a donc prouvé par le fait que les apôtres de Jérusalem ne lui imposèrent rien de plus, c'est-à-dire qu'ils reconnurent que l’Évangile pouvait être prêché aux païens sans la condition de s'astreindre à la loi mosaïque, en d'autres termes, que cette dernière n'était pas obligatoire pour les païens et que Paul avait raison de chercher ailleurs que dans elle le pivot de l'Évangile. Tout de même le présent récit constate aussi, quoique d'une manière moins directe que cela ne se fait chez Luc (Act. XV, 21), que les apôtres de Jérusalem n'entendaient pas dispenser les Juifs (ni eux-mêmes tout les premiers) des obligations légales. C'est dans ce sens qu'il faut s'expliquer cette division du travail apostolique, qui ne se fonde pas sur des nécessités locales ou géographiques, mais qui se règle sur la différence des sphères religieuses. Nous, disent-ils, nous reconnaissons la mission spéciale que tu as reçue à l'égard des incirconcis; la nôtre est différente! En quoi cette différence peut-elle avoir consisté, si ce n'est dans le fait que Pierre, Jacques et Jean ne se sentaient pas la vocation de proclamer cette liberté que Paul inscrivait sur son drapeau?

La dernière phrase laisse très bien percer cette différence. On allait donc, et de propos délibéré, travailler séparément. Ce n'était pas un schisme, sans doute, ce n'était surtout pas un éloignement personnel; mais c'était un symptôme de divergence. Or, les apôtres de Jérusalem connaissaient trop bien les dispositions de leur entourage, pour ne pas prévoir que la distance pourrait aller en grandissant. En se séparant de Paul, ils lui recommandent donc de songer seulement à leurs pauvres. Qu'on remarque ce seulement. C'est bien peu ce qu'on demande là; la charité ne devra pas souffrir de ce qui peut diviser les ouvriers. Peut-être sur un autre terrain sera-t-il plus difficile de marcher ensemble: que du moins ici la fraternité ne se refroidisse pas. Du reste, chacun suivra la route que l'Esprit lui trace.

Quant à la recommandation elle-même, nous rappelons que bien antérieurement déjà (Act. XI, 29), Paul portait à Jérusalem des secours recueillis en Syrie, et que bien postérieurement encore (1 Cor. XVI 2 Cor. VIII-IX), il organisa une collecte en Asie et en Grèce pour la même communauté.

11 Mais lorsque Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il avait évidemment tort. Car d'abord, avant que certains individus vinssent d'auprès de Jacques, il mangeait avec les païens; mais après leur arrivée, il se retira et se sépara d'eux, parce qu'il avait peur de ceux de la circoncision; et avec lui les autres Juifs firent aussi les hypocrites, de sorte que Barnabas même se laissa entraîner à s'associer à leur hypocrisie. Cependant, comme je voyais qu'ils ne marchaient pas dans la droite voie, selon la vérité de l'Évangile, je dis à Céphas en présence de tout le monde:

II, 11-14. Après avoir établi: 1° qu'il n'avait pas été le disciple des apôtres de Jérusalem, 2° qu'il était d'accord avec eux sur l'Évangile à prêcher, Paul complète son apologie en constatant qu'il avait même été dans le cas de défendre les vrais principes contre ce même Pierre, que ses adversaires prétendaient toujours lui opposer comme le seul vrai représentant de Christ et de son Évangile. Ce fait particulier ne nous est connu que par les quelques lignes qu'on vient de lire, mais celles-ci suffisent pour nous l'expliquer.

À une époque non déterminée dans notre texte, mais probablement postérieure à l'entrevue relatée plus haut, Pierre était venu à son tour visiter l'église d'Antioche, alors la plus importante en dehors de la Palestine et composée en majorité de membres recrutés parmi les païens. (Voir pour les détails, les chap. XI, XIII et XV des Actes.) On vivait là dans une grande harmonie, sans que la diversité d'origine des membres troublât la paix de la communauté. Les agapes se célébraient en commun et personne ne songeait à maintenir cette ligne de démarcation qui ailleurs séparait les circoncis et ceux qui ne l'étaient pas. Pierre n'éprouvait aucun scrupule à faire comme tout le monde. Cependant il survint d'autres judéo-chrétiens de Jérusalem qui ne pensaient pas de même, qui faisaient valoir les règles rigoureuses de la synagogue (Act. XI, 3), et qui déclaraient que ce commerce intime avec les * païens était une véritable apostasie. Pierre se laissa intimider, il craignait les reproches de ses compatriotes, dont il connaissait la rigidité, il se laissa aller à la fausse honte qui sacrifie si aisément la conviction aux convenances sociales. Il cessa de fréquenter les repas communs. Son exemple fut contagieux. L'un après l'autre, les judéo-chrétiens firent comme lui, enfin Barnabas même, l'ami de Paul, ne résista plus à cet entraînement. Tous ils agirent ainsi, non par conviction, mais par des motifs de circonstance, étrangers aux principes, peu avouables enfin. Paul nomme cela de la feinte, de l'hypocrisie (d'après le sens étymologique on pourrait traduire: une comédie). Il dit que Pierre était (non pas répréhensible, comme on traduit vulgairement, mais) condamné, c'est-à-dire dans son tort, d'une manière évidente, criante, telle, enfin, qu'elle était jugée d'avance.

Les anciens ont été choqués de cette scène, et ont eu de la peine à admettre qu'un apôtre ait été dans le cas d'être réprimandé par son collègue. Il y en a eu qui ont pensé que ce Céphas pourrait bien n'être pas l'apôtre; d'autres ont imaginé que les deux apôtres ont pu jouer la comédie pour l'instruction des autres (le mot grec que nous avons dû traduire par: face, signifiant aussi un masque d'acteur!). Les modernes ont été au-delà du texte, dans le sens opposé, en accusant Jacques d'avoir causé ces troubles en envoyant à Antioche des Pharisiens enragés (comp. Act. XV, 1, 5). Il est vrai qu'en nommant Jacques à cette occasion, l'auteur laisse planer un certain soupçon sur cet apôtre. Cependant il faut reconnaître qu'il ne l'accuse pas directement; il serait même assez étrange qu'il entendît le faire, et encore par une insinuation si détournée, au moment même où il venait de signaler son parfait accord avec lui. On pourrait encore combiner autrement les faits, pour expliquer l'intervention de Jacques, sans qu'il y eût contradiction avec ce qui est dit relativement à l'issue des conférences de Jérusalem. On admettrait que cet incident d'Antioche aurait eu lieu antérieurement (comp. Act. XII, 17). Les gens venus d'auprès de Jacques seraient alors ceux dont parle Luc, Act. XV, I, et ç'aurait été à la suite de cet incident que Paul serait allé à Jérusalem pour provoquer la conférence. Nous ne croyons pas devoir accepter cette combinaison. Il est vrai que rien ne nous oblige à croire que Paul ait suivi l'ordre chronologique dans son récit; mais si les gens venus d'auprès de Jacques sont arrivés à Antioche lorsque Pierre s'y trouvait, il était parfaitement inutile que Paul allât à Jérusalem pour se concerter avec ce même Pierre. Toute difficulté disparaîtra, si nous nous souvenons qu'aux conférences on renonça à imposer la circoncision aux prosélytes du paganisme, mais qu'il restait toujours assez de gens (Jacques en tête. Act. XXI, 20) qui n'entendaient pas se dispenser eux-mêmes des obligations légales ou traditionnelles, et à cet égard les uns pouvaient être plus exigeants, plus sévères, que les autres.

Nous allons maintenant lire les paroles que Paul dit avoir adressées à Pierre dans cette occasion. Nous ferons remarquer d'avance que le récit qu'il en fait le conduit insensiblement à l'exposé tout théorique de la grande question concernant la valeur de la loi, si bien qu'il perd de vue son point de départ et que nous n'entrevoyons pas le point d'intersection entre l'objection occasionnelle faite à Pierre, et l'instruction directement adressée aux Galates et continuée dès lors jusqu'à la fin de l'épître. À la rigueur, on peut s'en tenir à la coupe usuelle des chapitres, mais nous n'oserions affirmer que Paul, dans le morceau prochain, n'ait eu en vue que Pierre seul.

14 Si toi, qui es Juif, tu vis à la manière des païens et non à la manière des Juifs, pourquoi veux-tu obliger les païens à faire comme les Juifs? Nous, nous sommes Juifs de naissance, et non des pécheurs d'entre les païens; cependant, parce que nous avons reconnu que l'homme n'est pas justifié par les œuvres de la loi, mais qu'il l'est exclusivement par la foi en Jésus-Christ, nous aussi nous avons cru au Christ Jésus, afin d'être justifiés par la foi et non par les œuvres de la loi, puisque aucun mortel ne saurait être justifié par les œuvres de la loi.

17 Or, si tout en cherchant à être justifiés en Christ, il se trouve que nous aussi nous sommes pécheurs, Christ serait donc le ministre du péché? A Dieu ne plaise! Car si j'édifie de nouveau ce que j'ai d'abord abattu, je prouve par là que j'avais eu tort. Car c'est par la loi que je suis mort pour la loi, afin de vivre pour Dieu; j'ai été crucifié avec Christ; je ne vis plus moi-même, c'est Christ qui vit en moi. Quant à ma vie actuelle dans la chair, c'est une vie dans la foi au fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi. Je ne regrette pas la grâce de Dieu: car si la justice vient par la loi, la mort de Christ a été superflue.

Il, 14-21. L'argumentation, dans ce premier morceau didactique, est extrêmement serrée, comme nous la trouverons encore plus loin. Les idées théologiques sont à peine indiquées et réclament une attention toute spéciale pour ne rien perdre de leur valeur.

Paul prend pour point de départ, comme de raison, le fait qu'il vient de raconter à ses lecteurs, mais en l'interprétant, il se sert d'expressions extrêmement fortes et en apparence injustes. C'est qu'il tient à faire ressortir le contraste entre les deux conceptions ou points de vue. Nous aurons à ramener les termes à leur juste valeur, sans effacer ce qui pour l'apôtre était la chose essentielle. Pierre, quoique Juif de naissance, avait d'abord vécu à Antioche à la manière des païens, non point sans doute dans le sens moral, mais dans le sens judaïque, c'est-à-dire qu'il n'avait pas fait de difficulté de s'asseoir à la table commune, de frayer avec les non-circoncis. Il avait agi comme si l'antipathie religieuse n'existait plus entre les deux éléments; il s'était, pour sa part du moins, affranchi de cette étroitesse d'esprit qui distinguait le parti pharisaïque dans l'Église. Tout à coup il revient sur ses pas; il se retire des repas communs; il affiche de nouveau cette aversion pour les prosélytes du dehors qu'il avait heureusement vaincue; et Paul était en droit de lui dire que, par l'exemple qu'il donnait, il faisait prévaloir comme règle pour tout le monde l'assujettissement aux habitudes, aux préjugés, aux lois du judaïsme. De fait, il obligeait ainsi les païens à devenir Juifs, même extérieurement. Sans doute, Pierre n'avait pas prêché dans ce sens, mais ses actes n'avaient leur raison d'être qu'autant qu'ils dérivaient d'une pareille théorie. Chez lui, c'était une simple inconséquence, mais Paul, esprit logique, habitué à rattacher les faits aux principes, déclare que, si cette inconséquence devenait la règle, l'Évangile lui-même se trouverait altéré.

Paul continue (v. 15, 16): Si cette séparation avait sa raison d'être, même aujourd'hui, pour nous autres chrétiens, c'est qu'il y aurait donc une différence essentielle entre les Juifs et les païens, relativement à notre rapport respectif avec Dieu. L'opinion vulgaire parmi nous, qui revendique un privilège pour Israël, et qui repousse d'emblée le païen en l'appelant tout uniment un pécheur (terme très fréquent dans les évangiles), cette opinion serait donc fondée, et nous aurions dû, dans ce cas, nous féliciter au sujet de notre nationalité; nous n'aurions pas dû éprouver le besoin de chercher ailleurs ce que nous possédions par notre naissance, de demander à quelqu'un d'autre ce que notre loi nous assurait: la connaissance de la volonté de Dieu et son approbation (sa justification). Eh bien, dit Paul à son collègue, et en même temps à ses lecteurs: nous n'en avons pas agi ainsi; nous n'avons pas cru que notre qualité de Juifs, que la possession de la loi, que la pratique de ses commandements, fussent suffisantes pour nous faire obtenir cette parfaite approbation de Dieu; nous avons cru devoir rechercher cette dernière par une autre voie, c'est-à-dire par la foi en Jésus-Christ. Le fait que nous sommés devenus chrétiens (croyants) atteste de notre part, implicitement et explicitement, la conviction de l'insuffisance de la loi et des œuvres qui en découlent, et par conséquent aussi l'aveu qu'il est parfaitement superflu, et même contraire à la nature des choses, de vouloir imposer cette loi à d'autres, comme si elle pouvait avoir pour eux une valeur, une puissance, un effet qu'elle n'a pas eu pour nous. (Comp. Rom. III, 20.)

Mais ce n'est pas là la seule inconséquence dont nous nous rendrions coupables en attachant une pareille valeur à la loi. Il y en a une autre, plus grave encore (v. 17, 18). Nous avions quitté le judaïsme pour passer à Christ — or, s'il se trouve en fin de compte que nous n'y avons rien gagné, qu'au contraire nous avons commis une faute énorme en désertant la loi, supposée être le gage de notre salut, il s'en suivra que Christ, que nous appelions notre Sauveur, et pour lequel nous avons renoncé au bénéfice illusoire de la loi, a été pour nous, non un ministre du salut, mais un ministre du péché, ce qui serait une absurdité patente. Certes, Pierre n'a pas voulu établir une théorie pareille: voilà pourtant à quoi sa pratique aboutirait! car si, après avoir abattu un édifice, on le relève de nouveau, on prouve qu'on a eu tort de l'abattre. Nous aurions donc eu tort aussi de passer de la loi à Christ, si plus tard nous devions être dans le cas d'avouer que Christ ne suffit pas et qu'il faut revenir à la loi. La mort de Christ aurait été chose superflue, si ce que nous espérons obtenir par elle pouvait déjà être obtenu par la loi; et celui qui s'en tient à cette dernière, déclare par cela même qu'il n'a pas besoin de la grâce de Dieu offerte en Christ; il la rejette.

Mais il n'en est pas ainsi. Il ne peut pas être question de revenir à la loi; c'est là un point de vue dépassé, c'est une vie qui a cessé, qui a été remplacée par une nouvelle vie; il est tout aussi impossible pour nous de retourner à l'ancien ordre de choses, que de le confondre avec le nouveau (v. 19, 20). Cette dernière partie de l'argumentation repose sur une idée qui se trouve à la base même de la théologie paulinienne, celle de la nouvelle naissance (régénération); c'est-à-dire de la mort du vieil homme et de la résurrection du nouvel homme, en tant que ces deux faits sont considérés comme se trouvant dans le rapport mystique le plus intime avec la mort et la résurrection de Christ. De même que la mort physique, qui termine notre carrière terrestre, sépare d'une manière absolue notre existence future de la vie présente, de même la nouvelle existence du chrétien n'a rien de commun avec la vie antérieure de l'homme non converti. Son principe même est tout nouveau; elle est animée, nourrie, dirigée par la foi en Christ, comme l'ancienne l'était par des forces et des instincts qui tenaient à cette terre. Toute cette théorie de la régénération, qui n'est qu'effleurée ici, sera développée dans l'épître aux Romains (chap. VI et VIII. Voyez aussi l’Histoire de la théologie apostol, 1. V, chap. XIV). Nous ne nous arrêterons ici qu'à quelques obscurités particulières. La phrase: c'est par la loi que je suis mort pour la loi, a été très diversement expliquée, et d'après l'ensemble de l'enseignement de notre apôtre, plusieurs interprétations peuvent être justifiées. Paul peut avoir voulu dire: la nouvelle loi (le nouvel ordre de choses) a remplacé l'ancienne, il n'y a pas lieu de les confondre. Par le fait même que je suis entré en rapport avec la loi de Christ (improprement ainsi nommée pour les convenances du parallélisme), je n'ai plus rien de commun avec la loi de Moïse. C'est l'interprétation des Pères latins et de Luther. Un grand nombre de modernes aiment mieux admettre que Paul a voulu dire: la loi mosaïque elle-même a rompu le lien qui m'unissait à elle, en prononçant la peine de mort contre le transgresseur (chap. III, 13); moi, pécheur sous la loi, je suis donc sous le coup de cette malédiction; la mort était mon partage; seulement au lieu de la subir dans l'éternité, je me suis uni à Christ mourant sur la croix, et de cette manière j'ai satisfait à la loi, tout en n'ayant plus de rapport avec elle (Rom. VI, 7).

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