Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE AUX COLOSSIENS

Chapitre 1

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Paul, apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu, et le frère Timothée, aux saints et fidèles frères en Christ, qui sont à Colosses: Que la grâce et la paix soient sur vous, de la part de Dieu, notre père!

I, 1-2. La formule de salutation, tout en exprimant absolument les mêmes idées qu'ailleurs dans ces épîtres, diffère tant soit peu des adresses analogues, et se distingue par sa brièveté. Ce serait une question assez secondaire, que de demander si le mot saints est ici un substantif ou un adjectif. Personne n'ignore que ce terme était généralement employé par l'apôtre pour désigner les membres de l'Église, en tant qu'ils étaient devenus étrangers au monde profane et s'étaient consacrés à Dieu en Christ. Mais l'expression française: les Saints, d'après l'usage actuel du mot, suggérerait une idée étrangère à la pensée de l'auteur. Si nous osions effacer la couleur propre de son style, nous devrions dire: aux chrétiens de G., nos fidèles frères en Christ. — Plusieurs éditeurs modernes, sur la foi d'anciens manuscrits, ont adopté la forme Colasses, Colassiens.

3 Je ne cesse de rendre grâces à Dieu, le père de notre Seigneur Jésus-Christ, en priant pour vous, ayant été informé de votre foi dans le Christ Jésus, et de l'amour que vous portez à tous les fidèles, en vue de l'espérance qui vous est assurée dans le ciel, et dont vous avez eu autrefois connaissance par la prédication de la vérité évangélique, laquelle vous est parvenue à vous, ainsi qu'au monde entier, où elle porte des fruits et gagne du terrain; il en est de même chez vous, depuis le jour où vous avez appris à connaître la grâce de Dieu, conformément à la vérité, telle que vous l'avez entendue de la bouche d'Épaphras, mon bien-aimé compagnon de service, ce fidèle ministre de Christ auprès de vous, qui m'a aussi fait connaître cet amour que l'esprit vous inspire.

I, 3-8. Le préambule ressemble, par la forme comme par le fond, à ceux des autres épîtres. C'est le sentiment de satisfaction et de gratitude au sujet de la conversion et des progrès religieux des fidèles de Colosses, que l'apôtre exprime dans une série de phrases enchevêtrées Tune dans l'autre, et que la traduction ne parvient à rendre claires qu'en se permettant de simplifier tant soit peu la construction. On rétablira aisément la série naturelle des idées de la manière suivante:

«J'ai eu récemment de vos nouvelles par Épaphras: ce qu'il m'a dit de votre foi en Christ, de votre amour fraternel, de la fermeté de votre espérance chrétienne, m'a rempli de joie et de reconnaissance envers Dieu, qui a fait parvenir son Évangile à vous, comme au reste du monde....»

Les amplifications jointes à chaque élément de cette simple proposition voilent un peu la marche du discours, mais cela ne saurait créer des difficultés réelles. Les allusions historiques, comprises dans ce passage, ont été discutées dans l'Introduction. En fait d'idées théologiques, nous en relèverons deux surtout: 1° La vérité évangélique (ou: de l'Évangile), que l'auteur dit avoir été prêchée à Colosses, est résumée quelques lignes plus bas par le seul mot de grâce de Dieu, et comme il y ajoute: conformément à la vérité, nous voyons qu'encore ici la conception fondamentale de l'Évangile, à son gré, est la doctrine de la grâce, opposée à celle du mérite des œuvres, qui voudrait baser le salut sur autre chose que sur le bon vouloir et la miséricorde du Père céleste. L'épître défendra cette doctrine, sans l'exposer théoriquement, non plus contre le judéo-christianisme pharisaïque, comme le fait l'épître aux Galates, mais contre une espèce de théosophie gnostique qui n'est pas moins contraire à la vérité. 2° Nous retrouvons ici, quoique combinée d'une manière particulière, la trilogie paulinienne bien connue des trois qualités fondamentales du chrétien, ou plutôt des trois formes de sa vie spirituelle: de la foi, de l’amour et de l'espérance (voy. 1 Cor. XIII, 13, et Théologie apostolique, t. II, 240). Seulement il ne faut pas prendre la phrase dans ce sens, que Paul aurait voulu dire que les Colossiens avaient la foi et l'amour, à cause de l'espérance, c'est-à-dire parce qu'ils étaient sûrs d'en être récompensés. Un pareil eudémonisme est étranger à la pensée de l'apôtre. Une foi, un amour intéressés, ne mériteraient pas ce nom et n'auraient rien à espérer; l'espérance elle-même est une partie intégrante de la foi, elle se rapporte d'ailleurs à des biens purement spirituels; enfin, les trois éléments sont inséparables, et si l'espérance est mise ici en quelque sorte à part, c'est qu'au fond elle est mentionnée moins comme un sentiment que comme un objet, et que cet objet appartient à une existence à venir.

Dans l'original, ce qui est compris dans les v. 9 à 23 ne forme, à vrai dire, qu'une seule phrase, à laquelle doit s'appliquer, avec plus de force encore, ce que nous avons dit de la précédente. Il faudra nécessairement la ramener, non pas seulement à l'aide du commentaire, mais déjà dans la traduction, à une forme plus simple et plus intelligible, par des intersections convenables. Cela sera assez facile, dès que nous aurons constaté que ce que l'auteur dit aux Colossiens, pour les exhorter à marcher dans la bonne voie (v. 9-11) et pour leur rappeler la nature et la portée de leur conversion (v. 21-23), se trouve disjoint par l'intercalation d'une digression purement théorique (v. 12-20), qui est en même temps le morceau le plus célèbre et le plus important de toute l'épître, au point de vue théologique.

9 C'est pour cela que moi aussi, depuis le jour où j'en ai été informé, je ne cesse de prier Dieu pour vous, et de demander que vous soyez remplis de la connaissance de sa volonté, en toute sagesse et intelligence spirituelle, afin de vivre d'une manière digne du Seigneur, cherchant à lui plaire en toutes choses, produisant toutes sortes de bonnes œuvres et croissant dans la connaissance de Dieu, étant aussi puissamment soutenus par sa force victorieuse, de manière à rester toujours constants et résignés avec joie.

I, 9-11. Si nous examinons bien cette phrase, elle est dans un rapport direct avec le commencement de la précédente. Là, il avait été dit (en substance): J'ai appris que vous avez la foi, l'amour, l'espérance.... Ici, il est dit: Je prie Dieu que vous continuiez ainsi et que vous fassiez des progrès à ce triple égard. En effet, 1° la connaissance de la volonté de Dieu, qu'on pourrait être tenté d'interpréter de manière à entendre par celle-ci la loi morale, doit se rapporter de préférence à l'essence dogmatique de l'Évangile (v. 6, et Éph. I, 8), et la sagesse est celle qui est donnée à l'homme par la communication du Saint-Esprit, l'opposé d'une sagesse purement mondaine (chap. II, 2. 1 Cor. I, 19 ss.; II, 6 ss.; III, 18); 2° la vie digne du Seigneur, les bonnes œuvres, considérées comme fruits de l'esprit (Gal. V, 22), représentent le côté pratique du christianisme; enfin, 3° les notions de constance et de résignation sont, au point de vue chrétien, nécessairement corrélatives avec celle de l'espérance (1 Thess. I, 3. Tite II, 2). On remarquera encore que la foi et l'amour sont signalés comme absolument inséparables l’un de l'autre: le v. 9 parle de l'intelligence comme du mobile de la vie qui plaît à Dieu; le v. 10 nomme les bonnes œuvres comme amenant le progrès dans la connaissance de Dieu. L'influence est donc réciproque. La prière implique l'idée que tous ces progrès ne sauraient être réalisés que par l'action salutaire de Dieu; explicitement cela est dit dans le dernier membre (où nous avons dit victorieuse, pour glorieuse, ce qui pourrait signifier: digne d'être glorifiée), lequel cependant ne parle que de l'un des trois éléments.

12 Et vous rendrez grâces au Père, qui nous a mis à même de participer à l'héritage des saints dans la lumière, qui nous a délivrés de la puissance des ténèbres et nous a fait passer dans le royaume de son fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés.

15 C'est lui qui est l'image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature; car c'est en lui que toutes choses ont été créées, tant ce qui est dans les cieux que ce qui est sur la terre, ce qui est visible et ce qui est invisible, les trônes et les seigneuries, les autorités et les puissances, tout a été créé par lui et pour lui, et il est avant toutes choses, et toutes choses subsistent en lui.

18 C'est lui aussi qui est le chef du corps, de l'Église; le premier-né d'entre les morts, pour qu'il soit en tête, à tous égards. Car c'est en lui que Dieu a voulu que toute sa plénitude résidât, c'est par lui qu'il a voulu réconcilier tout avec lui-même, tant ce qui est sur la terre que ce qui est aux cieux, en rétablissant par lui la paix, au moyen du sang versé sur sa croix.

I, 12-20. Nous venons d'appeler ce morceau une digression, en tant qu'il introduit des considérations abstraites et théoriques au milieu de l'allocution toute pratique et directement personnelle que l'auteur adresse à ses lecteurs, et qu'il va tout à l'heure reprendre. À un autre point de vue, on pourrait dire que c'est une espèce de prélude au corps même de l'épître, en tant que celle-ci a évidemment pour but de combattre des erreurs théologiques ou philosophiques, auxquelles l'apôtre oppose ici, par anticipation, la vérité qui doit prévaloir. Cette vérité, c'est qu'en Jésus-Christ, et en lui seul, l'homme trouve et obtient tout ce qu'il peut désirer et tout ce qui lui est nécessaire, relativement à ses rapports avec Dieu, de sorte que tout autre moyen d'arriver soit au pardon des péchés, soit à la communion avec Dieu, est superflu et trompeur. Du reste, notre texte se rattache de la manière la plus simple aux phrases qui précèdent et la digression est amenée naturellement, on pourrait dire involontairement. Après les autres qualités que l'apôtre demande à ses Colossiens, il mentionne encore la reconnaissance qui doit animer tous les croyants pour le grand bienfait dont ils sont redevables au père céleste.

Ce bienfait, nommé souvent ailleurs d'un nom consacré de préférence par le langage théologique, le salut, est désigné ici par des locutions figurées: l'affranchissement de la puissance des ténèbres et la participation à l'héritage dans la lumière. Ces deux phrases, dans lesquelles on retrouve des traits provenant d'allégories originairement indépendantes l'une de l'autre, représentent les deux éléments corrélatifs d'une seule et même notion, et s'expliquent facilement par de nombreux passages parallèles, dans presque tous les écrits apostoliques (comp. surtout Act. XXVI, 18. 1 Pierre II, 9). Les ténèbres et la lumière ne correspondent pas exclusivement aux notions de l'ignorance et de l'intelligence des choses religieuses; pour nos auteurs sacrés, ce sont les noms de deux royaumes, de deux mondes, dont les conditions d'existence (le but, la constitution et la règle sociale) sont tout aussi opposées que les chefs qui les gouvernent, et les destinées qui sont réservées à leurs citoyens respectifs. Chaque royaume a son territoire; de ce territoire, chaque citoyen possède une portion, un lot, un héritage, d'après l'analogie de l'état politique, ou du moins des souvenirs historiques d'Israël, et de la fiction légale de son code. D'après une troisième métaphore, le royaume des ténèbres, qui est celui de Satan et du péché, impose à ses membres une servitude, le passage au royaume de la lumière est donc une délivrance.

De tous les éléments concentrés, et pour ainsi dire condensés, dans cette phrase, celui auquel l'apôtre va s'arrêter de préférence, c'est la personne du chef du royaume de la lumière, du libérateur ou rédempteur, dont la position prééminente et privilégiée est signalée, et dont les prérogatives vont être énumérées d'une manière plus complète et surtout plus théologique que nulle part ailleurs dans les épîtres, si l'on excepte celle aux Hébreux. L'exposé ne procède pas d'une manière systématique; il commence et finit par ce qu'il y a de plus pratique et de plus important pour l'homme, et place au milieu ce qui appartient à un ordre de choses plus transcendant. Dans notre commentaire nous ne suivrons pas la marche de l'auteur, dont les idées se succèdent un peu au hasard, mais nous tâcherons de les ramener à leur expression la plus précise et la plus logique.

L'apôtre résume sa pensée, au milieu même de son exposé, par ces mots: Christ est en tête à tous égards; il est le premier, le chef, à quelque point de vue qu'on le considère, dans quelque ordre de choses qu'on le place.

1° Il est le premier dans l'ordre métaphysique. Cette idée est exprimée deux fois et de deux manières différentes: Il est Y image du Dieu invisible, et: Dieu voulut que sa plénitude résidât en lui. Pour bien comprendre la portée du premier de ces termes, il faut se rappeler que la théologie juive (et déjà celle de l'Ancien Testament) partait du fait de l'absolue impossibilité, pour l'intelligence humaine, d'arriver par ses propres forces à la connaissance de Dieu, et établissait là-dessus la théorie de la révélation, laquelle, après s'être servie autrefois de différents moyens plus ou moins imparfaits (Hébr. I, 1), arriva finalement à la perfection en devenant personnelle. Le fils a révélé le père d'une manière adéquate, parce qu'il était le reflet de sa gloire, l'expression de son essence (Hébr. I, 2), il était revêtu de la forme de Dieu (Phil. II, 6), ce qui revient à dire (Dieu n'ayant point de forme) qu'en lui la notion de la divinité, qui est par elle-même transcendante et abstraite, est devenue concrète et partant saisissable pour l'intelligence humaine. En disant que la notion abstraite de la divinité est devenue concrète dans la personne du fils, nous avons déjà indiqué la substance de la seconde phrase mentionnée plus haut. Car celle-ci dit que la plénitude, c'est-à-dire la série complète des attributs divins, réside dans la personne de Christ. La plénitude est la somme des choses qui remplissent un espace (Éph. I, 23), et le passage parallèle Col. II, 9 ne laisse aucun doute sur la nature des choses qui forment la plénitude, c'est-à-dire la somme des attributs du fils de Dieu. Ainsi notre texte dit que tous les attributs qui constituent la notion de Dieu se retrouvent dans la personne de Christ, de manière que c'est en celui-ci que le mortel apprend à connaître celui qui autrement resterait inaccessible à son intelligence. Christ est donc le médiateur de la connaissance de Dieu.

2° Il est le premier dans l’ordre physique. La première thèse déterminait le rapport de Christ à Dieu; celle-ci établit le rapport de Christ à la nature, à la création. Sur ce second rapport le texte énonce deux faits: Christ est antérieur à tout ce qui existe en dehors de Dieu, et il l'auteur de tout ce qui existe. Le premier de ces deux faits est déclaré par cette simple phrase: il est avant toutes choses, phrase qui n'a pas besoin d'explication, mais qui ne satisfait pas la spéculation théologique, comme l'ont prouvé surabondamment les discussions séculaires des anciens docteurs de l'église grecque. Mais le même fait est encore établi par cette autre phrase plus explicite, mais très controversée aussi: il est le premier-né (l'aîné) de toute créature. Qu'est-ce que cela veut dire? Justifions d'abord l'emploi du mot: créature. Le mot grec que nous traduisons ainsi signifie l'acte de la création, dans un seul passage des épîtres (Rom. I, 20). Si nous devions préférer ici cette interprétation, le sens serait immédiatement clair: le premier-né de l’acte de la création, c'est la première créature (par ordre chronologique), et c'est bien là le sens incontestable du passage Apoc. III, 14, où Christ est appelé le commencement de la création. Mais dans tous les autres passages de Paul où se trouve le même mot, il faut le traduire par créature (Rom. I, 25; VIII, 19suiv., 39. 2 Cor. V, 17. Gal. VI, 15, et dans notre texte même, v. 23), sans compter que l'addition de l'adjectif tout, sans article, milite également en faveur de ce second sens. Mais encore, qu'est-ce que l'aîné de toute créature? La plupart des commentateurs n'y voient que l'affirmation de l'antériorité; ils mettent l'accent sur le mot aîné, premier-né, et négligent le génitif comme ne contribuant en rien à la détermination de ce premier élément. Nous ne sommes pas de cet avis. L'aîné est toujours en communion de nature avec les puînés. L'aîné de plusieurs frères (Rom. VIII, 29. Comp. Matth. I, 25. Luc II, 7) est frère aussi, parce qu'eux sont fils comme lui; le premier-né d'entre les morts, c'est-à-dire des ressuscités (v. 18), a été mort et est ressuscité comme le seront ceux qui le suivront. Il nous semble donc que la question qui a préoccupé les théologiens du 4e siècle ne s'est pas présentée à l'esprit de l'auteur, et qu'il n'a pas éprouvé le besoin de s'exprimer de manière à la résoudre dans le sens consacré plus tard officiellement. Le nom de fils et celui de créature sont assez homogènes pour que nous n'ayons pas besoin de nous étonner qu'ils s'associent ici.

L'autre fait dont nous parlions, c'est que Christ est lui-même l'organe de la création. D'abord nous constaterons qu'il est question ici, non point de la nouvelle création spirituelle, mais de celle de l'univers (ciel et terre, Gen. I, 1), qui a eu lieu au commencement des temps. L'auteur a soin de ne laisser subsister aucun doute à cet égard: il répète le mot tout jusqu'à trois fois; il nomme expressément les parties du grand tout qui échappent encore aux sens des mortels; enfin, il y comprend formellement ce qu'il peut y avoir de plus élevé parmi les créatures, les êtres célestes (Éph. I, 21. Rom. VIII, 38), désignés par différents noms qui doivent en marquer, non les diverses classes, mais les hautes prérogatives. Peut-être insiste-t-il sur ce dernier point, parce que ses adversaires (chap. II, 18) assignaient aux anges un rôle tout différent dans la sphère religieuse. Quant au fait en lui-même, il en a été question 1 Cor. VIII, 6 (comp. Hébr. I, 2). Nous pouvons nous borner ici à relever l'emploi de trois prépositions différentes pour caractériser l'acte du Christ créateur (en, par, pour). On pourrait y voir l'effet d'un simple élan rhétorique (comp. Rom. XI, 36); cependant il ne sera pas trop difficile de trouver à chacune d'elles un sens particulier. La plus claire est la seconde; elle désigne Christ comme l'organe de Dieu dans l'acte de la création; aussi est-elle employée de préférence dans les deux passages parallèles que nous venons de citer. La troisième pourra, être comprise comme dans 1 Cor. VIII, 6, bien que là elle soit rapportée à Dieu. Tout a été créé pour Christ, en tant que tout doit être amené par lui à servir aux fins de Dieu.

Quant à la première, si elle doit avoir un sens différent de la seconde, elle peut nous rappeler cette conception théologique d'après laquelle le monde a préexisté idéalement dans la pensée de Dieu, avant la création; ainsi Christ pourrait être considéré comme le dépositaire de cette pensée.

Christ est donc, en second lieu, le médiateur de l'existence ou de la vie naturelle.

3° Il est le premier dans l'ordre théologique. Cette troisième thèse, ainsi que les suivantes, parle des rapports de Christ avec les hommes. Ici nous plaçons d'abord les deux phrases où il est parlé de la rédemption et de réconciliation. Quant à la première, elle est expliquée par Fauteur lui-même, qui la restreint ici au pardon des péchés, tandis qu'ailleurs elle s'applique encore à d'autres éléments de l'économie du salut. Comp. le passage parallèle Éph. I, 7, dont les copistes se sont servi pour compléter le texte du nôtre. Pour ce qui est de la réconciliation, nous pourrons nous borner à rappeler ce qui est dit ailleurs de l'inimitié de l'homme naturel contre Dieu, et des avances faites par la grâce divine pour changer ce rapport (Rom. V, 1 suiv. 2 Cor. V, 14 suiv. Eph. II, etc.). La réconciliation est toujours l'œuvre de Dieu, l'effet de sa volonté; c'est lui qui fait la paix, car c'est lui qui change les dispositions des hommes et leurs rapports avec lui, sans avoir besoin de se changer lui-même (d'être réconcilié). Il fait cela par Christ, et en Christ, en tant que Christ à dû intervenir par sa mort, et que l'homme obtient la grâce en s'unissant au Sauveur. La seule idée particulière à notre passage, c'est que la réconciliation, d'après la lettre du texte, aurait dû s'étendre au ciel comme à la terre. On s'est demandé si les anges auraient eu également besoin d'être réconciliés avec Dieu (comp. Hébr. II, 16)? ou si les hommes ont dû se réconcilier avec les anges? ou si les diables doivent être changés? Il nous semble que ces questions sont oiseuses. Le 20e verset nous paraît réunir deux idées distinctes, celle de la réconciliation des hommes d'abord, et ensuite celle de la formation de la grande famille des créatures bienheureuses, dont il est parlé dans le passage correspondant de l'épître aux Éphésiens (I, 10).

Christ est donc, en troisième lieu, le médiateur du rétablissement du rapport normal entre l'homme et Dieu.

4° Il est le premier dans l'ordre moral, comme chef d'un corps spirituel, de l’Église. L'image de l'Église comparée à un corps organique est connue (1 Cor. XII; comp. XI, 3. Éph. I, 22, etc.), et tellement connue, que l'apôtre se borne à l'indiquer par un mot. L'importance de ce nouveau rapport n'en est pas moins grande, puisque les membres du corps ne sauraient avoir la vie qu'au moyen de l'union organique avec le chef, Christ est donc, en quatrième lieu, le médiateur de la nouvelle vie ou de la création spirituelle.

5° Il est, enfin, le premier dans l'ordre apocalyptique, c'est-à-dire dans celui des choses à venir (Rom. VIII, 18). Il est mort, comme tous les hommes sont morts et meurent chaque jour, mais il est aussi ressuscité, et en cela il a pris le pas sur tous, et les siens le suivront. Notre texte se borne à signaler l'antériorité de sa résurrection à lui (comp. 1 Cor. XV, 20), ailleurs il est aussi la cause de la nôtre (ibid., chap. XV, 12 suiv., etc.). Enjoignant ensemble les deux mots commencement et premier-né, l’apôtre fait voir clairement dans quel sens il prend celui-ci. Christ est donc, en dernier lieu, le médiateur de la vie éternelle.

Pour terminer cette analyse, nous n'avons plus qu'à rendre nos lecteurs attentifs à deux faits qu'on a trop souvent négligés. Nous ferons d'abord remarquer qu'il est dit formellement que Dieu voulut que la plénitude résidât en Christ, et que le monde fût réconcilié par lui. Le verbe que nous soulignons marque toujours en grec une volonté parfaitement indépendante et absolue (Gal. I, 15. 1 Cor. I, 21. Éph. I, 5, 9. Phil. II, 13). C'était donc le bon plaisir de Dieu que Christ eût ces privilèges, et nous voyons là une preuve de plus entre tant d'autres (comp. 1 Cor. III, 23; XI, 3), que Paul s'est représenté le rapport de Christ à Dieu comme celui de la subordination. En second lieu, nous constaterons que dans ce passage, tout aussi peu qu'ailleurs dans les écrits de Paul, nous ne trouvons rien de particulier ni de précis sur ce qu'on appelle les deux natures de Christ. Celui-ci est partout considéré comme une personne une, entière, complète, et rien ne trahit, chez l'apôtre, un besoin d'analyse, tel que celui qui a alimenté, pendant de longs siècles, les discussions des théologiens. Voyez du reste, sur toutes ces matières, Y Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique, livre V, chap. 8.

21 Et vous aussi, qui autrefois lui étiez étrangers, et ses ennemis, par vos pensées et vos mauvaises œuvres, il vous a réconciliés aujourd'hui par la mort de son fils en son corps charnel, afin de vous faire paraître devant lui, saints, sans tache et sans reproche, en tant que vous resterez fermes et inébranlables, sans vous laisser distraire de l'espérance offerte par cet évangile que vous avez entendu, lequel a été prêché à toute créature sous le ciel, et dont moi, Paul, je suis devenu le ministre.

I, 21-23. Pour la manière dont ces lignes se rattachent à l'ensemble de l'exorde, voyez la note sur le v. 8. Après avoir parlé de la personne et de l'œuvre de Christ d'une manière tout à fait théorique et générale, l'apôtre en fait ressortir la portée pratique en l'appliquant à ses lecteurs actuels. Eux aussi (comp. Éph. II, 12 suiv. ; IV, 18 suiv.) avaient été vis-à-vis de Dieu dans un rapport qui ne pouvait conduire qu'à leur perte, si Dieu, dans sa miséricorde, n'avait étendu sa grâce à eux et ne les avait fait profiter du bienfait résultant pour l'humanité de la mort de Christ.

L'addition du mot charnel pourrait paraître oiseuse; cependant elle s'explique parce qu'il avait été question immédiatement auparavant de Christ, image de Dieu, et de sa résurrection, en d'autres termes, de deux conditions d'existence essentiellement différentes de celle dans laquelle il souffrit la mort.

Ce qui est dit du jugement à venir, et des conditions morales du salut, n'a pas besoin d'explication. On voit ici encore avec quelle facilité l'auteur arrive, par une transition naturelle, à parler de son propre ministère (Éph. III, 1 suiv.).

24 Maintenant je suis plein de joie, jusque dans les souffrances que j'endure pour vous, et ce qui manquait encore aux souffrances de Christ, je le complète dans ma propre personne, pour le bien de son corps, c'est-à-dire de l'Église, dont je suis devenu le ministre. C'est Dieu qui m'a conféré cette charge, à l'effet de porter chez vous l'annonce de l'accomplissement de la parole de Dieu, de ce mystère caché aux siècles et aux générations antérieures, mais qui aujourd'hui est révélé à ses saints, auxquels Dieu a voulu faire connaître quelle est la glorieuse richesse de ce mystère à l'égard des peuples païens, savoir: Christ en vous, la glorieuse espérance!

28 Je le prêche, en exhortant tous les hommes, et en instruisant tous les hommes en toute sagesse, afin de faire paraître tous les hommes devant Dieu, parfaits en Christ: c'est là en vue de quoi je travaille et je lutte, selon les forces qu'il me communique et qui agissent en moi puissamment.

I, 24-29. Ces versets parlent de la nature et des conditions du ministère apostolique, tel que Paul le conçoit et le pratique. Il y est question de son origine, de son but et de ses peines. Ces dernières, quelque grandes et douloureuses qu'elles puissent être, doivent céder à un sentiment de bonheur, quand l'apôtre se trouve, comme ici, en face d'un résultat satisfaisant. Voilà pourquoi la phrase commence par le mot maintenant. Comp. Éph. III, 13.

Ce qui est dit ensuite d'un complément à ajouter aux souffrances de Christ, a souvent arrêté et choqué les interprètes protestants, qui ont cherché par toutes sortes d'expédients à échapper aux conséquences que l'Église catholique dérivait de ce texte, en faveur de la doctrine relative aux indulgences et aux mérites des saints. Cependant le sens de la phrase principale (défaut des souffrances) est suffisamment établi par des passages parallèles (1 Cor. XVI, 17. Phil. II, 30. 1 Thess. III, 10), et puis l'idée d'une communauté (communion, continuation) de souffrances entre les fidèles et le sauveur revient très fréquemment dans nos épîtres (Rom. VIII, 17. 2 Cor. I, 5; IV, 10. Phil. III, 10, etc.). Il ne s'agit pas là de l'efficace salutaire de la mort de Christ, dans le sens dogmatique et mystique, mais tout simplement d'une certaine situation ou condition d'existence. C'est une vérité incontestable, et souvent proclamée par Jésus et ses disciples, qu'on n'arrive à la gloire de son royaume qu'à travers les tribulations de la vie terrestre, qu'il faut commencer par se charger de la croix avant de conquérir la couronne, que les souffrances endurées par Jésus ne dispensent pas les siens de souffrances analogues, mais plutôt les y exposent et les y obligent. Paul pouvait donc considérer l'ensemble de tout ce que l'humanité, et surtout la génération contemporaine, pouvait avoir à souffrir pour la cause de Dieu et la réalisation des espérances évangéliques, comme une grande dette à acquitter, dont chaque chrétien, et surtout un ministre de l'Évangile, avait à prendre sa large part.

L'apostolat est nommé ici, comme ailleurs, une charge d'économe, un économat (1 Cor. IV, 1; IX, 17), par la raison que celui qui en est revêtu administre un bien à lui confié par un supérieur, le maître de la maison, au profit des personnes qui dépendent de cette maison. En traduisant le terme qui désigne l'objet de cette charge par les mots: annoncer l’accomplissement, au lieu du simple: accomplir, nous avons eu égard à la phrase suivante, où Paul, selon son habitude, oppose le temps de l'accomplissement, c'est-à-dire de la révélation évangélique, aux temps antérieurs, où elle n'était encore qu'obscurément prédite et peu comprise. Autrement on pourrait dire d'un apôtre qu'il accomplit la parole de Dieu, pour exprimer brièvement la pensée qu'il parcourt le cercle entier de son activité jusqu'à un point déterminé (jusque chez vous). Comp. Rom. XV, 19.

Le mystère dont il est parlé, c'est-à-dire la grande vérité inconnue autrefois, mais révélée maintenant, est, comme le prouve la suite de notre texte et le passage parallèle Éph. III, 4 s., la vocation des gentils. Il est parlé de la glorieuse richesse de ce mystère parce qu'il annonce un bienfait inestimable, offert à la portion la plus nombreuse du genre humain, laquelle pouvait auparavant sembler déshéritée. C'est pour cela aussi que l'auteur insiste jusqu'à trois fois sur ce que son ministère s'étend à tous les hommes.

Le mystère de la nouvelle révélation est résumé en ce seul mot: Christ en vous, lequel, en tant qu'il s'adresse à d'anciens païens, exprime précisément cette vérité que le Sauveur est venu pour eux comme pour Israël; mais qui, en tant qu'il revêt une forme si absolue, élève l'Évangile au-dessus de toutes les restrictions accidentelles. En effet, celui-ci consiste à proclamer que le Christ est là, parmi les hommes et en eux.

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