Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE AUX ROMAINS

Chapitre 9

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L'apôtre est arrivé à la fin de son exposé théorique de l'Évangile. Il a prouvé que tous les hommes sont pécheurs; que la grâce seule, et non les œuvres, peut les sauver; que la foi et la régénération, en changeant complètement notre nature, ne nous affranchissent pas seulement de la coulpe et du péché, mais encore du joug de la loi, et qu'ainsi les privilèges autrefois accordés à Israël n'ont plus aujourd'hui de valeur, ni pour favoriser les uns, ni pour exclure les autres. C'est à cet élément de la discussion que Paul va maintenant s'arrêter encore plus spécialement, après y avoir touché à différentes reprises (voyez surtout chap. III, 1 suiv.). Il est frappé de cette considération, nous aurions pu dire de ce fait tragique, que le peuple juif, qui depuis un temps immémorial avait été l'objet d'une sollicitude si exceptionnelle de la part de la Providence, non seulement n'était pas plus avancé pour cela dans la voie du salut que les païens, autrefois exclus des grâces particulières de Dieu, mais restait maintenant en arrière de ceux-ci, et risquait même de manquer le but tout à fait, parce que, se prévalant de ses anciens privilèges, il dédaignait la grâce offerte à l'humanité. Car il était de fait que dans les églises l'élément païen commençait à prédominer sensiblement sur l'élément juif, que l'opposition venait surtout de la synagogue, et Paul est ainsi amené à chercher l'explication de ce phénomène, si contraire en apparence aux desseins de Dieu consignés dans l'Écriture.

1 Je déclare en toute sincérité devant Christ, et je ne mens point (ma conscience, guidée par le Saint-Esprit, me l'attestant), que je suis profondément affligé, et que mon cœur éprouve une douleur incessante, au point que je voudrais être moi-même frappé de malédiction et séparé de Christ, pour le salut de mes frères, de mes parents selon la chair, je veux dire des Israélites, auxquels appartenaient la dignité de fils, et la perspective glorieuse, et, les alliances, et la législation, et le culte, et les promesses, et les patriarches, et desquels est issu Christ, selon la chair, qui est au-dessus de tous; que Dieu en soit béni à toute éternité! Amen.

IX, 1-5. Paul proteste de ses sentiments de regret; il oublie d'en préciser la cause et l'objet. C'est que sa pensée est tellement naturelle et découle si facilement des faits théologiques établis par la discussion précédente, qu'il ne peut exister le moindre doute à cet égard. Depuis de longs siècles il a été tant fait par Dieu et par ses organes à l'effet d'assurer le salut d'Israël, et voilà qu'Israël ne l'obtient pas, parce qu'il reste indifférent et même hostile. On voit tout de suite que l'auteur prend le peuple juif en masse, dans sa grande majorité, il ne tient pas compte des exceptions individuelles plus ou moins nombreuses; il en fera de même à l'égard des païens, qui ne sont pas convertis tous, tant s'en faut, mais chez lesquels la proportion était beaucoup plus favorable que chez les Juifs. Il ne faut pas perdre de vue cette manière de raisonner, dans l'appréciation de cette partie du traité. Elle est d'ailleurs absolument conforme au point de vue et aux habitudes rhétoriques des prophètes.

Pour signaler l'énergie de ses regrets, Paul se sert d'une expression qui lui a valu bien des critiques. Il déclare qu'il serait prêt à faire le sacrifice de son propre salut, si par là il pouvait obtenir celui de tous les Israélites. Il n'y a pas à hésiter: c'est bien là ce qu'il dit. Le mot qu'on traduit ordinairement par anathème, signifie dans l'origine un objet consacré à Dieu, de manière à être voué à la mort ou à la destruction. C'est dans ce sens qu'il en est parlé fréquemment dans l'ancienne histoire d'Israël. Or, s'il fallait presser la lettre du texte, Paul dirait ici une monstruosité. Car sa phrase impliquerait à la fois cette idée, que ce pourrait être chose bonne et chrétienne de renoncer au salut personnel, et cette prétention, absolument contraire à l'enseignement de l'auteur lui-même, d'offrir à Dieu quelque chose de plus que Christ même n'a pu ni dû offrir pour le salut du monde entier. Mais nous pouvons supposer que l'auteur n'a pas raisonné ainsi. Entraîné par la vivacité de son sentiment, il a voulu simplement exprimer cette pensée généreuse: Je donnerais tout pour qu'il en fût autrement!

L'énumération de tous les avantages réservés jadis aux Israélites, à l'exclusion des autres peuples, reprend l'idée abordée mais non développée au commencement du troisième chapitre. Les détails ne demandent pas d'explication. L'Écriture appelle les Israélites les fils de Dieu (2 Cor. VI, 18, etc.); la gloire, est certainement celle qui devait leur échoir à la consommation des temps; les alliances, au pluriel, sont celles qui ont été faites successivement, avant Moïse déjà, avec les patriarches. Ces derniers, les types des hommes selon le cœur de Dieu, étaient en même temps l'honneur de la nation à la tête de laquelle ils étaient placés; on pourrait dire qu'ils l'ennoblissaient. Enfin le privilège le plus éclatant, c'était de voir naître de leur sang celui qui est au-dessus des patriarches mêmes, Christ, le fils de Dieu, le sauveur prédestiné du monde.

La dernière phrase de ce texte a donné lieu à des débats très animés entre les commentateurs. On a proposé diverses méthodes de ponctuation, d'après lesquelles Christ était tantôt désigné comme Dieu (... Christ, lequel est Dieu sur toutes choses, béni éternellement), tantôt distingué de Dieu (... Christ. Que le Dieu qui est sur toutes choses soit béni, etc.). La première de ces deux interprétations se heurte contre des passages tels que 1 Cor. VIII, 6; III, 23; XI, 3. 1 Tim. II, 5. Éph. I, 17; IV, 5, 6, et contre ce fait, que Paul ne formule des doxologies qu'en l'honneur de Dieu (le père). Mais la seconde aussi ne se recommande pas par la simplicité naturelle de la construction; la doxologie est comme suspendue en l'air. Nous avons essayé d'une troisième combinaison, d'après laquelle Paul exprime deux idées, parfaitement justifiées par le contexte: sans doute la naissance de Christ au sein du peuple juif constitue un privilège pour celui-ci, et il n'a garde de l'oublier dans l'énumération; mais il importe de reconnaître la portée de ce privilège; Christ est au-dessus des patriarches, au-dessus de tout ce qu'Israël possédait en fait de privilèges, comme cela a été suffisamment prouvé plus haut. C'est de ce fait, méconnu par les Juifs, que l'apôtre loue Dieu, car c'est précisément sur cette supériorité que se fonde l'espérance du salut.

Après avoir posé et déploré le fait de l'éloignement des Juifs pour l'Évangile et du risque qu'ils courent de perdre le salut, qui pourtant leur était promis, l'apôtre se hâte de démontrer que ce fait ne saurait être mis à la charge de Dieu.

6 Mais ce n'est pas à dire que la parole de Dieu soit devenue vaine. Car le vrai Israël, ce ne sont pas tous ceux qui sont issus d'Israël, et de ce qu'ils sont de la race d'Abraham, il ne s'ensuit pas qu'ils sont tous ses enfants; mais (est-il dit): C'est d'après Isaac que ta race sera nommée. Cela veut dire: ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont les enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui comptent comme la vraie race. Car il s'agissait bien d'une promesse quand il fut dit: Vers ce temps-là je viendrai et Sara aura un fils.

IX, 6-9. Premier argument. Sans doute, dit l'apôtre, Dieu a fait des promesses à Abraham en faveur de sa race, mais qu'est-ce donc que la race d'Abraham? Ce ne sont pas ses descendants naturels, sans aucune réserve ni distinction. De même que les promesses elles-mêmes sont prises ici dans un sens spirituel et évangélique, de même la notion de postérité se spiritualise également, comme nous l'avons vu plus haut (chap. IV. Comp. Gal. III; IV). L'argumentation se fonde cependant sur d'autres passages de la Genèse. Il y a d'abord celui du chap. XXI, 12, relatif à Isaac. Abraham a eu plusieurs enfants, dont les descendants formaient sa postérité dans le sens naturel. Mais Dieu lui dit: c'est d'après Isaac (seul) que ta race sera nommée; il y a donc à dire que, pour être de la race d'Abraham, dans le vrai sens, c'est-à-dire pour être héritier des promesses, il faut autre chose encore que la filiation charnelle.

Cette autre chose ou condition, Paul la résume par le mot: promesse, en partant du passage Gen. XVIII, 10, où Dieu promet la naissance d'Isaac. Cet argument serait extrêmement faible et précaire, si l’on ne savait que l'exégèse de Paul avait trouvé qu'Isaac n'était pas né d'après les lois ordinaires de la nature, mais qu'il était l'enfant du miracle (Gal. IV, 29. Rom. IV, 19), ou, comme il dit, l'enfant de l'esprit et non de la chair. De cette manière, Isaac devient le type de tous ceux qui naîtront également de l'esprit, c'est-à-dire par la voie de la régénération spirituelle (Jean I, 13). On comprend que ces raisonnements n'ont aucune force probante tant qu'on considère les récits de la Genèse comme rapportant de simples faits historiques. Mais c'est précisément en cela que Paul et ses contemporains partaient d'un point de vue absolument différent du nôtre. Ils y voyaient, non des faits, mais des symboles destinés à représenter des idées ou des thèses de théologie. Nous en trouverons tout à l'heure de nouvelles preuves; mais nous prions nos lecteurs de relire le commentaire sur Gal. IV, 21 suiv., et surtout celui sur Hébr. VII, 1 suiv.

10 Mais ce n'est pas tout. Il y a encore Rebecca qui était enceinte du fait d'un seul homme, d'Isaac notre père. Car avant que ses fils fussent nés, avant qu'ils eussent fait ni bien ni mal (afin que le décret de Dieu subsistât, lequel est basé sur l'élection et ne dépend pas des œuvres, mais de la volonté de celui qui fait l'appel), il lui fut dit que l'aîné serait le sujet du cadet, ainsi qu'il est écrit: J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü.

IX, 10-13. Deuxième argument. Dieu est libre d'accorder sa grâce à qui il veut. L'auteur venait de dire qu'il n'y a pas de droit de naissance à faire valoir, il ajoute maintenant que les œuvres ne constituent pas de titre non plus. À cet effet, il prend l'histoire de Rebecca (Gen. XXV), histoire tellement familière à tous les Juifs, qu'il oublie de mentionner la chose essentielle, c'est que la femme d'Isaac était enceinte de jumeaux. Par ce fait, ce nouvel exemple est plus instructif encore que le précédent. Il y a là le même père, la même mère, simultanéité de naissance, enfin, déclaration de Dieu antérieure à la naissance des enfants. Dieu a fait son choix d'avance, il le déclare à la mère (Gen., v. 23), et confirme sa déclaration plus tard encore par le prophète (Mal. I, 2, 3). Il résulte de tout cela que la grâce de Dieu. (L’appel efficace à la participation au salut) ne dépend point des œuvres, comme le prétendaient les Juifs, qui à cet égard se croyaient en règle, mais de la seule volonté de Dieu, c'est-à-dire d'une élection, d'un choix libre, d'un décret absolu et antérieur aux faits contingents.

14 Qu'en conclurons-nous? Dieu est-il injuste? C'est impossible! En effet, il dit à Moïse: J'accorderai ma grâce à qui je voudrai, et je serai miséricordieux envers qui je voudrai. Ainsi cela ne dépend pas de la volonté ni des efforts de l'homme, mais de la grâce de Dieu. 17 Aussi l'Écriture dit-elle à Pharaon: C'est pour cela même que je l’ai suscité, afin de montrer en toi ma puissance et pour que mon nom fût proclamé sur toute la terre. Ainsi donc il fait grâce à qui il veut, et il endurcit qui il veut.

IX, 14-18. Le second argument, développé plus haut, et qui en appelait à la volonté libre et absolue de Dieu, avait de quoi choquer le sentiment moral. Comment donc? Les œuvres des hommes ne seraient pour rien dans la fixation de leur destinée? Paul tient à écarter l'objection; il veut défendre Dieu contre cette accusation d'injustice. Mais à cet effet il n'a garde de s'engager dans une discussion philosophique. Il se borne à invoquer l'Écriture et prouve, par deux citations, qu'il n'a fait que tirer les conséquences légitimes de l'histoire des enfants de Rébecca.

La première citation, empruntée à Exode XXXIII, 19, rappelle une déclaration sèche et catégorique du principe: Jéhova dit à Moïse: Je donne mes faveurs à qui je veux. Paul en conclut très logiquement que l'homme n'y est pour rien; ce n'est pas en courant après (1 Cor. IX, 24) qu'il atteindra le but. C'est l'affaire du bon vouloir de Dieu.

La seconde citation est plus significative encore (Exode IX, 16); car ici il s'agit du résultat opposé. On comprend qu'il soit dit que l'homme n'arrive au salut que par la grâce de Dieu, mais ici l'homme arrive à sa perte, parce que Dieu veut le perdre. Pharaon agit comme il le fait, à l'égard des Israélites, parce que Dieu l'y excite (le suscite); il se roidit contre les demandes que Moïse lui adresse au nom de ce même Dieu, parce que celui-ci veut faire voir au monde qu'il arrive à ses fins malgré la résistance des hommes, et qu'il veut tirer gloire de cette victoire. C'est l'Écriture qui dit cela formellement, il n'y a donc pas lieu d'en douter.

On ne perdra pas de vue que tous ces raisonnements exégétiques ont pour unique but d'établir que les Juifs contemporains n'ont pas le droit d'accuser Dieu s'ils manquent leur salut. En apparence, Paul arrive donc à des conclusions contraires à son but, puisque, après tout, Dieu seul décide et agit. Mais il a prouvé: 1° que les Juifs n'ont pas de privilège, malgré leur rapport naturel avec Abraham; 2° que Dieu, en faisant son choix, ne peut pas être taxé d'injustice, ses procédés étant éternellement les mêmes et étant signalés comme norme de son gouvernement, par l'autorité la plus irréfragable, par l'Écriture elle-même. Malgré cela, Paul sent qu'il n'a pas réussi à faire taire tous les doutes.

19 Or, tu me diras: Pourquoi donc blâme-t-il encore? qui donc peut résister à sa volonté? Eh mais, ô mortel, qui es-tu donc, toi, pour contester avec Dieu? Est-ce que le vase dira à celui qui l'a fabriqué: Pourquoi m'as-tu fait ainsi? Ou bien le potier n'a-t-il pas pouvoir sur l'argile, de manière à faire de la même masse tel vase d'honneur, tel autre pour un usage vil?

IX, 19-21. Le bon sens moral objecte: Si la théorie de la volonté absolue de Dieu est poussée jusqu'à cette conséquence extrême, que le mal même est l'effet d'une cause suprême et irrésistible, il s'ensuivra que toute responsabilité cesse du côté de l'homme. Cela peut-il être le dernier mot de la théologie?

Et la théologie, esclave de la logique, ne sait plus que répondre. Elle oppose à l'objection, fondée sur le principe de la liberté morale, une espèce de fin de non-recevoir. Elle assimile l'homme à la matière inerte, dont l'artiste fait ce qu'il veut, sans qu'elle puisse disposer d'elle-même et sans que l'objet fabriqué puisse réclamer. L'image du potier n'est pas de l'invention de Paul (Jér. XVIII, 6. És. XLV, 9. Sap. XV, 7. Sir. XXXVI, 7). Nous le répétons, il reste conséquent jusqu'au bout: les exemples d'Esaü et de Pharaon, interprétés d'après les textes mêmes de l'Écriture, devaient immanquablement conduire jusque-là. Seulement on peut dire que, pour l'apôtre, il ne s'agissait pas ici de certains individus mentionnés dans l'histoire ancienne, mais de symboles représentant les destinées réservées à des catégories entières d'hommes, à de grandes portions de l'humanité.

L'apôtre s'est laissé entraîner dans la sphère de la théorie abstraite. Il a hâte de revenir à la question de fait, et tout en continuant à se servir de l'image du potier, il va revendiquer pour Dieu le droit d'accorder sa grâce aux uns (spécialement aux païens), tout en la refusant aux autres (spécialement aux Juifs).

22 Et si Dieu, voulant montrer sa colère et faire connaître sa puissance, a supporté, dans sa grande longanimité, des vases de colère fabriqués pour la perdition.....? et s'il a voulu faire connaître sa glorieuse richesse à l'égard des vases de grâce, qu'il a préparés d'avance pour la gloire, qu'il a aussi appelés (c'est de nous que je parle), non seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les païens....?

23 Comme il est aussi dit dans Osée: «J'appellerai mon peuple, celui qui n'est pas mon peuple, et la bien-aimée, celle qui n'était pas aimée, et là où on leur disait: vous n'êtes pas mon peuple, ils seront appelés fils du Dieu vivant.» D'un autre côté, Ésaïe s'écrie au sujet d'Israël: «Lors même que le nombre des fils d'Israël serait comme le sable de la mer, il n'y a que le reste qui sera sauvé. Car consommant et décidant la chose avec justice, le Seigneur achèvera la chose décidée sur la terre.» Et, comme Ésaïe l'a dit auparavant: «Si le Seigneur Sabaoth ne nous avait laissé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome, nous aurions été semblables à Gomorrhe.»

IX, 22-29. Le style de ce morceau est très négligé et la lucidité du raisonnement en souffre. Commençons donc par ce qu'il y a de plus clair.

Paul cite d'abord deux passages du prophète Osée (chap. II, 25; I, 10) qui doivent prouver la vocation des gentils, comme rentrant dans les desseins de Dieu dès l'époque de l'ancienne alliance. On ne doit donc pas s'étonner ni se plaindre si aujourd'hui cette vocation s'effectue dans la réalité. Les Juifs ont tort de protester contre l'entrée des païens dans l'alliance évangélique, puisque les prophètes déjà l'ont prédite.

En second lieu il cite deux passages d'Ésaïe (chap. X, 22 s.; I, 9) qui annoncent également d'avance que la majorité d'Israël sera privée du salut, qu'une minorité seulement sera sauvée. C'est donc à la fois une menace, accomplie dès à présent, et une promesse consolante pour l'avenir à laquelle l'auteur reviendra plus bas.

Ces deux citations sont précédées par deux phrases assez obscures que nous avons cherché à rendre plus claires en les envisageant comme des questions non achevées, qu'on complétera en ajoutant: que veut-on de plus? la chose ne s'explique-t-elle pas suffisamment? Les deux questions sont destinées à relever le but que Dieu peut avoir eu, en agissant comme il l'a fait. Dieu veut faire connaître et sa puissance et sa miséricorde. Il choisit librement (comme le potier) les objets sur et par lesquels sa volonté doit se révéler. Il y aura donc des vases de perdition, des hommes qui périront (spécialement les Juifs qui aujourd'hui ne sont pas touchés par la grâce); et ceux-là même ont été supportés longtemps, quoique Dieu eût pu les frapper bien plus tôt. Il y aura aussi des vases de grâce, prédestinés au salut, sans leur mérite (spécialement nous, les croyants, n'importe notre origine nationale).

Pour l'appréciation théologique de toute cette argumentation, nous renvoyons les lecteurs au 12e chapitre du cinquième livre de notre Théologie apostolique.

L'apôtre aborde maintenant un autre côté de la question. Loin de pouvoir accuser Dieu d'injustice, les Juifs déshérités des promesses divines n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes. Des hauteurs de la métaphysique, l'auteur redescend dans la sphère des réalités psychologiques et religieuses.

30 Qu'en conclurons-nous? C'est que les païens, qui n'ont point fait d'efforts pour la justice, ont obtenu la justice, savoir celle qui vient par la foi; tandis qu'Israël, tout en faisant des efforts dans le sens d'une loi de justice, n'est point arrivé à la loi de justice. Pourquoi cela? Parce qu'il ne la cherchait pas par la foi, mais comme si elle devait venir par les œuvres de la loi. Ils se heurtèrent contre la pierre d'achoppement, au sujet de laquelle il est écrit: «croyez, je place en Sion une pierre d'achoppement et un rocher qui fait trébucher: celui qui aura foi en lui ne sera pas déçu.»

1 Mes frères, l'affection de mon cœur et la prière que j'adresse à Dieu sont pour eux et leur salut. Car je leur rends ce témoignage qu'ils ont du zèle pour Dieu, mais sans intelligence. En effet, c'est en méconnaissant la justice de Dieu, et en voulant établir leur propre justice, qu'ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu. Car Christ est la fin de la loi, donnant la justice à quiconque a foi en lui.

IX, 30-X; 4. Quels sont, demande l'auteur, les faits historiques et concrets qui correspondent à ces faits typiques et à ces prophéties? C'est 1° la conversion de beaucoup de païens, 2° l'endurcissement de la majorité des Juifs. Le premier de ces faits est simplement constaté en passant. Les païens qui n'ont pas fait d'effort pour la justice (expression très adoucissante après le tableau du chap. I, 18 suiv.), c'est-à-dire, qui vivaient comme s'il n'y avait ni Dieu, ni loi, ni conscience, ils ont obtenu la justice; bien entendu, ceux qui se sont convertis, et en assez grand nombre, pour que cela ait pu frapper l'observateur. C'est-à-dire, ils se sont mis avec Dieu dans le rapport décrit plus haut, chap. III, 21 suiv. On voit tout de suite que, pour bien comprendre ce morceau, tant soit peu obscur à cause de la brièveté de l'expression, il ne faut pas perdre de vue que le terme de justice représente diverses notions. C'est tantôt l'état moral conforme à la loi, soit naturelle (pour les païens), soit positive (pour les Juifs); tantôt l'état de celui auquel Dieu a pardonné ses anciens péchés, en vue de sa foi en Christ (de sa régénération).

Le second fait préoccupe l'apôtre dans tout le reste de ce chapitre. C'est la position prise par la masse des Israélites à l'égard de l'Évangile. Ils l'ont repoussé; ils ont manqué le salut; ou pour employer le terme consacré: ils ne sont point arrivés à la justice, à cette seule justice que l'homme puisse atteindre, la justice octroyée à la foi par la grâce. Comme cette justice est l'effet ou la conséquence d'une institution ou dispensation divine, Paul la nomme une loi, une règle, un ordre de choses, une constitution, et il se sert de même du mot: ils ne se sont pas soumis à cette justice.

Et pourquoi cela? Ils n'étaient pourtant pas plus dépravés que les païens? Au contraire, ils faisaient de continuels efforts pour se régler sur la loi de Dieu, sur cette loi mosaïque qui prêchait la justice, qui en faisait une obligation impérieuse. Mais c'est précisément en cela qu'ils ont manqué le but. S'imaginant que l'homme peut, par ses propres forces, faire toujours tout ce que Dieu demande, ils cherchaient la justice par les œuvres; zélés pour leur loi et les devoirs qu'elle imposait, ils prétendaient établir leur justice, c'est-à-dire la faire agréer comme parfaite par le juge suprême, et méconnaissaient ainsi ce que Dieu pourtant leur avait fait pressentir, ce qu'aujourd'hui il leur fait déclarer ouvertement, savoir que la justice dont Dieu se trouve satisfait, c'est celle qu'il attribue lui-même au croyant, à celui qui est devenu un nouvel homme en Christ. Car Christ est la fin de la loi. Avec son apparition commence un nouvel ordre de choses (Gal. III, 19), la loi a fait son temps, et ce n'est plus d'elle que l'homme doit attendre son salut, comme il a pu le faire antérieurement. C'est un manque d'intelligence de la part des Juifs, de ne pas se rendre compte de ce changement (2 Cor. III, 14, 15); malheureusement c'est aussi pour eux un péril des plus terribles.

Habitué à appuyer tous ses raisonnements sur des textes scripturaires, Paul invoque encore ici deux passages d'Ésaïe (chap. VIII, 14; XXVIII, 16), qui, même avec le sens qu'il leur prête, ne rendent pas sa démonstration plus lucide. Le rocher doit être Christ: il est pour les uns (qui ne croient pas en lui) une pierre d’achoppement, c'est-à-dire une occasion ou cause de chute et de damnation; pour les autres (les croyants) une base solide, c'est-à-dire le fondement de leur salut.

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