Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE AUX ROMAINS

Chapitre 8

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1 Il n'y a donc plus maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ. C'est que la condition de l'esprit de la vie m'a affranchi, en Jésus-Christ, de la condition du péché et de la mort. En effet, ce qui avait été impossible à la loi, ce en quoi elle était trop faible par le fait de la chair, Dieu l'a opéré en envoyant son fils, dans un corps semblable à notre chair de péché, et en vue du péché, et a vaincu le péché dans la chair, afin que le commandement de la loi fût accompli en nous, en tant que nous ne vivrions plus selon la chair, mais selon l'esprit.

5 Car ceux qui sont selon la chair, tendent à ce qui est de la chair; ceux, au contraire, qui sont selon l'esprit, tendent à ce qui est de l'esprit. Or, la tendance de la chair aboutit à la mort, mais la tendance de l'esprit aboutit à la vie et à la paix. C'est que la tendance de la chair est l'inimitié contre Dieu, puisqu'elle ne se soumet pas à la loi de Dieu (aussi bien ne le peut-elle pas), et ceux qui sont dans la chair ne sauraient plaire à Dieu.

9 Mais vous, vous n'êtes plus dans la chair, mais dans l'esprit, si tant est que l'esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n'a pas l'esprit de Christ ne lui appartient pas. Or, si Christ est en vous, le corps, il est vrai, est assujetti à la mort à cause du péché; mais l'esprit a la vie à cause de la justice. Et si l'esprit de celui qui a ressuscité Jésus des morts habite en vous, lui, qui a ressuscité Christ des morts, fera revivre aussi vos corps mortels par son esprit qui habite en vous.

VIII, 1-11. Le morceau précédent constatait que l'homme, abandonné à ses propres forces, ne vient jamais à bout de vaincre la chair par la raison, la loi du péché par celle de Dieu; et que, par conséquent, il se trouve toujours dans un état de misère morale, et en face d'un avenir qui ne peut mieux se définir que par le terme de mort. Mais la dernière ligne signalait en même temps le moyen, à la fois unique et sûr, de sortir de cette situation, ou plutôt elle reproduisait en deux mots ce qui avait déjà été développé dans la première moitié du chap. VI. C'est l'union personnelle avec Christ qui fait cesser cet état des choses (qui fait mourir le vieil homme) et en amène un autre (ressuscite un homme nouveau). Le présent chapitre est destiné à dépeindre les résultats de ce changement.

Le passage que nous venons de traduire offre donc une certaine analogie avec le chap. V, mais nous n'avons pas ici une simple reproduction delà même pensée. Plus haut, il s'agissait de la justification par la foi en vue des péchés antérieurs, du moyen offert par Dieu à l'humanité de se débarrasser de la coulpe ancienne et de la peine encourue; ici il est question de la nouvelle vie, provoquée et alimentée par l'esprit de Christ, qui assure à l'homme la victoire sur la chair pour la seconde période de son existence terrestre.

Partout, dans notre texte, nous retrouvons l'antithèse entre les deux phases de la vie morale et spirituelle de l'homme, telles que nous avons appris à les connaître par l'analyse psychologique et théologique des pages précédentes. Cette antithèse se résume le plus simplement dans les deux termes de la chair et de l'esprit. Ce sont là comme deux principes, ou puissances, ou conditions (chap. VII, 21; litt.: règles) d'existence, considérées tour à tour comme donnant une impulsion, comme caractérisant une manière d'être, comme suivant une direction et aboutissant à une fin. De là ces expressions variées: vivre (marcher) selon la chair ou l'esprit; être selon ou dans la chair, ou l'esprit; tendre à (s'attacher, à aimer, affectionner) ce qui est de la chair, ou de l'esprit, etc. De là aussi ce fait, plusieurs fois répété, que l'une de ces conditions ou tendances exclut l'autre; qu'il y a antagonisme et incompatibilité entre elles; que de la réalité de l'une on pourra toujours conclure à l'absence de l'autre.

Tant que la chair domine, l'homme est dans un état d'inimitié relativement à Dieu; transgressant continuellement ses lois, il ne saurait lui plaire; par ses propres efforts, parfaitement insuffisants, si tant est qu'il en fasse de bien sérieux, il n'arrive pas à un accomplissement complet de ses devoirs, par conséquent il n'a devant lui que le jugement réprobateur de Dieu, la condamnation, la mort. La loi (mosaïque) est impuissante à changer cet état de choses, comme cela a été prouvé surabondamment; elle ne prévaut guère sur l'ascendant de la chair; elle a beau commander, elle ne parvient pas à se faire obéir en toute occasion.

C'est donc d'ailleurs que doit venir le salut. En effet, il est venu, il est à la portée de tous. Dieu a envoyé son fils, revêtu d'un corps semblable au nôtre, à ce corps, siège et instrument du péché; il l'a envoyé en vue (à cause) du péché, pour le vaincre, pour faire en sorte qu'il ne fût plus invincible. Or, Christ a vaincu le péché en sa personne humaine, et par cette victoire il l'a condamné, c'est-à-dire rendu impuissant désormais contre ceux qui le combattraient en lui, qui, unis à lui, vivant de son esprit, qui est l'esprit de Dieu, arriveraient à accomplir le commandement de la loi, litt.: ce qu'elle déclare droit et juste, et seraient ainsi affranchis de la condition dans laquelle ils se débattaient misérablement comme esclaves du péché, avec la perspective de la mort.

Sans doute la mort (physique) subsiste, parce que le péché subsiste aussi et qu'il n'y a pas un seul homme qui en soit exempt (c'est là l'explication authentique que Paul donne du passage chap. V, 12); mais si le corps reste assujetti à la mort par le fait au péché, il y a espoir et assurance de vie pour l'esprit, par le fait qu'il y a aussi maintenant possibilité de justice, dans le sens des chap. III, 21 suiv. ; IV et V, c'est-à-dire qu'il y a une justice que l'homme peut atteindre et que Dieu veut accepter comme telle, savoir celle de la foi. Il y a plus: le corps aussi finira par participer à cette vie de l'esprit (laquelle, à vrai dire, commence avec la régénération) par la résurrection des morts. Cette dernière est donc le corollaire de la résurrection mystique du nouvel homme (chap. VI, 5), comme cela a été démontré 1 Cor. XV, 12 suiv.

12 Ainsi donc, mes frères, nous sommes engagés, non point envers la chair, de manière à vivre selon la chair.... Car si vous vivez selon la chair, vous devez vous attendre à mourir. Si, au contraire, vous mortifiez l'activité du corps par l'esprit, vous vivrez. Car tous ceux qui se laissent guider par l'esprit de Dieu, sont fils de Dieu.

15 Car vous n'avez point reçu un esprit de servitude, qui vous inspirerait encore de la crainte; mais vous avez reçu un esprit d'adoption, dans lequel nous nous écrions: Abbâ, Père! Cet esprit rend lui-même témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers; héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, pour être aussi glorifiés avec lui.

VIII, 12-17. De la théorie l'apôtre passe à la pratique, de la théologie à l'exhortation. Dieu ayant bien voulu nous offrir les moyens d'entrer avec lui dans un rapport nouveau et salutaire, nous sommes engagés, litt.: débiteurs, nous avons de notre côté une obligation Cette obligation, c'est de suivre l'impulsion de l'esprit de Dieu, de nous unir à Christ. Mais l'apôtre, au lieu de dire cela tout de suite, énonce son idée dans sa forme négative et oublie de compléter sa phrase immédiatement et directement. Il la reprend cependant presque aussitôt sous une autre forme.

On remarquera que les mots vivre et mourir sont employés ici et plus haut dans des sens différents. Tout à l'heure il s'agissait de la mort physique et de la vie éternelle. Ici, la mort à laquelle le pécheur doit s'attendre, est bien la mort spirituelle, la damnation, et la vie promise à celui qui vaincra la chair, est une autre que celle où il vit selon la chair. De même, mortifier l'activité du corps par l'esprit, veut dire: vivre de manière que la force de l'esprit (divin) neutralise et comprime l'ascendant de la chair, de manière que la puissance de celle-ci soit anéantie (Col. III, 5). C'est l'idée qui a été exprimée plus haut (chap. VI, 6) par la phrase: être crucifié avec Christ.

Le tableau de la nouvelle vie est ici enrichi par l'introduction de la notion de l’adoption. En recevant l'esprit de Dieu, l'homme devient enfant de Dieu. Cette image se présente d'autant plus naturellement qu'elle est en liaison intime avec celle de la servitude sous la loi. L'homme placé sous l'empire de la loi (Gal. III; IV) doit toujours avoir peur du juge, parce qu'il connaît l'imperfection de ses œuvres. L'esprit, qui facilite à l'homme l'obéissance, lui apprend aussi à connaître Dieu comme un père aimant et miséricordieux, il atteste et fait sentir à notre esprit (à cette meilleure partie de nous-mêmes, jadis asservie par la chair) que nous pouvons nous adresser à Dieu avec cette confiance filiale, cet abandon plein de bonheur, qui caractérise le rapport naturel et normal entre l'enfant et le père. Cela sera d'autant plus vrai que nous sommes unis à Christ, le vrai fils de Dieu, dont nous devenons ainsi les frères (v. 29), et comme les biens d'un père reviennent de droit à ses enfants légitimes, nous sommes assurés de participer ainsi un jour à cet héritage glorieux du ciel en possession duquel Christ est entré dès à présent.

Pour nous expliquer comment Paul arrive à écrire le nom de père en hébreu, nous n'avons qu'à nous rappeler que la prière se fait toujours le plus aisément et avec le plus de ferveur dans la langue maternelle. Or, celle de l'apôtre était l'hébreu (Phil. III, 5).

18 Car j'estime que les souffrances du temps présent ne sont rien en comparaison de la gloire qui doit un jour se révéler en notre faveur. En effet, tout ce qui a été créé attend avec impatience cette glorification des fils de Dieu. C'est que la création a été assujettie à la fragilité, non de son propre gré, mais au gré de celui qui I'y a assujettie, en vue de l'espoir qu'elle aussi serait affranchie de la servitude de la mortalité, pour avoir part à la glorieuse liberté des enfants de Dieu.

22 Or, nous savons que la création tout entière gémit avec nous, jusqu'à ce jour, et souffre les douleurs de l'enfantement: et non seulement elle, mais nous aussi, qui avons reçu l'esprit en guise de prémices, nous aussi nous gémissons en nous-mêmes, en attendant l'adoption, c'est-à-dire d'être délivrés de notre corps. Car c'est en espérance que nous sommes sauvés. Or, une espérance devenue visible, n'est plus une espérance; car ce que quelqu'un a sous les yeux, pourquoi l'espérerait-il encore? Mais si nous espérons ce que nous n'avons point sous les yeux, c'est que nous l'attendons avec persévérance.

VIII, 18-25. En écrivant le dernier mot du morceau précédent, l'apôtre était arrivé en même temps au dernier élément de son exposé, à la perspective finale du vrai chrétien, lequel, après avoir vécu ici-bas de la nouvelle vie en communion avec son sauveur, partagera encore la vie glorieuse de celui-ci dans une nouvelle existence à venir. Il dirige donc maintenant son regard vers cet avenir. La transition se fait, comme nous venons de le dire, par ce mot de gloire ou glorification, qui désigne l'état bienheureux des élus arrivés au terme de leurs épreuves, et jouissant désormais sans trouble ni interruption de la plénitude des biens célestes, compris sous le nom du salut, et dont la communication de l'esprit de Dieu était comme un gage, ou un à-compte provisoire (2 Cor. I, 22), une espèce de prémices relativement à une moisson plus riche.

Nous insistons sur cette manière de comprendre ici la liaison logique des idées. On aurait tort d'établir celle-ci sur l'autre membre de la phrase qui parle des souffrances. Car dans le v. 17 ce terme fait allusion à la mort mystique du vieil homme (chap. VI, 5, 6), dans le v. 18, au contraire, il est question des tribulations de tout genre qui attristent le pèlerinage terrestre du chrétien.

Ce n'est donc qu'au terme de ce pèlerinage que le fidèle entrera dans la jouissance de tout ce qui lui est assuré à titre d'héritage, en sa qualité d'enfant de Dieu. Ainsi l’espérance est un élément très notable dans la vie du chrétien, en raison de la grandeur des choses qu'il ne connaît encore que de loin, qui lui sont encore cachées (Col. III, 3), et pour l'obtention desquelles l'expression de révéler (c'est-à-dire réaliser, rendre accessible, donner de main en main) est ainsi pleinement justifiée. Sans doute, le croyant est sauvé, du moment où sa régénération est accomplie, où la foi lui a fait embrasser la vie en Christ. Mais la réalisation objective et parfaite de ce salut étant réservée à une époque ultérieure, il sera vrai de dire qu'il n'est encore sauvé qu'en espérance. Il ne pourrait pas être question d'espérance pour les hommes, s'ils tenaient déjà ce qui en fait l'objet; le présent et l'avenir sont encore séparés par les conditions de notre existence; dès que l'avenir sera devenu le présent, l'espérance se sera changée en jouissance. Jusque-là, la forme pratique de l'espérance (le devoir qui en découle), c'est la persévérance.

La jouissance plénière de tous les biens célestes est encore désignée dans notre texte par un terme qui se rencontre assez rarement chez Paul (Gal. IV, 5. Eph. I, 5) et nulle part ailleurs dans les écrits apostoliques. C'est le terme d’adoption. Nous venons de le rencontrer quelques lignes plus haut dans un sens tant soit peu différent: ici il signifie la mise en possession, décrétée par l'autorité compétente, en faveur de l'héritier légitime, à l'égard des biens qui lui reviennent. On voit par cette explication que le terme français, conservé par nous faute de mieux, n'est pas absolument équivalent.

De tout ce qui vient d'être dit, il résulte assez naturellement que les regards du chrétien se tourneront avec un vif désir, avec impatience, vers ce glorieux avenir. Il lui sera permis de soupirer après le moment de la réalisation de ses espérances, de gémir dans sa condition actuelle (bien entendu sans murmurer, et avec une courageuse résignation) et de voir approcher avec joie le moment où, délivré du corps terrestre, rien ne le séparera plus de Christ et de sa gloire (2 Cor. V, 8).

Jusqu'ici nous nous sommes trouvés, pour l'explication de ce texte, sur le terrain suffisamment sûr et connu de la théologie paulinienne. Mais nous n'avons pas encore relevé un élément qui ne se rencontre pas ailleurs dans nos épîtres. L'apôtre dit que les croyants ne sont pas les seuls à attendre avec impatience le moment de la glorification, à gémir des délais qui les en séparent et des tribulations qui les y doivent préparer: la création entière partage ces aspirations. On a beaucoup écrit sur ce passage et l'on en a donné les explications les plus variées, et pourtant le sens ne saurait être douteux. Il nous semble même tellement clair, que nous ne nous arrêterons pas un instant à réfuter les innombrables opinions divergentes.

La création dont Paul parle, c'est ce que nous, dans notre langage moderne, nous appelons la nature; la totalité des choses qui existent sur la terre, abstraction faite des hommes. Toute la nature, dit-il, est soumise à la loi de mortalité, à une espèce de servitude douloureuse. Elle est comme sous le coup d'une malédiction (Gen. III, 17). Partout nous avons sous les yeux des images de mort et de dépérissement; le fléau de la stérilité, la fureur des éléments, les instincts destructeurs des bêtes, les lois mêmes qui régissent la végétation, tout donne une teinte sombre à la nature, et attriste le mortel qui ne voit dans ce qui l'entoure que le reflet de sa propre imperfection, l'image attristante de sa propre fragilité. Le mal physique qu'il rencontre partout lui pèse comme un immense fardeau. On comprend que l'austérité du tempérament oriental ait mis en relief ce côté des choses, et non point le côté opposé, où la nature éveille de préférence les élans poétiques de la joie et de l'admiration. Toujours est-il que l'imagination ne s'y est pas arrêtée. Les prophètes déjà parlaient d'un futur âge d'or de la nature, où le mal physique disparaîtrait avec le mal moral (comp. entre autres Es. IV, 2 suiv.; XI, 6 suiv.; XXX, 26; LXV, 17, etc.). Paul, à son tour, se livre avec complaisance à cette perspective; il devient poète pour vivifier la nature, pour lui prêter la conscience d'elle-même, pour la représenter comme une femme en travail qui, au prix de cruelles convulsions, va donner le jour à une nouvelle existence, laquelle doit faire son bonheur à elle-même. Un nouveau ciel et une nouvelle terre, d'où la mort et la douleur seront bannies, viendront remplacer ce monde d'afflictions et de regrets et offriront à l'humanité régénérée un séjour digne d'elle. Le sentiment de cette sympathie, à la fois poétique et religieuse, est si puissant, que l'apôtre paraît vouloir s'en servir comme d'un argument.

26 De plus, l'esprit aussi vient en aide à notre faiblesse. Car nous ne savons pas ce qu'il nous convient de demander dans nos prières, mais l'esprit lui-même prie pour nous en soupirs et sans paroles; et celui qui sonde les cœurs sait quelle est la pensée de l'esprit, parce que celui-ci prie en faveur des fidèles dans le sens de Dieu. Or, nous savons que toutes choses contribuent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui ont reçu la vocation d'après son décret.

29 Car ceux qu'il a reconnus d'avance, il les a aussi prédestinés a être semblables à l'image de son fils, de sorte que celui-ci serait l'aîné d'entre beaucoup de frères; et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés, et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés.

VIII, 26-30. Pour nous soutenir dans les épreuves, quelquefois si dures et si accablantes (v. 35, 36), de la vie actuelle, nous avons donc l'espérance, ce bien indestructible du chrétien, dont la nature même semble partager les aspirations. Mais nous avons mieux que cela. Nous avons l'esprit de Dieu, qui nous vient en aide, soit en nous rendant témoignage de notre rapport filial avec Dieu (v. 16), c'est-à-dire en nous le garantissant, soit en nous servant d'intermédiaire pour l'affermir et le rendre fécond. Nous ne savons pas toujours ce qui conviendrait le plus à notre intérêt spirituel, nous ne comprenons pas les voies de Dieu, nous désirons des choses qui nous nuiraient, nous demandons qu'il éloigne de nous la coupe qu'il nous présente. Dans ces occurrences, au lieu de nous laisser inspirer par nous-mêmes, laissons agir l'esprit divin; que ce soit lui qui formule nos prières, ou plutôt, puisque Dieu n'a pas besoin d'entendre des paroles, qu'il transmette simplement au Père céleste nos sentiments de pieuse résignation, de confiance courageuse, qui peuvent rester à l'état de soupirs, de vœux muets, de pressentiments, auxquels la réflexion ne donne point d'expression raisonnée. Une pareille prière sera toujours dans le sens de Dieu.

Ce qui peut arrêter un moment le lecteur dans ce texte, c'est ce dédoublement de la nature spirituelle de l'homme, moyennant lequel certains faits psychiques, qui pourtant résultent de ses dispositions naturelles, sont attribués à une personnalité distincte et étrangère. Nous avons trouvé cette forme particulière de la pensée de l'auteur plus haut déjà, v. 16. Elle ne présentera guère de difficulté dès qu'on la considérera comme la conséquence de ce principe que tous les mouvements de l'âme qui tendent à son salut lui viennent directement de Dieu, et que l'esprit n'est autre chose que l'organe de cette communication, ou plutôt cette communication elle-même personnifiée. C'est donc pour affirmer l'origine divine de toutes les aspirations salutaires du chrétien, que celles-ci sont attribuées à un agent, distingué à la fois des facultés actives de la nature humaine et de la personne de Dieu. Nous trouvons ailleurs (1 Cor. II, 11) un dédoublement analogue, signalé dans l'être divin lui-même, par le besoin d'analyse auquel la raison ne peut se soustraire quand elle veut se rendre compte de faits qui, au fond, ne sont pas de son ressort.

Après l'espérance et l'esprit, l'apôtre mentionne encore un troisième fait qui est de nature à nous rassurer et à nous soutenir, c'est cet axiome que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu. Malgré les apparences contraires, Dieu achève l'œuvre qu'il a commencée dans l'homme, pourvu que celui-ci n'entrave pas son action. Dans la main de Dieu, toutes les vicissitudes de la vie, tous les incidents, ceux-là même que nous sommes enclins à déplorer, sont des moyens d'éducation qui ne peuvent qu'assurer la réalisation du but définitif.

À ce propos, Paul récapitule toute la série des actes par lesquels Dieu intervient dans l'œuvre du salut de l'individu. Cette récapitulation fait voir que le salut est dû exclusivement à la grâce prévenante et que l'homme n'y intervient de son côté que d'une manière passive, c'est-à-dire, en tant qu'il ne s'oppose pas à l'action de Dieu. Cette réserve est faite par l'apôtre lui-même quand il désigne comme sûrs du salut ceux qui aiment Dieu.

Voici maintenant la série des actes de Dieu dont nous venons de parler: 1° Le décret primordial, appelé ailleurs l'élection (chap. IX, 11), par lequel Dieu reconnaît d'avance, choisit et distingue ceux auxquels il veut accorder le salut. Cet acte est appelé aussi 2° la prédestination, car au fond c'est un seul et même acte; seulement ici il est fait une distinction purement formelle, en ce que le décret est d'abord considéré comme quelque chose d'abstrait, de théorique, tandis que la prédestination implique en même temps la forme concrète de la destinée qui doit en être le résultat. Cette destinée, c'est que l'homme élu réalisera en lui-même l'image du Christ ressuscité et glorifié (chap. VI, 4 suiv.), comme Christ a revêtu d'abord notre image mortelle et périssable; en d'autres termes, l'homme deviendra frère de Christ, c'est-à-dire fils de Dieu comme lui et en lui (chap. VIII, 17). Le décret et la prédestination sont antérieurs à la naissance des individus (chap. IX, 11). Suit 3° la vocation, c'est-à-dire l'acte par lequel Dieu appelle l'individu élu, à n'importe quelle époque de sa vie, par un moyen extérieur, par exemple la prédication de l'Évangile, ou un miracle comme celui sur le chemin de Damas. Cette vocation ne saurait manquer son effet, puisqu'elle n'est que la conséquence de l'élection. Puis vient 4° la justification, c'est-à-dire l'acte par lequel, d'après le chap. III, Dieu accepte l'obéissance de l'homme à la vocation (la foi) comme équivalent de la justice des œuvres qu'il devrait avoir, mais qu'il n'a pas. Enfin 5° il y a la glorification, c'est-à-dire la mise en possession du salut, dans sa forme parfaite et définitive. Cette glorification est énoncée ici au prétérit (il les a glorifiés) comme les autres actes, soit par suite d'un certain besoin de parallélisme rhétorique, soit plutôt pour exprimer d'un côté la certitude du fait, de l'autre sa connexion indissoluble avec d'autres faits qui remontent au delà des limites du temps.

31 Que conclurons-nous de tout cela? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Lui qui n'a pas épargné son propre fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment, dans sa grâce, ne nous donnerait-il pas toutes choses avec lui?

33 Qui voudra accuser les élus de Dieu? Serait-ce Dieu, qui les justifie? Qui les condamnera? Serait-ce Christ, qui est mort pour nous, bien plus, qui est ressuscité, qui siège à la droite de Dieu, qui intercède pour nous? Qui nous arrachera à l'amour de Christ? Sera-ce la tribulation, ou la détresse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou le glaive (d'après ce mot de l'Écriture: c'est pour loi que nous sommes mis à mort, tout le long du jour; nous sommes estimés comme des moutons destinés à la boucherie)!

37 Mais dans tout ceci nous restons indubitablement victorieux, grâce à celui qui nous a aimés. Car je suis convaincu que ni la mort ni la vie, ni les anges, ni les démons, ni le présent ni l'avenir, ni le ciel ni l'enfer, ni aucune créature quelconque ne pourra nous arracher à l'amour de Dieu qui s'est manifesté dans le Christ .Jésus, notre Seigneur!

VIII, 31-39. Péroraison, destinée à amplifier cette même idée de la certitude du salut, déjà exprimée plus haut. La justice de Dieu étant satisfaite, lui-même ayant déclaré nos péchés antérieurs effacés, et nous donnant son esprit pour vaincre désormais la chair, nous n'avons plus à craindre le terrible jour du jugement. En effet, l'accusateur (le péché) est réduit au silence; l'arrêt de condamnation est écarté, déchiré d'avance, Dieu ayant pris l'initiative de l'absolution en acceptant le sacrifice propitiatoire de son fils, les épreuves de la vie, autrement si périlleuses pour la faiblesse humaine, ne sauraient plus nous troubler, puisque nous avons, pour les vaincre, un auxiliaire qui non seulement nous vient en aide avec la plénitude de la puissance spirituelle, mais qui est animé envers nous d'un amour que rien au monde ne peut nous enlever, et qui n'est que la manifestation plus immédiate, plus sensible, de l'amour que Dieu nous a porté d'abord et qu'il nous porte toujours.

L'effet rhétorique de ce morceau sera rehaussé, si nous prenons comme des questions tout ce qui est dit aux v. 33 et 34; comme d'ailleurs la suite nous y oblige. Ces questions sont destinées à réduire le doute à l'absurdité. Car ce serait une absurdité que de supposer que Dieu, qui a voulu nous octroyer la justice, aura un intérêt à nous en retirer le bénéfice; que Christ, qui est mort pour nous, et dont la résurrection a ratifié cet acte rédempteur, Christ qui aujourd'hui est auprès de Dieu notre patron (1 Jean II, 1), se plaira à prononcer contre nous des arrêts de condamnation. Tout cela est dit pour rassurer ceux qui pourraient croire que les vues de l'apôtre au sujet de la Loi sont de nature à compromettre le salut de ceux qui antérieurement basaient sur elle leurs espérances.

Le v. 36 est une parenthèse. En mentionnant les périls qui menacent les fidèles, Paul songeait aussi aux persécutions dont il avait plusieurs fois failli être la victime. Il se rappelle à cette occasion un passage de l'Écriture (Ps. XLIV, 23) et se l'applique, comme n'en disant pas trop. On comprend que la grandeur du péril fait ressortir l'énergie de l'amour divin, qui nous aide à le traverser sans succomber à la tentation.

Dans la dernière phrase nous nous sommes permis quelques libertés; nous avons mis le ciel et l’enfer à la place des mots de hauteur et de profondeur, qui sont trop vagues pour offrir un sens précis. De même, nous avons réduit à deux les trois expressions: anges, puissances, dominations, dont le nombre dérange le parallélisme, et à l'égard desquelles une variante du texte fait voir qu'il y a eu, de la part des copistes, une espèce de tâtonnement ou de velléité exégétique. Les dominations et les puissances sont en tout cas des anges, soit bons (Éph. I, 21. Col. 1,16), soit mauvais (Éph. VI, 12. Col. II, 15), et nous avons pensé que l'antithèse exigeait nécessairement ici la mention des deux catégories. Du reste, cette phrase est une hyperbole dont il ne faut pas presser la lettre (comp. Gal. I, 8).

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