Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE AUX ROMAINS

Chapitre 7

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L'exposé de la doctrine du salut gratuit a plusieurs fois amené l'apôtre à parler incidemment de la loi, mais il ne s'est jamais arrêté à en discuter à fond la valeur véritable, ou la place qui pouvait lui être assignée dans le nouvel ordre de choses. Il s'est borné à affirmer (chap. III, 21) que la justice pouvait s'obtenir indépendamment d'elle, qu'elle ne pouvait servir qu'à nous faire connaître notre état de pécheurs (chap. III, 20), qu'elle provoquait les transgressions plutôt qu'elle ne les réprimait (chap. V, 20), enfin, que le chrétien ne lui est plus soumis (chap. VI, 14). Maintenant il éprouve le besoin de développer ces propositions, et il commence par la dernière.

1 Ou bien, mes frères (je vous parle comme à des gens qui connaissent la loi), ignoreriez-vous que le pouvoir de la loi sur l'homme dure tout juste aussi longtemps qu'il vit? Par exemple: une femme mariée est liée par la loi à son mari, tant qu'il vit; mais si le mari meurt, elle est dégagée du lien légal qui l'attachait à lui. D'après cela, si du vivant de son mari elle devient la femme d'un autre, elle mérite le nom d'adultère; mais si le mari meurt, elle est affranchie du lien légal, de manière qu'elle n'est pas adultère en devenant la femme d'un autre.

4 Ainsi vous aussi, mes frères, vous avez subi la mort, relativement à la loi, par le moyen du corps de Christ, pour appartenir à un autre, à celui qui a été ressuscité des morts, afin que nous portions des fruits pour Dieu. Car lorsque nous vivions encore de notre vie naturelle, les mauvaises passions excitées par la loi se montraient actives dans nos membres, de manière que nous portions des fruits pour la mort. Aujourd'hui, au contraire, nous avons été dégagés, en mourant, des liens de la loi dans lesquels nous étions retenus, de manière à être engagés dans les nouveaux liens de l'esprit, et non plus dans les anciens liens de la lettre.

VII, 1-6. Il s'agissait de démontrer cette thèse: Le chrétien n'est plus soumis à la loi. La démonstration se fait à l'aide de cette autre thèse, développée au chapitre précédent: Le chrétien, c'est l'homme régénéré, c'est-à-dire, celui qui a subi la mort, quant à sa première condition morale, pour ressusciter dans une condition morale nouvelle. C'est ce fait de sa mort qui le dégage de la loi. La loi n'a plus de prise sur quelqu'un qui lui échappe par la mort.

Pour comprendre la portée de ce raisonnement, et surtout pour se convaincre que ce n'est pas là un sophisme aussi dangereux que subtil, il faut bien se rendre compte des deux faits suivants:

1° À première vue le raisonnement de Paul porte à faux, parce que d'un côté (quand il est dit que la loi n'a pas de prise sur quelqu'un qui est mort), il est question évidemment de la mort physique; tandis que de l'autre (quand il est dit que le vieil homme est mort), il s'agit de tout autre chose que de la mort physique. Il n'y a donc point de liaison logique entre les deux propositions qui forment les prémisses dans le syllogisme. Mais ce défaut apparent dans la forme de celui-ci disparaît, quand on se rappelle que l'apôtre n'en veut pas venir à établir pour l'homme, relativement à la loi, une liberté absolue, une absence complète du devoir, mais que, au contraire, il a en vue, pour la loi morale elle-même, en tant qu'elle consacre et sanctionne le devoir, une métamorphose analogue à celle que subit l'homme. La loi aussi doit devenir pour l'homme autre chose qu'elle n'était, non plus une autorité extérieure, étrangère, despotique et hostile, mais un élément de sa nature nouvelle, une partie de lui-même, un mobile inhérent à sa vitalité spirituelle. À ce point de vue il sera vrai de dire: la loi, comprise d'après la définition ancienne, ne regarde plus l'homme régénéré. Pour celui-ci elle s'est transformée aussi, elle a pris un autre nom et elle agit d'une tout autre manière.

2° Ce que nous venons de dire est surtout important pour l'intelligence de la valeur logique de l'exemple cité à l'appui de la démonstration. Ici encore, à première vue, on dirait que l'apôtre se fourvoie dans son raisonnement, qu'il escamote la conclusion, tout en ayant l'air de la faire découler des prémisses. En effet, quels sont les éléments de la comparaison? D'après la loi (mosaïque) la femme appartient à son mari tant que celui-ci est en vie; s'il meurt, elle est libre de se remarier à un autre. Or, il résulte de tout le contexte, que la femme représente ici l'homme en général; le premier mari représente la loi; le second mari, c'est Christ. Cela est dit en toutes lettres dans le 4e verset. Mais ce parallélisme n'est pas exact, car dans l'exemple, c'est le premier mari qui meurt, tandis que ce n'est pas la loi qui meurt, mais l'homme, représenté par la femme. Les termes du parallèle se trouvent donc renversés, et par cela même la force probante de celui-ci semble sérieusement compromise. Pour échapper à cette conséquence, il faut donc s'en tenir à l'idée générale, à savoir que la mort rompt les liens légaux. Dans l'exemple emprunté à la vie civile, c'était la mort du mari qui dégageait la femme; dans le rapport entre l'homme et la loi, c'est la mort du vieil homme qui dégage le nouvel homme, dans la limite que nous venons d'indiquer, en ce qui concerne la loi.

Tout le reste est simple et facile. Le chrétien, c'est-à-dire l'homme régénéré, a subi la mort (a été mis à mort, ou crucifié, chap. VI, 6) par le moyen (par l'intermédiaire) du corps de Christ, lequel a été crucifié en réalité, tandis que les croyants, s'unissant par la foi à sa personne, s'associent d'une manière mystique à cette passion nécessaire. Cette union est de plus introduite ici sous l'allégorie d'une union conjugale (comp. 2 Cor. XI, 2. Éph. V, 25), chose assez naturelle après l'exemple qui vient de servir à la démonstration.

La fin du morceau signale les effets, tant prochains qu'éloignés, des deux conditions dans lesquelles l'homme se trouve ainsi successivement placé. (On remarquera que l'apôtre passe ici subitement à la première personne; c'est qu'il ne s'occupe plus de la pure théorie, il parle d'expérience.) Les effets prochains sont appelés des fruits (chap. VI, 22. Gal. V, 22); ce sont les divers actes à apprécier au point de vue moral (ou de la volonté de Dieu, exprimée dans la loi); ces actes ont été autrefois de nature à nous attirer (comme effet éloigné ou définitif) la mort, c'est-à-dire un arrêt de condamnation de la part de Dieu; c'est qu'alors nous étions dans la chair, nous vivions de cette vie naturelle, qui précède, dans tous les hommes, le moment de la régénération (de la mort mystique et de la nouvelle naissance), et pendant laquelle la loi, impuissante à nous maintenir dans la ligne du devoir, ne faisait qu'exciter en nous, par ses défenses mêmes, les mauvaises convoitises. (Les membres et la chair, sont presque synonymes, mais le premier terme est plus, concret et rappelle, par la forme du pluriel, les nombreux cas particuliers et variés de convoitise et de péché.) Maintenant, au contraire, la condition est changée. Il y a encore une espèce de servitude (expression populaire, chap. VI, 19, et peu propre), encore des liens, mais ce n'est plus la servitude ancienne, où l'impulsion venait du dehors, de la lettre de la loi (2 Cor. III, 6. Rom. II, 29), d'une autorité qui se posait en face de nous, nous effrayant plutôt, nous tourmentant même, mais ne nous aidant pas; c'est une servitude nouvelle, qui est la vraie liberté, où l'impulsion vient du dedans, de l'esprit de Dieu qui nous est donné (chap. V, 5), et qui produit en nous, facilement, spontanément, ce que la loi n'obtenait pas malgré sa sévérité.

7 Qu'en conclurons-nous? La loi serait-elle le péché? A Dieu ne plaise! Mais ce n'est que par la loi que j'ai connu le péché, et je n'aurais rien su de la convoitise, si la loi n'avait pas dit: Tu ne convoiteras point! C'est de ce commandement que le péché prit occasion pour produire en moi toutes sortes de convoitises. Car sans loi le péché n'existe pas, et moi je vivais autrefois sans loi; mais le commandement survenant, le péché vint à naître et moi je mourus, et le commandement, qui devait me conduire à la vie, se trouve avoir été la cause de ma mort. Car le péché me séduisit, en prenant occasion du commandement, et me fit mourir par lui. La loi elle-même est donc sainte, et le commandement est saint, juste et bon.

13 Ainsi, ce qui est bon serait devenu la cause de ma mort? A Dieu ne plaise! Au contraire, c'était le péché, afin qu'il se montrât comme tel, en produisant pour moi la mort par le moyen d'une chose bonne en elle-même, afin que le péché fût reconnu comme on ne peut plus coupable, en tant qu'il se servait du commandement même. Car nous savons que la loi est d'esprit, mais moi je suis de chair, asservi au péché.

15 Je ne sais pas même ce que je fais, car je ne fais pas ce que je veux; au contraire, ce que je déteste, voilà ce que je fais. Or, si je fais ce que je ne veux pas, je déclare par cela même que la loi est bonne. Dans ce cas ce n'est plus moi qui le fais, mais c'est le péché qui habite en moi.

19 Car je sais qu'en moi, c'est-à-dire dans ma chair, il n'habite rien de bon: Vouloir le bien, cela, il est vrai, est à ma portée; mais non de l'accomplir. Car je ne fais pas le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas, voilà ce que je fais.

20 Mais si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui l'accomplis, mais c'est le péché qui habite en moi. Je me trouve donc dans cette condition que, tandis que je veux faire le bien, c'est le mal qui est à ma portée.

22 Car j'adhère avec plaisir à la loi de Dieu, quant à mon être intérieur; mais je vois dans mes membres une autre loi, qui est en guerre avec la loi de ma raison, et qui m'asservit à la loi du péché qui est dans mes membres.

24 Homme malheureux que je suis! Qui est-ce qui me délivrera de ce corps de mort? Grâces soient rendues à Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ! Moi donc, pour ma part, je suis soumis à la loi de Dieu, quant à la raison, mais quant à la chair, je le suis à la loi du péché.

VII, 7-25. La thèse développée tout à l'heure, savoir que le chrétien n'est plus sous la loi, acquiert une importance particulière par cet autre fait, que la loi, loin de réprimer ou d'anéantir le péché, le stimule au contraire et le provoque, et par conséquent ne nous profite qu'autant qu'elle nous fait connaître notre état de pécheurs (chap. III, 20; V, 20). Car de cette manière elle nous amène à chercher le salut ailleurs que dans nos œuvres, et à l'accepter quand la grâce de Dieu en Christ nous l'offre. Ces idées sont développées dans le morceau présent. Cependant elles ne le sont pas dans un ordre strictement logique et nous chercherons donc à les ramener à leur expression la plus simple.

D'abord l'apôtre proteste énergiquement contre la supposition que sa théologie tendrait à médire de la loi, à lui imputer, à elle, le mal qui se fait dans le monde, comme si elle n'était pas sainte, juste et bonne, puisqu'elle émane de Dieu; comme si elle pouvait conduire à autre chose qu'à la vie et à la félicité, si elle n'était pas arrêtée dans son action par une puissance opposée. Il résulte de cette partie de la discussion, que Paul a en vue la loi révélée (mosaïque); mais on se convaincra facilement que ce qu'il dit plus loin de ses effets sur l'activité morale de l'homme, est également vrai pour ce que nous appelons la loi naturelle, et que lui-même, insensiblement, généralise ses idées, de manière à faire au fond une étude de psychologie parfaitement indépendante de toute prémisse théologique-et historique, et il arrive à la fin à parler d'une loi de la raison, qu'il identifie avec la loi de Dieu, et qui ne peut être que celle de la conscience à laquelle il en avait appelé antérieurement déjà (chap. II, 14 s.).

La loi n'est donc point la cause du péché, mais elle en est l'occasion. C'est qu'elle formule le devoir, de sorte que par elle nous apprenons ce qui est bon ou mauvais, ce que nous devons faire ou éviter; mais elle ne nous donne pas la force d'agir en conséquence. Au contraire, la défense éveille la convoitise, l'ordre provoque la désobéissance. Un autre pouvoir dispute à la loi l'empire de l'homme et l'emporte le plus souvent. Cet autre pouvoir, c'est le péché.

Le péché est représenté, en effet, dans notre texte comme une puissance personnelle, qui n'existe en l'homme que du moment où la loi vient se poser en face de lui. Il serait peut-être plus juste de dire: qui existe en l'homme à l'état latent, inconscient, neutre, virtuel (Paul dit à la lettre: qu'elle est encore morte). En présence du commandement, cette puissance devient fait, elle naît ou s'éveille, elle exerce sur l'homme une action prépondérante et pernicieuse, car elle lui fait perdre ses chances de félicité et le plonge dans la coulpe et par suite dans la mort. La mort est à prendre ici dans le sens moral, où elle désigne l'état de perdition dans lequel l'homme se met par la désobéissance à la loi de Dieu. Dans la vie de chaque homme il y a une période, relativement bien courte, où il n'a pas encore conscience de la loi, où il ne connaît pas la différence du bien et du mal; pendant cette période-là, il n'est pas question de péché (chap. V, 13), mais cette période finit au moment même où la conscience morale est éveillée par la loi, et de ce moment, l’innocence première, nous voulons dire l'inconscience neutre, ne revient plus (comp. Genèse III).

Mais si le péché (considéré comme puissance) fait aboutir à un résultat aussi déplorable la loi destinée à nous montrer le chemin de la vie, ce fait présente un certain avantage à l'intelligence humaine, en ce que celle-ci reconnaît d'autant plus clairement ce qu'il y a de détestable dans un principe, ou dans une tendance, qui parvient à dénaturer ainsi ce que Dieu a institué d'excellent et de salutaire. Malheureusement l'intelligence, à elle seule, ne réussit pas à dominer le mal; autrement la loi qui est d’esprit, non pas seulement dans ce sens qu'elle s'adresse à la nature spirituelle de l'homme, ne manquerait pas de le maintenir dans la ligne du devoir. Mais à côté de cette nature spirituelle, il y a aussi la nature charnelle, inférieure, sensuelle, animale (1 Cor. II, 14), qui est vendue au péché, c'est-à-dire qui en subit l'ascendant, qui en est l'esclave, ou le devient aisément. Il y a donc dans l'homme même un conflit entre deux tendances opposées (l'apôtre dit entre deux lois), et c'est ce conflit, objet très intéressant pour l'étude psychologique et morale, qu'il se plaît à décrire v. 15-23.

Au sujet de cette description, que chaque lecteur peut et doit vérifier sur lui-même, nous nous bornerons aux observations suivantes: 1° Il est impossible de méconnaître que Paul parle d'après son expérience personnelle, comme cela se voit déjà par la forme du discours; mais il est certain aussi qu'il entend signaler un fait général. 2° La présente description est à celle du chap. VI, v. 5 suiv., ce que la réalité est à l'idéal. Marchander ce dernier, à cause de la réalité, ce serait enlever au christianisme ce qu'il a de plus élevé et ce qui seul lui garantit sa valeur absolue et perpétuelle; mais nous ne devons pas moins nous opposer à la manie des commentateurs de nier la réalité imparfaite au profit d'une perfection déjà réalisée purement imaginaire, qu'ils s'obstinent à revendiquer pour l'apôtre (et sans doute, sous cette couverture, pour eux-mêmes), bien qu'il ne songe pas à se l'attribuer, comme la fin du morceau le fait voir incontestablement. Aucun chrétien ne peut avoir la témérité d'affirmer qu'il est à l'abri de ces combats intérieurs dont Paul parle ici; tous sont continuellement dans le cas de s'écrier: Qui est-ce qui me délivrera de cet assujettissement à ma nature charnelle, dont les victoires réitérées me conduisaient à la mort? C'est du fond de son cœur que l'apôtre aussi profère ce cri; mais du fond de son cœur aussi il rend grâces à Dieu de ce que cette délivrance est devenue possible, par Jésus-Christ, c'est-à-dire par la régénération comprise dans le sens du chap. VI. Nous disons possible, pour exprimer la pensée que Christ et son esprit peuvent nous donner la victoire, mais jamais de manière qu'à un moment donné la chair serait définitivement vaincue, le péché radicalement extirpé, une rechute absolument impossible.

Une troisième observation portera sur l'analyse psychologique elle-même que l'auteur fait de la lutte intérieure, et dans laquelle il se place successivement à trois points de vue différents, ce qui rend sa description un peu moins lucide qu'elle pourrait l'être. D'abord, en disant moi, il parle de la personne humaine entière, dans le sein de laquelle se manifeste cette scission ou divergence des tendances ou des facultés. Ce point de vue apparaît clairement au début du morceau (v. 9) et à la fin (v. 25). Puis il se sert du même moi, en parlant de l'élément spirituel ou supérieur, qui se reconnaît comme le véritable homme, et qui voudrait écarter tout ce qui est contraire aux bonnes et saintes aspirations. C'est le point de vue religieux et chrétien qui se produit dans notre texte aux v. 15, 17, 20, 24. C'est dans ce sens qu'il est parlé de l'homme (ou de l'être) intérieur. 22 (comp. 2 Cor. IV, 16. Éph. III, 16). Enfin il se place encore au point de vue de l'expérience commune, où le moi est la personnalité déjà subjuguée par le péché et ayant, pour ainsi dire, perdu la meilleure partie d'elle-même (v. 18).

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