Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PHILIPPIENS

Chapitre 2

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1 Or donc, s'il est quelque exhortation en Christ, quelque parole pressante d'amour; s'il y a quelque communauté d'esprit, quelque affection et compassion, rendez ma joie parfaite en vivant en bonne intelligence, animés du même amour, unis de cœur et de sentiment, sans jamais agir par esprit de parti ni en vue d'une vaine gloire, mais en vous regardant en toute humilité réciproquement l'un l'autre comme lui étant supérieur, et songeant chacun, non à ses propres intérêts, mais à ceux des autres.

5 Soyez animés du même sentiment dont était animé le Christ Jésus, lequel, existant dans une condition divine, ne regarda pas cette égalité avec Dieu comme une chose à retenir avec force, mais se dépouilla lui-même pour prendre la condition d'un esclave, en devenant semblable aux hommes et se montrant comme tel dans toute son apparition; il s'humilia lui-même et fut soumis jusqu'à la mort, voire la mort sur la croix. C'est aussi pour cette raison que Dieu l'a élevé au plus haut degré, et lui a octroyé un nom au-dessus de tout autre nom, afin qu'au nom de Jésus fléchissent tous les genoux, au ciel, sur terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire, de Dieu le père!

II, 1-11. En insistant plus particulièrement sur l'esprit de paix et de concorde qui doit animer une communauté chrétienne, et qui ne saurait être mieux consolidé que par l'absence de tout égoïsme et par le dévouement des uns pour les autres, l'apôtre fait valoir successivement deux considérations, dont la première n'est qu'indiquée en passant. D'abord il les conjure de lui faire du plaisir à lui-même, qui croit avoir bien mérité d'eux; il fait un appel à leur affection, à leur compassion même, parce que sa position actuelle est assez pénible; il leur parle de la communauté d'esprit qui les unit à lui, en tant que tous les fidèles doivent être dirigés par l'esprit de Dieu; enfin il fait valoir, à ce même effet, tout ce qu'il peut trouver de paroles pressantes et d'exhortations propres à faire de l'impression sur eux et à vivifier l'attachement qu'ils lui ont toujours porté. Mais il s'arrête avec complaisance sur une autre considération, à laquelle il consacre le reste du morceau que nous venons de transcrire; c'est l'exemple de Jésus-Christ.

Nous abordons ici un passage célèbre, en quelque sorte unique en son genre dans tout le Nouveau Testament, quoique ailleurs on trouve des idées analogues, mais autrement formulées. La théologie de l'Église s'en est emparée pour y asseoir le dogme du double état de Christ (status duplex), l'état d'inanition et l'état d'exaltation, comme elle les appelle; mais les exégètes calvinistes et luthériens n'ont pu s'accorder sur la véritable portée des différents éléments du texte, sans compter les nombreuses interprétations données par des commentateurs anciens ou modernes, qui, étant divisés sur le fond même du dogme, ont essayé d'appuyer leurs opinions particulières sur la valeur vraie ou imaginaire de l'un ou de l'autre terme. Mais si l’on examine ce passage sans préoccupation dogmatique, et surtout sans prétendre extorquer à l'apôtre des réponses à des questions subtiles et scolastiques, que son siècle n'entrevoyait .pas même, le sens sera facile à constater, très simple et parfaitement approprié à la circonstance.

Ce que Paul demande aux Philippiens, c'est de ne pas prendre en considération exclusivement leurs intérêts propres, de ne pas songer à faire valoir de préférence leurs droits personnels, mais de subordonner les uns et les autres aux intérêts et aux besoins de leurs frères. Il ne conteste pas le moins du monde la légitimité de ces droits personnels, la réalité du mérite ou de la valeur de n'importe quel membre de l'Église, mais il affirme qu'au point de vue chrétien, ce n'est pas sur cette base que doivent se constituer les relations sociales; ce n'est pas d'après ce point de vue que doit se mesurer le devoir. Chacun doit agir, au contraire, comme si l'autre était son supérieur, le plus méritant, le plus digne d'intérêt. Et c'est précisément là, dit-il, ce que le Christ a fait aussi, et il ne l'a pas seulement fait comme un homme à côté d'autres hommes, rapproché d'eux par une égalité naturelle; il l'a fait, lui, quoique placé par sa nature, son origine, sa condition propre, à une immense distance des mortels et au-dessus d'eux. Cela ne l'a pas empêché de se dévouer à leur service, de renoncer volontairement à toutes ses prérogatives (que personne ne pouvait lui contester, tandis que celles des hommes sont quelquefois fort contestables); d'aller dans la pratique de ce dévouement jusqu'à la limite extrême, non pas seulement de ce que l'on peut demander, mais de ce qui est matériellement possible, c'est-à-dire jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort la plus horrible et la plus ignominieuse qu'on puisse imaginer.

Cette exposition a pour prémisse la conviction que le Christ Jésus n'a pas été un simple mortel comme nous autres, parce qu'il est dit clairement, qu'il a dû s'humilier, s'abaisser, pour devenir semblable aux hommes, qu'il a dû se dépouiller de quelque chose pour se placer sur le même niveau que ces derniers, qu'il a dû quitter une condition (litt.: une forme d'existence) divine, c'est-à-dire antérieure à sa vie terrestre, et supérieure à celle de l'humanité, pour accepter une condition d'esclave, c'est-à-dire la plus infime que le monde connaisse. C'est à ce prix qu'il a pu faire ce qu'il a fait; et il n'a pas reculé devant un si grand sacrifice. Il aurait pu retenir avec force, saisir avec avidité, ce qui lui appartenait naturellement, s'y cramponner, pour ne pas le lâcher (le terme grec est à dessein choisi de manière à exprimer une idée de violence et d'obstination); mais il n'en a rien fait; obéissant à la voix de Dieu, qui lui donna la mission de sauver les hommes, il se soumit et accomplit cette œuvre, dont maintenant une parcelle minime, incomparablement plus facile et moins douloureuse, revient à chacun de nous.

Voilà tout ce que Paul dit. Il n'y a rien de plus dans ce texte; rien sur le problème métaphysique de l'union des deux natures, rien sur la question de la consubstantialité, rien sur celle de savoir si le fils de Dieu, en devenant homme, a simplement caché ses attributs divins, ou s'il y a momentanément renoncé. Toutes ces questions, et d'autres analogues, ont été longuement agitées et diversement résolues dans les écoles chrétiennes de tous les âges et de tous les partis. Elles ont leur raison d'être, dès que la prémisse est posée, et nous ne disconvenons pas que telle solution sera plus logique que telle autre. Mais nous affirmons que Paul n'y a pas songé, et qu'en tout cas il ne les a pas décidées.

Il ajoute quelques lignes que nous ne devons pas perdre de vue. L'exemple de Christ est encore proposé aux Philippiens dans un autre but. Il n'y a pas là un devoir seulement, il y a aussi la perspective d'une récompense. C'est en récompense de ce qu'il a accompli en se soumettant, que le Christ a été élevé, qu'il occupe désormais une place prééminente entre toutes, qu'il a été élevé à une dignité devant laquelle s'incline l'univers tout entier, les morts et les vivants, les anges et les mortels, et au-dessus de laquelle (1 Cor. III, 23; XI, 3) il n'y a que celle de Dieu, le père, à la plus grande gloire duquel l'œuvre de Christ a dû aboutir, parce qu'il en est le vrai auteur et promoteur. Les théologiens scolastiques feront bien de méditer cette idée d'une récompense décernée par Dieu le père à celui qui a été le sauveur de l'humanité.

12 Ainsi, mes bien-aimés, comme vous avez toujours été soumis, travaillez à votre salut avec crainte et humilité, non pas comme si cela devait être en ma présence seulement, mais bien plus aujourd'hui en mon absence. Car c'est Dieu qui opère en vous et la volonté et l'action, pour son plaisir. Faites tout sans murmurer et sans hésiter, afin de devenir irréprochables et purs, des enfants de Dieu sans tache, au milieu d'une génération perverse et corrompue, parmi laquelle vous apparaissez comme les astres dans le monde, retenant la parole de vie, en sorte que je puisse me glorifier au jour de Christ, parce que je n'aurai pas en vain parcouru ma carrière, ni travaillé en vain. Mais dussé-je verser mon sang comme une victime immolée pour le service de votre foi, je m'en réjouirai, je me réjouirai avec vous tous! Et vous aussi, réjouissez-vous de même, réjouissez-vous avec moi!

II, 12-18. L'exhortation se termine par quelques pensées plus générales, en signalant la haute vocation du chrétien dans le monde qu'il doit éclairer par ses principes et ses enseignements, et plus encore par son exemple (Matth. V, 14 ss.). Cette péroraison se rattache à ce qui avait été dit immédiatement auparavant, par l'invitation à la soumission, dont le Christ avait donné l'exemple. Or, comme ce dernier s'était soumis à la volonté de Dieu, il s'ensuit que l'apôtre ne veut pas parler ici de la déférence qu'il pouvait réclamer pour sa personne et ses ordres, ou de la discipline ecclésiastique, mais bien de la disposition des fidèles à se laisser diriger, par l'esprit de Dieu, dans la voie du salut.

Car tout en encourageant ses lecteurs à travailler à leur salut, à veiller sur eux-mêmes, à résister à la tentation, à être attentifs à leurs devoirs, à persévérer dans les bonnes résolutions (tout cela réclamant de leur part une certaine énergie, un déploiement de force morale), il a soin de leur rappeler que la meilleure part, dans leurs aspirations comme dans leurs succès, revient à Dieu, qui donne l'impulsion première, soutient les forces et bénit les efforts qu'ils peuvent et doivent faire pour son plaisir, c'est-à-dire pour lui plaire (et non pas: qui opère selon son plaisir, comme s'il s'agissait ici de la prédestination). Aussi ce travail doit-il se faire avec crainte et humilité, parce qu'on doit toujours se souvenir de la faiblesse naturelle de l'homme et du besoin qu'il a de l'assistance divine.

En terminant, Paul fait un retour sur lui-même; il se représente d'abord avec bonheur le moment suprême où il arriverait à jouir de la plus haute récompense qui puisse échoir à un apôtre, celui de voir, au jour du jugement, ses disciples reconnus et agréés par le Seigneur, et par cela même sa propre fidélité, dans l'accomplissement de sa mission, constatée par celui qui la lui avait confiée. Puis, de cette perspective brillante, mais idéale, il revient aux réalités plus sombres de la vie présente; il entrevoit la possibilité d'une issue fatale de son procès; mais loin de se laisser accabler par les ennuis de sa position, il retrouve aussitôt la sérénité habituelle de son esprit, et l'héroïsme de son dévouement triomphe sans peine d'une émotion passagère et tend à se communiquer à ceux qui l'écoutent.

En parlant de l'éventualité de sa mort, l'auteur se sert d'une image que nous avons traduite un peu librement, pour ne pas neutraliser, par ce qu'il y a d'obscur dans la forme, l'impression qu'elle doit produire sur le lecteur. À vrai dire, le texte parle de deux sacrifices distincts, et deux images différentes se mêlent dans l'imagination de l'écrivain. D'abord la foi et la vie chrétiennes, la consécration de l'homme au service exclusif de Dieu, sont, plus d'une fois comparées à un sacrifice qui vaut mieux que ceux institués par la loi (Rom. XII, 1). D'après cela, il est question ici d'un service, c'est-à-dire d'une cérémonie religieuse d'immolation de la part des Philippiens (ou des chrétiens en général), dans laquelle l'apôtre est censé fonctionner comme sacrificateur. Ensuite il faut se rappeler que, dans ces sortes d'actes, on avait l'habitude de verser sur la victime du vin consacré, de faire une libation; et l'apôtre, songeant à son sang qu'il pourrait être appelé à verser dans l'exercice de ses fonctions, se compare au vin répandu sur l'autel à l'occasion du service en question. Voilà, au fond, le vrai sens d'une phrase dans laquelle deux idées se confondent d'une manière peu intelligible pour des lecteurs auxquels ces rites sont devenus étrangers. Nous convenons que notre traduction ne répond pas exactement au texte, mais nous avons préféré la clarté à l'exactitude. Il aurait fallu dire: Dussé-je devenir une libation versée sur le sacrifice rituel de votre foi — et personne ne nous aurait compris.

19 Cependant j'espère, le Seigneur aidant, pouvoir bientôt vous envoyer Timothée, afin que moi aussi j'aie l'esprit plus tranquille en apprenant ce qui se passe chez vous. Car je n'ai personne ici qui partage tous mes sentiments et qui s'intéresserait sincèrement à ce qui vous concerne. Tous songent à leurs propres intérêts et non à ceux de Jésus-Christ. Quant à lui, vous connaissez sa fidélité éprouvée, et comment il s'est mis avec moi au service de l'Évangile, comme un fils avec son père. C'est lui que j'espère envoyer aussitôt que je verrai la tournure que prendront mes affaires. Cependant j'ai confiance dans le Seigneur que je pourrai venir bientôt moi-même.

II, 19-24. La lettre touche à sa fin; après les exhortations, voici venir les affaires personnelles, missions, visites, projets, commissions et autres. Paul espère toujours recouvrer sa liberté; il ne manquera pas d'en profiter pour revoir ses chères églises de Macédoine. Toutefois il n'en est pas sûr, le dénouement peut être éloigné. Il s'arrête donc à l'idée d'envoyer Timothée, pour recueillir des nouvelles, afin d'avoir de quoi charmer les ennuis de cette interminable détention. Sans doute, il ne se séparera qu'avec peine de cet ami, qu'il chérit comme son fils, qui lui est attaché comme à son père: hélas! c'est le seul, dans cette ville immense et bruyante, qui soit avec lui en parfaite communauté de sentiments. Ses autres intimes (nous devons le supposer) ne sont plus à Rome, et les chrétiens de Rome sont ou bien ses adversaires prononcés, champions de la légalité et du privilège de la circoncision (chap. I, 15 ss.; III, 2 ss.), ou du moins ce sont des gens qui, préoccupés de leurs affaires, n'ont pas les loisirs et ne se sentent pas la vocation de faire de lointains voyages pour des intérêts qu'ils ne comprennent pas même. Eh bien, Paul fera encore ce sacrifice, après les autres, et consentira à rester absolument seul, en face d'un tribunal qui lui refuse un arrêt, et d'une communauté qui lui refuse un avocat.

25 Mais j'ai jugé nécessaire de vous envoyer mon frère Épaphrodite, mon compagnon d'œuvre et de combat, lequel est venu, comme votre député, pourvoir à mes besoins. Car il désirait ardemment vous rejoindre, et il était en peine parce que vous aviez appris qu'il a été malade. Il l’a été en effet, et en danger de mort; mais Dieu a eu pitié de lui, et non seulement de lui, mais aussi de moi, pour que je n'eusse pas tristesse sur tristesse. Je le fais donc partir avec d'autant plus d'empressement, afin que vous ayez la joie de le revoir et que moi-même j'aie un chagrin de moins. Accueillez-le donc, dans le Seigneur, avec une joie entière, et honorez de pareils hommes; car, à cause de cette œuvre, il a été bien près de la mort, et il a exposé sa vie pour prendre votre place à l'égard de l'assistance que vous me destiniez.

II, 25-30. L'envoi de Timothée n'est encore qu'une éventualité; en attendant, Paul trouve une occasion immédiate de se mettre en rapport avec l'église de Philippes. Épaphrodite, qui avait apporté à Rome le produit d'une cotisation fraternelle, faite au profit de l'apôtre prisonnier, va retourner chez lui. Il emportera, avec la présente lettre, des nouvelles de Rome, et les protestations de gratitude les plus chaleureuses. Mais comme il ne fera pas le voyage une seconde fois, ce n'est provisoirement qu'un moyen incomplet de communication. Cet Épaphrodite, en arrivant dans la capitale, avait fait une grave maladie, à cause de cette œuvre, c'est-à-dire à la suite des fatigues du voyage (ce qu'on a, mal à propos, changé dans les copies en une œuvre de Christ), et Paul avait été dans l'inquiétude à son sujet. Comme la nouvelle de cette maladie était parvenue en Macédoine, le député et l'apôtre désirent tous les deux rassurer les parents et les amis, et c'est pour cela que Paul juge nécessaire de le faire partir aussitôt que possible. Il se sentira soulagé par la pensée d'avoir dissipé ainsi les appréhensions des frères de Philippes.

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