Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPITRE DE JUDE

Chapitre 1

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1 Jude, serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques, aux chrétiens bien-aimés en Dieu le père, et gardés pour Jésus-Christ: que la miséricorde, la paix et l'amour vous soient donnés abondamment.

v. 1, 2. Pour les éléments historiques de cette formule de salutation et notamment pour ce qui tient à la personne de l'auteur, voyez l'introduction. Quant au reste, nous nous sommes permis de mettre tout simplement les chrétiens à la place des appelés, ce dernier terme, non usité en français, désignant précisément ceux qui ont écouté l'appel à eux adressé par Dieu, et qui sont entrés dans la communion de Christ. C'est bien à ceux-là seuls que l'auteur s'adresse et non à tous ceux qui peuvent avoir été invités à se joindre à l'Église sans que cette invitation ait produit son effet.

Ces chrétiens sont appelés 1° les bien-aimés, non de Dieu, mais en Dieu; c'est donc l’écrivain lui-même qui proteste de son amour pour eux, et qui caractérise cet amour comme inspiré par la communauté des croyances religieuses. Au lieu de bien-aimés, une variante les appelle sanctifiés, ou plutôt consacrés (comp. 1 Cor. I, 2), c'est-à-dire séparés de la masse des mortels et formant une classe particulière, un peuple à part, dont toutes les forces vives tendent à l'union de plus en plus intime avec Dieu; 2° gardés pour Jésus-Christ (et non pas par Jésus-Christ, comme on traduit communément), c'est-à-dire préservés des influences malsaines du monde et du mal, pour arriver heureusement à la participation des biens dont l'Évangile leur offre la perspective dans le royaume de Christ.

3 Mes bien-aimés, éprouvant le besoin pressant de vous écrire au sujet de notre commun salut, je me trouve dans la nécessité de le faire, afin de vous exhorter à combattre pour la foi transmise aux fidèles une fois pour toutes. Car il s'est glissé parmi nous certains hommes impies, contre lesquels l'arrêt est écrit d'avance et depuis longtemps, et qui, abusant de la grâce de notre Dieu pour leurs débordements, renient notre seul maître et seigneur Jésus-Christ.

v. 3, 4. Exorde. L'auteur assure ses lecteurs que le désir de s'adresser à eux existait chez lui antérieurement, et indépendamment de tout motif spécial et de circonstance, mais qu'il ne saurait plus retarder l'exécution de son dessein en vue de certains faits qu'il a sous les yeux, et qui lui en font un devoir impérieux. C'est qu'à tout moment un chef d'église peut éprouver le besoin de s'entretenir, avec ceux qui lui sont confiés, de leur commun salut, c'est-à-dire des intérêts moraux et religieux qui les unissent et qui demandent une attention soutenue et des efforts incessants. Mais ce besoin devient une nécessité, dès que la base même de la religion est compromise, et qu'il s'agit de combattre, de résister avec énergie à l'invasion de tendances subversives qui menacent de dénaturer l'essence même de l'Évangile. Or, ce danger existe actuellement, dit l'auteur. Il s'est glissé parmi nous des hommes, dont on n'a malheureusement pas reconnu la perversité dès le début, et qui (litt.) transforment la grâce de Dieu en débauche, c'est-à-dire qui donnent à la doctrine évangélique de la liberté et du pardon un sens tel, que tous les dérèglements y trouvent leur excuse et leur légitimation. Ce n'est pas là, sans doute, ce que Christ a voulu, c'est au contraire la ruine de la foi qui a été transmise à la génération actuelle par les disciples et, apôtres du Seigneur, et qui l'a été une fois pour toutes, c'est-à-dire qui doit rester immuable, toujours la même, toujours pure de tout alliage corrupteur. Prêcher des doctrines ou professer des principes qui feraient de l'Église une école du vice, de l'Évangile une charte de l'immoralité, c'est replier Christ, c'est déclarer la guerre à sa sainte mémoire et à sa salutaire institution. (Une variante fait dire à l'auteur: ils renient Dieu notre seul maître, et notre Seigneur Jésus-Christ. On pourrait même supposer que le seul maître est en tout cas Dieu.)

En disant que l'arrêt (qui condamne de pareilles gens) a été écrit d’avance et anciennement déjà, l'auteur ne veut pas dire simplement que les principes éternels de la morale et de la justice sont contre eux; mais il a en vue des textes spéciaux, des textes prophétiques anciens, qu'il croit pouvoir mettre en regard des faits, spéciaux aussi, dont il veut entretenir ses lecteurs. Cela se verra plus loin où ces textes sont cités.

5 Je veux vous rappeler, bien que vous sachiez déjà tout cela, que le Seigneur, après avoir délivré le peuple du pays d'Égypte, a fait périr les incrédules, la seconde fois; et qu'il réserve pour le jugement du grand jour, en les retenant dans les ténèbres par des chaînes éternelles, les anges qui, au lieu de conserver leur dignité, ont abandonné leur propre demeure; comme aussi Sodome et Gomorrhe et les villes voisines, pour s'être livrées à la prostitution de la même manière qu'eux, et à des crimes contre nature, sont devant nous comme un exemple en ce qu'elles subissent la peine du feu éternel.

v. 5-7. Avant d'aborder son véritable sujet, la caractéristique des hommes pervers qu'il vient de dénoncer à ses lecteurs, l'auteur cite trois exemples tirés de l'histoire et qui présentaient des analogies frappantes tant à l'égard des vices abominables qu'ils rappelaient, qu'à l'égard des châtiments que ces vices avaient entraînés et qui, par conséquent, devaient être prévus également dans le cas actuel. Il est important qu'on ne perde pas de vue ce double point de comparaison.

La chose est surtout claire pour le troisième exemple. L'histoire de Sodome et de Gomorrhe (Gen. XIX) est trop connue pour avoir besoin d'être reproduite ici. Comme du temps de l'auteur (et même aujourd'hui encore) on montrait la place où ces villes avaient été d'abord détruites par le feu, puis englouties par les eaux, il pouvait dire qu'elles sont devant nous, que nous les avons sous les yeux; et la mention du feu éternel est une tournure hardie par laquelle l'éternité du souvenir et la permanence des traces de la catastrophe est transportée au feu même qui avait été autrefois la cause de celle-ci. D'autres cependant veulent qu'on traduise: elles subissent leur peine comme un exemple (préliminaire) du feu de l'enfer.

Le second exemple est celui des anges dont il est parlé Gen. VI, 2, et qui dérogèrent à leur dignité céleste en se livrant à des amours désordonnées avec les filles des hommes. La Genèse se borne à mentionner le fait, et cela d'une manière assez obscure, mais la tradition mythologique s'en empara plus tard et broda beaucoup sur ce sujet. Le livre d'Hénoch, que notre auteur avait sous les yeux (v. 14), entre dans de grands détails à cet égard. Il mentionne aussi le châtiment de ces anges, tel qu'il est décrit ici. On remarquera que cette tradition n'a rien de commun ni avec le mythe relatif à la rébellion de Satan (la chute des anges), ni avec la conception du séjour actuel des démons, soit dans les régions aériennes (Éphés. II, 2; VI, 12), soit dans le désert (Tob. VIII, 4. Matth. XII, 43).

Ces deux exemples décident aussi du premier que nous avons réservé exprès pour la fin. Évidemment il s'agit des Israélites délivrés par Dieu une première fois, lors de la sortie d'Égypte, mais punis la seconde fois, c'est-à-dire dans une occasion subséquente, sans doute pour avoir péché comme les anges et les Sodomites. Nous croyons donc que l'auteur a eu en vue tout spécialement le fait raconté au chap. XXV du livre des Nombres. Il est vrai que le texte parle d’incrédules, mais on ne niera pas que les Israélites méritaient ce nom en participant au culte des Moabites.

8 Malgré cela ceux-ci aussi, dans leurs rêveries, souillent leur corps, méprisent la dignité du Seigneur et médisent de ceux qui sont dans la gloire. Cependant l'archange Michel même, lorsqu'il eut affaire au diable et qu'il disputait avec lui au sujet du corps de Moïse, n'osa pas formuler un jugement en termes injurieux, mais se borna à dire: Que le Seigneur te reprenne! Ceux-ci, au contraire, médisent de ce qu'ils ne connaissent pas, et ce qu'ils savent d'une manière purement physique, comme les bêtes brutes, c'est en cela qu'ils se perdent.

11 Malheur à eux! car ils ont marché dans les voies de Caïn; ils se sont jetés pour un salaire dans Terreur, de Balaam; ils ont péri dans la révolte de Coré. Ce sont eux qui sont les écueils dans vos repas de charité, faisant bonne chère sans retenue et ne songeant qu'à se repaître; des nuages sans eau emportés par les vents; des arbres à l'arrière-saison, sans fruit, doublement morts, déracinés; des vagues furieuses de la mer, faisant éclater l'écume de leurs turpitudes; des astres errants auxquels la nuit des ténèbres est réservée à tout jamais.

14 C'est d'eux qu'Enoch, le septième à partir d'Adam, a prophétisé en disant: «Voyez, le Seigneur vient avec ses saintes myriades, pour prononcer l'arrêt contre tous, pour faire rendre compte à tous les impies parmi eux de toutes leurs œuvres d'impiété qu'ils ont commises, et de toutes les choses impertinentes que les pécheurs impies ont dites contre lui.» Ce sont des frondeurs mécontents de leur sort, se laissant guider par leurs convoitises; leur bouche profère des paroles hautaines et ils flattent les personnes par intérêt.

v, 8-16. Ici enfin l'auteur aborde son sujet d'une manière plus directe en faisant la caractéristique des gens dont la présence au sein de l'Église a éveillé sa sollicitude et lui a mis la plume à la main. De ce qu'il en dit, et de la manière dont il le dit, on reçoit l'impression qu'il est vivement préoccupé des dangers qu'il appréhende de ce côté-là pour la communauté. Les rapprochements historiques qui mettent ces hommes sur la même ligne qu’un Caïn, un Balaam, un Coré, justement signalés par l’Écriture comme d'odieux rebelles à la sainte volonté de Dieu, l'énergie de l'accusation, la profusion d'images pittoresques de tout genre, destinées à lui donner du relief, tout cela nous fait comprendre la gravité que l'apparition de pareilles tendances avait aux yeux de l'écrivain. Mais on conviendra que tout cela ne nous donne pas une idée bien claire de ces tendances. Un exposé plus calme, tenant davantage de l'histoire et de la narration, nous serait plus utile à cet égard que cette rhétorique pleine de verve, mais trop peu précise. Essayons cependant de recueillir dans les traits épars du tableau les éléments d'un portrait aux contours tant soit peu reconnaissables.

Tout d'abord nous devons constater que le texte ne nous fournit pas la moindre trace de quelque erreur dogmatique ou spéculative par laquelle les hommes que l'auteur veut peindre se seraient mis en opposition avec les principes théoriques de l'Évangile. Il ne s'agit point d'hérésie dans le sens vulgaire de ce mot. Si l'auteur avait voulu combattre des gnostiques, des philosophes syncrétistes, des traditionalistes judaïsants, il faudrait convenir qu'il s'y est pris bien maladroitement. Pour trouver le véritable sens et la vraie portée des reproches formulés ici, il faut avant tout s'en tenir à ce fait, que les trois exemples introduits aux v. 5-7 ont dû être choisis en vue des analogies qu'ils présentaient avec les tendances des adversaires auxquels s'adresse la polémique de Jude. Or, dans ces exemples il s'agit avant tout de dérèglements moraux, de péchés de la chair, à l'occasion desquels les Juifs au désert, les anges quittant leur demeure céleste, et les habitants de Sodome et de Gomorrhe, ont montré, les premiers un coupable mépris pour Dieu, et pour leurs propres devoirs de peuple élu (Nomb. XXV), les seconds un honteux oubli de leur dignité de créatures privilégiées (Gen. VI), les derniers, enfin, une impudence abominable à l'égard de personnes infiniment supérieures et dignes du plus profond respect (Gen. XIX). Cela nous expliquera d'abord la phrase par laquelle la caractéristique débute: ils souillent leur corps (litt.: la chair), ils méprisent la dignité du Seigneur, (litt.: ils ne tiennent pas compte de la seigneurie), ils médisent de ce qui est glorieux (litt.: djes gloires). Il est donc question de débauches, de débordements, de passions charnelles, et ces vices ne sont pas simplement considérés comme l'effet de la faiblesse morale ou d'un manque de principes, mais ils sont signalés comme le fruit d'une perversité intentionnelle. Car la médisance est quelque chose de volontaire (comp. v. 10), elle est expliquée plus bas (v. 15) par des choses impertinentes (dures, outrageantes, inadmissibles) qu'on dit contre Dieu.

Nous entrevoyons donc que l'auteur veut caractériser des hommes qui, abusant des principes de liberté proclamés par l'Évangile (paulinien) à l'égard de la loi (comp. v. 4), prétendent que tout est permis au chrétien et que la morale vulgaire (légale) n'est plus faite pour lui. Ce sont des Antinomistes, dans le mauvais sens du mot. Dans la phrase du 8e verset, le Seigneur (la seigneurie) pourra être entendu de Dieu ou de Christ (comp. v. 4, 5), sans que le sens change; dans l'un comme dans l'autre cas, c'est la base religieuse de la morale qui est renversée. Quant à ceux qui sont dans la gloire, ou plus textuellement, quant aux gloires, il est impossible de s'arrêter à y voir des autorités humaines. Si l'on ne veut pas simplement y voir un synonyme de la phrase précédente, de manière que le pluriel s'appliquerait aux deux personnes de Dieu et de Christ, il conviendra de songer aux anges considérés comme les organes de Dieu à l'égard de la législation (Act. VII, 53. Gal. III, 19. Hébr. II, 2), et par conséquent comme les garants de celle-ci, qui sont directement injuriés si l'on prétend que la loi n'a plus de valeur. Peut-être sera-t-il permis de songer aussi à des conceptions telles que celles que nous avons rencontrées dans 1 Pierre I, 12. Éphés. III, 10. 1 Cor. XI, 10, où les anges nous sont représentés comme s'intéressant directement à l'Église, à sa fondation, à sa pureté, et de supposer que des assertions du genre de celles que nous venons de citer ont pu provoquer de la part des libertins des propos frivoles et outrageants pour ces êtres. En tout cas, le mot: ils médisent de ce qu'ils ne connaissent pas, etc., nous semble contenir l'insinuation d'un certain matérialisme pratique et par conséquent immoral, qui abaisse l'homme au niveau des bêtes brutes, en les amenant à circonscrire leur activité intellectuelle à la sphère purement physique et sensuelle. C'est sans doute dans ce sens qu'il faut aussi prendre le mot de rêveries (v. 8), qui est l'opposé de toute science solide, de toute vérité positive.

Ces mêmes tendances se dessinent encore assez nettement (v. 12) dans ce qui est dit des agapes (1 Cor. XI, 17 ss.) ou repas de charité, auxquels ces hommes prennent part comme membres de la communauté, mais sans se préoccuper du but de l'institution, et en n'y voyant qu'une occasion de satisfaire leurs appétits grossiers. Aussi y sont-ils des écueils, c'est-à-dire que leur conduite est choquante ou dangereuse par le mauvais exemple.

Les autres traits du portrait sont moins saillants, du moins quant à la manière dont ils sont présentés. Au v. 11, il est parlé en passant de cupidité et d'esprit de révolte et d'opposition; au V. 16, de discours hautains, d'un esprit frondeur compatible avec la bassesse des sentiments et une vile flagornerie pour ceux dont on attend un avantage; au v. 12, sous des images tant soit peu recherchées, il est question de l'absence de toute espèce de fruit et de profit véritable et salutaire, de la part de pareils membres de l'Église. Car des nuages on attend une pluie fécondante; à l'entrée de l'hiver les arbres présentent un aspect désolant de nudité, et le mouvement impétueux des vagues ne produit que de l'écume, image expliquée ici d'une manière qui n'est pas étrangère au style moderne.

Dans ces mêmes images l'auteur peint encore le châtiment qui attend de pareilles gens: les nuages sont emportés par les vents, les arbres sont déracinés, les vagues n'ont aucune consistance. Puis ils sont comparés à des astres errants, c'est-à-dire probablement à ce qu'on appelle encore aujourd'hui des étoiles filantes, dont l'éclat fugitif est aussitôt absorbé dans une nuit profonde, de laquelle elles ne sortent plus (par des raisons qui sautent aux yeux, il est tout à fait hors de propos de songer aux planètes ou aux comètes). Mais ce n'est pas seulement par des analogies tirées de la nature que l'auteur veut peindre la fin qui attend les impies. Dieu lui-même a fait proclamer d'avance les terreurs de son jugement, dans une prophétie, citée textuellement par Jude (v. 14, 15), et qui est en même temps l'un des passages les plus curieux du Nouveau Testament. Elle est tirée d'un livre apocryphe attribué par le caprice de son auteur et la crédulité de ses lecteurs au patriarche Hénoch (Gen. V, 24), arrière-grand-père de Noé, que les Juifs, et après eux les Arabes (qui le nomment Edrîs), ont regardé comme un grand prophète. La présence de cette citation a été pour quelques pères de l'Église un motif de rejeter la canonicité de notre épître, pour d'autres, au contraire, un motif de reconnaître l'authenticité de l'ouvrage supposé. Celui-ci, après avoir disparu des bibliothèques de l'Europe, fut retrouvé en 1773 par le voyageur anglais J. Bruce, en Abyssinie, dans une traduction éthiopienne. De nos jours il a été imprimé, et traduit en plusieurs langues (En éthiopien, par R. Lawrence, Oxf. 1838, et par Dillmann, L. 1851; en anglais, par R. Lawrence, Oxf. 1833; en allemand, par Hoffmann, 1833, et par Dillmann, 1853.) et a été dans ces derniers temps l'objet de nombreuses études critiques, desquelles il paraît résulter que dans son état actuel il se compose d'éléments d'origine différente, en partie chrétiens, en partie antérieurs au christianisme, mais appartenant généralement au genre apocalyptique. On y a retrouvé, outre la citation de Jude, toutes celles qui se rencontrent chez les anciens auteurs chrétiens, de sorte qu'il est impossible de douter de l'identité. C'est à ce même livre que notre auteur a pu emprunter tout ce qu'il dit des anges au V. 6.

Mais ce livre d'Hénoch n'est pas la seule pièce de ce genre qu'il a étudiée. Le récit relatif à une dispute de l'archange Michel avec le diable au sujet du corps de Moïse (v. 9), est emprunté, d'après le témoignage d'Origène, à un livre intitulé: Ascension de Moïse. (De ce livre, dont l'original est perdu depuis longtemps, on a retrouvé de nos jours un fragment, dans une traduction latine, qui est devenu l'objet de savantes discussions (Voyez les éditions de G. Volkmar, L. 18G7; A. Hilgenfeld, 1868; 0. F. Fritzsche (dans son recueil des livres apocryphes), mais qui ne contient pas le passage auquel il est fait allusion ici.) Du reste, le fait est allégué par Jude pour signaler l'impertinence de ses adversaires qui ne craignent pas de médire du Seigneur et des anges, tandis que, même à l'égard du diable, l'archange a usé de ménagements et s'est servi d'expressions comparativement très-modérées. Il est évident que la force probante de cette allégation dépend de l'autorité qu'on accordera au livre d'où elle est tirée, et que cette autorité doit avoir été absolument incontestable au gré de l'écrivain qui y a recours. (Comp. aussi Zach. III, 2.)

Il ne nous reste plus qu'à expliquer l'emploi du prétérit au 11e verset. Il provient de ce que l'auteur, en s'écriant: Malheur à eux! se place au point de vue du futur jugement qu'il se représente comme immanquable et pour ainsi dire actuel. Il doit alors nécessairement atteindre ceux qui, pendant leur vie, ont agi comme les hommes dont l'histoire sainte raconte et les crimes et la ruine.

Mais vous, mes bien-aimés, rappelez-vous les paroles qui ont été dites autrefois par les apôtres de notre Seigneur Jésus-Christ, quand ils vous ont dit qu'à la fin des temps il y aurait des railleurs qui se laisseraient guider par leurs convoitises impies. Ce sont ceux qui causent des schismes, des hommes sensuels, n'ayant pas l'esprit.

17 Mais vous, mes bien-aimés, édifiez-vous sur la base de votre sainte foi, priez sous l'inspiration du Saint-Esprit, et maintenez-vous dans l'amour de Dieu, en attendant la miséricorde de notre Seigneur Jésus-Christ, pour la vie éternelle. Réprimandez les uns qui hésitent, sauvez les autres en les arrachant du feu, prenez pitié des autres, avec crainte, en haïssant même le vêtement souillé par la chair.

v. 17-23. Péroraison pratique. L'auteur commence par rappeler que la présence, au sein de l'Église, de gens aussi pervers et corrompus, n'est pas chose inattendue. Les apôtres de Jésus, dont l'enseignement faisait autorité à tous égards pour la génération à laquelle notre écrivain appartient, avaient positivement prédit ces égarements. Ils l'auront fait souvent de vive voix, mais nous en retrouvons les traces dans les écrits du Nouveau Testament, 2 Thess. II 1 Tim. IV, 1. 2 Tim.III, I. Actes XX, 29 suiv. 1 Jean II, 18. Si l'un ou l'autre de ces écrits devait ne pas appartenir au premier âge de l'Église, rien n'empêche de les considérer comme antérieurs à la présente épître.

Les hommes pervers contre lesquels l'auteur veut mettre en garde ses lecteurs sont appelés des railleurs, ou moqueurs, qui affichent un souverain mépris pour les choses saintes, et ridiculisent ceux qui s'astreignent à une rigoureuse observation des principes de la loi morale. Déjà l'Ancien Testament emploie la même expression, Ps, 1,1. Pour l'autre terme, hommes sensuels, voyez 1 Cor. II, 14. Jacq. III, 15.

Puis viennent des exhortations et des avis relativement à la direction morale à suivre, et à la conduite à tenir à l'égard de ceux qui se seraient laissé séduire La hase de la morale chrétienne, et par conséquent aussi le mobile et la norme de la conduite du chrétien, c'est la foi, la conviction religieuse dont il est pénétré, et qui, naturellement, est incompatible avec une vie de dissolution et de débauches. L'image d'un principe comparé au fondement d'un édifice n'est pas rare dans la littérature apostolique (I Pierre II, 5. Éph. II, 21; IV, 12. Col. II, 7). Il s'y rattache cette autre, d'une édification, c'est-à-dire d'un progrès de l'œuvre morale, dont le moyen est la potière, soit une communion permanente avec l'esprit de Dieu. L'effet en sera le maintien dans l’amour de Dieu, c'est-à-dire la certitude qu'il ne cesse de nous aimer. Enfin elle offre en perspective l'accomplissement définitif des promesses faites aux fidèles au sujet de la vie future, dont les biens leur sont garantis par la miséricorde de Christ qui a bien voulu les leur assurer en versant son sang.

Quant à ceux qui ont pu se laisser entraîner plus ou moins loin dans les voies de l'erreur et du vice, les fidèles ont à remplir envers eux des devoirs qui peuvent se modifier selon les circonstances: il est question tour à tour de réprimandes, de pitié, d'efforts énergiques pour travailler au salut de ceux qui hésitent, c'est-à-dire dont la fermeté est ébranlée, et chez qui le doute (Jacq. I, 6) affaiblit la force morale indispensable pour résister aux séductions de l'instinct ou de l’exemple. La vigueur avec laquelle il convient de procéder à leur égard s'alliera avec le sentiment de la fraternité, qui doit animer le disciple de Christ envers ceux qui peuvent avoir besoin de son secours charitable, mais elle s'exercera aussi avec crainte, c'est-à-dire avec les précautions nécessaires pour qu'on ne soit pas souillé par la contagion. C'est là ce qui paraît être le sens de la dernière phrase qui est évidemment figurée. Du reste, nous ferons remarquer que les manuscrits et les éditions varient beaucoup dans les deux derniers versets et que la vraie leçon n’est rien moins que certaine.

24 Mais à celui qui peut les préserver de la chute et les faire comparaître en face de sa gloire, sans tache et avec joie, au Dieu unique, notre sauveur par Jésus-Christ notre Seigneur, appartient la gloire, la grandeur, la force et la puissance, dès avant tous les temps, et aujourd'hui et à toute éternité! Amen.

v. 24, 25. La doxologie finale a quelque analogie dans la forme avec celle de l'épître aux Romains. Le texte y varie encore et présente tour à tour des lacunes et des additions qui se sont conservées jusque dans les éditions usuelles. Cependant il n'y a qu'une seule variante à laquelle il y ait lieu de s'arrêter. C'est celle de la première phrase, où le texte vulgaire met: qui peut vous préserver. Par ce pronom de la seconde personne on a cru donner à ce vœu final son application naturelle aux lecteurs de l'épître. Mais l'auteur, en écrivant: qui peut les préserver, a en vue les personnes qu'il recommandait tout à l'heure à la sollicitude fraternelle des membres fidèles de la communauté et exprime cette idée, que le succès de leurs efforts dépend essentiellement de l'intervention directe de Dieu par son esprit. Cependant l'analogie des autres formules finales qu'on trouve dans nos épîtres peut militer en faveur du texte vulgaire. La comparution devant (le trône de) la gloire, c'est le moment du jugement dernier.

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