Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE AUX GALATES

INTRODUCTION

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Après avoir fait à Corinthe un séjour de dix-huit mois, sur lequel nous trouvons quelques détails intéressants dans le 18e chapitre des Actes, et des renseignements beaucoup plus précis et plus importants dans les épîtres aux Corinthiens elles-mêmes qui nous occuperont plus tard, Paul retourna en Asie. Son but était naturellement de reprendre sa place à Antioche, où il avait encore à cette époque ce que nous pourrions appeler son domicile officiel. Cependant il ne s'y rendit pas directement. Il avait fait un vœu, dont nous ignorons le motif, mais qui impliquait un sacrifice à accomplir au sanctuaire de Jérusalem. C'est de ce côté qu'il devait se diriger avant de gagner la capitale de la Syrie. Au lieu de suivre la route de terre par laquelle il était arrivé à Corinthe, il prit passage à bord d'un navire qui le conduisit de l'autre côté de l'Archipel, à Éphèse. Dans cette ville, alors chef-lieu de la préfecture ou province romaine d'Asie (laquelle était formée de la partie sud-ouest de la grande presqu'île de l'Asie mineure), il n'y avait point encore d'église chrétienne. Mais l'apôtre, profitant des quelques jours dont il disposait jusqu'à ce qu'il eût trouvé une occasion de poursuivre son voyage, prêcha à la synagogue, où il fut écouté avec une certaine faveur, et promit de revenir plus tard. Il partit avec un autre bâtiment, débarqua à Césarée, passa à Jérusalem et arriva finalement à Antioche, après une absence de plus de deux ans. Le récit des Actes est extrêmement maigre et insuffisant en ce qui concerne ce voyage, au point de prêter à des combinaisons différentes relativement à quelques détails secondaires.

Les succès signalés que Paul avait obtenus pendant ce second voyage de mission, dans un grand nombre de localités importantes, l'étendue croissante de son horizon, la perspective de progrès ultérieurs que l'expérience déjà faite semblait garantir, et sans doute aussi les espérances légitimes qu'il pouvait fonder sur le dévouement intelligent des disciples de plus en plus nombreux qu'il attachait à ses vues et à sa personne, ne lui laissaient pas de repos dans une sphère déjà trop étroite pour son activité, et dans laquelle il n'avait peut-être pas les coudées assez franches pour agir toujours selon les inspirations de son génie. Nous ne savons pas combien de temps il resta cette fois à son poste. Ses lettres ne nous fournissent pas le moindre renseignement à cet égard, et les deux mots qu'en dit l'auteur des Actes pourraient bien nous suggérer l'idée qu'il ne s'y arrêta que pour faire le plan d'une nouvelle expédition. Quoi qu'il en soit, il quitta Antioche pour ne plus y revenir. Nous assignons à son départ la date de l'an 56. Son but principal était de se créer un nouveau centre d'action, et de même qu'il avait précédemment établi son quartier général à Corinthe pour toute l'Achaïe, et qu'il avait du moins essayé d'en faire autant pour la Macédoine à Thessalonique, il choisit maintenant Éphèse, la brillante capitale de l'une des provinces les plus riches et les plus populeuses de l'empire, où, comme nous le verrons plus tard, le mélange des races et le choc des idées d'origine différente avaient provoqué un mouvement des plus intenses et des plus curieux.

Quant à la route qu'il suivit pour se rendre d'Antioche à Éphèse, nous n'en savons presque rien. La seule notice positive que nous fournissent les Actes, c'est qu'il traversa les provinces intérieures de la presqu'île au lieu de se tenir plus près de la côte. Mais en fait de noms propres, on ne nomme que la Galatie et la Phrygie. C'est le premier de ces noms qui nous occupera ici tout d'abord.

La Galatie était une des provinces du centre de l'Asie mineure et ne touchait nulle part à la mer. Elle avait son nom d'une population d'origine étrangère, des Galates, qui s'y étaient établis au commencement du troisième siècle av. J.-C, après avoir parcouru une grande partie de la Grèce et laissé partout des traces de leurs sauvages déprédations. Il est certain que ce nom de Galates est identique avec celui des Keltes ou Celtes, que nous sommes accoutumés à regarder comme le peuple dominant entre le Rhin et l'Atlantique, à l'époque des guerres de César. Il est très vraisemblable aussi qu'antérieurement ils étaient établis beaucoup plus à l'est, sur le Danube, de sorte que les incursions dont nous venons de parler ne seraient pas tellement aventureuses qu'elles pourraient le paraître à première vue. De nos jours cependant, quelques savants inclinent à penser que les Galates de l'Asie mineure étaient proprement des bandes de race tudesque. Nous n'avons pas qualité pour discuter les arguments à faire valoir pour ou contre cette supposition. Aussi bien n'est-elle d'aucune importance pour notre sujet actuel. Nous nous bornerons donc à dire que les Galates, ayant fondé en Asie plusieurs petites principautés, se civilisèrent peu à peu, en se mêlant insensiblement avec la population indigène, puis en subissant l'ascendant de la nationalité grecque prédominante dans les villes; enfin qu'ils partagèrent le sort commun de tous leurs voisins, en se soumettant au joug de Rome. Les généraux de la république s'emparèrent du pays l'an 189 av. J.-C, mais le Sénat, d'après la politique constamment suivie en Asie, y laissa provisoirement subsister une certaine autonomie, en organisant une tétrarchie, c'est-à-dire quatre départements gouvernés par des princes Galates, vassaux de la république, auxquels on donnait communément et par courtoisie le titre de rois. Cet état des choses dura jusqu'à Tan 26, où l'empereur César-Octavien, peu de temps après la bataille d'Actium, jugea à propos de réduire le pays en province immédiate de l'empire. À l'époque des premières missions chrétiennes, c'était donc un territoire romain. Pendant les guerres civiles, les princes Galates, en récompense des services rendus aux triumvirs, avaient obtenu un agrandissement du côté de la Lycaonie, de la Pisidie et de la Pamphylie, Cela a fait penser à quelques auteurs modernes que les églises de Galatie, dont parle le Nouveau Testament et auxquelles est adressée l'épitre que nous allons étudier, pourraient bien n'être autres que celles de ces derniers districts, notamment Derbé et Lystres, et qu'on aurait tort de les chercher dans des contrées plus septentrionales. Nous ne saurions partager cet avis, nos textes ne contenant rien qui autorise une pareille confusion. Tous les noms que nous venons de nommer sont connus des écrivains sacrés (comparez aussi 1 Pierre I, 1, et 1 Cor. XVI, 1), et les Actes notamment les distinguent partout.

Nous ne savons rien de précis sur l'origine et la fondation des églises de la Galatie. Il est assez singulier qu'aucun texte ne nomme les endroits où elles auraient été établies. L'épître même se tient à cet égard dans les généralités, et bien qu'il y ait tout lieu de penser que nous avons à songer de préférence aux localités les plus considérables du pays, telles que Pessinonte ou Ancyre, le fait est que nous n'avons aucun moyen de sortir ici du cercle des conjectures. Voici cependant quelques données, fort peu complètes à la vérité, qui pourraient jusqu'à un certain point suppléer à des renseignements plus directs et plus positifs. Le nom de la Galatie se rencontre pour la première fois sous la plume du biographe de l'apôtre Paul, au début du voyage qui conduisit celui-ci en Europe. Après avoir quitté les villes de la Lycaonie, où l'Évangile avait été prêché déjà antérieurement, Paul et son collègue Sylvain (Silas) se dirigèrent vers le nord, et traversèrent successivement les provinces d'Asie, de Phrygie et de Galatie, pour se rendre de là à Troade et sur l'Hellespont (Actes XVI, 6). Comme Luc dit explicitement que dans la première de ces provinces, en Asie, il n'y eut pas de prédication cette fois-ci, nous en concluons qu'il n'en fut pas de même dans les deux autres. La première semence de l'Évangile aurait donc été jetée dans ces contrées par Paul lui-même, vers l'an 53. Quelle que soit la valeur de cette combinaison chronologique, c'est en tout cas à Paul que revient l'honneur d'avoir fondé ces églises. Il le dit de la manière la plus formelle dans son épître (chap. 1,6; IV, 13, 19), et il n'y a guère d'autre place dans ses voyages que nous pourrions assigner à cette œuvre.

Nos moyens d'information sont moins sûrs relativement à la chronologie des rapports ultérieurs de l'apôtre avec les communautés de la Galatie, et par conséquent aussi à la date de l'épître. On peut même dire que les opinions des savants, en ce qui concerne cette date, ont été autrefois très-divergentes, et ne se sont fixées d'une manière un peu plus uniforme que plus récemment. Cela provient en partie de ce que la science mal avisée du cinquième siècle a mis au bas de l'épître une note, conservée jusqu'à nos jours dans beaucoup d'éditions, et d'après laquelle elle aurait été écrite à Rome. Depuis qu'on a généralement reconnu que les notes de ce genre dans les manuscrits ne se fondent que sur des combinaisons souvent hasardées et arbitraires, on n'a pas eu trop de peine à arriver à des résultats mieux appuyés par les textes. Voici celui auquel nous avons cru pouvoir nous arrêter.

Lorsque Paul écrivit son épître aux Galates, il avait déjà été deux fois dans le pays. Il dit formellement que, quand il les évangélisa pour la première fois, dans des circonstances assez tristes (probablement il fait allusion à une maladie), ils lui avaient donné des preuves on ne peut plus encourageantes de dévouement personnel et de soumission à l'Évangile, tel qu'il le prêchait (chap. IV, 13). Depuis, il avait fait des expériences contraires: il avait du les prémunir, dans des termes pressants et sévères, contre des influences étrangères qui tendaient à les détourner de la vérité, aies astreindre aux pratiques légales du judaïsme, comme à une condition de salut, et à saper en même temps sa propre autorité (chap. I, 9, comp. chap. V, 3, 21). Cet état des choses, ce changement subit et inattendu (chap. I, 6), il doit l'avoir constaté de ses propres yeux; car il ne dit nulle part qu'il l'aurait appris par des tiers et à distance. Il en parle comme d'une chose parfaitement certaine, et non éventuellement exagérée par des rapports malveillants. Il n'est pas non plus juste de dire que, lors de son second passage en Galatie, il ne découvrit que les premiers symptômes d'une tendance qu'il se hâta d'arrêter, de conjurer, en écrivant son épître. Il est trop évident que le mouvement des esprits dont il se plaint était un fait accompli, et que les efforts qu'il pouvait tenter, pendant un séjour probablement assez court, pour faire revenir les égarés, n'aboutirent pas à des résultats satisfaisants, de sorte qu'au premier moment où il trouva quelques loisirs, il prit la plume pour compléter son œuvre de réforme. On peut même se convaincre facilement que l'épître n'aurait guère été comprise par ceux auxquels elle s'adressait de préférence, si l'auteur n'avait pas été dans le cas de traiter devant eux les mêmes questions, et avec les mêmes préoccupations polémiques, à une époque antérieure peu éloignée. Par toutes ces considérations, nous sommes amené à croire que c'est bientôt après son arrivée à Éphèse, et sous l’impression toute récente de ce qu'il venait de voir en Galatie, que Paul a rédigé ces pages, qui sont à plus d'un égard du nombre des plus importantes pour l'histoire des églises apostoliques, et qui servent surtout à bien faire connaître son individualité, son caractère, l'essence de sa théologie et sa méthode d'enseignement. Le ton général de l'épître est du reste autre que celui qu'il prend ailleurs, du moins à son début. Au lieu des actions de grâces par lesquelles il ne manque jamais de commencer, en vue de ce qu'il a pu constater de réjouissant dans le cercle de ses lecteurs, tout en se réservant de leur signaler ultérieurement ce qu'il trouve encore de défectueux, soit dans leur foi, soit dans leurs mœurs, ici, ses formules de salutation déjà revendiquent explicitement et avec énergie son autorité d'apôtre, et aussitôt il entre en matière, sans autre préambule, en témoignant son profond étonnement au sujet du changement qui s'est produit au sein des églises. On voit qu'il a de la peine à se faire à l'idée que ses disciples, autrefois si dociles et si dévoués, aient pu se laisser captiver par des insinuations malveillantes, et même par des doctrines diamétralement opposées à celle qu'il leur avait inculquée. Ce n'est que peu à peu qu'il parvient à

Maîtriser la mauvaise humeur qui l'a entraîné d'abord, et qu'il retrouve le ton de paternelle affection qui lui est si familier. Ainsi l'analyse psychologique de l'épître nous semble pleinement confirmer l'opinion que les données historiques nous ont suggérée à l'égard des circonstances dans lesquelles elle a dû être rédigée.

Mais il est temps de dire un mot sur la nature et l'origine des faits religieux qui font l'objet des regrets et de la polémique de l'apôtre. Les églises de la Galatie doivent avoir été composées en grande partie d'anciens païens. Paul le dit explicitement. Ils avaient adoré les faux dieux (chap. IV, 8). Ils n'avaient pas été circoncis (chap. V, 2; VI, 12). On peut en trouver d'autres traces encore dans le texte, moins directes peut-être, (par ex. chap. 1,16; II, 9, etc.). L'étonnement même qu'a causé à l'apôtre la découverte qu'il vient de faire, ne s'expliquerait pas s'il s'était trouvé en face d'une population juive ou fortement mélangée. Cependant l'élément juif ne peut y avoir manqué absolument. Pour le prouver, nous n'avons guère besoin d'invoquer certaines phrases, où l'auteur, à propos de l'ancienne alliance, parle à la première personne du pluriel, comme s'associant en sa qualité d'Israélite à des lecteurs qui étaient dans la même position (chap. 111,23; IV, 3, etc.). Nous pouvons simplement dire que, si parmi les fidèles de la Galatie il n'y avait pas eu un noyau de judéo-chrétiens, on ne comprendrait pas d'où aurait pu venir à ces églises la propension de renier les principes de leur apôtre, pour se ranger tout à coup sous la bannière de la législation mosaïque. Et tout aussi peu l'on s'expliquerait l'intérêt qu'auraient pu avoir des émissaires du parti pharisaïque à s'insinuer dans un milieu complètement étranger. D'ailleurs, comme Paul commençait toujours ses travaux apostoliques dans les synagogues, il est plus que probable qu'en Galatie aussi les églises ont dû naître et se recruter de la même manière. Enfin, les faits historiques qu'il cite incidemment, ce qu'il dit de ses relations avec les apôtres de Jérusalem, de sa discussion avec Pierre, ne pouvaient avoir de l'importance que là où des attaches plus intimes existaient entre ceux qu'il s'agissait de convaincre, et la sphère où le christianisme avait pris naissance.

L'épître aux Galates est le document le plus ancien en date, et en même temps le plus explicite et le plus authentique de la profonde scission qui se produisit dans le sein de l'Église primitive, dès que la question de la valeur de la loi et de son caractère obligatoire pour les chrétiens se posa nettement, non plus seulement comme une question sociale, c'est-à-dire de tolérance ou de rite traditionnel, mais comme une question de théologie et de principe. L'auteur des Actes, ami de la paix et des compromis, ne nous laisse guère entrevoir l'âpreté de la lutte engagée entre les partisans de l'ancien ordre des choses, lesquels envisageaient l'Évangile et ses promesses comme un privilège de la race d'Abraham, et ceux, peu nombreux d'abord, qui avaient compris qu'il était destiné à être l'apanage de l'humanité tout entière, et qu'il fallait par conséquent laisser tomber, en fait de formes religieuses, et comme ayant fait son temps, tout ce qui pouvait entraver son action au dehors. Nous avons exposé ailleurs (Hist, de la théol. chret. au siècle apostolique, 3= éd., livre III, surtout au chap. 8.), et d'une manière très détaillée, les péripéties de cette lutte, les moyens employés pour faire prévaloir le point de vue du judaïsme, là même où il n'avait pas pu dominer antérieurement, dans les rangs des païens convertis, mais surtout pour empêcher les fidèles de la synagogue de se laisser aller à ce qu'on appelait une apostasie. Nous nous bornerons pour le moment à constater qu'en Galatie aussi certains individus avaient conçu des doutes ou des scrupules au sujet de l'émancipation qui leur était offerte; et il est très-probable que ces scrupules avaient été provoqués par des étrangers, des émissaires du parti rigide ou pharisaïque, dont l'existence est suffisamment constatée, même par le récit des Actes (chap. XV, 1, 5). À plusieurs reprises, dans notre épître, l'apôtre revient à la charge avec des insinuations, pour ne pas dire avec des accusations directes, qui sont de nature à changer cette supposition en certitude (chap. I, 7; IV, 17; V, 10; III, 1), d'autant plus qu'il signale cette même activité comme la cause de troubles et de déchirements dans le sein des églises, sur d'autres théâtres aussi (chap. II, 4, 12). Nous apprenons spécialement que ces agitateurs insistaient avant tout sur la nécessité absolue de la circoncision (chap. VI, 12; V, 2, 11), et par suite sur le maintien de la loi rituelle en général (chap. IV, 10), ce qui revient à dire qu'ils représentaient l'Évangile comme un fait accessoire, qui ne devait modifier en rien l'institution du judaïsme, mais préciser seulement quelques-unes des promesses qui y avaient été attachées dès l'abord. Il va sans dire qu'un enseignement de cette tendance ne pouvait se produire qu'au moyen d'une polémique préalable et personnelle contre Paul lui-même, représenté comme un intrus, comme un homme sans mission légitime.

Ce que nous venons de dire sur l'état des choses et des esprits dans les églises de la Galatie, nous fait pressentir que l'épître devait être essentiellement apologétique et polémique. Revendiquer sa propre autorité et combattre des erreurs, voilà quelle devait être la préoccupation de l'auteur, quand il se décida à prendre la plume. C'est donc encore là un écrit de circonstance, mais comme les idées fondamentales de l'Évangile étaient engagées dans le conflit, il s'élève naturellement à la hauteur d'une discussion de principes, et acquiert ainsi, malgré sa brièveté, une grande importance dogmatique. Seulement il ne faut pas s'attendre à trouver là un traité en forme, une exposition méthodique et raisonnée. Les faits concrets qui caractérisaient la situation, les relations personnelles de l'auteur avec ses lecteurs, l'agitation momentanée de son esprit, ses souvenirs et les expériences faites en d'autres occasions, tout cela domine l'évolution des idées et déteint sur le style. On a donc bien tort, ce nous semble, de diviser l'épître en une partie historique ou apologétique (chap. I, II), une partie dogmatique ou polémique (chap. III, IV), et une partie morale ou parénétique (chap. V, VI). Non qu'en thèse générale ces titres ne répondent à la marche du discours, mais rien ne justifie une division du texte en sections; nulle part il n'y a des points d'arrêt, des formules de transition ou de raccordement.

Le discours se poursuit d'un bout à l'autre avec une vivacité soutenue et souvent passionnée, qui exclut jusqu'à la moindre apparence d'une préoccupation concernant la série des matières à traiter. De fait, la forme en est plutôt oratoire que dialectique; l'éloquence y coule de source, et n'a pas besoin de l'appui de cette rhétorique étudiée, qui s'adresse plutôt à la réflexion qu'au sentiment.

Nous pourrions donc nous dispenser de faire ici l'analyse de l'épître, tâche qu'il vaut mieux réserver au commentaire. Disons simplement, pour orienter nos lecteurs, qu'après avoir exprimé, dans un début brusque et vif, son étonnement et son chagrin au sujet de ce qu'il venait de voir en Galatie, Paul affirme de la manière la plus énergique qu'il y a enseigné la pure vérité, et que son enseignement ne lui a pas été suggéré par les hommes, mais par Christ lui-même. Cela le conduit à rappeler les différentes phases de sa vie antérieure, son pharisaïsme d'autrefois, sa conversion, ses relations, restreintes et passagères, avec les anciens apôtres, lesquels du reste, quand l'occasion s'en présentait, reconnaissaient explicitement sa mission et approuvaient sa prédication, et contre l'un desquels, dans une circonstance particulière, il avait défendu victorieusement les vrais principes de la foi et de la liberté. Une fois sur ce terrain, Paul, sans s'en apercevoir même, perd le fil de sa narration, et s'engage dans la discussion de ces mêmes principes. Cette discussion, bien qu'elle s'étende de la fin du 2° chapitre jusqu'au cinquième, est tellement serrée et même saccadée, que nous aurions de la peine à suivre les raisonnements de l'auteur, si nous ne connaissions son système par l'exposition plus nette et plus complète de l'épître aux Romains. Les premiers lecteurs aussi auraient été incapables d'en saisir le sens et la portée, s'ils n'avaient pas eu, dans l'enseignement oral antérieur, la clef d'un texte autrement on ne peut plus difficile à comprendre. Le point capital, c'est la déchéance de la loi comme moyen de salut; l'argumentation destinée à prouver cette thèse est essentiellement exégétique, et se base sur une série de passages de l'Ancien Testament interprétés au point de vue de la théologie évangélique. Incidemment, le vrai but de la loi, but temporaire et transitoire, est établi par des procédés analogues. Insensiblement le discours descend des hauteurs de la pure théorie à des applications pratiques. L'apôtre en appelle aux expériences propres, aux souvenirs de ses lecteurs, ce qui lui permet d'introduire les siens aussi, et de passer ainsi du ton plus sévère avec lequel il avait commencé, à celui qui lui avait été familier dans ses relations antérieures avec eux. À partir de là, les avis à donner deviennent naturellement des exhortations, des encouragements, dans lesquels l'idée dominante est la recommandation de ne pas se laisser enlever la liberté, que le chrétien a acquise par l'intervention de Christ. Mais cette idée amène aussi un sérieux avertissement de ne pas se tromper sur la nature et les homes de cette liberté, de ne pas la confondre avec ce que les hommes n'aiment que trop à appeler de ce nom.

C'est sans doute avec un sentiment d'espérance que Paul déposa la plume. L'histoire ne nous dit absolument rien sur l’effet que cette missive a pu produire sur ceux auxquels elle était destinée. Malheureusement ce qu'elle nous apprend sur le sort de la prédication paulinienne en général, n'est pas de nature à nous rassurer à cet égard, sans compter que depuis des siècles presque toutes les traces de christianisme ont disparu des régions sur lesquelles avait rayonné d'abord une si vive lumière.

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