Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE À TITE

Chapitre 1

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1 Paul, serviteur de Dieu, et apôtre de Jésus-Christ, pour la foi des élus de Dieu et la connaissance de la vérité religieuse, basées sur l'espérance de la vie éternelle que le Dieu qui ne ment point a fait annoncer d'avance depuis un temps immémorial (lequel a aussi révélé sa parole à l'époque choisie par lui, au moyen de la prédication qui m'a été confiée par ordre de Dieu notre sauveur), à Tite, mon fils légitime relativement à notre commune foi, grâce et paix de la part de Dieu le père et de Jésus-Christ notre Sauveur!

I, 1-4. Ce préambule, dont les idées se dégagent assez difficilement de leur forme lourde et embarrassée, comme c'est d'ailleurs le cas dans presque toutes les épîtres de Paul, nous paraît d'autant plus traînant et singulier qu'il s'adresse à un ami intime, qui n'avait nullement besoin d'être éclairé sur la nature de l'apostolat, ni convaincu de la mission personnelle de Paul. La solennité du ton est donc de nature à nous surprendre. Voyez à ce sujet ce qui a été dit dans l'Introduction.

Les phrases sont en partie assez obscures pour avoir pu recevoir des interprétations différentes. Voici le sens qu'exprime notre traduction: Paul, en sa qualité d'apôtre, a reçu la mission de travailler à ce que ceux que Dieu a élus, acceptent aussi la foi et deviennent croyants, et arrivent à la connaissance de la vérité religieuse (évangélique), litt.: à la vérité qui est relative à la piété (et non à tel autre ordre de faits qui pourrait être l'objet d'un enseignement). L'élection est le fait de Dieu, antérieur à l'existence même des individus; elle se réalise objectivement dans ceux-ci au moment où, par suite de la prédication de l'Évangile, chacun à son tour ressent en lui-même l'effet de sa vocation.

La foi et la connaissance de la vérité sont basées, à leur tour, sur l’espérance de la vie éternelle, dans un double sens: 1° Cette espérance a été prêchée longtemps avant l'Évangile par les prophètes, et est ainsi devenue le point de départ des aspirations religieuses parmi les hommes. Cela est surtout vrai quand on se rappelle combien les croyances messianiques des Juifs ont préparé le terrain à l'Évangile. 2° Cette même espérance est, en sa qualité de promesse permanente, une espèce de sanction pour la foi, un élément inséparable de celle-ci (comp. Rom. I, 1, 2. 1 Cor. II, 7. Eph. III, 5, etc.). C'est surtout par la phrase que nous avons mise en parenthèse, pour mieux faire ressortir le rapport des idées entre elles, que l'on voit que l'auteur distingue ici la révélation récente, faite à un moment choisi de l'histoire et devant être définitive et complète, de ces promesses préalables et antiques qui n'indiquaient clairement que le but de Dieu, et non encore son plan et ses moyens, mais qui n'en étaient pas moins sûres et positives, puisqu'elles venaient de la bouche d'un Dieu véridique.

Nous relevons en passant le terme de Sauveur appliqué à Dieu. Ce terme ne se trouve que dans les épîtres à Tite et à Timothée, bien que l'idée qu'il énonce se rencontre aussi ailleurs (1 Cor. I, 21). Comme le même terme est aussi appliqué à Christ, auquel il est resté de préférence dans le langage chrétien, il y aura tel passage où l'on peut hésiter à l'égard du choix de la personne désignée par l'auteur, tandis qu'ailleurs il est clair qu'il n'a pas entendu réserver ce titre à l'une des deux seulement (Tite III, 4 suiv.). Cependant il sera juste de dire qu'il revient plus fréquemment pour Dieu le père. Et le Dieu sauveur de notre texte est positivement le père, car c'est toujours au père que Paul fait hommage de sa mission (I Cor. I, 1. 2 Cor. I, 1. Eph. I, 1. Col. I, 1).

Tite est le fils de Paul, relativement à la foi qu'ils professent tous les deux, et que l'un a reçue de l'autre; comme ailleurs Timothée (1 Cor. IV, 17) est son fils dans le Seigneur, c'est-à-dire son fils spirituel, son disciple dans l'Évangile. Et il est fils légitime, en tant que ce lien religieux, qui leur est commun, n'est altéré par aucun élément étranger et discordant.

5 C'est pour cela que je t'ai laissé en Crète, afin que tu arrangeasses ce qui restait à faire, et que tu établisses dans chaque ville des Anciens, comme je te l'avais recommandé, si quelqu'un est irréprochable, mari d'une seule femme, ayant des enfants chrétiens, et qui ne soient pas insubordonnés ou signalés comme menant une vie dissolue. Car le chef de la communauté doit être irréprochable, en sa qualité d'intendant de la maison de Dieu; point arrogant, ni emporté, ni ivrogne, ni violent, ni avide de lucre; mais hospitalier, aimant à faire le bien, sage, juste, saint, sobre, attaché à la parole authentique, selon qu'elle a été enseignée, de sorte qu'il puisse aussi donner l'instruction dans la saine doctrine et réfuter les contradicteurs.

I, 5-9. Les Anciens sont plusieurs fois mentionnés dans les Actes, comme chefs et directeurs des communautés chrétiennes; il en est aussi question dans les épîtres de Pierre (chap. V, 1) et de Jacques (chap. V, 14); jamais dans celles de Paul, à l'exception du passage que nous avons sous les yeux et d'un autre au 5e chapitre de la l re à Timothée. Le nom et la charge sont empruntés à la Synagogue. Dans les églises grecques on substitua dès l'abord, à ce qu'il paraît, à ce nom d'origine juive, un nom grec, episcopos, le surveillant, l'inspecteur, lequel est employé, dans les écrits apostoliques, comme synonyme de l'autre (comp. Act. XX, 17 et 28. 1 Pierre V, 1 et 2. Tite I, 5 et 7), de manière que ces écrivains s'en servent alternativement en parlant des mêmes personnes. Ce dernier nom se rencontre aussi dans l'épître aux Philippiens I, 1. Leur nombre, dans chaque localité, paraît avoir été indéterminé, et notamment on ne peut pas prouver qu'il n'y en ait eu, dès le commencement, qu'un seul à la tête de chaque église (Jaq. et Actes, 1. c). C'est de ces noms de presbyters et episcopes, que se formèrent ceux de prêtres et d’évêques, mais la notion qui s'attachait à ces termes, à partir du second siècle, était encore étrangère au premier.

Parmi les qualités que l'apôtre demande au chef de la communauté, il y a aussi celle qu'il soit mari d'une seule femme (comp. 1 Tim. III, 2). Comme la polygamie n'était plus dans les mœurs des Juifs, et n'avait jamais été dans celles des Grecs, il est impossible de songer à elle à cette occasion. Ce serait d'ailleurs chose singulière qu'un apôtre défendît à quelques-uns seulement ce qu'il aurait dû défendre à tous, si le besoin d'une pareille défense s'était fait sentir quelque part; tandis que les autres vices et défauts, mentionnés ici comme devant être absolument étrangers aux Anciens, sont signalés ailleurs comme incompatibles avec les principes chrétiens en général. Mais tout aussi peu l'auteur aura parlé ici de la débauche dans le sens ordinaire du mot, bien que cela ait été une recommandation très nécessaire et reproduite fréquemment dans les épîtres de Paul. Car toutes les fois qu'il vient à toucher ce point, il se sert d'expressions propres, simples et directes. La phrase: être le mari d'une seule femme, pour dire: ne pas vivre dans le concubinage, aurait quelque chose d'étrange sous la plume d'un moraliste sévère, et rappellerait plutôt les équivoques plus ou moins inconvenantes du langage moderne, cela se voit surtout quand on compare la phrase correspondante (1 Tim. V, 9): la femme d'un seul mari, par laquelle l'auteur indique l'une des qualités qu'il exige d'une personne qui doit être, le cas échéant, assistée par la communauté. Gomment s'imaginer qu'il ait choisi une pareille expression pour dire qu'une personne ne s'est jamais écartée des devoirs de la chasteté, lui dont le vocabulaire était pourtant assez riche pour nommer les choses par leur vrai nom! Il n'y a donc pas à hésiter, il est question ici de faire la part à l'opinion publique qui (chez les Grecs) jetait une certaine défaveur sur le second mariage. Nous savons que Paul ne l'interdisait pas d'une manière absolue (1 Cor, VII, 9, 39. 1 Tim. V, 14), mais il ne le désire pas non plus (1 Cor. VII, 8), et comme le public, même dans la société païenne, partageait à cet égard ses scrupules, il n'est pas étonnant qu'on ait exigé que ceux du moins qui devaient servir de modèles aux autres, ne pussent pas être exposés à des reproches, même exagérés. Il y a bien des choses dont les directeurs spirituels des églises doivent s'abstenir, bien qu'elles ne soient pas blâmables en elles-mêmes et d'une manière absolue. L'église grecque a maintenu rigoureusement jusqu'à nos jours la règle établie ici, et au siècle passé un mouvement très prononcé dans le même sens a eu lieu en Angleterre, comme doivent se le rappeler les lecteurs du Vicar of Wakefield.

Les autres qualités mentionnées dans le texte n'ont pas besoin d'explication. Les trois épithètes de juste, saint, sobre, représentent à peu près ce que la morale moderne appelle les devoirs envers le prochain, envers Dieu et envers soi-même (comp. chap. II, 12). L'église étant la maison de Dieu (1 Tim. III, 15. 1 Cor. III, 10), celui qui la dirige et en surveille les intérêts, moraux ou matériels, remplit une charge analogue à celle de l’intendant (1 Cor. IV, 1) ou économe. L'allégorie se reproduit chez Paul sous plusieurs formes, et l'on peut dire que c'était une de ses images favorites à cause de ses applications variées: aussi bien a-t-elle été conservée dans le langage homilétique.

Enfin notre texte fait ressortir, comme une dernière qualité essentielle, l'attachement à l'Évangile tel qu'il a été prêché d'abord par l'apôtre, et le talent d'enseignement, tant positif et direct, à l'usage des fidèles, que négatif et polémique, pour écarter les erreurs. L'auteur se trouve évidemment en face d'un état de choses, où les opinions commençaient à se séparer, où les controverses formaient déjà un élément notable de la vie ecclésiastique. Il parle donc d'une doctrine saine, en opposition avec toute doctrine malsaine, et menaçant de faire manquer son but à l'Évangile.

10 Car il y a beaucoup de hâbleurs insubordonnés et de trompeurs, surtout ceux de la circoncision, auxquels il faut fermer la bouche; des gens qui mettent le désordre dans des familles entières, en enseignant ce qui est hors de propos, en vue d'un gain honteux. Un des leurs, leur propre prophète, a dit: «Les Crétois sont toujours menteurs, méchantes bêtes, ventres paresseux.» C'est là un témoignage conforme à la vérité. Par cette raison, reprends-les vertement, afin qu'ils s'en tiennent à une foi saine, et ne prêtent pas l'oreille à des contes judaïques et à des commandements d'hommes qui se détournent de la vérité. Tout est pur pour ceux qui sont purs, mais pour ceux qui sont souillés et incrédules, rien n'est pur; au contraire, leur intelligence et leur conscience sont souillées: ils prétendent connaître Dieu, mais ils le renient par leurs œuvres, étant détestables et rebelles, et incapables de toute bonne œuvre.

I, 10-16. Comme nous avons dû longuement parler dans l'Introduction de la nature et de l'objet de la polémique des épîtres à Tite et à Timothée, et essayer de déterminer le genre d'erreurs ou de désordres que l'auteur s'empresse de combattre, nous nous bornerons ici à quelques observations de détail.

La citation tirée d'un poète grec et relative au caractère des Crétois, présente une certaine difficulté. Les pères de l'Église nous disent bien que le vers hexamètre, reproduit ici, appartient à un ancien sage ou philosophe contemporain de Thalès et de Solon, Épiménide, que les Grecs eux-mêmes auraient appelé un prophète. On s'est demandé comment Paul a pu avoir connaissance d'un auteur aussi ancien? Mais il est fort possible que c'était un dicton proverbial attribué communément à une ancienne et respectable autorité; et il est naturel de supposer que l'auteur l'ait recueilli quelque part dans la bouche du peuple et que l'épithète de prophète qu'il accorde à l'auteur présumé, signifie simplement qu'il adhère, pour sa part, au jugement qui y est exprimé. Mais ce qui est moins naturel, c'est qu'il applique, lui, à des Juifs, ce qui se disait des nationaux et que dans cette application faite d'abord (v. 13) aux hâbleurs et trompeurs, il passe (v. 14) sans autre transition à ceux qui sont les dupes de ces gens.. Car évidemment ceux auxquels on doit fermer la bouche, ce sont ceux qui débitent les contes judaïques, etc., et ceux qu'on exhortera à, ne point écouter les commandements d’hommes qui se détournent de la vérité, ce sont les chrétiens qui doivent être prémunis contre les séducteurs. Il en résulte que la phrase: reprends-les vertement, etc., a en vue les chrétiens crétois en général et non les faux docteurs.

Les dernières lignes de ce morceau s'expliqueront facilement dès qu'on maintient que les commandements d’hommes sont des règles ascétiques, prescrites comme absolument nécessaires au point de vue religieux, par des hommes qui déplaçaient ainsi le centre de gravité de l'Évangile, en attribuant à la forme une valeur qu'elle ne pouvait avoir. On prescrivait comme illicites des choses indifférentes en elles-mêmes et on inquiétait les consciences pour des devoirs imaginaires, relatifs surtout au choix des mets et à d'autres abstinences volontaires. L'essentiel est que le cœur soit pur; là où cette condition fondamentale est remplie, il ne saurait y avoir d'impureté résultant de pratiques purement extérieures et conventionnelles (comp. 1 Cor. VIII; X. Rom. XIV; XV). Ces dernières sont prisées de préférence par ceux qui n'ont pas la pureté véritable; mais il est certain, que la souillure intérieure, celle de l'intelligence et de la conscience, c'est-à-dire Terreur morale, soit théorique, soit pratique, exerce une influence corruptrice sur la vie entière, de sorte que même dans les choses autrement indifférentes, on est amené à des actes contraires au devoir. La vertu d'un homme au cœur pur ne sera pas compromise par une certaine liberté dans les choses indifférentes; tandis que celui dont le cœur est corrompu, est exposé à pécher même dans les jouissances permises. En général, la théorie (connaître Dieu) n'a aucune importance; il s'agit de savoir ce que vaut la pratique.

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