Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE AUX ROMAINS

Chapitre 6

----------

1 Qu'en conclurons-nous? Devons-nous persister dans le péché, afin que la grâce puisse se montrer plus abondante? A Dieu ne plaise! Nous qui sommes morts au péché, comment y vivrions-nous encore?

VI, 1- 2. Après avoir établi le principe fondamental de l'Évangile, celui de la justification gratuite, au moyen de la foi et non des œuvres, l'apôtre arrive à ce que nous pourrions appeler les conséquences morales et pratiques de ces prémisses. Seulement celles-ci ne sont point présentées sous forme de préceptes, et d'après une méthode systématique, mais plutôt sous une forme négative et polémique, comme pour prévenir ou corriger une fausse application du principe. De fait, Paul nous met en présence de cette vérité que la foi chrétienne n'est pas une science, mais une direction de la vie; que la pratique est posée par le fait même que la théorie l'a été, à moins que celle-ci ne soit tout à fait mal comprise, en d'autres termes, que ces deux éléments sont absolument inséparables. Il est si peu question de dire au chrétien: tu ne pécheras pas! qu'il faut plutôt dire: le chrétien, par le fait qu'il l'est, ne pèche plus. Les notions de chrétien et de pécheur s'excluent. Cela est exprimé par le terme de mort. Le chrétien est mort au péché; cela veut dire: entre l'un et l'autre il n'y a plus de rapport. Comme c'est là un terme figuré, il a besoin d'explication.

3 Ou bien ignorez-vous que nous tous, qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort? Par ce baptême en la mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, de même que Christ a été ressuscité des morts par la majesté du Père, de même nous aussi nous vivions d'une vie nouvelle. Car si nous nous sommes intimement unis à lui par une mort analogue à la sienne, nous le serons aussi à l'égard de la résurrection, parce que nous savons que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que ce corps de péché fût anéanti, pour que nous ne soyons plus les esclaves du péché.

7 Car celui qui est mort, est reconnu comme juste et n'a plus de rapport avec le péché. Mais si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui, puisque nous savons que Christ, ressuscité des morts, ne meurt plus; la mort n'a plus de pouvoir sur lui. La mort qu'il souffrit, il la souffrit en vue du péché, une fois pour toutes; revenu à la vie, il vit pour Dieu. Ainsi vous aussi, considérez-vous comme morts au péché et comme vivant pour Dieu en Jésus-Christ.

VI, 3-11. Cette image de la mort, employée pour caractériser la cessation de tout rapport entre le chrétien et le péché, est maintenant développée par l'apôtre de manière à faire de notre passage l'un des principaux textes relatifs à la notion évangélique de la régénération. Cette notion serait très imparfaitement comprise, si on la restreignait à l'idée éthique d'un changement de conduite, d'un renoncement au mal, d'une résolution, fermement prise et fidèlement exécutée, de bien faire désormais. La chose essentielle y manquerait toujours: c'est l'élément mystique, l'idée d'une union personnelle et intime avec Christ, union dans laquelle cette régénération s'accomplit et par laquelle seule elle devient possible. Nous avons vu que l'idée de cette union, c'est la notion même de la foi. Mais la régénération n'est pas la foi. Elle comprend deux éléments: celui de la cessation d'un état antérieur, et celui du commencement d'un état nouveau. Or, c'est sur cette analyse psychologique du fait moral que se fonde pour Paul la conception mystique qu'il présente à ses lecteurs. Il appelle la cessation de l'état antérieur, une mort; et le commencement d'un état nouveau, une résurrection. En même temps il met ces deux éléments en rapport direct avec la mort et la résurrection de Christ, non pas par simple forme de comparaison, mais en y reconnaissant une connexion objective et réelle. Il va sans dire qu'à cet égard le second fait sert de point de départ à la conception théologique. La nouvelle vie n'existe qu'autant que l'homme s'est uni à Christ ressuscité, que Christ est ressuscité en lui, et lui en Christ. Il faut que l'esprit de Christ vive et agisse dans l'homme pour que celui-ci ait la vraie vie. De là, l'apôtre arrivait facilement à l'autre fait, à celui de la mort, bien que de ce côté l'analogie soit moins parfaite. Car Christ n'est pas mort pour faire cesser un état mauvais dans sa propre personne, comme c'est le cas de l'homme; il est mort pour détruire le pouvoir du péché dans les autres; le chrétien, en mourant dans le sens mystique, est censé s'être dépouillé de tout ce qui tenait au péché. La pensée de l'apôtre se dessine surtout bien nettement au v. 5, où la pauvreté de la langue française nous a forcé d'effacer une image très significative. L'original parle d'une croissance (de végétation) telle que deux organismes se confondent et finissent par n'en former qu'un seul.

Mais Paul va plus loin encore, et comme cela lui arrive aisément dans ses démonstrations, c'est par la proposition la plus éloignée de son point de départ qu'il commence. Il suppose connues les idées que nous venons de développer (et sans doute il les prêchait fréquemment) et débute par la comparaison du fait mystique de la régénération, avec le baptême qui en est le symbole. Le baptême s'administrant par immersion, l'entrée sous l'eau pouvait représenter la mort et la sépulture du vieil homme; la sortie de l'eau correspondait à la résurrection du nouvel homme. On était ainsi baptisé en la mort de Christ: on entrait dans une phase d'existence qui faisait la transition de la vie précédente à la vie subséquente, comme le tombeau l'avait faite pour Christ (Col. III, 1. Gal. II, 19. Rom. VIII, 19. 2 Tim. II, 11). Il est évident qu'en présence d'une pareille conception du baptême, celui des enfants est exclu de la pensée et de l'horizon de l'apôtre. On voit d'ailleurs que les formules d'identification (mourir, être enterré, revivre avec) ne sont employées qu'à l'égard de Christ, et que l'apôtre ne dit pas de même: pécher, mourir avec Adam, ce qui seul étayerait la théorie augustinienne du péché originel.

Nous n'aurons pas besoin de faire remarquer que, dans toute cette exposition, la nouvelle vie (la résurrection) est celle qui commence avec la régénération, et non ce que nous appelons la vie future, ou d'outre-tombe. Le corps de péché (pour la forme de la phrase, voyez Phil. III, 21) est celui qui se trouve dans un rapport continuel avec le péché, qui ne peut s'en débarrasser par lui-même, qui nous fait succomber sans cesse. Ce corps, principal mobile et instrument du péché, étant mort, la justice s'établit à son tour, et cela dans deux sens: d'un côté, Dieu accepte comme juste celui qui a subi cette mort mystique (qui est un élément de la foi), puisqu'elle n'a lieu qu'autant qu'on s'unit à Christ; de l'autre côté tout rapport ultérieur avec le péché a cessé. Il ne s'agit donc point là de la mort considérée comme punition expiatoire, mais de celle qui est un élément de la régénération.

N'oublions pas surtout que Paul parle ici au point de vue de la pure théorie, dans le sens idéal. Il ne veut pas prêcher la morale à des gens qui auraient besoin de l'apprendre, mais il tire les conséquences pratiques des prémisses de son évangile. Si la réalité ne répond pas à l'idéal, la faute en sera aux hommes, et non à la théorie. On ne devra pas objecter: tel n'est pas le chrétien; on pourra dire: untel n'est pas chrétien.

(Au v. 10 il ne faut pas perdre de vue qu'il n'est question de Christ qu'en vue de l'homme. Paul ne veut pas dire que Jésus, avant sa mort, n'a pas vécu pour Dieu; il veut dire que l'homme uni à Christ ne peut plus vivre que pour Dieu, les relations avec le péché ayant cessé pour tous les deux avec la mort, bien que pour chacun des deux cette relation ait été une autre.)

12 Que le péché ne règne donc point dans votre corps mortel, de manière que vous obéissiez à ses convoitises; et ne livrez pas vos membres au péché, comme instruments du vice, mais donnez-vous à Dieu, comme vivant maintenant après avoir été morts, et consacrez vos membres à Dieu, comme instruments de la justice. Car le péché ne dominera plus sur vous, puisque vous n'êtes plus sous la loi, mais sous la grâce.

VI, 12-14. Ici le ton de l’auteur tourne à l'exhortation. Mais l'exhortation, d'après la nature des choses, s'adresse aux hommes tels qu'ils sont. Paul parle donc ici à ses lecteurs, si ce n'est comme à des pécheurs, du moins comme à des gens qui risquent de pécher encore. Il les encourage, il cherche à les mettre en garde contre le danger, il demande avec instance qu'ils s'efforcent de devenir, ce que tout à l'heure il supposait, en théorie, qu'ils étaient déjà. L'impératif prend la place de l'indicatif.

Le corps est appelé mortel, sans doute pour rappeler sa faiblesse, ou la réalité physique, opposée à cette réalité mystique dont il avait été question, et d'après laquelle la mort était déjà absorbée définitivement par la vie.

Les derniers mots rappellent encore une fois la théorie et, à ce titre, ils doivent servir d'encouragement. Vos rapports avec Dieu, est-il dit, ont changé complètement; les moyens de vaincre la tentation vous sont assurés. À la place de la loi qui commandait sans secourir, et menaçait sans donner de force, vous avez la grâce qui vous rend la confiance, et l'esprit qui vous dirige et vous soutient.

15 Eh bien! devons-nous pécher, parce que nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce? À Dieu ne plaise! Ne savez-vous pas qu'en vous mettant au service de quelqu'un pour lui obéir, vous devenez les esclaves de celui auquel vous obéissez, que ce soit du péché, qui conduit à la mort, ou que ce soit de la soumission, qui conduit à la justice? Grâces soient rendues à Dieu de ce que, ayant été esclaves du péché, vous vous êtes soumis de coeur à la règle de l'instruction qui vous a été transmise! Mais par le fait même que vous avez été affranchis du péché, vous étés devenus serfs de la justice.

19 (Je me sers là d'une expression populaire, à cause de votre faiblesse naturelle.) Je dis: de même que vous avez mis vos membres au service de l'impureté et de l'iniquité, de manière à agir contrairement à la loi, de même vous devez maintenant mettre vos membres au service de la, justice, de manière à vous sanctifier. Car lorsque vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres relativement à la justice.

21 Quel profit en aviez-vous alors? C'en était un dont vous avez honte maintenant, car cela aboutissait à la mort. Mais aujourd'hui que vous êtes affranchis du péché et serfs de Dieu, le profit que vous avez, c'est la sanctification, laquelle aboutit à la vie éternelle. Car le salaire du péché, c'est la mort, tandis que le don de la grâce de Dieu, c'est la vie éternelle, en notre Seigneur le Christ Jésus.

VI, 15-23. La seconde moitié du chapitre est en quelque sorte parallèle à la première. Elle commence également par repousser une fausse conséquence qu'on pouvait tirer de la phrase immédiatement précédente. Vous n’êtes plus sous la loi, mais sous la grâce! Est-ce à dire qu'il n'y a plus de devoir d'un côté, plus de peine de l'autre? À cela Paul répond par les mêmes considérations qu'il a produites tout à l'heure, seulement il les présente ici d'une manière populaire, avec des formules empruntées à la morale pratique, et sans la couleur mystique du morceau précédent.

Il amplifie, pour ainsi dire, l'adage de Jésus: Vous ne pouvez pas servir deux maîtres à la fois. À cet effet, il dépeint le péché comme une puissance personnelle, avide de dominer; il lui oppose de même la justice. Ces deux puissances se disputent l'homme. Il a d'abord appartenu au péché dont il était l'esclave. Pendant ce temps-là il était, comme qui dirait, l'affranchi de la justice, ce qui signifie qu'il n'en reconnaissait pas l'autorité. Aujourd'hui, c'est le contraire. À la fin l'auteur signale les résultats respectifs de ces deux états ou conditions.

Mais il lui arrive de s'embrouiller dans les divers éléments de son parallèle, ou plutôt de ne point les énumérer complètement et parallèlement, de manière qu'il y a un peu d'obscurité dans ce tableau autrement si naturel. Il voulait opposer: 1° l'esclavage sous le péché et la soumission à la volonté de Dieu; 2° l'état de péché et l’état de justice; 3° la mort et la vie. De cette manière il y aurait eu de chaque côté: 1° une puissance sollicitant la volonté de l'homme; 2° un état moral déterminé par le choix fait entre les deux tendances; 3° le résultat définitif de chacun de ces deux états. Mais les mots de servitude, soumission, obéissance, sont employés dans le texte d'une manière assez confuse, beaucoup plus confuse que dans notre traduction par laquelle nous avons essayé de rendre la pensée un peu plus transparente. Elle est telle qu'au v. 16, par exemple, il écrit: esclaves de la soumission (de l'obéissance), au lieu de dire: de la volonté de Dieu.

Au v. 19, l'apôtre s'excuse d'employer des termes qui pourraient être remplacés par d'autres plus justes. En effet, pour mieux faire ressortir sa pensée, il avait mis le même terme des deux côtés, et avait parlé d'une servitude sous la justice, comme opposée à la servitude sous le péché. Or, à vrai dire, un pareil terme est défectueux, car se soumettre à la justice, c'est précisément avoir la vraie liberté. Mais les hommes ont l'habitude de considérer cela au point de vue opposé.

Un peu plus haut Paul loue les chrétiens de Rome de s'être soumis à une certaine règle d'enseignement. Il ne faut pas en inférer qu'il ait attribué à l'instruction théorique une valeur absolue. Elle ne l'a que parce qu'elle a passé dans les cœurs. C'est pour cela qu'il dit à la lettre: l'instruction à laquelle vous avez été transmis. L'homme est donné par l'esprit de Dieu à une tendance, à une conviction: cette tournure fait mieux ressortir la passivité de l'homme dans l'œuvre du salut. La règle (le type) de la doctrine, est ici la conception particulière de l'Évangile prêchée dans cette épître, en opposition avec celle qui en appellerait aux œuvres.

Enfin dans la dernière ligne il faut remarquer l'antithèse entre le salaire et le don (chap. IV, 4, 5; V, 15). Cela nous rappelle que l'homme, qui par le péché arrive à la mort, n'a qu'à s'en prendre à lui-même; tandis que s'il arrive par la foi à la vie, il le doit à Dieu.

***

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant