Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE AUX ROMAINS

Chapitre 14

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1 Si quelqu'un est faible dans sa conviction, accueillez-le parmi vous, sans vouloir discuter ses opinions. Tel, d'après sa conviction, mange de tout; tel autre, dans sa faiblesse, ne mange que des légumes. Celui qui mange, ne doit pas mépriser celui qui ne mange pas; et celui qui ne mange pas, ne doit pas condamner celui qui mange, car Dieu l'a accueilli aussi. Qui es-tu, toi, pour condamner le serviteur d'autrui? Qu'il reste debout ou qu'il tombe, cela regarde son maître. Cependant il ne tombera pas, car le maître a le pouvoir de le soutenir.

5 Tel estime qu'un jour est plus sacré qu'un autre jour; tel estime tous les jours égaux: que chacun tâche d'avoir une pleine conviction dans son esprit. Celui qui regarde au jour, y regarde à cause du Seigneur, et celui qui ne regarde pas au jour, n'y regarde pas à cause du Seigneur. Et celui qui mange, mange à cause du Seigneur, car il rend grâces à Dieu; et celui qui ne mange pas, ne mange pas à cause du Seigneur, et rend aussi grâces à Dieu.

7 Car aucun de nous ne vit pour lui-même, ni ne meurt pour lui-même; car si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons au Seigneur. C'est pour cela aussi que Christ est mort et ressuscité, afin d'être le maître et des morts et des vivants. Mais toi, pourquoi condamnes-tu ton frère? Ou bien toi, pourquoi méprises-tu ton frère? Nous aurons tous à comparaître devant le tribunal de Dieu. Car il est écrit: «Par ma vie! dit le Seigneur, c'est devant moi que fléchira tout genou et toute langue glorifiera Dieu.» Ainsi donc chacun de nous rendra compte à Dieu pour lui-même.

XIV, 1-12. Ce chapitre tout entier, ainsi qu'une partie du suivant, discute une des questions les plus brûlantes qui agitaient l'Église apostolique. Les prescriptions légales ou traditionnelles, relatives au choix des mets ou au repos sabbatique, restaient-elles obligatoires pour les chrétiens? Loin de s'y soustraire, un certain nombre de fidèles poussaient le scrupule religieux jusqu'à s'interdire l'usage des viandes qui avaient pu passer par les mains des idolâtres avant d'arriver au marché (1 Cor. VIII; X), d'autres poussaient l'ascétisme jusqu'à s'abstenir complètement de la viande et du vin. Ces divergences amenaient à leur suite des dissensions, et menaçaient même de donner aux formes de la vie religieuse une importance exagérée. Paul éprouve le besoin de revendiquer les vrais principes et de garantir l'Évangile contre le danger d'être sacrifié à des pratiques indifférentes en elles-mêmes.

Voici la substance de son raisonnement: Les formes disciplinaires ou ascétiques ne sont pas la chose essentielle. Elles peuvent être différemment comprises ou réglées sans préjudice de l'unité de l'Église, laquelle consiste dans la soumission à un seul maître, et dans la fraternité des disciples. Toutefois Paul ne cache pas que lui, pour sa personne, se met du côté de ceux qui attachent une mince valeur à ces formes, et qui ne se font pas de scrupule de s'en affranchir. Il appelle les autres les faibles, parce que leurs convictions religieuses ont encore besoin de soutiens extérieurs, et ne sont pas encore indépendantes de ce qui est regardé comme un hors-d'œuvre facultatif ou superflu par ceux qui se laissent guider par l'esprit seul. Tel avait, par exemple, la conviction que, pour être bien assuré du salut, il fallait s'imposer des abstinences, ne manger que des végétaux, se priver du vin, férier le sabbat à la façon rabbinique. C'était, au gré de Paul, une erreur, une faiblesse, éventuellement un danger, en tant que cela pouvait faire oublier les véritables conditions du salut: mais ce n'était certes pas un péché, un motif d'exclusion.

Voici maintenant les conseils qui sont donnés aux chrétiens à ce sujet: Paul s'adresse, pour commencer, à ceux qui partagent son avis et leur dit de faire bon accueil aux autres et de ne pas les blesser ou rebuter par une discussion, que leur degré d'intelligence rendait périlleuse pour leur conscience, qui en serait troublée et déroutée (1 Cor. VIII, 9 suiv.). Qu'on les reçoive comme frères, ayant les mêmes titres, les mêmes promesses et espérances; qu'on ne se mette pas au-dessus d'eux en les méprisant. En revanche, ces frères plus scrupuleux ne doivent pas se hâter de condamner les autres. Car c'est le propre de ceux qui professent des opinions plus rigides de se croire en possession exclusive et de la vérité et des avantages qui s'y rattachent; de même que c'est le propre de ceux qui se sont dégagés de certains préjugés, de regarder avec pitié ceux qui y tiennent encore. Ces procédés ne sont pas conformes à l'esprit de l'Évangile: les hommes ne sont pas les juges les uns des autres; à Dieu seul il appartient de décider de leur valeur et de leur avenir. (Le texte vulgaire substitue le nom de Christ à celui de Dieu, au v. 10; voyez cependant les v. 11 et 12.) De plus, Dieu a le pouvoir et la volonté d'accorder le secours de sa grâce spirituelle aux uns comme aux autres, il les soutient dans les périls moraux de la vie terrestre, et fait ainsi qu'ils puissent un jour se présenter devant son tribunal sans être confondus de honte. Rester debout et tomber, sont des métaphores bien connues pour exprimer les idées de vertu et de péché, et par suite celles d'absolution et de condamnation. Ce dernier sens est plus particulièrement fréquent dans l'Ancien Testament.

Après ce support mutuel il y a un second principe tout aussi chaudement recommandé aux lecteurs. Que chacun ait une pleine conviction! Quel que soit le parti qu'on prenne, ou le genre de vie qu'on s'impose ou qu'on se permette, pourvu qu'on le fasse en conscience. Une liberté, provenant de la légèreté du tempérament, serait tout aussi condamnable qu'un ascétisme, fruit de l'hypocrisie. Ce qu'on fait, il faut le faire à cause du Seigneur, c'est-à-dire pour lui plaire, et en vue de ce qu'on croit réellement être sa volonté, ou comme nous dirions plus simplement, par des motifs religieux. Peu importe ce que vous mangez, au point de vue des besoins physiques; mais quoi que vous mangiez, n'oubliez pas de rendre grâces à celui qui vous le donne; rattachez les actes les plus indifférents de votre vie à quelque sainte pensée: cela vaudra infiniment mieux que de vous targuer, soit d'une piété plus grande qui serait démontrée seulement par des abstinences subies contre cœur, soit d'une plus grande intelligence, que vous prouveriez en regardant de haut en bas des hommes qui peuvent avoir beaucoup de bonnes qualités qui vous manquent. Vous êtes convaincus que le travail du sabbat est une profanation: eh bien, pour, vous c'en est une positivement, et il vous en serait demandé compte. Vous êtes convaincus que pour les chrétiens les jours sont égaux: eh bien, n'oubliez pas de les sanctifier tous par votre conduite.

On tirera de ceci (avec l'apôtre, v. 7, 8) le principe que toute notre vie doit être consacrée à Dieu. Nous ne sommes pas les maîtres de nos personnes, mais des serviteurs responsables: il n'y a pas une pensée, pas un moment, dont nous n'ayons à rendre compte. Ce principe admis et devenu le régulateur suprême de notre vie, nous saurons toujours nous guider dans les choses secondaires et extérieures. C'est par ce principe que Jésus a rattaché la morale tout entière à la vérité religieuse, et il a pu abandonner ensuite à chacun, ou plutôt à l'esprit de Dieu opérant dans chacun, d'en tirer les applications légitimes dans chaque circonstance. Plus une doctrine morale se hâte d'aborder et de réglementer ce qu'on appelle les cas spéciaux, plus elle trahit l'insuffisance de sa base et l'incertitude de ses axiomes. Du reste, on remarquera (surtout par le v. 9 comparé à ce qui précède) que la personne de Dieu et celle de Christ, sans se confondre précisément, sont pourtant placées sur la même ligne au point de vue de la question débattue.

13 Ne nous condamnons donc point les uns les autres; ayez plutôt pour maxime de ne point mettre dans le chemin de votre frère un achoppement ou une occasion de péché. (Je sais et je crois, en Jésus mon Seigneur, que rien n'est impur par soi-même, si ce n'est pour celui qui pense que quelque chose est impur; pour celui-là c'est impur). Car si ton frère est affligé par ce que tu manges, tu n'agis plus selon la charité. Ne cause pas, par ton manger, la perte de celui pour lequel Christ est mort.

16 Ne faites pas en sorte que ce que vous avez de bon soit décrié. Car le royaume de Dieu, ce n'est pas le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie, dans le Saint-Esprit. En effet, celui qui sert Christ de cette façon est agréable à Dieu et approuvé des hommes. Ainsi donc, recherchons les moyens de la paix et de l'édification mutuelle.

20 Ne va pas, pour un aliment, ruiner l'œuvre de Dieu! Toutes choses, il est vrai, sont pures; mais il est mal à l'homme dé manger de manière à choquer un autre. Il est beau de ne pas manger de viande, ni de boire du vin, ni telle chose par laquelle ton frère est choqué. Tu as ta conviction? Garde-la pour toi, par devant Dieu. Heureux celui qui ne se condamne pas lui-même en ce qu'il approuve! Celui qui doute, quand il mange, est condamné, parce qu'il ne le fait pas par conviction: or, tout ce qui ne se fait pas par conviction, est un péché.

XIV, 13-23. Voilà le troisième conseil donné au sujet de cette différence d'appréciation de certaines formes, réputées religieuses par les uns, indifférentes par les autres. En théorie, sans doute, tout ce que Dieu a créé pour la nourriture des hommes est également acceptable, pourvu qu'on en use avec reconnaissance, (v. 14, 20). La loi, à la vérité, fait une distinction entre des choses pures et impures, mais l'Évangile ne la fait plus. En Jésus, c'est-à-dire pour celui qui est uni à Christ, elle n'existe plus. Mais dans la pratique il y a un autre principe à faire valoir, lequel n'est pas moins chrétien. C'est celui de la condescendance, des égards que les frères plus éclairés, plus libres d'idées judaïques, doivent avoir pour les faibles, auxquels leur conviction actuelle défend encore certaines choses. Vis-à-vis de ceux-ci il est beau, non seulement de ne pas les engager à agir contrairement à leur conscience, mais encore de ne pas leur prêcher d'exemple, tant que les progrès de leur instruction n'auront pas changé leur point de vue. Car la moralité des actes, même indifférents en théorie, se juge d'après la conviction qu'on a de leur portée religieuse. Partout où cette conviction n'est pas très décidément pour l'approbation, partout où l'on doute encore, il faut s'abstenir, autrement il y a péché et responsabilité. On se condamne, on devient coupable, en approuvant de fait ce qu'on désapprouve en principe. Par conséquent, celui qui, par des conseils ou par son exemple, entraîne un autre à agir comme si ce doute n'existait pas chez lui, ou contrairement à la désapprobation formelle de sa conscience, le fait pécher, lui met une pierre dans le chemin (le texte vulgaire de verset 21 a encore quelques synonymes de plus), et devient la cause de sa chute.

Pourquoi le devient-il? Uniquement pour ne pas sacrifier ses propres droits! peut-être pour en faire parade! Est-ce là de la charité? est-ce là suivre l'exemple de Christ qui s'est dépouillé de tout, qui a donné sa vie pour sauver cette âme, que toi tu perds pour manger à ton aise? Mais est-ce donc cette liberté de manger ce qu'on peut désirer qui constitue l'essence du christianisme? Est-ce que le royaume de Dieu est là où l'on en use avec le moins de scrupule? Avec cette revendication égoïste de la liberté dans les choses accessoires et matérielles, on arrive à faire décrier ce qu'on a de bon, c'est-à-dire, soit les bonnes qualités qu'on a, soit aussi le christianisme plus pur, tel qu'on l'a compris, et tel qu'il est conforme à la vérité. Car les hommes, surtout ceux dont l'horizon est restreint, aiment à s'en tenir aux choses extérieures. Le Juif jugeait les hommes et les classait en vue de la circoncision, le chrétien faible juge ses frères d'après ce qui le choque, les hommes non convertis en général ont l'œil ouvert sur ce qu'il y a de plus facile à saisir dans la conduite des chrétiens, et à quoi ceux-ci ne font guère attention. Faites donc le sacrifice de votre liberté, plutôt que de vous exposer à de faux jugements. Il est des choses qu'on n'a pas besoin d'afficher (v. 22); il suffit que Dieu les sache.

Le principe que l'apôtre fait valoir ici, en vue de préjugés qui en apparence ne sont plus de notre siècle, ne laisse pas d'être applicable dans mainte circonstance, où des actes non condamnables en eux-mêmes sont jugés tels par une conscience timorée ou par une piété qui regarde aux formes. Tous les plaisirs de société peuvent provoquer ces scrupules et ces conseils. Il y a plus. La question spéciale discutée dans notre texte est restée identiquement la même pour des cas nombreux. Des Israélites convertis au christianisme, des catholiques entrés dans l'Église protestante, peuvent se trouver, à l'égard du choix des aliments, dans la même position que les anciens judéo-chrétiens, et les disciples de Paul feront bien d'agir à leur égard comme l'apôtre vient de le leur recommander.

C'est à la fin de ce chap. XIV que beaucoup de manuscrits et plusieurs éditions modernes placent la doxologie qui forme la fin de l'épître dans les éditions ordinaires (chap. XVI, 25-27). Nous avons parlé de ce fait dans l'introduction.

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