Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEUXIÈME ÉPITRE DE PIERRE

Chapitre 2

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1 Cependant il y a aussi eu de faux prophètes parmi le peuple, de même que parmi vous aussi il y aura de faux docteurs, qui introduiront des hérésies pernicieuses, et qui, en reniant le maître qui les a rachetés, attireront sur eux-mêmes une ruine soudaine. Et beaucoup de gens s'associeront à leurs dérèglements, à cause desquels la vraie religion sera calomniée; dans leur cupide égoïsme ils viendront vous exploiter par des discours fallacieux, mais leur arrêt, depuis longtemps prononcé, n'est pas oisif, et leur ruine ne sommeille point.

4 Car si Dieu n'a pas épargné les anges qui avaient péché, mais les a précipités dans l'abîme où ils sont retenus dans les chaînes des ténèbres et réservés pour le jugement; s'il n'a pas épargné l'ancien monde, mais n'a préservé que Noé, ce héraut de la justice, lui huitième, lorsqu'il amena le déluge sur le monde des impies; s'il a condamné à la destruction les villes de Sodome et de Gomorrhe, en les réduisant en cendres, pour les faire servir d'exemple aux impies futurs; et s'il a sauvé le juste Lot, profondément attristé par la conduite déréglée des scélérats — car ce juste, qui demeurait au milieu d'eux, avait son âme vertueuse tourmentée en voyant et entendant journellement leurs actes infâmes, — c'est que le Seigneur sait délivrer de l'épreuve les hommes pieux, et réserver les injustes pour le jour du jugement tout en les punissant dès à présent, surtout ceux qui dans leur passion impure courent après les jouissances charnelles et méprisent la dignité du Seigneur,

II, 1-10. L'auteur aborde enfin son sujet principal. Par une transition bien naturelle, il passe des prophètes de l'Écriture aux faux prophètes et docteurs actuels, pour lesquels la promesse de l'avènement de Christ au dernier jour est un sujet de raillerie et qui ne se préoccupent que des grossières jouissances du moment. C'est à partir d'ici que les réminiscences de l'épître de Jude deviennent de plus en plus fréquentes. Aussi bien le commentaire peut-il se dispenser dans beaucoup de cas de reproduire des explications déjà données. Comp. ici surtout Jude 4, 6, 7, 8.

Nous n'hésitons pas à traduire hérésies, au lieu de schismes, bien que dans les autres passages du Nouveau Testament où se trouve le mot grec, ce dernier sens soit seul admissible. Ici évidemment il s'agit d'une fausse doctrine, directement contraire à la vérité de l'Évangile. Au lieu de la vraie religion, le texte dit à la lettre: la voie de la vérité, d'après un usage dont il y a plusieurs exemples dans les Actes (chap. IX, 2; XVIII, 25; XIX, 9, 23; XXII, 4; XXIV, 14, 22). Car la voie n'est pas seulement la conduite morale, mais encore la tendance religieuse. Le mot que nous traduisons par égoïsme, signifie proprement la cupidité, l'amour du gain. L'arrêt qui n'est pas oisif est celui qui n'est pas rendu en vain, mais qui est en train d'être exécuté.

Les exemples d'impiété et de dévergondage tirés de l'Ancien Testament sont en partie autres que ceux qu'on trouve dans le passage correspondant de l'épître de Jude; mais ce qui est surtout une addition propre à notre auteur, c'est qu'il n'insiste pas seulement sur les exemples de châtiments mérités et accomplis, mais aussi sur ceux d'une protection assurée aux justes. L'avertissement menaçant et sérieux se combine ainsi avec la consolation dont pouvaient avoir besoin les bons, spectateurs quotidiens des débordements du vice. Seulement l'un de ces exemples, celui de Lot, est assez malheureusement choisi, quand on se rappelle l'usage que ce patriarche fit de sa délivrance.

Avec les dernières lignes de ce morceau, l'auteur reprend la caractéristique des faux docteurs d'une manière plus détaillée et va la poursuivre dans ce qui suivra. Nous devons dire d'une manière générale que cette caractéristique, pour être très animée, distinguée même par l'ampleur rhétorique du style, est assez peu précise à l'égard de ce qu'il nous importerait surtout de savoir. Cependant on entrevoit qu'il s'agit de deux sortes d'erreurs: il y a d'un côté le libertinage, l'émancipation déréglée, qui fait aussi le fond du tableau dans l'épître de Jude; de l'autre, il y a certainement le doute relatif aux croyances judéo-chrétiennes concernant la fin des choses et la parousie, doute qui a dû être formulé d'une manière assez cavalière et peu révérencieuse. C'est ainsi que nous croyons pouvoir expliquer ici les derniers mots de notre texte, d'après les analogies décisives de chap. I, 16; III, 3 suiv., bien qu'ils aient un autre sens dans Jude 8.

10 Téméraires et insolents, ils ne craignent point de médire de ceux qui sont dans la gloire, là où des anges, leurs supérieurs en force et en puissance, ne formulent point contre eux un jugement injurieux. Mais eux, semblables à des bêtes brutes, nées pour une vie purement physique, pour être prises et tuées, ils médisent de ce qu'ils ignorent et périront aussi comme elles, recevant ainsi le salaire de leur iniquité, parce qu'ils mettent leur bonheur dans les jouissances du jour. Ils se délectent dans leurs fourberies, faisant bonne chère avec vous, en hommes tarés et flétris qu'ils sont; ils ont les yeux bouffis de luxure et insatiables de péchés, ils séduisent les âmes mal aifermies et ont eux-mêmes le cœur exercé à la cupidité.

15 Enfants de la malédiction, ils ont abandonné le droit chemin, et se sont égarés en suivant la voie de Balaam fils de Bosor, lequel aussi aima le salaire injuste, mais fut sévèrement repris pour sa scélératesse: une bête muette, criant d'une voix d'homme, arrêta la démence du prophète ! Ce sont des fontaines sans eau, des brouillards chassés par le tourbillon; à eux est réservée la nuit des ténèbres. Par des discours aussi vains que pompeux ils séduisent, avec les convoitises charnelles du libertinage, les hommes à peine échappés à ceux qui vivent encore dans l'erreur, leur promettant la liberté, tandis qu'ils sont eux-mêmes les esclaves de la perdition. Car chacun est l'esclave de ce par quoi il se laisse vaincre.

20 Car si, après avoir échappé aux souillures du monde par la connaissance de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, ils se laissent vaincre en s'y engageant de nouveau, leur dernière condition est pire que la première. Car il eût mieux valu pour eux de n'avoir point connu le chemin de la justice, que de se détourner, après l'avoir connu, du saint commandement qui leur a été donné. Il leur arrive ce que dit si bien le proverbe: C'est le chien qui retourne à ce qu'il a vomi. Et cet autre: Truie lavée va se vautrer dans le bourbier.

II, 10-22. Dans ce morceau surtout, les emprunts faits à l'épître de Jude sont nombreux. Voyez celle-ci aux v. 8, 9, 10, 11, 12, 13, 16. Mais il y a lieu de faire remarquer que pas une seule phrase n'est copiée textuellement et dans son entier. Ce sont les termes, les images, les allusions historiques que notre auteur emprunte à son prédécesseur, mais en les encadrant librement dans des phrases de sa propre facture, quelquefois même de manière qu'on dirait qu'il n'a pas bien compris l'original, ou qu'il a volontairement détourné, de leur sens propre et primitif, les expressions qu'il va y prendre. Aussi les quelques observations que nous aurons à faire sur notre texte porteront-elles surtout sur ce dernier rapport. Car au fond, comme il s'agit d'un portrait moral, il ne faut pas beaucoup de sagacité pour comprendre les différents traits du tableau. L'auteur a ici en vue les conséquences pratiques d'une théorie qui comprenait la liberté chrétienne de manière à émanciper la chair (Gal. V, 13; comp. 1 Cor. VI, 12, etc.). Ce n'est qu'au chapitre suivant qu'il revient à l'élément dogmatique de cette théorie, lequel consistait à se moquer des espérances ou des craintes relatives au jugement dernier.

Dès le début de ce morceau (v. 10, 11) nous rencontrons un passage déjà passablement obscur dans Jude (v. 8-10), mais qui devient ici presque inintelligible, l'auteur ayant jugé à propos d'omettre tout juste ce qui dans l'original servait à expliquer la pensée de l'écrivain. Jude avait cité la conduite de l'ange Michel à l'égard de Satan, pour faire ressortir, par cet exemple, l'outrecuidance des gens qui ne respectent rien, pas même la dignité de Dieu et de Christ. Notre auteur n'a que faire du mythe apocryphe, il efface les noms des deux anges, en conservant le simple cadre de la phrase. De cette manière, les mots: ils ne formulent pas contre eux de jugement injurieux, ne se rapportent plus à leur vrai régime (Satan), et sont comme suspendus en l'air; et le nouveau régime (contre eux) par lequel ils doivent se rattacher au contexte, les met en rapport avec ceux qui sont dans la gloire (Dieu, Christ ou les anges), de sorte qu'il en résulte cette singulière assertion, que les anges ne portent pas de jugement (!) injurieux sur les personnages que nous venons de nommer. Si nous n'avions pas la clef de cet imbroglio dans le texte primitif, nous devrions désespérer de le débrouiller. D'autres cherchent à sortir d'embarras en substituant aux anges les diables, lesquels, tout diables qu'ils sont, n'osent pas injurier Dieu et les bons anges. Ces hommes seraient donc pires que les diables. Mais comment, dans ce cas, l'auteur pouvait-il se servir du mot de jugement? En aucun cas il n'a pu vouloir faire un crime à ses adversaires de dire du mal des diables, ni appeler les diables des êtres dans la gloire.

Quelques petits changements sont aussi faits dans la phrase suivante (v. 12; comp. Jud. 10). La comparaison avec les brutes est autrement tournée, l'épithète: purement physique ou matériel, est donnée ici à la vie ou à la nature des bêtes mêmes, tandis que dans l'original elle revenait à l'activité intellectuelle des libertins matérialistes. Des deux côtés la phrase se termine par la perspective de la ruine finale des pervers, mais la première fois celle-ci est signalée comme la conséquence de leur genre de vie, ici elle est représentée comme absolument semblable à la mort des bêtes, qui périssent sans espoir ultérieur.

Dans le 13e verset nous trouvons quelques lambeaux presque méconnaissables du 12e de Jude. Celui-ci avait parlé des agapes ou repas fraternels des chrétiens, profanés par la présence de gens qui n'y voyaient qu'une occasion de faire bonne chère, et qui choquaient les autres par leur conduite. La bonne chère revient dans notre texte, et l'auteur, par quelques traits de pinceau de plus, anime son tableau dans le sens en question. Mais il ne parle plus d'agapes, ce mot est remplacé par des fourberies (apataï), et nous avons le choix de dire que la substitution est intentionnelle, les agapes n'existant plus du temps de l'auteur, ou de dire que le changement était déjà fait dans l'ancien texte, par n'importe quel hasard. De plus, les écueils ou pierres d'achoppement (spilades), comme Jude appelle ces libertins, sont devenus des taches ou ordures (spiloï), ce qui peut être une méprise exégétique. En tout cas, le sens qu'y attache notre auteur est parfaitement établi par l'addition d'un synonyme. Plusieurs anciens témoins ont réintégré les agapes dans notre texte, mais c'est évidemment en vue du passage parallèle. Des corrections analogues faites par la même raison se trouvent, soit dans les manuscrits, soit dans les éditions vulgaires, au v. 17 (deux fois).

Nous ne nous arrêterons aux lignes suivantes (v. 14) que pour faire remarquer que le texte parle proprement d'yeux remplis d'une femme adultère, ce qui est d'une hardiesse rhétorique intolérable en français, peut-être même un simple solécisme. L'exemple de Balaam, emprunté également à Jude (v. 11), est mis ici à profit d'une manière plus complète, l'auteur ne relevant pas seulement le mauvais motif du prophète (sur lequel cependant l'ancien récit, Nombr. XXII, n'insiste pas du tout), mais encore la honte qu'il essuya d'être admonesté par son ânesse. L'orthographe inexacte Bosor n'est peut-être qu'une vieille faute de copiste. Elle ne vient pas des Septante.

Plus loin, les fontaines sans eau et les brouillards chassés par les vents sont le dédoublement d'une image de Jude (v. 12) que nous avons expliquée en temps et lieu; mais ce qu'il faut relever, c'est que la nuit des ténèbres est réservée ici à des fontaines, l'auteur ayant sauté quelques lignes dans son original, où elle revenait très naturellement aux étoiles filantes qui rentrent promptement dans l’obscurité. Il n'y a pas jusqu'au pronom démonstratif qui commence la phrase (ceux-ci sont des fontaines, etc.) qui ne soit machinalement copié dans l'ancien texte, où il est parfaitement à sa place, tandis que dans le nôtre il ne se rattache à rien, après la digression relative à Balaam.

Enfin dans le 18e verset il y a encore une légère trace du 16e de Jude, bien qu'il s'agisse ici de tout autre chose. En effet, notre auteur veut maintenant caractériser les libertins comme séducteurs des nouveaux convertis; car ceux qui vivent encore dans l'erreur, ce sont les païens, et il dit que, à peine échappés au paganisme, ces néophytes tombent entre les mains de gens pires que les païens, et qui sous prétexte de liberté leur imposent une servitude plus odieuse que celle de la superstition polythéiste, savoir l'esclavage du vice, de la corruption, et par suite de la ruine morale et éternelle. Nous estimons que dans les v. 20 et suiv. l'auteur a voulu parler des hommes ainsi séduits, au sujet desquels il fait cette déclaration paradoxale, qu'ils eussent mieux fait de ne jamais devenir chrétiens, que de perdre le fruit de leur conversion par ces nouveaux égarements. Mais il faut convenir que la construction de la phrase, et notamment la liaison entre les v. 19 et 20 semble favoriser l'interprétation d'après laquelle il serait plutôt question des séducteurs. (Comme passages parallèles, on peut comp. Matth. XII, 45. Luc XI, 26; XII, 47. Jacq., IV, 17.)

Des deux proverbes (v. 22), le premier se trouve aussi dans la collection de l'Ancien Testament (Prov. XXVI, 11). Ces proverbes, surtout le dernier, militent en faveur de ce que nous venons de dire au sujet des phrases immédiatement précédentes, à savoir qu'elles se rapportent plutôt aux hommes séduits qu'aux séducteurs. Les uns et les autres, en tant qu'anciens païens, pouvaient être comparés par un Juif ou judéo-chrétien à des porcs et à des chiens; mais les séducteurs, dans ce contexte du moins, n'étaient certes pas des porcs lavés.

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