Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPÎTRE AUX ROMAINS

Chapitre 5

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1 Étant ainsi justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ, par lequel nous avons aussi eu accès à cette grâce dans laquelle nous demeurons, et nous nous vantons au sujet de l'espérance de la gloire de Dieu. Et non seulement cela, mais nous nous vantons aussi de nos afflictions, sachant que l'affliction produit la constance, la constance nous fait soutenir l'épreuve, de là naît l'espérance, et cette espérance ne saurait être trompeuse, puisque l'amour de Dieu remplit nos cœurs par le fait de l'Esprit Saint qui nous a été donné:

6 En effet, lorsque nous étions encore faibles, Christ mourut à temps pour les impies: or, c'est à peine pour un juste que quelqu'un mourra (car il se peut que quelqu'un ait le courage de mourir pour un homme de bien!), mais Dieu prouva son amour pour nous, en ce que Christ mourut pour nous lorsque nous étions encore pécheurs.

9 À plus forte raison donc serons-nous sauvés par lui de la colère, maintenant que nous sommes justifiés en son sang. Car si nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son fils, alors que nous étions encore ses ennemis, à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés en sa vie. Et non seulement cela, mais nous avons encore lieu de nous vanter de Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ, par lequel nous avons obtenu maintenant cette réconciliation.

V, 1-11. Nous ferons remarquer d'abord que nous avons cru pouvoir maintenant nous servir du terme de justifier; justification, que nous avons évité dans les textes précédents, bien qu'il soit généralement reçu. C'est que désormais il ne pourra plus donner lieu à un malentendu. On comprend qu'il a ici un sens tout différent de celui qu'il a dans le langage moderne, où il signifie la preuve ou démonstration de l'innocence d'un accusé. Chez Paul, c'est tout au contraire, la déclaration de Dieu qu'il veut bien, par pure grâce, et en vue d'un changement radical opéré dans la nature morale et spirituelle de l'individu coupable, regarder et traiter celui-ci comme s'il ne l'était pas.

Le morceau que nous analysons en ce moment signale les effets de cette déclaration sur l'homme qui en est l'objet, ou qui, selon les expressions du texte, a eu accès à cette grâce par le secours ou l'intervention de Christ.

Ces effets peuvent se résumer par les deux mots ou notions de la paix et de l’espérance. Le mot de paix doit être pris au sens propre, car le pécheur est l’ennemi de Dieu, Dieu a voulu le réconcilier avec lui-même (non pas se réconcilier avec le pécheur, qu'il n'a jamais cessé d'aimer). La paix est donc la disposition de l'âme dans laquelle celle-ci se trouve quand elle a reconnu que Dieu l'aime, qu'il veut lui pardonner, et qu'elle, de son côté, se tourne avec bonheur vers lui, affranchie qu'elle est de ce sentiment de terreur et de défiance, et de cette continuelle velléité de désobéissance, qui, auparavant, ne cessait de la tourmenter. L'espérance se rapporte naturellement à la perspective de l'accomplissement du salut, de la participation à la gloire de Dieu, c'est-à-dire à la félicité des enfants de son royaume.

La paix n'a pas besoin d'un gage du dehors, parce qu'elle est un sentiment immédiat qui porte sa certitude en lui-même. Mais l'espérance a besoin de s'appuyer sur quelque chose qui puisse lui donner de la force; il lui faut une garantie objective. Or, cette garantie existe, elle nous est donnée d'abord par l'Esprit saint (Rom. VIII, 16), qui, selon l'expression figurée de l'apôtre, a versé dans nos cœurs l’amour de Dieu, c'est-à-dire, non pas de l'amour pour Dieu, mais la certitude que Dieu nous aime; notre cœur est ainsi tout rempli de cet amour, de ce sentiment rassurant, de cette heureuse certitude; il n'y a plus là de place pour la crainte. Et cet amour, Dieu l'a prouvé de fait en permettant que son fils mourût pour nous, ses ennemis, les impies, les pécheurs, et en tout cas les faibles, pour nous qui ne pouvions rien faire pour notre propre salut. Ce dévouement, ce sacrifice n'a pas son pareil dans l'histoire des hommes, qui tout au plus — et encore combien c'est chose rare! — se dévouent pour un homme de bien, un ami, un bienfaiteur. (Comp. Jean III, 16. 1 Jean IV, 9.)

En parlant de l'espérance, l'auteur s'était servi du terme: nous nous vantons (glorifions), c'est-à-dire, nous proclamons avec bonheur cette grande et belle prérogative. Cela lui suggère une idée tout incidente et quelque peu paradoxale. Le chrétien se vante même, c'est-à-dire, il se fait gloire de ce qui afflige les autres, des souffrances qu'il endure pour sa foi, des tribulations par lesquelles il doit passer, de tout ce qui rend la vie présente dure et périlleuse. C'est que le monde et ses attaques n'ont plus de prise sur la sérénité d'une âme qui se sent réconciliée avec Dieu. Ainsi l'espérance se fonde encore, en second lien, sur ce que le fidèle s'est trouvé assez fort, avec l'aide de Dieu, pour soutenir l’épreuve. (Comp. 2 Cor. I, 3 suiv.; IV, 16. Jacq. I, 3.)

(Il n'est pas bien clair dans quel sens il est dit que Christ mourut à temps. Ordinairement on prend cette phrase comme synonyme de cette autre: au temps choisi par Dieu (1 Tim. II, 6. Tit. I, 3, etc.). Nous préférerions y voir l'idée de l'opportunité, dans l'intérêt de la génération contemporaine qui devait en être d'autant plus reconnaissante.)

Enfin l'espérance se fonde encore sur une troisième considération: Ce qui nous reste à obtenir et à désirer (le salut définitif, l'entrée au royaume céleste, la participation à la gloire) est chose grande et belle, sans doute, mais beaucoup moins difficile à atteindre que ce qui nous est déjà échu. La chose essentielle est faite. L'ennemi a été réconcilié, le pécheur est justifié, tâche immense, pour l'accomplissement de laquelle il n'a fallu rien moins que la mort de Christ. Désormais il s'agit seulement de maintenir le croyant dans la bonne voie, de l'affermir, de le sanctifier de plus en plus, afin qu'il n'ait plus à redouter la colère du juge suprême, qui éclatera au dernier jour contre ceux qui auront rejeté sa grâce. Cette seconde tâche, moins difficile, est assurée par la vie de Christ, de ce Christ ressuscité et glorieux, qui reste en communion permanente avec les siens, après les avoir régénérés par son esprit. Voilà donc encore une fois le parallélisme de la mort et de la vie de Christ avec les deux phases de l'existence du chrétien (chap. IV, 25). On remarquera que le texte dit: en son sang, en sa vie, parce qu'il ne s'agit pas simplement du fait considéré en lui-même, comme étant la cause de l'effet signalé, mais de la communion personnelle du croyant avec Christ dans les deux phases de sa vie terrestre par lesquelles il a dû passer pour consommer l'œuvre du salut.

Voilà donc maintenant les deux grands faits de l'histoire de l'humanité exposés quant à leurs causes et leurs effets: d'un côté, la réprobation de tous, par suite de l'universalité du péché, pour l'extirpation duquel ni la loi naturelle ni la loi positive ne se trouve assez puissante; de l'autre côté, le salut par la justification gratuite de ceux qui, par la foi, entrent en communion avec Christ mort et ressuscité pour accomplir cette glorieuse rédemption. Avant de passer outre, l'apôtre s'arrête un moment à la contemplation des rapports de ressemblance et de dissemblance entre ces deux phases de l'histoire (chap. V, 12-19).

12 Par conséquent, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi celle-ci a passé à tous les hommes, parce que tous péchèrent — car le péché était dans le monde jusqu'à la Loi. Or, le péché n'est pas imputé en l'absence d'une loi: malgré cela, la mort régna depuis Adam jusqu'à Moïse, sur ceux aussi qui n'avaient point péché dans les mêmes conditions qu'Adam, lequel est l'image de celui qui devait venir.

V, 12-14. Nous avons déjà rencontré ailleurs (1 Cor. XV, 45 suiv.) le parallèle entre Adam et Christ, considérés comme chefs de deux séries d'hommes, différant entre eux par des qualités ou caractères analogues à ceux qui distinguent les deux personnages principaux eux-mêmes. La pensée de l'apôtre est beaucoup moins transparente ici que dans le passage que nous venons de citer, et l'obscurité de son raisonnement a donné lieu à des interprétations fort divergentes et par suite à des théories théologiques plus ou moins étrangères à ce texte. Mais comme cette obscurité ne tient pas au fond même de la conception, mais seulement à la forme du discours, à la rapidité des déductions qui restent en partie logiquement incomplètes, nous parviendrons facilement à nous rendre compte tant de la pensée de l'auteur elle-même, que de la marche de son argumentation.

Dès la première phrase la rédaction s'embrouille; l'auteur se laisse égarer par une idée incidente, il perd de vue son début qui annonçait un parallèle, et le second membre de ce parallèle n'est point introduit d'une manière régulière. Mais il est de toute évidence qu'il voulait dire: De même que le péché, et par suite la mort, est entré dans le monde par le fait d'un seul homme, le premier Adam, de même par le fait d'un seul homme aussi, le second Adam, celui qui devait venir (et qui est venu effectivement dans la personne de Jésus-Christ), est entrée dans le monde la justice et par suite la vie. Ce parallélisme est nettement exposé plus bas au v. 18, mais dans notre texte même on l'entrevoit déjà, en ce que le premier Adam est appelé le type, l'image prophétique du second. La notion du type est toujours celle de la correspondance de deux faits analogues, dont l'un appartient à l'ancienne alliance, l'autre à la nouvelle. Cette correspondance peut être parfaite, c'est-à-dire se retrouver jusque dans les moindres détails, ou imparfaite (comme c'est le cas ici), de sorte qu'à côté des ressemblances il y a aussi des différences à signaler. Les différences frappent même l'esprit de l'auteur, au point qu'il les signale d'abord (v. 15-17) avant de parler des ressemblances (v. 18, 19).

Mais avant d'aborder les unes et les autres, nous devons nous occuper des premières lignes de cette exposition comparative, qui sont les moins claires de toutes, et que nous avons à dessein séparées du reste. L'auteur y parle exclusivement de ce qui est antérieur à Christ. Voici, dans leur ordre logique, les thèses qu'on peut recueillir dans les phrases que nous venons de traduire: 1° Le péché entra au monde par le fait d'un seul homme. Le péché n'est pas ici l'acte isolé dont parle le 3e chapitre de la Genèse, mais plutôt le principe de cet acte, ou, si l'on veut, ce genre d'actes particulier, le péché. En tant que l'auteur insiste sur l'unité de la personne du premier pécheur, et qu'il désigne Adam comme tel, il se place à un autre point de vue que le texte 1 Tim. II, 14. Celui-ci s'en tient aux détails de l'histoire, ici Paul fait de la théorie théologique, l'unité du fait amène l'unité de l'auteur, et la femme disparaît facilement devant les exigences du parallélisme. 2° La suite ou l'effet du péché d'Adam fut la mort, dont Dieu l'avait menacé d'avance, et qui fut ainsi la rémunération directe et légale de son acte. Par cette mort il faut nécessairement entendre la mort physique dont la Genèse parle exclusivement (d'après elle, la mortalité était la conséquence naturelle de l'expulsion d'Adam du jardin d'Éden et de l'impossibilité pour lui de manger du fruit de l'arbre de la vie). La théologie juive rattachait également cette mortalité à la transgression des protoplastes (Sap. I, 13 ss.; II, 23 ss. Sir. XXV, 24, etc.). Or, Paul parle ici de cette connexité de la mort et du péché comme d'un fait généralement connu, et de plus, aux v. 10 et 14 il n'est question que de la mort, physique. Malgré cela nous ne refusons pas d'admettre que la pensée de Paul dépasse ces limites plus étroites de la théologie traditionnelle, et nous ne croyons pas fausser son enseignement en supposant que dans son esprit l'idée de la mort spirituelle, c'est-à-dire de la damnation, se rattachait aisément à celle de la mort physique, et qu'on aurait tort de vouloir séparer totalement l'une de l'autre. Du moins nous rencontrerons plus loin de nombreux passages où le côté spirituel de la définition prédomine. 3° Tous les hommes issus d'Adam péchèrent également. L'apôtre ne s'explique pas le moins du monde sur la cause de ce fait, il le constate simplement. Il n'y a pas un mot dans le texte qui puisse servir à étayer les thèses scolastiques d'un changement opéré dans la nature de l'homme, de la nécessité de pécher, de l'imputation du péché d'Adam, de sa transmission héréditaire, etc. Paul pose le fait du péché de tous. Mais il tient aussi à le prouver. Comment le prouve-t-il? Par un autre fait également général et tout à fait incontestable. C'est que tous les hommes issus d'Adam sont morts. Ils ont donc tous été frappés de la même peine qu'Adam, donc ils doivent l'avoir méritée comme lui.

Or, ici il se présentait une objection que Paul tenait à écarter, et c'est précisément ce qui dérange le fil de sa rédaction. On pouvait dire: Sans doute la loi de Moïse menace de mort le pécheur; mais avant l'époque de Moïse, où donc est la loi qui définit le péché? comment peut-il être question de punition, quand il n'y a pas eu de défense positive? Paul répond: Le fait seul de la mortalité universelle prouve la culpabilité universelle; s'il n'y a pas eu de loi positive, il y a eu la loi naturelle dont il a été parlé aux chapitres premier et deuxième. Les successeurs d'Adam ont donc pu pécher, c'est-à-dire transgresser une loi, et par suite être punis de mort, bien qu'à deux égards ils n'aient point péché dans les mêmes conditions qu'Adam, d'abord en ce qu'ils n'avaient pas reçu de loi positive, et ensuite en ce qu'ils n'avaient point été menacés explicitement de la mort comme d'une peine méritée. Si, par conséquent, il peut être question & imputation, c'est-à-dire d'assimilation volontaire, de la part de Dieu, de tous les hommes à leur premier père, ce n'est pas le péché de celui-ci qui leur est imputé, comme le veut la théologie traditionnelle, mais la peine qui lui avait été imposée d'abord à lui, et qui l'a été ensuite à ses descendants, bien que ceux-ci n'en aient pas été menacés explicitement. Notons encore en passant que les réformateurs, en parlant du péché originel, ont bien positivement entendu parler d'une imputation du péché d'Adam, et non pas seulement d'une corruption de notre nature, à laquelle l'orthodoxie moderne prétend réduire cette notion. Il s'agissait bien pour eux d'une coulpe et non pas seulement d'une faiblesse héréditaire. Et c'est sur cette idée d'une coulpe qu'ils fondaient la nécessité du baptême des enfants.

15 Cependant il n'en est pas de même de la transgression et du don de la grâce. Car si par suite de la transgression d'un seul il en mourut beaucoup, bien plus encore la grâce de Dieu, et le don provenant de la grâce du seul homme Jésus-Christ, a pu abonder sur beaucoup aussi. Et il n'en est pas de même du don, comme de ce qui vint par un seul pécheur; car l'arrêt divin devint une condamnation par suite d'une transgression unique; tandis que le don de la grâce aboutit à l'acquittement, à la suite de transgressions nombreuses. Car si, par une seule transgression, la mort vint à régner, par le fait d'un seul homme, bien plus encore ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce et du don de la justice, participeront au royaume et à la vie par le fait du seul Jésus-Christ.

V, 15 -17. Nous avons déjà dit que ces trois versets sont destinés à faire voir que le parallélisme entre le premier et le second Adam, ou plutôt entre les effets de leurs actes et de leurs rapports avec les hommes qui appartiennent à leur série respective, n'est pas absolu et parfait. L'apôtre tient à montrer que l'avantage, dans la comparaison, est tout entier du côté de Christ, et à plusieurs égards.

Malgré le peu de lucidité de la contexture des phrases, la pensée de Paul est parfaitement claire. Il faut seulement se rendre compte du sens de ses termes: La transgression, au singulier, est le premier péché d'Adam, le don est l'effet de l'acte de Christ; l’arrêt divin est la déclaration de Dieu que le péché serait puni de mort. Enfin l'emploi du mot beaucoup, pour désigner les hommes pécheurs et condamnés comme tels à mourir, ne doit pas nous faire croire que Paul veut écarter l'idée de la totalité, ce qui constituerait une contradiction avec ses thèses précédentes. La pluralité abstraite est opposée à l’unité concrète des deux Adam, chacun de ceux-ci ayant à sa suite beaucoup d'hommes, qui forment deux sommes totales: celle des pécheurs (total absolu) et celle des croyants (total relatif).

Ceci établi, il suffira de peu de mots pour faire comprendre en quoi consistent les différences que l'apôtre signale. Il y en a trois:

1° La mort du pécheur est un salaire dû et mérité; la vie promise au croyant est une grâce, un don gratuit. Ainsi non seulement la chose promise est plus grande, dans le sens du bien, que la chose imposée comme peine n'était grande, dans le sens du mal (ce qui sera surtout vrai quand on l'entendra de la mort physique et de la vie céleste et bienheureuse); mais il y a encore à dire que la grâce qui donne la vie est chose plus riche, plus consolante, plus glorieuse, que la justice qui dictait la mort.

2° Dans la première sphère, un seul cas, le péché d'Adam, fut le point de départ de la condamnation de tous; dans la seconde sphère, le point de départ, ce furent les péchés nombreux, malgré lesquels la grâce se manifesta. Humainement parlant, l'intervention de la grâce aurait été plus naturelle s'il y avait eu moins de péchés: donc si elle intervient en présence de péchés sans nombre, elle n'en est que plus admirable.

3° Enfin, dans la seconde série, la perspective heureuse se présente avec un plus haut degré de certitude, parce que dès à présent il en est donné un gage dans la communion des croyants avec Christ, par laquelle ils obtiennent l'acquittement, c'est-à-dire la déclaration de Dieu qu'il veut les accepter comme justes. Le raisonnement est le même qu'aux v. 9 et 10. S'il a plu à Dieu de pardonner des torts réels, il ne manquera certes pas d'achever son œuvre.

18 Ainsi donc, de même que, par suite d'une seule transgression, il y eut une condamnation frappant tous les hommes, de même, par suite d'un seul acte de justice, il y eut pour tous les hommes une justification donnant la vie. Car de même que, par suite de la désobéissance d'un seul homme, d'autres en grand nombre ont été reconnus pécheurs, de même, par suite de l'obéissance d'un seul, d'autres en grand nombre seront reconnus justes.

V, 18-19. Maintenant Paul résume le parallèle entre les deux Adam en faisant abstraction des différences qu'il vient de signaler, et sans introduire d'idée nouvelle qui n'aurait pas déjà été énoncée plus haut. Mais il importe beaucoup qu'on reconnaisse qu'ici encore les éléments de la comparaison ne sont pas tous mentionnés explicitement. Voici la série complète de ces éléments:

1° Le point de départ ou la cause première: du côté du premier Adam, une transgression, une désobéissance; du côté du second Adam, un acte de justice, une obéissance. On comprend que la vie de Jésus est ici résumée, quant à son essence morale, dans le fait ou dans la notion d'Injustice, c'est-à-dire de l'absence du péché. Paul emploie à cet effet le même terme dont il s'est servi plus haut dans le sens d'un acquitement, opposé à la condamnation. Le langage théologique, qui en était encore à se former, ne mettait point à sa disposition des expressions assez variées pour rendre toutes les nuances de la pensée. Peut-être, cependant, l'apôtre a-t-il eu plus particulièrement en vue le seul acte de la mort de Christ. Cela cadrerait mieux avec la suite.

2° La conséquence prochaine de cette cause première: du côté du premier Adam, la mort (voir plus haut); du côté du second Adam, la résurrection et la vie (voir chap. VI, 4).

3° La conséquence éloignée du même fait: du côté du premier Adam, communication (transmission, solidarité) de la mort à ceux de sa série, c'est-à-dire à ceux qui ont été ou sont en communion avec lui, par le péché; du côté du second Adam, communication de vie (nouvelle, dans le temps, et éternelle, à l'avenir) à ceux de sa série, c'est-à-dire à ceux qui seront en communion avec lui par la foi. L'intervention de la foi, que l'auteur ne mentionne pas ici, est absolument indispensable, mais il pouvait la passer sous silence, parce qu'il en avait déjà été suffisamment question. Par la même raison, il faut reproduire (d'après le v. 12) la mention du péché dans l'autre série. Le syllogisme de Paul, dans sa forme logique parfaite, est donc celui-ci: De même que le péché d'Adam fut la cause de sa mort, que dès lors la mort resta la punition de tous les péchés, et que, par conséquent, tous ceux qui meurent doivent être reconnus pécheurs: de même l'acte (la vie sainte ou le sacrifice sanglant) de Christ est la cause du salut (de la vie) de tous ceux qui ont la foi, c'est-à-dire, qui entrent en communion avec sa mort et sa résurrection, et par conséquent leur participation à sa gloire et sa félicité fera reconnaître que Dieu les a acceptés comme justes. Voilà la conclusion légitime de tout ce qui a été dit dans les chapitres précédents. Les traducteurs qui font dire à l'auteur: par la désobéissance d'un seul tous ont été rendus pécheurs (et c'est l'immense majorité des commentateurs de tous les temps depuis Augustin), lui font faire un paralogisme. Car si le péché d'Adam rendait pécheurs tous les hommes, purement et simplement, l'acte de Christ rendrait aussi justes tous les hommes, purement et simplement, sans autre condition. Or, Paul n'a pas dit une pareille absurdité. Mais si une condition indispensable doit être insérée dans la seconde partie du raisonnement, où il ne la mentionne pas, parce qu'elle s'entendait d'elle-même, une condition analogue doit aussi être insérée dans la première partie, et cela d'autant plus sûrement qu'il l'a mentionnée formellement. Le verbe que nous avons traduit par reconnaître, est un terme juridique; il désigne le résultat d'une enquête judiciaire et la déclaration officielle du juge qui le constate. Il est donc tout à fait analogue à celui qu'on traduit par justifier; jamais il ne signifie rendre, dans le sens de faire que quelqu'un soit. (Dans le Nouveau Testament il est fréquemment employé dans le sens d'installer officiellement dans une fonction.)

20 Mais la loi intervint pour que la transgression devînt plus fréquente: mais quand le péché fut devenu bien fréquent, la grâce fut plus abondante encore, afin que, de même que le péché avait régné en la mort, de même la grâce aussi régnât par la justice, pour la vie éternelle par notre Seigneur Jésus-Christ.

V, 20-21. Encore une fois (comp. chap. III, 31) une objection se présente à l'esprit de l'apôtre, ou bien aussi, d'après son expérience, dans la bouche des Juifs. Que le salut vienne par Christ et la foi, qu'il soit possible malgré le péché, c'est fort bien. Mais cette déduction ne tient aucun compte de la loi (mosaïque), qui pourtant émanait aussi de Dieu, qui doit donc avoir, elle aussi, sa place marquée dans l'ensemble des desseins de Dieu. C'était là une question très légitime et surtout très importante pour un théologien qui, tout en prêchant l'évangile de la grâce, n'entendait point rompre avec la foi aux révélations antérieures. Paul a étudié cette question; il avait même trouvé plus d'une solution à utiliser pour l'ensemble de son système (Ép. aux Galates. Hist, de la théol. chrét., liv. V, chap. 5). Ici il n'en signale qu'une seule et sans s'y arrêter. Il y revient encore une fois au chap. VII.

L'une des fins de la loi, c'était de rendre le péché plus fréquent. Thèse paradoxale, qui sera justifiée plus bas, et que, par cette raison, il est inutile de développer ici par anticipation. Paul se borne ici à constater que la grâce salutaire (régénératrice et vivifiante) intervenant au moment même où les choses étaient au plus mal, se montra plus puissante encore que le principe du mal, qui trouvait même une certaine force accessoire dans la loi.

Après cela, l'apôtre revient à son parallélisme et caractérise encore une fois à grands traits les deux périodes de l'histoire de l'humanité: dans la première avait régné le péché, dont la puissance et l'action se manifestaient par la mort, son effet naturel et légitime; dans la seconde doit régner la grâce, qui accorde la justice au croyant et lui assure ainsi la vie. Le parallélisme serait plus exact et plus conforme à ce qui est dit ailleurs, si l'antithèse s'établissait, non seulement entre la mort et la vie, mais entre le péché de fait et la justice imputée, enfin entre la loi et la grâce. (2 Cor. III. Gal. III. Rom. VII, 4 ss.)

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