Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPHÉSIENS

Chapitre 4

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1 Je vous exhorte donc, moi le prisonnier en Christ, à vivre d'une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, avec une entière humilité, avec mansuétude, avec longanimité, vous supportant les uns les autres avec amour, vous efforçant de conserver l'unité de l'esprit dans le lien de la paix. Un corps et un esprit, comme vous avez aussi été appelés par votre vocation à une même espérance; un Seigneur, une foi, un baptême, un Dieu et père de tous, qui est au-dessus de tous, qui agit par tous, qui est en tous!

7 Mais à un chacun de nous la grâce a été donnée selon la mesure du don de Christ. C'est pour cela qu'il dit: Il monta dans les hauteurs, il emmena des captifs, il donna des dons aux hommes. Or, ce mot: il monta, que peut-il signifier, si ce n'est qu'il est aussi descendu dans les régions inférieures de la terre? Celui qui est descendu est le même que celui qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de tout remplir.

11 Et c'est lui qui a donné aux uns d'être apôtres, à d'autres, prophètes, à d'autres, évangélistes, à d'autres, pasteurs et docteurs, à l'effet de faire servir leur ministère à l'avancement des fidèles, à l'édification du corps de Christ, jusqu'à ce que nous soyons arrivés tous à l'unité de la foi et de la connaissance du fils de Dieu, à la maturité virile, à la pleine mesure de la taille de Christ; afin que nous ne soyons plus des enfants, nous laissant ballotter par les flots et emporter par tous les vents de l'enseignement trompeur des hommes, par les artifices séduisants de l'erreur; mais que, fidèles à la vérité, nous continuions à croître à tous égards dans l'amour, pour l'atteindre, lui qui est notre chef, Christ, duquel le corps entier, solidement organisé et contenu par toutes les jointures de son assistance, lesquelles opèrent selon la mesure de chaque partie, tire sa croissance, pour s'édifier lui-même dans l'amour.

IV, 1-16. Nous avons transcrit ce long morceau dans son entier, pour ne point en effacer, par des coupures trop nombreuses, l'élément le plus caractéristique, nous voulons dire la rapidité des transitions, l'évolution des idées, qui se succèdent d'après une associa lion assez naturelle au fond, mais en partie peu marquée, et dont la richesse, assez difficilement servie par un langage que l'auteur est pour ainsi dire obligé de créer au courant de sa plume, amène des obscurités que nos anciennes traductions, dans leur littéralisme affecté, ne parviennent pas à faire disparaître. Il en est même d'après lesquelles le lecteur moins exercé pourrait bien ne voir dans le texte de l'apôtre qu'un galimatias inextricable. Pourtant rien n'est plus simple que les diverses pensées ébauchées tour à tour dans cette page.

Comprenons bien d'abord que Paul veut ici, et dans tout ce qui suivra encore, donner à ses lecteurs des instructions pratiques, ou ce que nous pourrions appeler l'application morale des vérités qu'il vient de récapituler dans la première partie de son épître. En se disant prisonnier, il donne plus d'autorité à ses paroles; car il rappelle jusqu'où est allé son propre dévouement à la cause à laquelle eux aussi se sont associés; il se dit prisonnier en Christ, pour bien constater que sa situation actuelle n'est point l'effet de circonstances fortuites ou déshonorantes. La principe moral lui-même, quant à son application, se résume dans la formule: vivre d'une manière cligne de la vocation céleste. Il ne s'agit donc point là d'une théorie philosophique, d'une loi que l'homme se poserait lui-même, mais d'une règle déterminée par l'élément religieux exclusivement. Le devoir, au point de vue chrétien, découle de la nature du rapport de l'homme avec Dieu.

Cependant l'apôtre n'entend pas rester dans les généralités; il veut au contraire signaler une série de devoirs particuliers. Il débute par celui dont la pensée lui est suggérée par la direction spéciale de son enseignement de tout à l'heure. S'il a insisté surtout sur la fusion de toutes les nationalités en une seule et grande famille de Dieu en Christ, il recommandera en première ligne aux croyants tout ce qui doit découler de cette idée de fraternité. Il le fera d'autant plus volontiers que les habitudes prises, les antipathies antérieures, les nombreuses causes de division qui relâchent d'ordinaire les liens de la société civile, ne disparaissent pas immédiatement dans la réalité de la vie, quand bien même la conception théorique serait arrivée à les réduire à leur juste valeur. L'unité de l’esprit, qui est la marque distinctive de la société chrétienne, en théorie, doit se manifester, en pratique, par le support mutuel, la patience, la douceur, les tendances pacifiques.

À propos de cette recommandation, Paul revient derechef au principe religieux qui la lui a inspirée. Mais il se borne à l'énoncer en deux mots, sans aucun appareil rhétorique, dans la forme la plus brève que la langue admet et qu'on a bien tort d'allonger dans la traduction par des verbes ou des adjectifs inutiles. L'idée fondamentale de l’unité de l'Église, qui domine toute l'épître, est même reproduite deux fois: 1° d'une manière figurée, dans cette phrase: un corps et un esprit, à l'égard de laquelle il suffit de rappeler le chap. XII de la première aux Corinthiens, qui servira encore de commentaire à propos de ce qui suivra plus bas. De même que l'unité du corps humain, composé d'ailleurs d'éléments variés et hétérogènes, est déterminée par celle du principe vital qui constitue la personnalité, de même l'Église, considérée comme un organisme très compliqué, reçoit son unité et sa vitalité de la présence et de l'action de l'esprit unique de Dieu. 2° Sans figure, le même fait est établi sur l'unité de la personne de Christ, qui est le Sauveur, en tant que ceux qui reçoivent le baptême en son nom s'unissent à lui personnellement (par la foi); or, l'union intime de tous avec le Christ unique implique nécessairement leur union entre eux. Deux idées accessoires complètent ce double énoncé. D'un côté, la mention de l’espérance introduit l'unité du but final de l'institution de l'Église; de l'autre, la mention de l'unité de Dieu, le père de tous, en rappelle l'auteur primitif et l'organisateur.

Des trois épithètes dont le nom de Dieu est accompagné, et qui toutes les trois se rapportent spécialement à son action sur les hommes, considérés comme membres de l'Église, nous relèverons surtout la seconde, parce qu'elle est la plus importante et en même temps la moins bien comprise généralement. L'apôtre a déjà en vue l'idée qu'il va développer dans le reste du morceau: chaque membre de l'Église reçoit de Dieu sa mission particulière dans la grande communauté et, pour la remplir avec fruit, des dons spéciaux émanés de sa grâce, ce que Jésus a comparé à des talents (à des sommes d'argent), à faire valoir pour en tirer des intérêts. C'est que Dieu se sert des hommes comme d'instruments pour parvenir à ses fins, de collaborateurs ou d'ouvriers dans le vaste champ de l'éducation progressive de l'humanité (1 Cor. III, 3, 5 ss.), c'est donc lui qui agit par eux, ou, ce qui revient au même, leur donne les moyens d'agir dans le sens de sa volonté, et à la condition qu'ils lui en rendent compte. Ces moyens sont variés, comme les fonctions assignées à chacun; ils sont même inégaux, soit relativement à leur puissance et à leurs résultats immédiats, soit eu égard à la place qu'ils procurent aux individus dans la société. Mais le but et l'origine sont les mêmes pour tous (1 Cor. XII, 4-7. Rom. XII, 3 ss.). L'essentiel est qu'on en fasse un bon usage et qu'on n'oublie pas qu'ils sont un don gratuit de Dieu et de Christ, et qu'ils se placent sur la même ligne, soit qu'on veuille remonter à la source d'où ils dérivent, soit qu'il s'agisse de songer à la responsabilité qui y est attachée.

Avant de développer cette idée plus au long, ce qu'il ne fera d'ailleurs que dans une certaine mesure, l'auteur tient à la confirmer par un texte scripturaire. Il cite un passage tiré d'un Psaume (LXVIII, 19), dans lequel il est parlé d'un vainqueur monté dans les hauteurs et distribuant des dons. Quel peut être ce vainqueur? se demande l'apôtre. Aucun mortel n'est monté au ciel, Dieu n'en est pas descendu; ce ne peut donc être que le Christ, le seul qui soit à la fois descendu et remonté; et depuis qu'il y réside définitivement, c'est encore lui qui est le dispensateur des grâces de l'esprit (Act. II, 33), en d'autres termes, qui remplit tout de ce dernier et qui vivifie ainsi le corps entier de l'Église. Le raisonnement est parfaitement clair; il y a seulement cette difficulté à résoudre, que la citation ne s'accorde ni avec le texte hébreu ni avec le texte grec du Psaume, dans lesquels manque précisément le mot essentiel sur lequel repose toute l'argumentation (il donna, le psaume disant: il reçut), et à cet égard nous ne voyons d'autre issue que de supposer une ancienne variante dans le texte original, ou une erreur de mémoire; toutes les autres explications qu'on a proposées sont ou forcées ou absurdes. — L'expression: il est descendu dans les régions inférieures de la terre, est prise ici simplement dans son antithèse avec les hauteurs du ciel; le parallélisme est complet et suffit pour préciser la pensée de l'auteur. Cependant les commentateurs ont insisté sur le comparatif et ont cru pouvoir en inférer qu'il doit être question d'une localité au-dessous de la terre, et par conséquent de ce qu'on a appelé la descente aux enfers (comp. 1 Pierre III, 18 ss.). Cette idée est positivement étrangère à notre texte et ne servirait en rien à en compléter ou corroborer l'argumentation.

Après cela, l'auteur en vient à montrer ces dons dans la réalité de l'histoire et de l'expérience, et surtout à les caractériser au point de vue de leur but. Mais tandis qu'ailleurs (1 Cor. XII, 8 ss., 28 ss., et plus encore Rom. XII, 1. c.) il en signale des catégories plus variées, il se borne ici à ceux qui servent immédiatement à la direction spirituelle de l'Église, à l'éducation religieuse et morale de ses membres. Il fait cela, non pour restreindre le cercle de l’action divine, mais en vue de la pensée particulière qui le préoccupe dans tout ce morceau et à laquelle il va s'attacher jusqu'au bout. Quant aux différentes fonctions qu'il énumère ici, nous les connaissons suffisamment par ce qu'il nous en dit lui-même dans la première aux Corinthiens. Il n'y a que les seuls termes d'évangélistes et de pasteurs qu'on n'y trouve pas; mais l'un de ces termes s'est présenté Act. XXI, 8, l'autre, très fréquent dans l'Ancien Testament, où il marque une supériorité politique ou ecclésiastique, a dû passer d'autant plus facilement dans le langage chrétien, avec une signification analogue, que Jésus s'en était servi plus d'une fois (Matth. IX, 36. Jean X), et sans aucun doute il est question ici des mêmes personnes qui plus ordinairement sont désignées, sans figure, par le terme juif d'anciens (presbytres) ou par le terme grec de surveillants (évêques). Peut-être l'absence de l'article dans notre texte nous permet-elle de supposer réunis dans les mêmes mains l'épiscopat et le doctorat, nous voulons dire que l'enseignement régulier et continu était confié aux chefs constitués des communautés.

Quant au but à atteindre par ceux auxquels ces dons (ou les fonctions correspondantes) ont été départis, il est énoncé par une série de phrases que notre traduction, sans être pour cela moins fidèle, a peut-être réussi à rendre plus simples et plus transparentes que ne les ont jugées ou faites les précédents commentateurs. Ces phrases expriment la nature de ce but, les unes en termes propres, les autres par des allégories. Attachons-nous à ces dernières, qui sont au nombre de trois, toutes les trois parfaitement naturelles et même populaires, mais se gênant un peu ici les unes les autres, parce qu'elles entremêlent leurs éléments. Les termes propres s'expliqueront eux-mêmes.

L'avancement des fidèles, car c'est de cela qu'il s'agit (plus exactement, le travail qu'il y a lieu de consacrer à leur développement, à l'effet de les conduire vers la perfection chrétienne, et qui par cette raison est aussi appelé, à la lettre, Y œuvre du ministère), amène d'abord une comparaison très familière à l'apôtre Paul et qui se reproduit sous sa plume de diverses manières (Col. II, 19. 1 Cor. III, 1, etc.). C'est celle de la croissance du corps, par laquelle l’enfant arrive finalement à être un homme fait, à atteindre la pleine mesure de sa taille. Il va sans dire que c'est là une image de la croissance spirituelle, de l'acheminement progressif vers le but de la nouvelle vie; mais il convient d'ajouter que cette image s'applique également bien à l'individu (chacun devant marcher ainsi en avant et se perfectionner pour son compte), et à l'Église, prise dans son ensemble; puisque, composée qu'elle est d'individus, ses progrès dépendent de ceux de ces derniers. Le premier point de vue se dessine dans l'emploi du pronom au pluriel, nous tous, le second est nettement accusé dans la dernière phrase, où il est question d'un corps organisé, et dont les parties se tiennent au moyen de jointures. Par ces jointures l'apôtre entend les secours de l’assistance divine, qui communique à chaque partie, c'est-à-dire à chaque membre de l'Église, sa mesure d'esprit, de force, de vie et d'action.

On remarquera que, dans cette allégorie de la croissance, le terme du développement, qui dans la nature physique est la maturité virile, est appelé ici la taille de Christ (et non pas l'âge de Christ, comme on traduit vulgairement), ce qui revient à dire qu'au point de vue chrétien, la perfection ne serait atteinte qu'autant que l'homme serait devenu à tout égard semblable au fils de Dieu. Or, comme personne ne peut avoir la prétention de se dire arrivé à cette hauteur, il s'ensuit que le travail de perfectionnement est infini. Ainsi l’unité de la foi et de la connaissance de Christ n'est pas, d'après notre texte, le point de départ de la carrière chrétienne, mais son but idéal, toujours en vue, toujours recherché, jamais atteint. cela n'étonnera pas ceux qui savent ce que Paul entend par la foi; certes, s'il ne s'agissait pour les hommes que de se mettre d'accord sur une série de thèses théologiques, rien n'aurait été plus vite réalisé que cette unité, et l'Église catholique, par exemple, serait depuis longtemps dans la pleine possession de ce bien suprême, comme les diverses Églises protestantes ont cru l'être avec leurs confessions de foi. Nous ferons remarquer encore que l'image du corps et de sa croissance subit une altération partielle par suite de cette circonstance que Christ en doit être le chef. Or, dans la nature, la tête croît tout aussi bien que les membres; dans la réalité religieuse, Christ n'a pas besoin de croître; c'est nous qui devons croître pour l'égaler; c'est de lui que nous tirons, pour cette croissance, l'élément régénérateur qui alimente la nouvelle vie.

La seconde allégorie, partout mêlée à la première, est celle de l’édifice. Nous la connaissons par ce que nous en avons lu à la fin du second chapitre. L'apôtre n'hésite pas à dire deux fois l'édification du corps, pour sa croissance, ses progrès.

La troisième enfin compare les hommes à des vaisseaux, mais seulement pour en faire une application spéciale. Ceux qui restent enfants (et ici ce mot est pris plutôt dans le sens de l'intelligence que dans celui du développement physique) sont plus exposés naturellement à toutes sortes d'influences étrangères et pernicieuses, et en cette qualité semblables à des navires qui dévient de leur direction et de leur destination au gré des vents et des vagues. Il y a là en même temps une allusion non méconnaissable aux dangers particuliers qui paraissent avoir menacé les églises de l'Asie et dont nous avons parlé dans l'introduction. À l’erreur, qu'il signale comme une puissance à peu près irrésistible pour ceux qui ne trouvent pas en eux-mêmes la fermeté qui est le fruit de cette édification progressive, l'apôtre oppose naturellement la vérité, la substance de l'Évangile, résumée ailleurs dans le seul nom de Christ. Enfin, revenant à son point de départ, à sa recommandation populaire de la fraternité, il nomme à deux reprises l’amour comme l'élément dans lequel les individus doivent croître, et l'Église tout entière s'édifier. Après tout, c'est par l'amour seul (1 Jean IV, 7 ss. Jean XIII, 35), c'est-à-dire par la manifestation de fait, que se constate cet avancement, qui est représenté ici à la fois comme le but suprême et la mesure des efforts de ceux qui sont les organes de Dieu.

17 Voici donc ce que je veux dire (et je vous en conjure au nom du Seigneur), c'est que vous ne viviez plus comme vivent les païens, qui, dans le fol égarement de leur raison, et avec leur intelligence obscurcie, sont étrangers à la vie de Dieu, par suite de l'ignorance dans laquelle ils se trouvent et de l'endurcissement de leur cœur. Ayant fini par perdre tout sentiment, ils se sont livrés à la débauche, à la pratique de toute espèce d'impureté jointe à la cupidité.

20 Ce n'est pas ainsi que vous avez appris à connaître Christ, puisque vous l'avez entendu et que vous avez été instruits à son égard, conformément à ce qui est la vérité en Jésus, savoir que, en ce qui concerne votre conduite antérieure, vous devez vous défaire du vieil homme, corrompu par des passions trompeuses, être renouvelés quant à l'esprit de votre intelligence, et revêtir le nouvel homme, créé à l'image de Dieu avec la justice et la sainteté de la vérité.

IV, 17-24. Dès le commencement de ce chapitre, l'apôtre avait voulu prendre le ton de la simple exhortation morale et populaire, mais entraîné par des idées d'un ordre plus relevé, qui se présentaient à son esprit, il n'avait guère fait qu'annoncer sa première intention. À partir d'ici, il y revient, d'abord d'une manière générale; plus loin, v. 25 ss., par l’énumération détaillée de certains devoirs particuliers. Il commence donc par opposer la vie nouvelle en Christ, ses tendances et ses manifestations, à la vie antérieure, à la vie païenne, qui, peut-être, n'avait pas été précisément celle de tous ses lecteurs, pris individuellement, mais qu'il décrit ici d'après l'expérience malheureusement trop générale, pour que ceux qui faisaient exception eussent pu protester au nom de leur nation ou de leur religion. (Comp. 1 Cor. VI, 11.)

Dans le paganisme l'égarement moral est la conséquence de l'erreur religieuse (Rom. I, 19 ss.). Aussi l'auteur signale-t-il tour à tour les deux éléments dans son tableau rapidement ébauché. Il insiste même davantage (si l'on tient compte du nombre des synonymes qu'il emploie: folie, obscurité, ignorance, endurcissement) sur ce qui constitue la cause du mal, tandis qu'il dépeint l'effet en nommant seulement deux vices, mais les plus communs de tous à cette époque et dans cette population, et en même temps ceux qui se produisaient avec le moins de pudeur: la débauche et la cupidité. S'il ajoute qu'une pareille conduite est étrangère à la vie de Dieu, cela ne veut pas dire qu'elle est opposée aux commandements divins: ce serait là une assertion bien faible et bien oiseuse. La vie de Dieu, ce n'est pas simplement la vie honnête et vertueuse, c'est la vie qui vient d'en haut, la vie réelle, c'est-à-dire celle qui contient en elle le germe de l'éternité et de la félicité. L'absence de cette vie, ce n'est pas simplement le péché, c'est en même temps la mort (chap. II, 1).

Dans le christianisme (pour nous servir d'une expression moderne), la vie pratique a pareillement sa racine ou son principe moteur dans un fait religieux qui n'est autre que la personne de Christ, ou plutôt le rapport dans lequel on se sera mis avec elle. Ce rapport est ramené ici d'abord à une instruction reçue, en d'autres termes, il est caractérisé d'après sa cause historique extérieure, mais l'apôtre ne manque pas d'ajouter ce qu'il y a de plus essentiel, en relevant aussi la cause intime et mystique, la création nouvelle, l'action restauratrice de Dieu. L'effet de ces causes est dépeint au moyen de formules qui rappellent l'idée de la régénération et qui sont familières aux lecteurs des épîtres pauliniennes (Rom. VI, 6. 2 Cor. V, 17. Col. III, 9). — Quand il est dit, au sujet de Christ: vous l'avez entendu, il s'agit de la prédication faite en son nom et par ses organes. La vérité en Jésus, c'est l'interprétation légitime des principes pratiques à tirer de l'Évangile, dont il est le révélateur et le garant. Dans la phrase: l’esprit de l’intelligence, qu'on est tenté de considérer comme un pléonasme, on peut facilement distinguer la faculté de l'homme en elle-même, laquelle peut être bien ou mal dirigée, comme on l'a vu plus haut (v. 17), et la direction qu'elle prend et qui est appelée son esprit. L'intelligence reste, mais par le renouvellement (la conversion) son esprit, sa tendance change, les ténèbres font place à la lumière. La comparaison d'un état moral avec un vêtement qu'on ôte ou qu'on met, n'est nouvelle ici qu'à l'égard de l'application (comp. Rom. XIII, 14. Gal. III, 27). L'expression: créé à l’image de Dieu, est justifiée par le passage parallèle Col. III, 10. Enfin, la justice et la sainteté sont mentionnées comme des éléments constitutifs de la nouvelle créature, car ce n'est pas elle qui se les donne, elle les tient de Dieu. Et ce sont des qualités inséparables de la vérité (opposée ici à l'erreur qui produit les convoitises), laquelle est pour ainsi dire personnifiée comme la puissance restauratrice qui émane de Christ.

25 Ainsi donc, renoncez au mensonge et dites la vérité, chacun dans ses rapports avec son prochain, puisque nous sommes membres les uns des autres. Dans la colère ne péchez point: que le soleil ne se couche pas sur votre irritation et ne donnez pas prise au diable. Que le voleur ne commette plus de vol; qu'il travaille plutôt de ses mains à faire une bonne besogne, pour qu'il ait de quoi donner à celui qui est dans le besoin.

29 Qu'aucune mauvaise parole ne sorte de votre bouche; que vos discours soient de nature à édifier là où cela est nécessaire, afin de faire du bien à ceux qui les entendent, et n'attristez point le Saint-Esprit de Dieu, dont vous avez reçu le sceau pour le jour de la délivrance. Que toute aigreur, toute colère, toute animosité, toute clameur, toute médisance soient bannies du milieu de vous, ainsi que toute méchanceté. Soyez bons les uns pour les autres, compatissants, vous pardonnant mutuellement, comme Dieu vous a pardonné en Christ.

1 Devenez donc imitateurs de Dieu, comme ses enfants bien-aimés, et appliquez-vous à aimer, à l'exemple de Christ, qui vous a aimés aussi, et qui s'est livré pour vous comme une oblation et un sacrifice d'une odeur agréable à Dieu.

IV, 25-V, 2. Voici maintenant une première série de devoirs recommandés plus spécialement par l'auteur. Ils se suivent sans ordre systématique, selon qu'une association naturelle des idées, ou quelque autre préoccupation les aura suggérés à son esprit. Ces recommandations peuvent nous paraître très élémentaires et par conséquent superflues; il y en a au sujet desquelles on a pu s'étonner de les voir adressées à des chrétiens nouvellement convertis et qu'on supposait pénétrés de toute la ferveur d'une conviction religieuse récemment acquise. Il convient plutôt de se rappeler que des prédications de ce genre étaient chose à peu près inconnue au sein de la société païenne, et que, pour longtemps, tant que l'Église se recrutait essentiellement parmi les adultes, elles étaient bien plus nécessaires qu'elles ne peuvent paraître là où l'éducation domestique les remplace en partie ou leur prépare le terrain.

L'apôtre commence par proscrire le mensonge, par la simple raison que le dernier mot qu'il avait prononcé dans le passage précédent, c'était la vérité. Le devoir de la véracité est basé sur l'idée religieuse, précédemment développée, de l'unité du corps de Christ, puisque les membres d'un même corps, censés tous dirigés par un même esprit, ne sauraient se tromper, se nuire mutuellement.

En second lieu, il parle de la colère, de cette affection à laquelle l'homme se laisse aller si facilement, quelquefois même par des motifs plausibles et légitimes. Car il est à remarquer que la colère n'est pas condamnée d'une manière absolue, et cela d'autant moins que le langage biblique l'attribue quelquefois à Dieu même. Il ne saurait y avoir de doute à cet égard, et la forme particulière de la phrase de l'original (empruntée peut-être au texte grec du Psaume IV, 5) sert à accentuer la défense du péché. Or, pour éviter ce dernier, l'apôtre fait une double recommandation: soyez prêts, enclins, faciles à la réconciliation, n'ayez pas de rancune, calmez-vous aussi tôt que possible, et prenez garde de vous laisser entraîner par la colère à des excès, à des injures, à des crimes. Car le diable profite des moments où l'homme n'est pas maître de lui-même, pour le pousser dans la voie du mal.

La mention du vol fournit l'occasion de signaler ce grand principe de la morale chrétienne, que l'abstention du mal positif n'est pas tout, qu'il faut y joindre l'application au bien opposé (donner au lieu de prendre) et.prévenir par cette nouvelle habitude toute tentation ou rechute.

Les mauvaises paroles peuvent être celles qui troublent la paix entre les hommes, ou celles qui trahissent de mauvais penchants, blessent la pudeur et les convenances et excitent au mal. Les effets communs à tous ces discours peuvent être comparés à une destruction, à un ravage exercé, soit dans la conscience individuelle, soit dans la société. Le contraire est donc l’édification, c'est-à-dire le progrès, la consolidation dans le sens du bien. L'auteur s'adressant à des chrétiens, leur rappelle qu'ils sont censés avoir reçu le Saint-Esprit auquel ils doivent servir de demeure. Mais celui-ci serait attristé, se trouverait mal à son aise, repoussé et dégoûté, s'il était, pour ainsi dire, forcé de subir un voisinage si antipathique à sa nature. L'apôtre veut insinuer que cet esprit (dont les croyants ont été marqués comme d'un sceau auquel Dieu les reconnaîtrait pour siens au jour de la délivrance, c'est-à-dire lors de leur passage de cette vie dans l'autre) serait forcé de se retirer et de les abandonner au sort qui attend ceux auxquels cette marque n'a pas été donnée.

La dernière recommandation est trop simple pour que nous ayons à nous y arrêter; elle nous intéresse cependant à un haut degré parce que l'apôtre, en la rattachant, elle aussi, à l'idée religieuse, à l'exemple de Dieu et de Christ, arrive à nommer la mort, soufferte volontairement par Jésus pour le salut des hommes, un sacrifice, une oblation. C'est presque la seule fois (Rom. III, 25) que cette idée, ou plutôt cette image, se produit dans les épîtres. Comme elle n'est en aucune manière développée dans le texte, nous ne sommes pas autorisés à mettre sur le compte de l'apôtre Paul les définitions, en partie contradictoires, imaginées à son sujet dans les écoles. Tout ce que nous pouvons puiser dans notre passage revient aux faits suivants: 1° Christ a versé son sang par amour pour les hommes; 2° c'est également par amour que Dieu a agréé ce sacrifice. Il n'est donc point question ici d'une compensation exigée par la juste colère du juge, d'une satisfaction matérielle et juridiquement appréciée, comme le veut le système scolastique. Du reste, nous nous en rapportons à l'Histoire de la théologie apostolique, liv. V, chap. 15.

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