Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PREMIÈRE ÉPITRE DE PIERRE

Chapitre 3

----------


1 De même vous, femmes, soyez soumises à vos maris, afin que, même s'il y en avait qui refuseraient de croire à la parole, ils soient gagnés, sans paroles, par la conduite de leurs femmes, en considération de votre conduite chaste et scrupuleuse. Que votre parure ne consiste pas en choses extérieures, dans les cheveux que vous entrelacez, dans les bijoux que vous portez ou dans les vêtements que vous mettez, mais que ce soit la personne intérieure, le cœur, la parure impérissable d'un esprit de douceur et de paix, chose bien précieuse aux yeux de Dieu.

5 Car c'est ainsi que se paraient autrefois les saintes femmes qui mettaient leur espoir en Dieu, en se soumettant à leurs maris. Telle était Sara, qui obéissait à Abraham, en l'appelant son seigneur, et dont vous êtes devenues les enfants en faisant le bien sans rien craindre. Vous aussi, maris, que vos rapports avec vos femmes soient tels qu'il convient à l'égard du sexe le plus faible: ayèz pour elles des égards comme pour les cohéritières de la grâce de la vie, afin que vos prières ne soient pas stériles.

III, 1-7. Nous avons déjà vu ailleurs (Éph. V, 22 ss., etc.) combien les mœurs du temps, en ce qui concerne les rapports conjugaux, avaient besoin d'être réformées par l'esprit du christianisme. Ici l’auteur, avant de passer aux principes généraux, prend plus particulièrement en considération la position des femmes chrétiennes dont les maris n'avaient point embrassé la nouvelle foi. Ce fait a dû se présenter fréquemment dans les premiers temps (comp. Act. XVI, 1 ss., 13 ss. ; XVII, 4, etc.), et l'expérience devait faire voir souvent que, là où la prédication de l'Évangile n'avait pas eu de prise sur l'esprit d'un homme, pour amener sa conversion directement, les relations intimes du foyer domestique exerçaient une influence bien autrement puissante et salutaire sur son cœur (1 Cor. VII, 12 ss.). La parole (avec l'article) est naturellement l'instruction religieuse donnée par un missionnaire; la femme, est-il dit, n'a pas besoin de paroles (sans article) pour convaincre son mari; sa conduite, ses vertus, opèrent en silence et efficacement, en donnant au mari une opinion favorable de la religion qui les recommandait, et l'amour croissant qu'il vouerait à sa femme devant bientôt se sanctifier par un accord religieux plus intime.

Il ne faut pas s'exagérer la portée de ce qui est dit du devoir de soumission de la femme au mari, en voyant que la même chose est demandée à l'esclave à l'égard de son maître. Les apôtres ont pu, au point de vue des mœurs sociales de l'antiquité, parler de l'autorité maritale en termes plus expressifs qu'on ne le ferait aujourd'hui; ils ne peuvent être accusés d'avoir voulu laisser subsister l'esclavage légal dans lequel se trouvait alors l'autre sexe. Au contraire, il faut admirer la sage réserve qui les a empêchés de trop accentuer les principes de liberté qui risquaient d'être mal interprétés au premier moment (1 Cor. XI, 2 ss.), et surtout dans la circonstance présente il ne faut pas oublier qu'à l'égard d'un mari païen une femme chrétienne pouvait se croire émancipée de fait et de droit.

Du reste, tout ce qui est dit ici de la vraie parure des femmes dépasse la sphère étroite du rapport particulier dont l'auteur avait parlé d'abord (comp. 1 Tim. II, 9). Leur vraie parure, c'est leur personne intérieure, litt.: l'homme caché, l'homme du cœur, la nature morale (comp. Rom. VII, 22. Éph. III, 16, etc.), les vertus qui ne s'étalent pas avec ostentation comme des ornements matériels. L'histoire sainte préconise plus d'une femme pieuse et sainte, et ce n'est certes pas pour des avantages extérieurs. Sara, par exemple, que la tradition populaire exaltait encore plus que l'Écriture, professait le respect le plus absolu pour son époux en l'appelant Seigneur (Gen. XVIII, 12), d'après l'usage général des anciens temps. Elle devait être d'autant plus présentée comme un modèle à suivre, qu'elle a été la mère d'Israël, et que les femmes chrétiennes, d'origine étrangère, sont devenues ses filles adoptives, sont entrées dans sa famille, dépositaire des bénédictions de Dieu (Rom. IV, 11).

La dernière phrase adressée aux femmes: faites le bien sans rien craindre, peut être prise dans un sens tout à fait général; peut-être aussi l'auteur songeait-il plus particulièrement à la position un peu difficile de la femme dans un mariage mixte, et en face d'un mari que ses préjugés religieux pouvaient rendre dur et injuste.

L'apôtre ne pouvait guère parler des devoirs des femmes sans rappeler aussi aux maris les leurs. Il le fait en deux mots, et dans une phrase dont la construction est elliptique. Les participes dont il se sert, et que nous avons rendus par des impératifs, sont subordonnés à cette pensée facilement suppléée: Vous aussi, faites votre devoir, etc.... Du reste, notre traduction est un peu libre, mais elle l'est forcément; car le texte dit à la lettre: demeurez avec le gynécée, selon la raison, comme avec l’objet le plus faible. 11 est difficile de dire comment l'apôtre a été amené à se servir d'une expression parfaitement intraduisible. Le mot grec signifie un vase, un instrument, un objet quelconque dont on se sert, mais comme le comparatif fait voir que le même terme pouvait être employé pour notre sexe aussi, le passage I Thess. IV, 4 ne suffît pas à l'explication. Ordinairement on tranche la difficulté en supposant, que les deux sexes sont représentés comme des instruments de Dieu, ou simplement comme des créatures (Rom. IX, 21 suiv.?); mais l'auteur, dans ce cas, se serait servi d'une métaphore peu claire, et non consacrée par l'usage. Peut-être n'a-t-il fait que se placer au point de vue des maris de son temps, par une espèce d'accommodation, rachetée immédiatement par l'élévation du principe qu'elle sert à introduire. Car la chose essentielle, c'est que les femmes sont cohéritières, c'est-à-dire, que la différence des sexes n'a aucune importance au point de vue évangélique (Gal. III, 28). Une variante fait dire à fauteur: en votre qualité de cohéritiers, ce qui est moins expressif, parce qu'il faut tout de même y joindre, à titre de complément, l'idée de l'égalité religieuse des deux sexes. La grâce de la vie, c'est la vie éternelle offerte par la grâce de Dieu à tous les deux indistinctement. Enfin il est dit que là où les femmes sont traitées sans égards, les prières sont empêchées, c'est-à-dire que le rapport de l'homme à Dieu ne saurait être bon et normal, là où les rapports conjugaux ne sont pas réglés d'après les principes de l'Évangile. Gomment un mari prierait-il, se présenterait-il avec sérénité et confiance devant son Dieu, si sa conscience lui reprochait des procédés injustes envers ce qui devrait lui être l'objet le plus cher? (1 Jean IV, 20).

8 Enfin soyez tous unis de cœur, compatissants, pleins de sentiments fraternels, de miséricorde, d'humilité; ne rendez pas le mal pour le mal, ni l'injure pour l'injure. Au contraire, bénissez les autres, car c'est pour obtenir la bénédiction à votre tour que vous avez été appelés. Car celui qui veut aimer la vie et voir des jours heureux, doit garder sa langue du mal et ses lèvres de discours mensongers, se détourner du mal et faire le bien, aspirer à la paix et la rechercher, parce que les yeux du Seigneur sont fixés sur les justes et ses oreilles sont attentives à leurs prières, et la face du Seigneur regarde les malfaiteurs.

III, 8-12. Les exhortations deviennent maintenant tout à fait générales et se poursuivent ainsi jusqu'à la fin du chapitre suivant. On peut cependant dire qu'elles sont toujours dominées par la préoccupation des épreuves qui attendent les fidèles dans l'exercice de leurs devoirs, de la part d'un monde hostile.

Les premières phrases de ce morceau font une énumération de ce que nous avons l'habitude d'appeler les vertus sociales, élevées ici à la hauteur de la conception évangélique (Rom. XII, 14, 17; comp. Matth. V, 38 s.). La seconde moitié du v. 9 pourrait être traduite dans ce sens: C'est à bénir vos ennemis mêmes que Christ vous a invités, et c'est dans la mesure de vos propres actes que vous recevrez la bénédiction de Dieu. Notre traduction dit: La vocation qui vous est adressée doit vous conduire au salut; rendez-vous en dignes en faisant du bien aux autres, pardonnez-leur comme Dieu veut vous pardonner. La vertu de l'homme est ici un corollaire de son nouveau rapport avec Dieu; avec la première version elle en serait une condition préalable.

Le reste du texte, par le ton particulier qui y règne et malgré l'absence de toute formule de citation, s'annonce comme un emprunt fait à l'Ancien Testament. En effet, l'auteur s'approprie les paroles du Ps. XXXIV, 13 s., pour exprimer sa pensée; il les cite de mémoire d'après la traduction grecque. Il va sans dire qu'il les prend dans un sens spiritualiste et chrétien. La vie à aimer, c'est la vie à venir; les jours heureux à désirer ne sont pas de ce monde, autrement l'auteur se contredirait, puisqu'il va parler des tribulations incessantes des fidèles.

13 Et qui est-ce qui peut vous faire du mal si vous vous appliquez à faire le bien? Mais dussiez-vous souffrir pour la justice, vous serez heureux! Seulement ne les craignez pas quand ils veulent vous faire peur; ne vous laissez pas troubler! Mais craignez saintement dans vos cœurs Christ le Seigneur, toujours prêts à rendre compte à quiconque vous demande raison de l'espérance qui est en vous, mais avec douceur et modestie, et forts de votre bonne conscience, afin que ceux qui dénigrent votre bonne conduite en Christ, soient confondus à propos du mal qu'ils disent de vous. Car il vaut mieux souffrir en faisant le bien, si telle est la volonté de Dieu, qu'en faisant le mal.

III, 13-17. Les exhortations au courage, les consolations à offrir à ceux qui souffrent pour la bonne cause et une sainte conviction, sont introduites par cette réflexion générale qu'il n'y a, au fond, rien à craindre pour le fidèle. Il lui est assuré un bien, un trésor (chap. I, 4, 5) que rien ne peut lui enlever, s'il ne le perd par sa propre faute. Le verbe actif faire du mal, et le verbe neutre ou passif souffrir, ne sont donc pas corrélatifs ici. Le chrétien peut souffrir, mais le monde ne peut pas lui faire de mal, le priver de ce qui seul est un bien réel, tant qu'il s'applique lui-même au bien (litt.: tant qu'il l'imite). Il s'agit bien certainement du bien (au neutre), d'après les versets précédents (comp. 3 Jean 11), et non du don (au masculin), comme l'ont voulu quelques interprètes qui le rapportent à Dieu ou à Christ. La justice (Matth. V, 10) est ici le bien, le droit, là vérité, la foi, ou, si l'on veut, l'Évangile lui-même qui sanctionne et commande tout cela.

Ne craignez pas les hommes, craignez Dieu! (Matth. X, 28): c'est à cette simple expression qu'on peut ramener toute la série des pensées exprimées dans le texte. Pour le côté négatif de l'exhortation, l'apôtre se sert de quelques paroles d'Ésaïe (chap. VIII, 12) librement détournées de leur sens littéral. L'antithèse bien accusée entre les deux membres nous fait voir que la traduction ordinaire (sanctifiez Dieu) est mauvaise ou du moins peu précise. Il s'agit d'opposer une espèce de crainte à une autre; craindre Dieu, c'est respecter sa volonté, éviter sa colère, ne jamais oublier qu'il est le Saint, et qu'il veut que nous soyons saints aussi. Celui qui craint Dieu ainsi, n'a point d'autre crainte. Cependant le nom de Dieu a été introduit ici par des lecteurs qui ont voulu rendre la citation plus conforme à l'original. Pierre a écrit: 0/irist, parce qu'il parle, non pas à des hommes pieux quelconques, mais à des chrétiens qui souffrent précisément parce qu'ils le sont.

Le courage avec lequel le chrétien affronte la persécution est l'effet de sa bonne conscience; celle-ci lui permet aussi, lui enjoint même, de déclarer franchement à tous ceux qui l'interrogent, quelles sont ses convictions religieuses et ses espérances. Évidemment il est fait allusion ici à des interrogatoires judiciaires, à des recherches officielles, faites surtout en vue des tendances subversives dont on accusait les chrétiens. Une défense à la fois ferme et modeste, une profession de foi sincère, qui fera connaître que le royaume à fonder n'est pas de ce monde, mettra à néant les calomnies absurdes et odieuses dont on vous poursuit.

18 Car Christ aussi a souffert une fois pour les péchés, un juste pour des injustes, afin de nous amener à Dieu, ayant été mis à mort quant à la chair, mais ressuscité quant à l'esprit, dans lequel il alla aussi prêcher aux esprits en prison, qui avaient été incrédules autrefois, lorsque la longanimité de Dieu se patientait encore, aux jours de Noé, pendant que l'arche était construite, dans laquelle un petit nombre, c'est-à-dire huit personnes, furent sauvées à travers l'eau, laquelle vous sauve, vous aussi, aujourd'hui, par ce qui en est l'antitype, le baptême (qui n'est pas une déposition des souillures de la chair, mais la requête qu'une bonne conscience adresse à Dieu), par la résurrection de Jésus-Christ, lequel est assis à la droite de Dieu, après être monté au ciel et après avoir soumis les anges, les puissances et les dominations.

III, 18-22. C'est ici le passage le plus fameux de l'épître et l'un des plus controversés de tout le Nouveau Testament, auquel les commentateurs et les théologiens de tous les âges et de tous les partis ont trouvé moyen de rattacher les spéculations les plus variées et les plus singulières, surtout parce qu'ils y ont apporté leur système tout fait et qu'ils ont voulu faire plier le texte à leurs idées préconçues. Nous avons tenu à traduire ce passage littéralement, malgré l'enchevêtrement des phrases, pour mieux permettre à nos lecteurs de contrôler notre explication.

Au point de vue logique, ce morceau forme une espèce de digression dans le contexte des exhortations, qui vont être reprises immédiatement après dans le sens de celles qui ont précédé. Il s'agit de puiser un nouveau motif de courage et de patience dans l'exemple de Christ, et le passage n'est au fond qu'une reproduction de ce qui a été dit chap. II, 21; seulement le développement de ridée suit ici une autre direction. En tout cas il ne faut pas perdre de vue le parallélisme entre Christ et les fidèles, sans lequel toute cette digression n'aurait pas sa raison d'être en cet endroit.

Ainsi Christ aussi a dû souffrir (ou, d'après une variante, mourir, ce qui revient au même); il a souffert une fois, ce qui implique l'idée consolatrice de la fin des souffrances et en même temps celle de l'accomplissement heureux de leur but, qui était notre salut; enfin ses souffrances ont eu pour issue sa résurrection, laquelle est le gage de la nôtre. À tous ces égards, la contemplation de ses destinées est de nature à nous rassurer sur les nôtres et à nous soutenir dans les épreuves de la vie présente. Il vaut mieux souffrir une fois avec Christ, que de souffrir éternellement sans lui. Sans doute, à un certain égard, il y a une différence entre ses souffrances et les nôtres: sans péché lui-même, il a souffert pour les pécheurs, et leur a ainsi procuré l'accès auprès de Dieu (Rom. V, 2), la réconciliation. Nos souffrances à nous n'ont pas la même valeur objective; cependant elles sont toujours dans un certain rapport, d'un côté avec le péché, propre ou étranger, de l'autre avec notre position vis-à-vis de Dieu. Ces idées ne sont effleurées qu'en passant, et nous n'apprenons ici rien de positif sur la manière dont la mort de Christ a été une mort pour les hommes, en leur faveur, à leur profit, à leur place, conciliatrice, expiatoire, vicaire, etc., comme le disent tour à tour les formules des théologiens. Aussi bien l'apôtre n'avait-il pas en vue de discuter une question de théologie, mais d'affermir le courage de ses lecteurs.

Les derniers mots du 18e verset appartiennent encore au parallèle. Ce qui y est dit de la mort et de la résurrection de Christ nous regarde très directement, nous aussi. Christ fut mis à mort quant à la chair, en tant qu'il avait comme nous une nature matérielle, appartenant à cette terre; il fut de nouveau vivifié, ressuscité quant à l’esprit, en tant qu'il avait, ce que nous n'avons que par lui, une nature spirituelle, non soumise à la corruption, appartenant au ciel (1 Cor. XV, 47). Il n'est pas question ici de ce que la théologie scolastique appelle la nature humaine et la nature divine, mais de ce que la théologie biblique appelle chair et esprit, en réservant, bien entendu, ce dernier à Dieu et à Christ seuls, et en n'accordant ce nom à ce que nous appelons l'esprit humain, qu'autant qu'il est pénétré de l'esprit de Dieu, émancipé de la puissance delà chair, régénéré, enfin. (Encore moins doit-on traduire les deux datifs par des prépositions différentes: Christ mourut dans sa chair et fut ressuscité par l'esprit, ou la puissance de Dieu.) Ce qui a arrêté ou égaré l'exégèse, c'est qu'on a demandé à l'apôtre une déclaration au sujet de ce que Christ aurait été dans l'intervalle entre la mort et la résurrection; mais c'est là une question que le texte ignore, et qui est en général étrangère à l'enseignement apostolique. Ensuite la théologie scolastique exige encore que l'apôtre enseigne (ce qu'il ne fait pas) que la chair aussi, c'est-à-dire ce que lui appelle la chair, aurait été ressuscitée. Paul répond à cela très catégoriquement, 1 Cor. XV, 42 suiv., surtout v. 50.

Mais il n'y a de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. La chair, l'élément terrestre, la poussière, enfin, pour parler le langage de la Bible, n'est point ressuscitée, elle n'a point de part à la vie, dans Jésus tout aussi peu que dans nos personnes, qui porteront son image. Si notre corps à nous doit être, dans l'autre vie, un corps spirituel et non un corps charnel, à plus forte raison sera-ce le cas pour le Seigneur, auquel nous devons le premier, comme lui a revêtu le second pour notre salut. Il a fait cela pour un temps, afin que nous puissions arriver à l'autre état pour l'éternité. Voilà en deux mots la substance de l'idée théologique qui se trouve au fond de la phrase que nous examinons en ce moment. Rien n'est plus étranger à la pensée de l'auteur que de nous apprendre quelque chose sur un prétendu état intermédiaire de la personne de Christ, laquelle aurait existé pendant trente-six heures en nature spirituelle seulement, sauf à redevenir ensuite un composé de deux éléments. De pareilles subtilités n'entraient point dans l'esprit des apôtres. Dans la première moitié de sa phrase, l'auteur affirme simplement que Christ mourut quant à sa nature physique ou terrestre, sans se préoccuper du problème philosophique qui demande ce que devient l'esprit au moment de sa séparation d'avec le corps, héritier du tombeau; dans la seconde moitié, il affirme simplement que Christ vécut et vit quant à sa nature spirituelle et céleste, sans se préoccuper du problème théologique qui demande ce que fît l'esprit de Christ avant de se montrer aux siens revêtu du corps, héritier de l'éternité.

Dans cette nouvelle forme de son existence (v. 19), Christ alla prêcher aux esprits en prison. Nous rejetons ici formellement, comme contraires au texte, deux interprétations très répandues: 1° celle qui dit que Christ prêcha dans le sens spirituel, par l'effet de sa puissance, agissant à distance, ou aujourd'hui encore, par inspiration, c'est-à-dire par la bouche de ses apôtres. Le texte dit il alla prêcher, comme il dit: il alla au ciel, ce qui doit s'entendre d'un déplacement personnel; 2° une autre qui est devenue quasi-officielle, et qui veut que cette prédication ait eu lieu avant la résurrection, alors que la personne de Christ existait (comme on dit) sans corps vivant. Le texte place explicitement le fait entre la résurrection, v. 19, et l'ascension, v. 22.

La prédication dont il est parlé étant introduite et désignée par un terme employé plus de soixante fois dans toutes les parties du Nouveau Testament, et partout, sans aucune exception, dans le sens évangélique d'une proclamation de vérités divines, et d'une invitation, faite aux hommes, à y adhérer, il est impossible d'y voir ici autre chose. Nous rejetons donc toutes les spéculations des théologiens sur le but de la descente aux enfers, qui sont en contradiction avec cette donnée précise de notre texte (le seul du Nouveau Testament qui en parle). Nous n'y voyons pas le besoin de faire briller sa gloire victorieuse aux yeux du diable, ni la notification de l'arrêt de condamnation prononcé contre les démons, ni surtout (ce qui est le comble de l'absurde) la nécessité pour le rédempteur de souffrir à notre place pendant quelques heures (! !) les tourments de l'enfer. Nous y voyons une prédication, ni plus ni moins, si bien que l'effet de cette prédication n'est pas préjugé par les paroles du texte, et qu'elle pouvait aboutir à l'amendement et à la foi chez ceux qui l'entendaient, absolument comme chez les vivants (chap. IV, 6).

Cette prédication est adressée aux esprits en prison. Ces mots seraient obscurs si la ligne suivante ne les expliquait. Les esprits sont pris ici dans le sens de l'Ancien Testament, quand il parle du séjour des ombres dans le Sheol. Le Sheol est une prison; il a des portes qui ne s'ouvrent plus pour ceux qui y sont entrés.

C'est Christ qui a ouvert ces portes et qui rend la libre sortie (le retour à une nouvelle vie) à ceux qui s'y trouvent et qui écoutent son appel.

Mais voici la difficulté, la seule dans tout ce morceau: Les esprits dont le texte parle ne sont pas, ce semble, les morts en général, ceux de tous les âges, mais ceux qui ont été incrédules à l'époque de Noé, quand Dieu accordait un dernier délai à l'humanité perverse. Pourquoi Christ n'aurait-il prêché qu'à cette seule génération, comme si les autres en avaient eu moins besoin, ou en auraient été moins dignes? L'expédient ordinaire, qui consiste à dire que l'auteur les cite à titre d'exemple, ne suffit pas; et la prétention de prendre la phrase à la lettre et d'exclure les autres morts du bénéfice de cette prédication, ne se justifie pas au point de vue théologique. Au contraire, la théologie judaïque regardait les contemporains de Noé comme plus particulièrement coupables et le déluge comme un acte exceptionnel de la justice divine. On pourrait donc, à la rigueur, tirer de notre texte une conclusion à majori, c'est-à-dire une présomption en faveur de tous les autres morts, les plus coupables mêmes ayant été l'objet d'une manifestation suprême de la miséricorde de Dieu; on pourrait invoquer la particule (il prêcha aussi) en faveur de cette combinaison logique. Cependant une solution plus simple nous paraît être celle-ci:

L'apôtre n'a pas l'intention d'apprendre quelque chose de nouveau à ses lecteurs en fait d'articles de foi; il est uniquement préoccupé du besoin de les rassurer dans les conjonctures difficiles dans lesquelles ils se trouvent. Il y parvient par les considérations suivantes: 1° Christ aussi a souffert; 2° par ses souffrances il a voulu nous assurer la réconciliation avec Dieu; 3° ce but divin embrassait l'humanité entière, même les générations antérieures; 4° nous en avons un gage dans le baptême, lequel se présente déjà dans l'histoire typique ou préfigurante de l'Ancien Testament comme symbolisant le salut, Noé ayant été sauvé, lui aussi, en traversant l'eau. Voilà la série des idées amenées successivement par une association toute naturelle, et se rattachant en principe aux exhortations qui forment la véritable substance du texte. Mais on voit tout de suite que l'auteur ne s'arrête à aucune de ces idées; il ne fait que les effleurer — on n'a qu'à voir l'uniformité presque choquante des formules d'attache: lequel, laquelle — pour revenir immédiatement (chap. IV, 1) à sa thèse principale.

Les transitions sont donc très brusques. Voilà comment il s'est fait que le troisième point, celui de l'universalité de la vocation, est exprimé par une tournure qui le fait rentrer, pour ainsi dire, dans le quatrième, celui du baptême. C'est le baptême, préfiguré par le déluge, qui amène les contemporains de Noé, comme représentants de tous les autres morts. Le passage chap. IV, 5, 6, fait voir clairement qu'au fond l'apôtre songeait à la totalité de ceux qui avaient vécu avant Christ.

Le baptême est donc à considérer comme l'antitype du déluge, c'est-à-dire comme l'accomplissement évangélique et spirituel d'un fait matériel de l'Ancien Testament ayant une signification prophétique et symbolique (voyez la Théologie apostolique, liv. IV, chap. 2, p. 419). Il ne faut pas s'arrêter ici à dire que le baptême sauve les hommes tandis que le déluge les a fait périr. L'auteur a en vue d'autres points de comparaison. C'est travers l'eau que Noé a trouvé le salut (comp. 1 Cor. X, I); le déluge, comme le baptême, a servi à séparer des réprouvés ceux qui devaient être sauvés; peut-être aussi (mais nous n'osons l'affirmer) Fauteur insinuait-il que dans le baptême la chair est mortifiée pour que l'esprit vive d'une nouvelle vie (Rom. VI, 4). Notre traduction reproduit d'ailleurs très exactement la liaison syntactique des phrases du texte (v. 21); c'est l'eau (nominatif, et non datif comme l'impriment beaucoup d'éditions sans preuve critique) qui vous (var. nous) sauve encore aujourd'hui sous la forme du baptême antitypique (adjectif), c'est-à-dire, lequel est l'antitype, la contre-image de celle dont il vient d'être question. (La difficulté dans ce passage, sera toujours de retrouver l'association des idées par suite de laquelle les différents éléments qu'il renferme ont pu se combiner dans l'esprit de l'auteur. Nous avons cherché de notre mieux à nous en rendre compte. D'autres ont cru la découvrir, soit dans la proximité et l'instantanéité du jugement, soit dans l'antithèse entre le petit et le grand nombre des hommes sauvés.)

L'auteur est cependant bien loin de ne voir dans le baptême qu'un rite extérieur et de s'attacher ainsi, comme la comparaison typologique pourrait le faire croire, à l'élément purement matériel. Non, le baptême n'est pas une simple ablution. Il y a un élément spirituel qui nous met en communion avec Dieu. Jusque-là tout est clair. Mais le fait de cette communion est exprimé par une phrase obscure, par un terme unique dans le Nouveau Testament. Nous nous en tenons au sens étymologique en le traduisant par requête, et nous supposons que l'objet de cette requête, lequel n'est pas explicitement mentionné, ne saurait être que la rémission des péchés. La bonne conscience n'est pas celle de l'homme naturel, sans doute, mais celle de l'homme tel qu'il doit être en recevant le baptême, celle d'une foi sincère. De cette interprétation il n'y a pas trop loin à une autre, préférée par beaucoup de commentateurs qui prennent le mot en question dans un sens familier à la jurisprudence byzantine, en le traduisant par pacte, alliance, engagement, etc. Il faut cependant observer que dans ce sens le terme (en tant qu'exprimant une notion active) conviendrait mieux à Dieu qu'à l'homme.

Quoi qu'il en soit, le salut à obtenir est garanti par la résurrection de Christ, suivie de son élévation à la royauté céleste, en d'autres termes, à la suprématie absolue sur toutes les puissances qui pourraient entraver sa volonté et son œuvre (Éph. I, 20. Rom. VIII, 34. 1 Cor. XV, 24. Col. II, 10).

***

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant