Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LES ÉPÎTRES PAULINIENNES

INTRODUCTION

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De tous les personnages que les débuts de l'Église chrétienne ont mis en évidence, il n'en est aucun, après son fondateur lui-même, qui y occupe une place aussi large, et qui ait laissé dans l'histoire des traces aussi ineffaçables, que celui aux écrits duquel nous consacrons la présente partie de notre ouvrage. Tout en avouant franchement ses anciens torts envers les premières communautés, et sans avoir à craindre le démenti de la postérité, il pouvait se permettre de dire qu'il avait plus fait pour la cause de l'Évangile que tous ses devanciers et collaborateurs. Encore ne parlait-il à cette occasion (1 Cor. XV, 9) que de ses courses de missionnaire à travers une grande partie du vaste empire romain (Rom. XV, 19), lesquelles n'auraient pas été exemptes d'ennuis et de périls pour le simple voyageur, mais qui l'étaient bien moins encore pour quelqu'un qui venait heurter en face et les croyances officielles et les préjugés de ceux-là mêmes qui ne les partageaient pas (2 Cor. XI, 23 suiv.). Il n'a en vue, en rappelant ses services que le nombre des églises qu'il avait fondées, les soins incessants qu'il leur donnait, les soucis de tous les jours qu'elles lui causaient, les sacrifices et les privations qu'il s'imposait pour se livrer tout entier à sa vocation. Pour nous, qui à tous ces égards sommes séparés de lui par un grand intervalle, et qui ne profitons plus que très-indirectement de son dévouement, il reste le grand apôtre, Tapôtre par excellence, en sa qualité de théologien et d'écrivain. On est même autorisé à dire que c'est lui qui a créé la théologie chrétienne, la science de l'Évangile, comme il a aussi créé le langage dont cette science toute nouvelle avait besoin pour exposer ses conceptions. L'enseignement contenu dans les évangiles que nous avons étudiés précédemment est avant tout destiné à éclairer la conscience et à donner une direction salutaire à la volonté. Les Actes des Apôtres nous font voir que la foi des premiers chrétiens était essentiellement une espérance, et se concentrait dans l'attente passive d'une révolution dont le miracle seul ferait les frais, du triomphe éclatant et instantané du bien sur le mal. Et si quelques esprits privilégiés entrevirent dès l'abord qu'il s'agissait d'autre chose, que l'Évangile voulait transformer l'humanité en rompant avec les idées reçues et en affranchissant la pensée des entraves de la lettre et de son interprétation traditionnelle, Paul le premier entreprit de démontrer la justesse de ce point de vue; il l’érigea en principe et en sut faire découler les conséquences et les applications. Alliant une admirable sagacité dialectique à une profonde et sincère piété, il régla ses aspirations spéculatives sur sa propre expérience intime, et parvint ainsi à édifier un système qui tenait autant de la réflexion que du sentiment. Négligeant beaucoup trop ce dernier élément, et exagérant outre mesure la part du premier, les docteurs chrétiens ont rarement réussi à se mettre au niveau de leur modèle, et même à le bien comprendre. Mais après tout, ce sont les écrits de Paul qui sont devenus, trop exclusivement peut-être dans un certain sens, les sources de ce renouvellement de la théologie chrétienne qui a été l'un des principaux effets du mouvement religieux du seizième siècle.

On comprend sans peine de quelle importance il serait de connaître tous les détails de la vie d'un pareil homme; de savoir au juste, non seulement dans quel milieu il s'est formé, quelles influences il a subies dans sa jeunesse, mais surtout par quelles phases de développement spirituel il a dû passer pour arriver à sa parfaite maturité, à cette pleine possession de ses idées et de ses moyens, qui se dessine si nettement dans ses écrits. La biographie d'un grand homme, si elle veut être à la hauteur de son sujet, ne doit pas se borner à retracer les faits matériels qui peuvent rentrer dans son cadre: elle ne doit pas se contenter de nous représenter ce qu'a été son héros; elle doit aussi faire voir comment il l'est devenu. Or, à ce compte, il est bien douteux que la vie de l'apôtre Paul soit jamais écrite comme on désirerait qu'elle le fût. Car les sources auxquelles l'historien peut puiser, loin de répondre aux questions qu'il serait dans le cas de leur adresser, ne lui fournissent pas même des données suffisantes pour les éléments les plus ordinaires d'un récit de ce genre.

De fait, nous n'avons à notre disposition que deux sources à consulter relativement à la vie et aux travaux de l'apôtre des gentils; c'est la collection d'épîtres qui nous est parvenue sous son nom et le livre dit des Actes des Apôtres. Aucune de ces sources ne nous fournit tous les renseignements désirables et nécessaires; et même en les combinant, en les complétant l'une par l'autre, on n'obtient pas de résultat tout à fait satisfaisant.

Les épîtres, qui peuvent servir à la rigueur à nous faire connaître les rapports entretenus par Paul avec certaines églises qu'il avait fondées, ne représentent, à cet égard, qu'une bien faible portion de son œuvre et de ses succès, et ne mentionnent que très accidentellement les faits antérieurs ou étrangers à cette sphère. En revanche, elles sont la source principale, et à vrai dire unique, à laquelle nous pouvons puiser la connaissance de sa théologie. Il est vrai que la critique a soulevé des doutes au sujet de l'authenticité de plusieurs de ces épîtres, doutes que nous discuterons en temps et lieu. Mais lors même que l'on devrait les estimer fondés, il y aurait toujours à dire que de tels documents de second ordre, étant évidemment sortis de l'école de l'apôtre et respirant son esprit, concourraient encore utilement à l'intelligence de son système.

Le livre des Actes est, comme on le pense bien, beaucoup plus riche en détails historiques, qui nous permettent de reconstruire le cadre général de la vie de l'apôtre, quoiqu'il y reste encore de nombreuses et regrettables lacunes. Par contre, la physionomie du théologien s'y dessine d'une façon absolument insuffisante, et avec des couleurs tellement pâles, qu'il serait plus vrai de dire qu'elle y est effacée. L'auteur rapporte à la vérité, ou plutôt il ébauche, un certain nombre de discours que Paul a dû prononcer en diverses occasions; mais ces discours se renferment dans les généralités et ne font ressortir aucun des éléments caractéristiques de l'enseignement qui se révèle dans les épîtres. Que ce soit là l'effet de l'impuissance du rédacteur à se pénétrer de l'esprit de cet enseignement ou la conséquence des préoccupations particulières qui l'auraient guidé dans son travail, toujours est-il que le portrait qu'il nous retrace ne ressemble pas trop à celui que le lecteur des épîtres a pu et dû se faire lui-même et qu'il a appris à admirer.

Le nom sous lequel l'apôtre a pris place dans l'histoire n'est pas celui dont l'avaient appelé ses parents. Avec la circoncision (Phil. III, 5) il avait reçu, selon l'usage, un nom hébreu, celui du plus illustre personnage de sa tribu (Rom. XI, 1), Saül, le désiré. Mais vivant au milieu d'une population grecque et latine, il avait adopté en outre un nom étranger. C'était alors une habitude très répandue parmi les Juifs, et dont nous rencontrons d'innombrables exemples en Palestine même et jusque dans le cercle des premiers disciples galiléens de Jésus. Le motif du choix qu'il fit du nom de Paulus nous est inconnu. En aucun cas nous ne saurions adopter l'opinion de ceux qui, de nos jours encore, veulent nous faire croire qu'il prit ce nom à l'occasion de la conversion du proconsul de l'île de Chypre, Sergius Paulus (Actes XIII). Une pareille supposition est inconciliable avec le caractère bien connu de l'apôtre et lui impute gratuitement une basse flatterie dont il était incapable.

Il était né à Tarse, chef-lieu de la province de Cilicie, en Asie mineure (Actes IX, II; XXI, 39; XXII, 3). Sa famille paraît y avoir été établie depuis assez peu de temps, puisque Paul mentionne expressément le fait qu'on y avait encore conservé l'usage de la langue hébraïque, que les Juifs de la dispersion oubliaient bien vite dès la seconde ou la troisième génération (Phil., 1. c. 2 Cor. XI, 22). On peut ensuite alléguer deux circonstances qui sont de nature à nous faire considérer cette famille comme jouissant d'une certaine aisance ou distinction. À une époque où chez la plupart des Juifs, surtout à l'étranger, les traditions de famille se perdaient bien vite, et où les anciennes divisions nationales n'avaient plus aucune raison d'être, les parents de Paul savaient encore à quelle tribu avaient appartenu leurs ancêtres. La conservation d'un pareil souvenir, peut-être même d'une généalogie (chose que les Lévites seuls avaient un intérêt à maintenir), est toujours l'indice d'une position sociale plus élevée. Mais ce qui est plus significatif encore, c'est le fait que cette famille possédait le droit de bourgeoisie romaine (Actes XXII, 28). Nous ignorons comment ce droit a pu être acquis par un Juif de la Cilicie. Peut-être le père ou le grand-père de Paul avait-il eu l’occasion, dans le cours des guerres civiles, aux derniers temps de la république, de rendre des services à l'un ou à l'autre des chefs de parti qui se succédaient dans le commandement des provinces orientales de l'empire. On sait qu'à cette qualité de citoyen romain, qui était héréditaire, étaient attachés certains privilèges dont Paul n'a pas manqué de se prévaloir dans ses relations avec les autorités (Actes, 1. c.; XVI, 37; XXIII, 27).

Comme la famille de Paul avait de proches parents à Jérusalem (Actes XXIII, 16), on y envoya le jeune homme pour y faire des études. Il devint le disciple de l'un des plus fameux docteurs pharisiens de l'époque, Gamaliel (chap. XXII, 3), sous lequel il a dû s'appliquer avec ardeur aux sciences qui s'enseignaient alors dans les écoles supérieures, c'est-à-dire au droit et à la théologie. De nombreux passages de ses écrits prouvent jusqu'à quel point il fit des progrès, surtout dans l'art exégétique, tel qu'il se pratiquait de son temps. Et si à cet égard la plupart de ses interprétations lui appartiennent évidemment en propre, et n'ont pu lui être suggérées par ses maîtres juifs, du moins les principes herméneutiques et la méthode employée pour les faire valoir ne sont pas de son invention. Mais ce qu'il gagna surtout à cette école, c'est son ardent enthousiasme pour la foi de ses pères, l'énergie des convictions poussée jusqu'au fanatisme, l'austérité de sa vie, son pharisaïsme, enfin, dont il s'est fait honneur plus tard encore (Actes XXII, 3; XXIII, 6; XXVI, 5. Phil. III, 5, etc.), et longtemps après sa conversion, sans avoir jamais besoin de se sentir atteint lui-même par le jugement sévère dont Jésus avait autrefois flétri les mauvaises tendances du parti.

Avant de se décider pour les études et de se rendre à Jérusalem, Paul avait appris un métier, celui-là même qui formait l'une des principales industries de son pays natal. Son biographe dit qu'il était fabricant de tentes (Actes XVIII, 3); ce que nous appellerions un tisserand de grosse toile (cilice). Peut-être était-ce l'état de son père, de sorte qu'il pouvait s'être appliqué à ce genre de travail dans la maison paternelle même. Bien lui prit de s'y être habitué de bonne heure; plus tard, durant ses voyages de missionnaire, il était fort aise d'avoir un gagne-pain, qui le rendait indépendant des petites communautés à organiser. Dans les grandes villes, où il s'arrêtait ordinairement plus ou moins longtemps, il travaillait comme ouvrier chez des maîtres ou patrons et avait ainsi l'avantage de pouvoir consacrer ses soirées à l'enseignement et à la prédication, sans tomber à charge à personne. Il s'en fait gloire à différentes occasions et rappelle cette coutume, qui pour lui était une affaire de principe, aux Éphésiens (Actes XX, 34), aux Thessaloniciens ép., II, 9; 2e ép., m, 8), aux Corinthiens (1re ép., IX; 2° ép., XI, 9; XII, 13); comp. Phil. IV, 15.

Il serait intéressant de connaître exactement la chronologie de la vie de l'apôtre Paul. Elle servirait en même temps à déterminer celle de l'histoire de l'Église primitive en général. Mais malgré tous les efforts des savants anciens et modernes, les textes, qui ne s'occupent pas de pareilles questions, pas plus ici que dans l'histoire évangélique, se refusent à servir d'appui à n'importe quelle combinaison de ce genre. Tout ce que nous pouvons dire avec quelque apparence de certitude, c'est que les voyages de l'apôtre qui correspondent à la rédaction de ses épîtres, se placent à peu près entre les années 52 et 64 de l'ère chrétienne, et c'est dans cette période qu'on répartira les documents littéraires dont nous parlons, à des intervalles qui seront à évaluer plus ou moins approximativement. C'est à la première de ces deux dates que nous croyons pouvoir rapporter la conférence de Jérusalem, dont il est parlé dans les Actes (chap. XV) et dans l'épître aux Galates (chap. II). La seconde est, à notre avis, la limite extrême qu'on peut assigner à la vie de Paul, à moins qu'on ne veuille admettre que sa captivité romaine se soit terminée par un acquittement, question sur laquelle nous reviendrons à une autre occasion. En tout cas, nous ne savons rien de positif sur l'époque de sa mort et les circonstances qui l'ont amenée. Cependant, pour notre part, nous pensons toujours qu'il a péri dans la persécution des chrétiens qui a suivi l'incendie de Rome dans le courant de l'été de l'an 64. Mais les doutes relatifs à la fixation chronologique de sa fin se renferment après tout dans un cercle assez étroit, aucun auteur n'ayant jamais songé à la reculer au-delà du terme du règne de Néron; l'incertitude est beaucoup plus grande relativement à l'époque de ses débuts. Tout ce que nous savons, c'est qu'il était jeune encore (Actes VII, 58) lorsqu'il commença à faire parler de lui; mais ce mot est vague par lui-même, et les événements auxquels il se trouva mêlé alors, échappent aussi à tout contrôle chronologique. Ainsi l'époque de sa conversion est inconnue et ne saurait être déterminée avec exactitude. Et comme on n'est pas même arrivé à fixer la date de la mort de Jésus, tous les chiffres qu'on a proposés, soit pour ce fait, soit pour les autres racontés dans la première partie des Actes, sont purement hypothétiques. On sait seulement que les événements relatés dans les dernières lignes du onzième chapitre des Actes et dans le douzième, appartiennent à l'année 44 de notre ère; en supposant maintenant que l'auteur de ce livre suit en général, dans son récit, l'ordre chronologique, on peut en conclure que ce qui est consigné dans les chapitres précédents est antérieur à cette époque. Si les deux dates contenues dans Gal. I, 18 et II, 1 doivent être additionnées ensemble, la conversion de Paul remonterait à l’an 35 de notre ère, c'est-à-dire à une époque où Jésus, s'il avait vécu, aurait été dans sa trente-neuvième année; si, au contraire, le premier chiffre est à considérer comme rentrant dans le second, nous pourrions reculer ce fait jusqu'à l'an 38. Le passage de l'épître à Philémon (v. 9), où Paul se dit vieux, n'avance pas la question. Cette épître est écrite vers l'an 61. Mais à cinquante ans déjà, après vingt ans d'apostolat, et en face d'un homme plus jeune que lui, cette qualification n'a rien d'extraordinaire.

Quant à la chronologie des épîtres, nous ne nous y arrêterons pas ici. Les introductions spéciales la détermineront autant que cela est possible, et d'ailleurs nous les mettrons sous les yeux de nos lecteurs dans l'ordre probable de leur rédaction.

Les débuts de l'apôtre nous sont connus par quelques lignes du livre des Actes. Il paraît sur la scène à l'occasion du procès, disons plutôt du meurtre d'Étienne, auquel il doit avoir présidé en quelque sorte, et qu'il pourrait bien avoir provoqué, si nous pesons bien les paroles du seul historien que nous puissions consulter. Car, d'après lui, c'est entre autres dans la synagogue où les Juifs de la Cilicie avaient l'habitude de se réunir qu'éclata la controverse (chap. VI, 9), et que prit naissance ce mouvement tumultueux dont l'illustre martyr fut victime. Il est important qu'on ne perde pas de vue la question qui dès lors préoccupa les esprits dans le sein même de la nouvelle communauté, et qui, une fois soulevée, ne pouvait manquer de changer à son égard les dispositions des masses et des autorités. Étienne avait été le premier disciple, que nous sachions, qui comprît le sens et la portée de l'Évangile de la liberté, et le premier qui ait eu le courage de le prêcher. Ce fut cette hardie proclamation de la déchéance de la loi, faite sans doute avec trop peu de prudence, qui souleva la tempête; car nous n'avons pas le moindre motif de suspecter la sincérité des accusations, formulées naturellement dans un sens hostile, qui sont mises dans la bouche de ses dénonciateurs (chap. VI, 11 suiv.). On sait le reste. À deux reprises, le nom du jeune Saül revient sous la plume du narrateur (chap. VII, 58; VIII, I), quand il raconte les détails de ce tragique événement. Son rôle n'a pas dû être celui d'un simple spectateur approuvant ce qui se passait. Car il ne faut pas oublier que, tout jeune qu'il était, il obtint, de la part des autorités ecclésiastiques de la métropole, des lettres de créance ou de recommandation pour celles de Damas, à l'effet d'organiser, dans cet autre grand centre du judaïsme hébreu, la persécution qui venait de décimer l'église de Jérusalem. Dans cette dernière ville elle avait pris, à ce qu'il paraît, d'assez grandes proportions, et cela non sans la coopération directe de notre jeune fanatique. Autrement, si sa part d'action s'était bornée à l'affaire d'Etienne, il n'aurait pas été amené plus tard, en parlant de ses premiers rapports avec l'Église, à se servir d'expressions aussi fortes que celles qui se lisent Gal. I, 13. Phil. I, 6. comp. Actes VIII, 3; IX, 21. Et les dangers auxquels les chrétiens de la Palestine furent exposés, par suite des mesures rigoureuses de la police, qui se hâtait de profiter de l'effervescence populaire si subitement poussée au paroxysme, doivent avoir été bien grands pour décider un nombre si considérable de personnes à prendre volontairement le chemin de l'exil (chap. VIII, 1; XI, 19).

C'est à cette mission de Damas que se rattache la conversion du fougueux pharisien. Il était parti de Jérusalem dans des dispositions hostiles, avec un sentiment de haine pour les sectateurs du Galiléen, et quelques jours après, à son arrivée, il se met en rapport avec les chrétiens de la localité, les rassure sur ses intentions, s'avoue vaincu, convaincu, gagné à l'Évangile, et leur donne des garanties à ce sujet. Que s'était-il passé? Comment expliquer cette soudaine révolution? On connaît le triple récit des Actes (chap. IX, XXII, XXVI), dont les données ont satisfait la science des siècles passés, tout aussi bien qu'elles ont déterminé la conception populaire de cet événement, sans contredit le plus important pour l'Église et ses destinées ultérieures, depuis la séparation de Jésus d'avec ses disciples. Nous n'y reviendrons pas ici; nous pouvons nous dispenser de rentrer dans une discussion, à l'égard de laquelle nos lecteurs connaissent notre sentiment par le commentaire sur le premier des trois passages que nous venons de citer. Nous nous bornerons à répéter que la conversion de Paul, après tout ce qui en a été dit de notre temps, reste toujours, si ce n'est un miracle absolu, dans le sens traditionnel de ce mot (c'est-à-dire un événement qui arrête change ou violemment le cours naturel des choses, un effet sans autre cause que l'intervention arbitraire et immédiate de Dieu), du moins un problème psychologique, aujourd'hui insoluble. L'explication dite naturelle, qu'elle fasse intervenir un orage ou qu'elle se retranche dans le domaine des hallucinations, s'attache exclusivement à ce qui est raconté d'un phénomène extérieur et visible, qui doit avoir amené ou marqué le moment de la crise; elle ne nous donne pas la clef de cette crise elle-même, qui a décidé la métamorphose du pharisien en chrétien. Nous Adresserons le même reproche à la conception traditionnelle. Elle aussi, ne visant qu'à sauvegarder la réalité de l’apparition et son caractère miraculeux, néglige complètement l'élément subjectif et ne songe pas à en rendre compte. Si nous n'avions que la relation des Actes pour nous orienter au sujet de cet incident, la science, de nos jours, se tirerait on ne peut plus aisément des difficultés qu'elle nous offre. Mais il y a bien un témoin plus important à entendre. L'affirmation réitérée de Paul (1 Cor. IX, 1; XV, 8; comp. Gal. I, 1, 15) prouve incontestablement que pour lui l'apparition était un fait objectif; et en ceci il faut d'autant plus s'en tenir à ses paroles, que ce fait n'était pas le seul de son genre dans son expérience personnelle. Il est souvent question de visions pareilles, soit dans sa biographie (Actes XVI, 6 suiv.; XVIII, 9; XXII, 17; XXIII, 11), soit dans ses propres écrits (Gai. II, 2. 2 Cor. XII, I suiv.). Il insiste sur ce que sa foi à l'Évangile n'a pas été le produit d'un enseignement humain, mais l'effet direct d'une révélation (Gal. I, 16). 

Tout son système théologique, comme nous l'avons démontré ailleurs pivote, pour ainsi dire, sur l'idée de l'instantanéité du changement qui doit se produire dans la direction de la vie de l'individu, et il est impossible de méconnaître que cette idée lui a dû être suggérée par une expérience intime et personnelle, de la nature de celle que racontent les Actes. Sa conversion s'est toujours présentée à son esprit comme l'effet d'une intervention divine, et ni sa mémoire ni sa réflexion n'y a reconnu la trace d'une préparation plus ou moins longue et lente. En vue de ces faits incontestables, que nous n'avons ni le droit ni les moyens de remplacer par de simples hypothèses, il y aurait de la témérité à ne voir dans l'événement que le concours d'un orage et d'une imagination exaltée. D'un autre côté, une théologie chrétienne saine et digne de ce nom, aura de la peine à se contenter de la conception vulgaire, qui consiste (si l'on ne veut pas se payer de mots) à se représenter un grand, un noble esprit, forcé, tout à fait malgré lui (Actes XXVI, 14), à renier son passé, à subir, sans la moindre participation personnelle, et en un clin d'œil, un changement radical dans ses idées et dans ses tendances. Et puis, ce n'est pas seulement la question de la liberté de l'homme qui est engagée ici; bien des philosophes et des théologiens en feraient bon marché. Mais il faut se demander si la conception traditionnelle ne revient pas à dire qu'il fallait des moyens matériels et violents pour assurer l'avenir de la cause de Dieu et de l'Évangile, laquelle autrement se serait trouvée gravement compromise. Rappelons enfin que l'apparition de Jésus, dont Paul affirme la réalité, est mise par lui absolument sur la même ligne que toutes celles dont lui avaient parlé les anciens apôtres. Il ne connaît aucune différence entre celles-ci et la dernière, et les explications, si claires et si précises, qu'il donne au sujet de la nature du corps des ressuscités (1 Cor. XV, 35 suiv.), achèveront de convaincre tout lecteur non prévenu, qu'en tout état de cause Paul lui-même s'est fait une autre idée de ce qui lui était arrivé sur le chemin de Damas, que celle qu'on s'en fait ordinairement. Si nous voulons bien peser tous ces éléments, nous conviendrons que, loin de faciliter l'explication psychologique de sa conversion, ils sont plutôt de nature à nous faire désespérer d'en venir à bout, et à nous convaincre qu'à cet égard, comme à l'égard de certains événements, plus importants encore, de l'histoire évangélique, il faut s'en tenir à l'appréciation des résultats, pour ne pas risquer de les perdre de vue à force d'en rechercher les causes.

L'histoire passe assez rapidement sur les premières années qui suivirent la conversion de Paul. Il faudra même avouer que les quelques données, dont nous disposons pour nous en rendre compte, ne se relient pas trop bien entre elles. D'après les Actes (chap. IX, 19 suiv.), le nouveau disciple resta à Damas, et se mît immédiatement à prêcher la foi qu'il avait persécutée naguère, et à étonner les Juifs par son brusque et inexplicable changement. L'effet de cette démonstration ne se fît pas attendre. On complota sa perte et le hardi novateur ne put se sauver qu'en se faisant descendre dans un panier par dessus le mur de la ville dont les portes étaient soigneusement gardées. Il se rendit à Jérusalem, où il fut reçu par les chrétiens avec une défiance bien naturelle. Ce fut Barnabas qui l'introduisit auprès des apôtres, en se portant garant de la sincérité de sa conversion. Mais quand Paul essaya de reprendre la controverse d'autrefois dans les synagogues des hellénistes, et en sens opposé, il souleva contre lui une telle tempête, qu'on se hâta de le faire partir pour sa ville natale. Quelque temps après, Barnabas vint le chercher, pour lui ouvrir la carrière de la prédication dans le sein de la communauté qui venait de se former à Antioche, la capitale de la Syrie," et qui, sous l'intelligence et courageuse direction de ces deux amis, devint bientôt le centre du mouvement chrétien.

Paul lui-même est rarement amené à parler de sa vie passée, de manière à donner des détails plus amples sur les incidents que nous venons de passer en revue. Une fois (2 Cor. XI, 32) il mentionne en passant sa fuite de Damas, avec des circonstances que Luc ne rapporte point. Il est un peu plus explicite dans le premier chapitre de l'épître aux Galates; mais c'est chose assez difficile de concilier ce que nous y lisons avec le récit des Actes. Car si nous nous en tenons à la lettre du sien, il ne serait pas question de prédications faites à Damas immédiatement après la conversion. Au contraire, le nouveau disciple aurait commencé par chercher la solitude pour se recueillir; il se serait rendu en Arabie, c'est-à-dire, sans doute, quelque part dans le voisinage de Damas, et de là, plus tard seulement, il se serait établi dans cette dernière ville. Ce n'est qu'après trois ans (à compter depuis la conversion? ou depuis le retour à Damas?) qu'il se serait rendu à Jérusalem, où il n'aurait vu que deux des chefs de l'Église, Pierre et Jacques, et n'y serait resté en tout que quinze jours, pour se rendre aussitôt en Syrie et en Cilicie.

On voit que ces deux relations présentent certains points de repère, et que le cadre des événements, pris en grand, est le même des deux côtés. Mais elles diffèrent pourtant assez notablement à plusieurs égards. Paul ne parle pas de dangers qui l'auraient forcé de changer de résidence à plusieurs reprises. Il affirme qu'à Jérusalem il n'eut aucune relation avec la communauté, son unique but dans ce voyage ayant été de faire la connaissance personnelle de Pierre. Encore moins y a-t-il là de la place pour les prédications de controverse dont parlent les Actes.

Nous pouvons passer sous silence un autre voyage de Jérusalem dont il est fait mention aux Actes, chap. XI, 30; XII, 25, et qui avait pour objet d'y porter le produit d'une souscription organisée à Antioche. Nous avons hâte d'arriver à un fait d'une importance incomparablement plus grande et dont l'honneur et le mérite revient à la même communauté. Il s'agit des missions en pays étrangers, au moyen desquelles la connaissance de l'Évangile devait et pouvait enfin se propager d'une manière suivie et régulière. Car, quoi qu'en dise la tradition légendaire, il n'existe aucune preuve matérielle de ce que les apôtres de Jérusalem aient pris à tâche, jusque là, d'entrer dans cette voie. Au contraire, les Actes (chap. XV) constatent leur présence dans la métropole, à une époque encore où, par les soins des disciples hellénistes, de nombreuses communautés avaient déjà été fondées en Syrie, dans différentes provinces de l'Asie mineure, et peut-être aussi à Alexandrie.

Ce furent Paul et Barnabas qui, les premiers, se chargèrent courageusement de cette œuvre si pleine d'avenir et si visiblement bénie par la Providence. La relation de leur premier voyage, des périls auxquels il exposait les missionnaires, des incidents variés qui tantôt assurèrent leurs succès, tantôt neutralisèrent leurs efforts, se lit au chap. XIII et XIV du livre de Luc. Ils se rendirent d'abord à l'île de Chypre, où ils prêchèrent dans plusieurs villes. De là, ils passèrent en Pamphylie, où le jeune Marc, le cousin de Barnabas, qui les avait accompagnés jusque là, se sépara d'eux, par des motifs à nous inconnus, mais désapprouvés par Paul (chap. XV, 38). Leur route ultérieure les conduisit successivement en Pisidie et en Lycaonie. Des noyaux d'églises se formèrent à Antioche (dans la première des deux provinces que nous venons de nommer), à Iconium, à Lystres, à Derbé. Contents des résultats de cette première entreprise, les deux apôtres revinrent dans la capitale de la Syrie, pour en rendre compte à leurs commettants.

C'est ici que le livre des Actes intercale un fait célèbre dans les annales de la primitive Église, la controverse relative à l'admission des Grecs non circoncis, dans le sein de la communauté chrétienne, avec la perspective de la participation au salut promis aux croyants, et que ceux de Jérusalem prétendaient n'être destiné qu'aux fidèles observateurs de la loi mosaïque. On sait que cette controverse motiva un nouveau voyage de Paul en Judée, et une entrevue quasi officielle avec les apôtres résidant dans la métropole, entrevue généralement connue sous le nom de la Conférence de Jérusalem, et que l'on s'est plu quelquefois à décorer du nom pompeux de premier concile. Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire d'entrer ici dans des détails sur ce fait, qui, de nos jours, a donné lieu à des discussions très animées et qui, plus que maint autre, a défrayé la critique. Le commentaire sur le quinzième chapitre des Actes, et celui sur le second chapitre de l'épître aux Galates, s'étendent suffisamment sur les récits des deux auteurs que nous pouvons confronter, et que beaucoup de nos contemporains regardent comme inconciliables. D'ailleurs, notre jugement sur cette question a été exposé au long dans un travail spécial, et résumé dans notre Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique, liv. III, chap. 4 et 5.

Bientôt après son retour à Antioche, Paul, qui avait reconnu que sa vraie vocation n'était pas de se renfermer dans le cercle étroit d'une localité où ses services n'étaient pas absolument nécessaires, entreprit un nouveau voyage de mission, qui devait élargir sa sphère d'activité dans une proportion jusqu'alors inconnue. Il choisit pour compagnon un disciple nommé Sylvain (Silas), et s'associa de plus, en route, dans l'une des communautés précédemment organisées, le jeune Timothée, qui devint bientôt son pupille chéri et marcha sur les traces de son maître avec autant d'intelligence que de dévouement. Après avoir visité les contrées parcourues lors du premier voyage, les missionnaires traversèrent l'intérieur de l'Asie mineure, pour déboucher par l'angle nord-ouest de la grande presqu'île et de là se rendre en Macédoine (Actes XVI). La ville de Philippes fut la première station européenne où ils s'arrêtèrent. Leur prédication y eut des résultats très heureux, mais elle leur valut aussi une persécution de la part de la populace et de la police locale, qui les maltraitèrent à l'envi. Les apôtres furent obligés de quitter la ville, mais l'Évangile y avait déjà pris racine, et la communauté de Philippes resta l'une des plus fidèlement attachées à la personne de son fondateur. C'est même à elle que se rattache la dernière trace de l'existence de Paul, avant qu'il disparaisse de la scène de l'histoire authentique. En continuant sa route à travers la Macédoine, il arriva à Thessalonique, où nous le laisserons pour le moment. La suite de sa biographie se combinera plus commodément avec l'étude des épîtres mêmes, que nous ferons passer, à cet effet, sous les yeux de nos lecteurs, dans l'ordre chronologique de leur composition.

Mais avant d'aborder cette partie essentielle de notre tâche, nous devons joindre encore à ce qui vient d'être dit, quelques considérations générales sur l'œuvre littéraire de l'apôtre. Le besoin de rester en rapport avec les églises qu'il avait fondées, a dû bientôt lui suggérer l'idée de ces communications épistolaires qui furent les débuts de la littérature chrétienne, et qui provoquèrent ultérieurement des imitations nombreuses et variées, mais restant plus ou moins au dessous de leurs modèles. Nous pensons que la correspondance de Paul a dû être de plus en plus active; ni les occasions, ni la matière, ni la bonne volonté ne lui faisaient jamais défaut. Pour arriver à cette conclusion, on n'a qu'à bien peser le passage de la seconde épître aux Corinthiens, chap. XI, 28. Il est positif que toutes les lettres qu'il a écrites ne nous sont pas parvenues (Voyez 1 Cor. V, 9, 2 Cor, X, 9 suiv., et l'Introduction à cette épître. Comp. aussi Col. IV, 16.) et les malheurs du temps, les persécutions, le peu de consistance des matériaux sur lesquels on écrivait, n'expliquent que trop bien les pertes que nous signalons ou que nous entrevoyons (Les lecteurs français n'ont qu'à se demander ce que sont devenus, en France, les ouvrages de leurs réformateurs, qui pourtant étaient imprimés, et surtout leurs lettres, qui ne l'étaient pas.). D'un autre côté, il est hors de doute qu'il a reçu, lui aussi, un bon nombre de lettres, qui toutes ont disparu (Voyez 1 Cor. VII, 1. Phil. IV, 10, etc.). Quoi qu'il en soit, ce qui nous en est resté constitue, avec les souvenirs relatifs à la personne de Jésus, que nous ont conservés les évangiles, la partie la plus importante de notre recueil sacré.

Nous disons donc que tous les écrits de Paul que nous possédons ont non seulement la forme épistolaire, mais sont de véritables lettres adressées à des lecteurs déterminés, à des localités particulières (L'auteur lui-même signale ce caractère en plusieurs endroits: Rom. XVI, 2S. 1 Cor. V, 9. 2 Cor. VII, 8; X, 9 suiv. Col. IV, 16. 1 Thess. V, 27. 2 Thess. II, 15, etc.). On pourrait les désigner par le nom général de lettres pastorales, l'apôtre s'y occupant toujours de la situation religieuse et ecclésiastique des communautés auxquelles il écrit, et dont il avait été antérieurement le pasteur ou directeur spirituel, ou avec lesquelles il désirait se mettre dans un rapport analogue. Cependant nous ne nous servirons pas de cette désignation, par la raison qu'elle a été de nos jours appliquée de préférence à ceux de ces écrits dans lesquels l'auteur donne des instructions, non aux églises, mais aux ministres placés à leur tête. Du reste, il y a entre elles une différence assez notable, en ce sens, que toutes ne sont pas destinées à des communautés uniques ou isolées; il y en a plusieurs (celles aux Galates, aux Éphésiens, et la deuxième aux Corinthiens), qui sont des encycliques, et qui devaient circuler dans les églises d'une province, rattachées sans doute les unes aux autres par d'autres liens encore que ceux de la position géographique. Enfin nous en rencontrons aussi qui sont adressées à des individus. La plupart d'ailleurs, comme cela résulte déjà de ce qui vient d'être dit de leur destination, sont des œuvres de circonstance, dont l'origine tient à des rapports spéciaux, à des faits contingents. Il n'y en a que deux, à vrai dire (celles aux Romains et aux Éphésiens), qui aient été composées dans un but essentiellement didactique, sans exclure cependant d'une manière absolue les relations locales et personnelles.

Quant à l'authenticité des documents qui nous sont parvenus sous le nom de Paul, elle ne saurait plus, dans l'état actuel de la critique, se discuter comme autrefois, de manière à les considérer comme un tout indissoluble, et dont tous les éléments pourraient être ou suspectés ou défendus en bloc. Ceux auxquels le doute a pu s'attacher avec une certaine apparence de raison, ne peuvent pas jeter un jour défavorable sur les autres, et ceux qui sont élevés au dessus de toute ombre de soupçon ne couvrent pas par cela même ceux à l'égard desquels on peut hésiter. La question critique doit être posée et vidée dans les introductions spéciales.

Malgré la diversité des occasions et des besoins qui ont donné naissance à ces épîtres, et la variété des sujets qui y sont traités, elles se ressemblent pourtant beaucoup à certains égards, notamment en ce qui concerne la méthode, la disposition des matières. Elles commencent à peu près régulièrement, après les formules plus pu moins solennelles de salutation, par l'expression de la reconnaissance due à Dieu pour le bienfait de la révélation évangélique, pour les effets salutaires que la prédication a déjà produits, soit en général, soit dans la sphère particulière dont il s'agit, et pour les progrès que les lecteurs ont fait dans la foi et dans la charité. Ensuite l’apôtre aborde les vérités théologiques qu'il importe pour le moment d'affirmer et d'élucider; il y rattache, selon le cas, des exhortations amicales et paternelles, ou des avertissements sérieux et des réprimandes sévères. De cette manière ces épîtres se divisent assez facilement en une partie théorique ou dogmatique, et en une partie pratique ou morale. Enfin, il termine par des affaires d'une nature plus privée, des nouvelles, des commissions, des recommandations, des salutations personnelles et des vœux. Cependant toutes les épîtres ne présentent pas absolument le même cadre. Car ni les motifs qui mettent la plume à la main de l'auteur, ni la vivacité de son esprit et la richesse de ses idées, n'amènent ni ne permettent une trop grande uniformité. Les épîtres aux Romains, aux Galates, aux Éphésiens, aux Colossiens, peuvent servir comme exemples de la méthode que nous venons d'esquisser. Dans la seconde aux Corinthiens, dans la première aux Thessaloniciens, dans celle aux Philippiens, l'élément didactique ne s'accuse pas aussi explicitement, il est plutôt rejeté sur le second plan ou s'efface même tout à fait, pour céder la place à l'exposé des préoccupations personnelles de l'auteur. La première aux Corinthiens, l'une des plus intéressantes au point de vue de l'histoire de l’Église primitive, a dû recevoir une forme particulière, parce qu'elle dépend moins de l'initiative de l'apôtre, que des communications qui lui avaient été faites de la part des destinataires, tant sous forme de renseignements transmis, que par des questions proposées.

Quel que soit d'ailleurs le degré de ressemblance qu'on peut constater entre tous ces documents, elle ne porte nulle part le cachet de l'imitation servile, laquelle, par elle seule, serait un motif légitime de soupçonner une fraude littéraire. Il y a même lieu de dire que la critique, en multipliant les cas où elle se croyait autorisée à suspendre son jugement ou à nier l'authenticité d'une pièce, a rendu sa tâche plus difficile et ses résultats moins vraisemblables, en ce qu'elle s'est vue obligée d'augmenter le nombre des écrivains qui auraient pris le masque de Paul, et qui auraient eu le rare talent de reproduire leur modèle sans le copier.

On a dit que le style, c'est l'homme. Si cet adage, devenu un lieu commun, ne se justifie pas toujours et partout, certes il est impossible d'en contester la vérité à l'égard de notre auteur. Ordinairement il débute par des phrases on ne peut plus embarrassées où, à force de parenthèses et d'intercalations, le lecteur a delà peine à retenir le fil des idées, et qui mettent le traducteur au désespoir. Mais dès qu'il a trouvé la bonne veine, combien son style n'est-il pas le fidèle miroir de son individualité! Nous l'avons dit à une autre occasion (Hist, de la théol. chrét. au siècle apostolique, 3e éd., t. II, p. 11 suiv.): il n'est ni correct, ni classique; il lui manque la cadence sonore, qui distingue l'épître aux Hébreux, et le fini de la diction, qui établit une parfaite harmonie entre la pensée et la forme qu'elle revêt. Telle est la concision et la hardiesse des combinaisons syntactiques, qu'on épuise rarement le sens à la simple lecture; généralement ces textes réclament une étude sérieuse et soutenue. Des phrases non terminées, des ellipses plus ou moins difficiles à remplir, des omissions de membres dans les comparaisons Ou dans les syllogismes qui déroutent la logique des exégètes, des énumérations riches de détails, des tableaux qui trahissent une connaissance approfondie de la nature humaine, des figures de rhétorique de toute espèce, expriment tour à tour les dispositions d'un esprit vif et cultivé, les affections d'une âme sympathique, et des sentiments dont la plume est beaucoup trop lente à suivre les transports. Des métaphores élégantes empruntées à la nature vivante et inanimée, aux relations civiles comme aux rites sacrés, et s'allongeant quelquefois en spirituelles allégories, témoignent d'une imagination brillante et féconde en ressources. Des antithèses paradoxales, des gradations pleines d'effet, des questions pressantes, des exclamations passionnées, des ironies qui terrassent l'opposition, une vivacité, enfin, qui ne permet aucun repos au lecteur, tout cela alterne avec des épanchements naïfs et touchants qui achèvent de gagner le cœur.

Il ne faut pas oublier surtout que c'est Paul qui a imprimé à l'idiome hellénistique son caractère chrétien particulier, et qu'il a été en quelque sorte le créateur du langage théologique de l'Église. On ne se fait pas d'idée des difficultés qu'il eut à vaincre sur ce terrain. Le vocabulaire religieux qu'il avait à sa disposition était on ne peut plus pauvre, et souvent il n'est parvenu à triompher de cette gêne, qu'en logeant dans un seul mot tout un monde d'idées; que l'exégèse a bien de la peine quelquefois à en retirer intactes, et que l'école n'a que trop souvent mises en lambeaux ou tuées tout à fait, en voulant les dégager de leur enveloppe.

Nous devrions encore faire entrer, dans cette introduction générale, un aperçu du système théologique de l'apôtre Paul, de ce qu'il appelle son évangile. Mais comme nous nous sommes acquittés de cette tâche, d'une manière très complète, dans l'ouvrage cité tout à l’heure, nous estimons qu'il est superflu de nous y arrêter ici, et que le commentaire dont nous accompagnerons les textes, suffira pour orienter nos lecteurs dans cette partie capitale de leurs études.

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