Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRES AUX THESSALONICIENS

INTRODUCTION

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Thessalonique, anciennement Thermes, aujourd'hui Saloniki, était à cette époque l'une des villes les plus importantes des pays de langue grecque, et chef-lieu de la province romaine Macedonia secunda. C'était un grand centre commercial, avec un port situé au fond d'un golfe de la mer Égée (de l'Archipel) et une population très mélangée. Les Juifs y étaient nombreux, et beaucoup de Grecs, là comme ailleurs, fréquentaient leur synagogue. Paul y trouva donc à la fois une chaire et un auditoire bien disposé; il y prêcha plusieurs sabbats de suite et au bout de quelques semaines il avait réussi à former le noyau d'une petite congrégation chrétienne. Si nous nous en tenons à la lettre du récit des Actes (chap. XVII), il n'y resta guère au-delà de ce terme, la masse des Juifs ayant excité un tumulte et déféré aux magistrats romains, comme fauteurs de troubles politiques, les personnes qui avaient accueilli les missionnaires étrangers. En suite de cette opposition violente, qui lui ferma l'entrée de la synagogue, Paul jugea prudent de quitter la ville.

Il sera cependant permis de donner un autre sens au texte des Actes, et de supposer que le séjour de Paul à Thessalonique s'est prolongé au delà des trois semaines au bout desquelles Luc semble placer le mouvement populaire qui mit fin à son activité dans cette ville. Car, dans ses épîtres, il rappelle à plusieurs reprises aux Thessaloniciens (1re ép., II, 9; 2e ép., III, 7, suiv.), que pendant tout son séjour, afin de n'être à charge à personne, il avait travaillé jour et nuit pour gagner sa vie. Cela semble indiquer qu'il y avait trouvé moyen de se placer comme ouvrier chez un chef d'atelier de son état (comp. Actes XVIII, 3) et qu'il y resta un certain temps. Un passage de l'épître aux Philippiens (chap. IV 16,) est encore plus significatif à cet égard. Dix ans après, il les remercie de lui avoir envoyé plus d'une fois de quoi pourvoir à ses besoins, pendant qu'il se trouvait à Thessalonique. Or, la distance entre les deux villes était assez grande, pour que ces envois réitérés puissent être considérés comme des indices d'un séjour prolongé. Nous citerons encore un mot de la première épître aux Thessaloniciens (chap. II, 2), où il dit leur avoir annoncé l'Évangile au milieu de bien des combats.

Quant aux éléments dont se composait la jeune église, il est de fait que les Grecs (païens) en formaient la majorité. Paul le dit en toutes lettres (1re ép., I, 9), quand, dans une allocution adressée à la communauté entière, il les loue d'avoir abandonné les idoles pour servir le Dieu vivant. Ge n'est pas en face d'Israélites convertis qu'une pareille phrase aurait été de mise; et l'animosité avec laquelle, selon le témoignage de Luc même, les Juifs s'étaient élevés contre lui à Thessalonique, paraît également militer en faveur de la supposition qu'ils n'avaient en aucune façon pris part au mouvement évangélique. Elle est d'ailleurs confirmée par la manière dont Paul s'exprime au sujet de sa nation (1re ép., II, 15 suiv.). Enfin, nous signalerons encore les paroles qui précèdent le passage cité en dernier lieu, où il est dit que les fidèles de Thessalonique ont eu à souffrir, de la part de leurs compatriotes, ce que les églises de la Judée avaient éprouvé de la part des Juifs. Il est évident qu'ici les compatriotes sont mis en regard des Juifs, comme une catégorie différente d'hommes, et nous ne pourrons y voir que les indigènes païens. Si les Actes (chap. XVII 4) parlent de quelques Juifs convertis, à côté d'une grande multitude de païens, ces Juifs doivent s'être perdus dans la foule, car dans les épîtres on n'en retrouve pas la moindre trace. Le passage en question, d'après la leçon reçue, parle de Grecs prosélytes, c'est-à-dire, déjà antérieurement affiliés à la synagogue; une variante, recommandée par plusieurs critiques modernes, distingue ces prosélytes et les Grecs, ce qui nous fera voir dans ces derniers des personnes qui jusque-là n'avaient eu aucun rapport avec les croyances monothéistes. Cela ne change rien à ce que nous venons de dire de la composition de la communauté, au contraire, cela cadre très bien avec ce qu'en dit Paul (1re ép., I, 9), et l'on conçoit facilement que, par suite des relations de famille, le mouvement ait gagné du terrain dans cette direction.

Obligé de quitter Thessalonique, Paul se rendit d'abord à Bérée, puis, par des motifs analogues, à Athènes, enfin à Corinthe. Son biographe nous donne quelques détails, en partie très intéressants, sur cette partie de son voyage (Actes XVII). Séparé subitement de son nouveau troupeau, dont les membres à peine instruits dans les principes de l'Évangile étaient exposés à des vexations, peut-être à une rechute complète (1re ép., I, 6; II, 14; III, 3), l'apôtre devait tenir à avoir de leurs nouvelles, et saisir la première occasion qui s'offrait pour se remettre en rapport avec eux, les exhorter à la constance, et les confirmer dans leurs convictions. Tout cela est si naturel, qu'il n'en faut pas davantage pour expliquer l'origine de la première épître qu'il leur écrivit, et qui est en même temps (si tout ne nous trompe) la plus ancienne de celles que nous possédons encore de lui.

Il reste cependant ici une petite difficulté qui a divisé les savants. C'est la question de savoir à quelle époque de son voyage, et dans quelle ville, cette épître a été écrite. Cette question se complique et s'embrouille, par la comparaison de quelques notices données soit par l'épître elle-même, soit par les Actes. D'après ce livre (chap. XVII, 14), Paul alla à Athènes en laissant ses deux compagnons de voyage à Bérée, mais avec l'injonction de le rejoindre au plus tôt. Il paraît cependant, d'après la même source (chap. XVIII, 5, comp. 2 G or. I, 19), qu'ils ne revinrent auprès de lui que lorsqu'il était déjà arrivé à Corinthe, et comme leur présence est attestée par l'épître même (chap. I, 1), il s'ensuivrait que celle-ci a été écrite dans cette dernière ville.

Mais déjà anciennement on a cru pouvoir établir, par les données de cette même épître, qu'elle appartient au séjour d'Athènes. C'est ce que nos éditions vulgaires disent explicitement dans une note finale que la critique a fait disparaître depuis longtemps. Cette note paraît s'être fondée dans l'origine sur le passage chap.III, 2, où Paul semble dire qu'il a envoyé Timothée d'Athènes à Thessalonique, se résignant à rester seul pour le moment, afin de procurer à ses frères délaissés les consolations et les avis qu'il était empêché de leur donner personnellement. On suppose alors que ce fut à cette occasion que la lettre fut emportée par le disciple missionnaire. Cette combinaison est spécieuse, mais elle n'est pas exigée impérieusement par les textes et elle se heurte contre d'autres données assez positives. En effet, notre épître dit dès le début que les chrétiens de Thessalonique sont devenus un modèle pour tous les croyants de la Macédoine et de l'Achaïe, et que de chez eux la parole de l’Évangile s'est répandue dans les deux provinces. Or, il est vrai qu'Athènes aussi appartenait à la province romaine de l'Achaïe (le royaume actuel de la Grèce); mais si Luc ne s'est pas trompé en nous représentant les résultats de la prédication de Paul dans cette ville comme bien peu brillants (Actes XVII, 34), celui-ci ne pouvait guère parler de cette province dans les termes que nous venons de citer, s'il n'avait pas déjà fait ailleurs des expériences plus encourageantes. Nous estimons donc que ce passage de son épître constate simplement qu'il avait déjà travaillé avec succès dans la capitale même de l'Achaïe, à Corinthe, lorsqu'il trouva l'occasion de l'écrire. Un autre passage (chap. II, 18), qui parle de plusieurs projets de voyage que l’apôtre aurait formés pour retourner en Macédoine, mais qu'il fut empêché d'exécuter, semble également accuser un intervalle plus ou moins long entre son départ de Thessalonique et la rédaction de sa lettre. Quant à la mission de Timothée, dont il est question chap. III, 2, dût-elle même constater la présence de ce disciple à Athènes, elle ne prouverait pas encore qu'il ait aussi emporté cette missive. Mais ce texte comporte peut-être une autre interprétation: Paul rappellerait qu'il avait préféré faire seul son voyage depuis Bérée, et qu'il avait renvoyé Timothée (de Bérée) à Thessalonique, pour qu'il y eût au moins un membre de la mission auprès de la communauté. Ainsi le passage cité de l’épître correspondrait à celui des Actes XVII, 15. Puis, d'Athènes, sans l'attendre, lui et Silas, comme il se l'était proposé d'abord (chap. XVII, 16), il serait allé, également seul, à Corinthe, où ses deux collègues le retrouvèrent (ép. III, 6, correspondant à Actes XVIII, 5.). Cependant nous n'insistons pas sur le sens que nous venons donner au texte en question. Il serait possible que Timothée ait rejoint Paul à Athènes, qu'il ait été envoyé de là à Thessalonique, et qu'après cela seulement il soit venu avec Silas à Corinthe. Cela ne change rien au fait, qu'en tout état de cause l’épître date du séjour de Paul dans cette dernière ville, et qu'elle a dû être écrite bientôt après l'arrivée des deux auti'es (chap. Ill, 6), l'apôtre parlant des nouvelles qu'il avait reçues naguères, par Timothée, sur le compte des Thessaloniciens. D'après la chronologie plus ou moins hypothétique et approximative que nous adoptons, cela nous conduirait à Tannée 53.

Voilà à peu près tout ce qu'il y avait à dire sur les circonstances dans lesquelles a dû être écrite la première des deux lettres dont nous nous occupons pour le moment. Il sera superflu de s'enquérir d'un motif spécial qui en aurait provoqué la composition; de supposer, par exemple, que les fidèles de la Macédoine aient adressé à l'apôtre des questions sur un point controversé, ou que lui-même ait eu à redresser chez eux des abus, à châtier des égarements. Il est vrai qu'une partie de l'épître est consacrée à un enseignement dogmatique, mais non seulement celui-ci ne vient que vers la fin, on se convaincra encore aisément que Paul n'a pas pris la plume exprès pour traiter cette matière spéciale. Car déjà avant de l'aborder, il est en train de clore son épître. On le voit par cette formule: Au reste, je vous demande, etc. (chap. IV, I), qui se reproduit assez fréquemment dans ses épîtres, quand il s'apprête à les terminer. (Voyez 2 Thess. III, I; 2 Cor. XIII,II; Éph. VI, 10; Phil. III, 1; IV, 8). Encore moins sera-t-on autorisé à conclure des dernières lignes (chap. V, 19 suiv.), qu'il aurait eu à combattre, dans le sein de l'église de Thessalonique, soit une tendance à l'exaltation religieuse, soit un rationalisme froid et indifférent. Si cela avait été le cas, il ne se serait pas borné à quelques mots assez peu explicites, et perdus pour ainsi dire au milieu d'une péroraison qui respire des sentiments tout différents. Enfin, on se trompe certainement, si l'on prétend qu'il avait à défendre son autorité contre des attaques venues de la part des judéo-chrétiens qui l'auraient contestée. On cherche là très gratuitement des arrière-pensées qui n'ont de base ni dans le texte, ni dans les faits de l'histoire.

L'absence complète, dans cette première épître, d'un but spécial et déterminé, nous explique aussi pourquoi il est assez difficile d'y signaler un plan arrêté d'avance et nettement accusé. L'auteur se laisse aller aux inspirations de ses sentiments d'affection et de sympathie. Le souvenir des dangers subis et des avanies endurées en commun rapproche les hommes, et il était naturel que l'apôtre, éprouvé plus souvent déjà par des expériences de ce genre, ne marchandât pas les éloges à ceux qui s'étaient si courageusement pénétrés de son exemple. Le fait est qu'il y revient à plusieurs reprises et avec effusion. Ils alternent avec les nouvelles qu'il leur donne sur son propre compte. Les chaleureuses exhortations qu'il y joint, et que personne ne trouvera déplacées en face d'une communauté à peine fondée, et qui n'a pas encore pu profiter d'une instruction suivie et régulière, ne sauraient être regardées comme peu en harmonie avec les compliments flatteurs du début. Si vers la fin, on dirait presque sous forme de post-scriptum ou de digression, il parle de la perspective d'un retour prochain de Christ pour l'établissement visible de son royaume glorieux, cela fait voir encore qu'il sentait la nécessité de donner à la vie pratique une direction conforme aux exigences de cette éventualité. Car on ne peut manquer de s'apercevoir qu'il avait fait entrer dans son enseignement les conceptions relatives aux choses finales qu'il partageait comme pharisien et qui faisaient l'un des éléments les plus importants des croyances chrétiennes primitives. Cependant nous ne voudrions pas écarter l'idée que Timothée a pu faire part à son maître de certains doutes agités parmi les chrétiens de Thessalonique, et que Paul, qui ne voyait là qu'un symptôme individuel, s'étant rappelé le fait au moment où il allait déposer la plume, jugea à propos d'en dire quelques mots pour tranquilliser les esprits. Quoi qu'il en soit, la forme encore très nettement judaïque de ses espérances, telles qu'elles sont exposées ici, est une preuve de plus en faveur de l’antiquité de l'épître, en ce que nous verrons plus tard que les idées de l'apôtre se sont modifiées à ce sujet.

Mais c'étaient précisément ces espérances judaïques qui causèrent quelque désordre dans le sein de la communauté de Thessalonique. Jésus, qui n'avait pas jugé à propos de les contredire directement, avait eu bien soin d'y rattacher des enseignements pratiques, tantôt sous forme de maximes brèves et frappantes, tantôt sous celle de paraboles aussi pittoresques qu'instructives. Nous ne doutons pas que Paul n'en ait agi de même, tout en conservant une foi implicite à l'égard du fond même. Mais on comprend que tous ses auditeurs ne savaient pas également assurer à la conscience morale l'empire sur l'imagination, quand celle-ci s'emparait de ces tableaux d'avenir, et d'un avenir prochain, qu'on lui offrait si sérieusement. De tout temps les croyances apocalyptiques ont conduit bien des gens à des travers d'esprit et à des égarements moraux. À Thessalonique (comme la seconde épître le dit explicitement, chap. III, 6 suiv.), il se produisit des effets de ce genre. S'attendant à une révolution radicale et prochaine dans la constitution du monde et de la société, plusieurs s'abandonnèrent à la fainéantise, et le désordre commença à se mettre dans les familles, et par suite dans la communauté. Nous ne savons par quelle voie Paul eut connaissance de ces faits, mais il est clair que c'est à cause d'eux principalement qu'il reprit la plume pour écrire la seconde épître.

Selon toute probabilité, elle a aussi été composée à Corinthe, où l'apôtre resta pendant dix-huit mois (Actes XVIII, II). L'intervalle entre les deux lettres doit avoir été assez long pour que toutes les conséquences de la fausse direction des esprits à Thessalonique aient pu se développer dans la mesure indiquée, et que dans l'Achaïe même (d'après 2 Thess. I, 4), d'autres églises chrétiennes aient déjà été fondées. Cependant il n'y a pas lieu de le supposer tellement long, que Paul ait dû se trouver dès lors dans une autre localité. Les mêmes amis sont encore auprès de lui (chap. I, I), et l'épître, sauf les généralités qui en forment le cadre, ne traite que cette seule question de la proximité relative de l'avènement de Christ et de la vraie manière de s'y préparer. Nous la plaçons donc au plus tard à l'an 54. La mention des dangers courus par l’apôtre (chap. III, 2) est trop vague pour fournir un élément propre à préciser l'époque.

Quant au fond, Paul ne rétracte rien de ce qu'il a dit, au sujet de l'avenir, dans sa précédente missive. Seulement il insiste de nouveau sur les conséquences pratiques à tirer de la perspective offerte aux croyants, et en même temps sur les faits matériels qui, d'après les idées reçues, devaient se produire avant l'entier accomplissement des prophéties. Parmi ces faits, il signale surtout l'apparition du personnage mystérieux de l'Antéchrist, lequel, pour le moment, ne s'annonçait pas encore. C'est précisément la manière dont il est parlé de cet épisode du drame final, qui sera pour nous une preuve irréfragable de la haute antiquité de cette épître, dont quelques critiques modernes ont voulu reculer l'origine jusqu'après la mort de Néron, voire même jusqu'à l'époque de Trajan. Le commentaire justifiera notre opinion.

Nous ne mentionnons qu'en passant une hypothèse assez singulière, proposée autrefois par un célèbre exégète du dix-septième siècle, et reprise en sous-œuvre par quelques-uns de nos contemporains. D'après eux, l'épître dont nous parlons, aurait été écrite la première, de sorte qu'il faudrait renverser l'ordre chronologique généralement adopté. Les arguments qu'on allègue en faveur de ce changement sont tellement faibles, que nous ne voyons aucune raison de les discuter contradictoirement. Ce serait chose assez curieuse, que Paul eût commencé par prémunir ses lecteurs contre la croyance à la proximité de la parousie, pour en venir après à leur en parler de façon qu'il paraîtrait vouloir la leur recommander. L'ordre dans lequel la tradition place les deux épîtres, écarte cette contradiction. Il parle d'abord de l'événement attendu d'une manière toute théorique, pour en affirmer la certitude; en face des faits concrets qui arrivent plus tard à sa connaissance, il trouve nécessaire de préciser sa pensée et de mettre quelques restrictions, on pourrait dire quelques clauses, à sa précédente déclaration. Ensuite, des deux passages qui parlent du devoir de travailler et de gagner sa vie honnêtement, celui de la première épître (chap. IV, II) a tout l'air d'une recommandation générale, faite comme tant d'autres à la même occasion; tandis que dans la seconde (chap. III, II), il s'agit bien positivement de châtier une mauvaise habitude, contractée à la suite d'une erreur telle que nous l’avons signalée. Autrement le premier passage, supposé écrit en vue d'une pareille expérience, serait d'une faiblesse extrême. La première lettre (chap. IV, 13 suiv.) ne trahit pas encore la moindre appréhension des méprises qu'accuse la seconde. Quand l'auteur, dans celle-ci (chap. II, I), parle d'une réunion des fidèles avec Christ, il a évidemment en vue ce qu'il avait décrit avec des détails dans la première (chap. IV, 17). Enfin, ce qui coupe court à toute hésitation, c'est que dans la seconde (chap. II, 15) l'apôtre renvoie ses lecteurs à son enseignement oral et à sa (précédente) lettre, qui ne peut être autre que notre première actuelle, à moins qu'on ne veuille en supposer une troisième, antérieure à toutes les deux et aujourd'hui perdue.

Mais voici une dernière question, plus importante que celle que nous venons de discuter, et à laquelle il faudra bien que nous nous arrêtions davantage. C'est celle de l'authenticité de ces épîtres aux Thessaloniciens. Un certain nombre d'écrivains allemands et hollandais de ce siècle ont émis des doutes à l'égard de la seconde; quelques-uns, moins nombreux cependant, ont étendu ces doutes à la première. Cette question d'authenticité nous reviendra plusieurs fois encore, et en partie avec une insistance croissante et des arguments assez sérieux, dans le cours de nos études sur la littérature du siècle apostolique. En aucun cas elle ne pourra être écartée d'avance et sans examen, par une fin de non-recevoir. Il y a trop d'exemples d'écrits positivement supposés, c'est-à-dire publiés sous le nom de divers personnages bibliques ou autres, soit par des Juifs, soit par des chrétiens, dans le cours des siècles écoulés entre l'époque d'Alexandre et celle de Constantin, et dans trop de cas la Synagogue et l'Église ont été dupes de ces fraudes littéraires, pour que les soupçons qui peuvent s'attacher à l'une ou l'autre des pièces comprises dans le recueil devenu canonique ou officiel, puissent être aujourd'hui passés sous silence. Un doute n'est pas écarté quand on dédaigne d'y répondre. Autrefois, dans des cas pareils, on se bornait à invoquer le témoignage de quelques écrivains du second ou du troisième siècle, et même d'auteurs plus récents, pour établir l'authenticité d'un nom propre ou le crédit d'une tradition relative à un ouvrage anonyme. De nos jours encore, bien des gens croient que cela suffit. Nous ne sommes pas du tout de cet avis. Les Pères qui parlent des livres du Nouveau Testament sont séparés de l’âge apostolique par un trop long intervalle, pour nous donner des garanties suffisantes à l'égard de la valeur de leurs assertions. Elles peuvent servir à constater où en était l'opinion publique de leur temps, mais leur autorité ne va pas au delà. Ce sont les documents eux-mêmes qui doivent répondre de leur origine, justifier leurs titres, ou se trahir éventuellement, si ces titres sont usurpés.

Dans le cas présent, nous croyons que la critique n'a pas besoin de fermer les yeux pour maintenir les droits d'auteur de l'apôtre Paul. Il n'y a, à vrai dire, qu'un seul passage qui pourrait nécessiter une solution négative de la question, s'il fallait réellement l'interpréter comme le font les savants dont nous parlons. C'est quand l'auteur, en parlant des Juifs, dit (1re ép., II, 16): La colère divine les a atteints définitivement. Si ces paroles font allusion à la destruction de Jérusalem, il va sans dire que Paul ne les a pas écrites, car il est certain que le verbe est au prétérit et qu'il est impossible de le traduire au futur. Et si, par cette raison, la première épître n'est pas son œuvre, la seconde ne le sera pas davantage. Mais où donc est la nécessité de voir ici la mention d'un événement politique? Les lettres de Paul n'expriment-elles pas en maint endroit la conviction que le salut offert par l'Évangile a été rejeté par les Juifs, opiniâtrement et de propos délibéré, de sorte que la réprobation de Dieu, la damnation, est leur partage? Pour lui, c'est là un fait, et non une simple éventualité. Cette explication va même beaucoup mieux avec ce qui précède dans le texte, tandis que l'autre y introduit une idée étrangère, qui, en outre, aurait valu la peine d'être indiquée plus clairement. Mais lors même qu'il faudrait avoir recours ici à la catastrophe de l'an 70, les apôtres n'avaient-ils pas devant les yeux les prédictions de Jésus, et la situation n'était-elle pas de nature à faire regarder comme prochaine, comme inévitable, une manifestation terrible de la colère de Dieu contre le peuple qui avait crucifié le sauveur du monde, et l'auteur, dans son langage plein d'énergie, ne pouvait-il pas la représenter comme désormais impossible à conjurer?

Le même passage (au v. 15) contient encore un mot qu'on dit déplacé dans la bouche de Paul. Il y reproche aux Juifs non seulement d'avoir tué Jésus et les anciens prophètes, mais encore de l'avoir persécuté à son tour. Mais lui-même n'a-t-il donc pas été le persécuteur des chrétiens? Ailleurs il n'hésite pas à rappeler ce fait pour le déplorer (Gal. I, 13. 1 Cor. XV, 9, etc.): de quel droit se poserait-il ici uniquement comme victime? Nous répondons: ne lui était-il donc pas permis, au moment où il parle à des lecteurs qui avaient été témoins du mauvais vouloir des Juifs et dont il désirait soutenir le courage, de s'arrêter de préférence à ceux de ses souvenirs qui étaient les plus récents et dont les autres avaient à faire leur profit? Ce dont il s'était rendu coupable autrefois, et ce qu'il raconte même là où on l'aurait ignoré sans lui, se rapportait à un court espace de temps, et depuis de longues années les rôles étaient si complètement changés, que l'impression que les événements de Thessalonique ont dû lui laisser était naturellement la plus forte.

On allègue ensuite les endroits des deux épîtres où sont exposées des théories judaïques sur les choses finales (1re ép., IV; 2e ép., II). De pareilles croyances ne rentraient pas, dit-on, dans le cadre de la théologie paulinienne. Il est vrai qu'elles ne reparaissent plus toutes sous cette forme dans les épîtres postérieures. Cependant le passage I Cor. XV, 51, prouverait à lui seul au besoin qu'elles n'ont pas été étrangères à l'horizon religieux de l'apôtre, et, du reste, nous avons déjà fait remarquer plus haut que ses idées eschatologiques se sont spiritualisées à la longue. Cette transformation, ou évolution, est si sensible, que la distance qu'on peut constater à cet égard entre la seconde épître aux Corinthiens et la première, est plus marquée que celle qui sépare les épîtres aux Thessaloniciens de l'écrit nommé en dernier lieu. Du reste, c'est chose élevée au-dessus de toute contestation, que ces mêmes idées, dans la forme que nous rencontrons ici, ont été familières aux premiers chrétiens, comme elles l'avaient été aux Juifs de l'école pharisaïque; témoin notre Apocalypse, qui très certainement est d'origine chrétienne et qui date également d'une époque antérieure à la ruine de Jérusalem.

Nous passons sous silence quelques autres prétendus arguments qu'il ne valait guère la peine de jeter dans la balance, lors même que ceux que nous venons d'énumérer auraient eu plus de poids. Telle est l'assertion que ces épîtres sont trop insignifiantes pour être dignes du génie de Paul, ou cette autre, que ce qu'elles contiennent de faits est simplement puisé dans le livre des Actes. Nous voulons seulement mentionner encore deux arguments qu'on fait valoir contre l'authenticité de la seconde épître, en^ admettant celle de la première.

Il y a d'abord le passage chap. II, 2, où l'auteur exhorte ses lecteurs à ne pas se laisser troubler par quelque lettre, comme venant de lui, et par laquelle ils pourraient être amenés à croire que le jour du Seigneur (la parousie, la fin du monde) était déjà proche. Or, dit-on, la première épître affirme assez explicitement cette proximité. Celui qui a écrit la phrase citée tout à l'heure, veut donc contredire directement l'enseignement de la première épître et faire croire que cette épître est une pièce apocryphe, qui ne mérite aucun crédit. Mais comme cette assertion est un mensonge, il y a lieu d'en conclure que c'est au contraire la seconde qui doit être suspecte, ou plutôt, qui se trahit comme un écrit supposé: l'auteur a dû vivre à une époque où les espérances relatives à la proximité de la parousie commençaient à s'affaiblir, et il a voulu insinuer qu'il n'y avait pas lieu d'invoquer, dans le sens contraire, un prétendu livre de l'apôtre Paul. Pour répondre à cette hypothèse, nous pourrions peut-être nous borner à rappeler que les croyances eschatologiques, qu'on dit être combattues ici, étaient tellement répandues dans la première société chrétienne, que la réfutation d'une seule petite épître, autrefois adressée à une seule communauté, n'aurait certainement pas suffi pour amener à changer d'idées n'importe quelle fraction de l'Église. Et si cette seconde épître (postiche) n'était elle-même adressée qu'aux Thessaloniciens seuls, il aurait été assez difficile de leur faire croire tout à coup que celle qu'ils avaient jadis reçue de leur apôtre n'était qu'une pièce fausse. Mais le texte même comporte une autre interprétation, et même deux, si l'on veut. Il ne serait pas absolument impossible que déjà du vivant de Paul on eût colporté une pièce apocryphe portant son nom, qu'il en eût eu connaissance et qu'il eût cru nécessaire de mettre les fidèles en garde contre cette supercherie, qui aurait eu pour but de répandre dans le public n'importe quel enseignement qu'il réprouvait. Autrement on pourrait aussi penser que Paul parle ici de sa propre épître précédente, pour dire qu'on l'avait mal comprise, et cette explication pourrait se prévaloir de ce que dans la même phrase il est aussi question de discours, ou d'un enseignement (oral) qui paraît être également le sien propre, et dont on aurait dérivé des espérances exagérées. S'il avait voulu parler d'une fraude littéraire, d'un abus de son nom dans ce qui touchait à l'Évangile, il aurait certainement pris un ton plus sévère. Enfin, vers la fin de la même page (v. 15) il en appelle derechef à sa lettre, comme à une source où les Thessaloniciens pouvaient puiser leur instruction. Il n'est donc pas vrai que la seconde veuille jeter du discrédit sur la première.

Nous terminerons par un mot sur les dernières lignes de cette seconde missive: vous salue de ma propre main. C'est là mon signe dans toutes mes lettres; j'écris ainsi: Que la grâce, etc.» Voilà (dit-on) un homme qui met de l'affectation à se faire passer pour l'apôtre; il éprouve le besoin de garantir l'authenticité de son factum, ce qui montre qu'il a une mauvaise conscience; le vrai Paul ne parlerait pas de toutes ses lettres, alors qu'il n'en a encore écrit qu'une seule. Nous ne saurions nous décider à voir dans cette apostille tant de choses suspectes. D'abord nous n'oserions affirmer que jamais encore cet homme d'une activité si prodigieuse, et qui a su attacher tant d'autres à ses pas, n'a écrit de lettre, à l'exception de la seule que nous possédons, tandis que nous savons pertinemment que plus tard encore plusieurs ont été perdues. Ensuite c'est un fait, qu'il dictait habituellement ses lettres, ou qu'il les faisait mettre au net par des calligraphes (Rom. XVI, 22). Les apostilles autographes, ou, si l'on veut, les signatures amplifiées (1 Cor. XVI, 21. Col. IV, 18), ne sont donc pas des contreseings pour copie conforme, mais des marques d'amitié, d'autant plus qu'on y lit avant tout des vœux inspirés par les sentiments d'une pieuse fraternité. Et comme le hasard veut que la formule finale de la première épître (que le prétendu faussaire devait pourtant avoir entre les mains) est en partie identique avec celle de la seconde, il faudra bien poser ce dilemme: Ou bien il a voulu faire passer l'autre pour apocryphe (comme le prétendent les uns), alors pourquoi va-t-il copier ce qu'il dit être le signe distinctif des épîtres authentiques? ou bien il a simplement voulu faire passer la sienne pour telle, sans faire rejeter la première (comme le pensent d'autres), alors pourquoi affirme-t-il que toutes les épîtres de Paul contiennent une formule que précisément la première n'a pas? Et puis, comme après tout ce signe est un autographe, le faussaire aurait-il aussi imité l'écriture de Paul?

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