Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPITRE DE JACQUES

Chapitre 5

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1 Hé bien donc, vous autres riches, pleurez et lamentez-vous au sujet de vos malheurs à venir! Vos richesses sont pourries et vos vêtements sont rongés par les teignes; votre or et votre argent sont dévorés par la rouille, et cette rouille rendra témoignage contre vous, et consumera vos chairs comme un feu. C'est dans les derniers jours que vous avez amassé vos trésors.

4 Voyez, le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs, et dont vous les avez frustrés, crie, et les cris des moissonneurs sont parvenus aux oreilles du dieu Sabaoth. Vous avez vécu sur la terre dans le luxe et dans la mollesse; vous vous êtes repus au jour, même du carnage. Vous avez condamné, assassiné le juste, qui ne vous résistait point!

V, 1-6. Dans ce morceau l'auteur prend un ton prophétique, si bien qu'il parle de l'avenir comme étant déjà présent sous ses yeux. Les biens de cette terre apparaissent comme étant déjà perdus, le jour de la rémunération comme ayant déjà paru. La pourriture, la rouille, la teigne, le feu, sont autant d'images de la destruction immanquable de tout ce qui appartient à cette terre seule (Matth. VI, 19). Le prophète voit paraître ces mauvais riches devant leur juge, dans cette absolue nudité qui suit la perte de tous leurs biens. L'image est surtout naturelle et pittoresque quand on se rappelle que l'Orient aime les provisions de vêtements, et que le style biblique emploie le verbe vêtir en parlant des qualités morales.

De cette première image l'apôtre passe à celle du jugement lui-même. La rouille et la pourriture sont introduites d'abord comme témoins qui déposent contre le coupable, lequel n'en aura pas à leur opposer; ensuite elles deviennent ses bourreaux, les exécuteurs du châtiment qui sera prononcé contre lui: elles finiront par le dévorer lui-même. Comme le symbole le plus usité du châtiment est le feu, l'auteur compare la rouille à un feu dévorant. Cette, comparaison est même nécessaire, parce que la rouille ne s'attache pas à la chair.

Il y a encore un mot dans ce texte qui demande à être noté en passant. Votre avidité, dit Jacques, votre désir immodéré d'amasser et de jouir, n'était pas seulement un égarement déplorable en lui-même et provoquant la justice divine, mais il amène ce châtiment plus tôt, plus subitement, car c'est dans les derniers jours qu'il s'est produit. Il n'y a plus de délai d'ici à la fin (v. 7, 8). Vous n'avez plus même la chance de jouir longtemps.

Car cette richesse si passagère est aussi mal acquise (v. 4, 6) et mal employée (v. 5). C'est en frustrant l'ouvrier de son salaire (Job XXXI, 38) que vous avez amassé vos trésors; c'est en dépouillant le juste de son bien, en le persécutant jusqu'à la mort, si ce n'est par la violence, du moins dans des procès iniques et au moyen des chicanes, de la mauvaise foi et du parjure; c'est dans le luxe et la gloutonnerie que vous les avez dépensés. Tous ces tableaux sont empruntés, pour la forme et le fond, aux prophètes de l'Ancien Testament; c'est de là aussi que vient le mot hébreu de Sabaoth, qui est employé ici comme une espèce de nom propre. Les Septante déjà l'ont introduit ainsi, sans le traduire, dans le style religieux.

Dans l'avant-dernière ligne du texte une variante rend le sens incertain. On trouve communément dans les éditions: comme dans un jour de tuerie; cela reviendrait à dire: comme dans un jour de grande fête, d'orgie, parce que dans de pareilles occasions on tue beaucoup d'animaux pour faire bonne chère. D'autres ont pensé que l'auteur veut comparer les riches insouciants de l'avenir aux bêtes menées à la boucherie qui ne s'inquiètent non plus de ce qui les attend. Mais les éditions modernes biffent l'adverbe comme, de sorte que le texte dit: c’est au jour même de la tuerie que vous vous êtes plongés dans vos débauches; et cela donne le sens très plausible, déjà énoncé plus haut, que c'est en face même d'un jugement imminent que ces hommes se sont livrés à leurs vices et à leurs crimes. Car les prophètes aussi représentent quelquefois le jour du jugement comme un jour de bataille où Jéhova écrase ses ennemis.

6 Prenez donc patience, mes frères, jusqu'à l'avènement du Seigneur. Voyez, le laboureur attend le précieux fruit de la terre, se patientant à son égard, jusqu'à ce qu'il ait reçu la pluie d'automne et de printemps. Prenez patience, vous aussi; fortifiez vos cœurs, car l'avènement du Seigneur est proche. Ne murmurez pas, mes frères, les uns contre les autres, afin que vous n'encouriez pas le jugement. Voyez, le juge est déjà à la porte. Prenez pour exemple de la souffrance et de la patience, les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur. Voyez, nous félicitons ceux qui sont restés constants. Vous avez entendu parler de la constance de Job et vous avez vu quelle fin le Seigneur y a mise, parce que le Seigneur est plein de miséricorde et de compassion.

V, 7-11. Après la menace adressée aux uns vient, pour terminer, la promesse à faire aux autres. La proximité du jugement qui doit effrayer les premiers, doit relever le courage des seconds, patienter est un mot qui, par son origine même, rend parfaitement l'idée de l'auteur; c'est savoir attendre, tout en souffrant, ou dans la privation; la patience est à la fois opposée au murmure et à l'esprit de vengeance et de récrimination. L'exhortation de l'apôtre est appuyée: 1° sur la proximité indubitable de la fin du monde et du jugement dernier; 2° sur un exemple tiré de la nature: la récolte ne suit pas immédiatement les semailles; il faut que toutes les saisons passent pour les faire mûrir; 3° sur les exemples de l'histoire. Job et les prophètes. Pour ces derniers, comparez Matth. V, 12. Hébr. XI, 32 ss. La tradition les représentait comme ayant été persécutés de leur vivant, et pourtant ils avaient été les organes de Dieu et par conséquent bien au-dessus du commun des mortels. «Refuseriez-vous de devenir leurs égaux en souffrances et en constance?» Quant à Job, l'exemple n'est bien choisi qu'autant qu'on s'en tient aux deux premiers chapitres de son histoire que l'auteur paraît avoir eus en vue exclusivement. Car dans ses discours Job se laisse entraîner aux murmures. La fin du Seigneur, dans ce contexte, n'est pas la mort de Jésus, qui serait citée comme un troisième exemple, mais c'est la fin que Dieu mit aux tribulations de Job et qui est présentée comme un motif de consolation à ceux qui souffrent comme lui innocemment. Ainsi, dit l'apôtre, remettez votre cause à Dieu, qui est près d'intervenir (aux portes, Matth. XXIV, 33), et n'allez pas chercher votre droit vous-mêmes, ou protester avec impatience. Qui veut lui-même se venger, par actes ou par paroles, encourt la vindicte de celui qui s'est réservé la vengeance.

Jusqu'ici nous avons pu suivre l'auteur dans le développement de son discours, en faisant voir que, tout en procédant assez librement et sans plan tracé d'avance, il suivait toujours un même fil d'idées. Ce qui nous reste à lire ne se rattache pas à sa thèse principale. Ce sont des pensées tout à fait détachées, qui ont dû se présenter à l'auteur comme des nécessités de circonstance.

12 Surtout, mes frères, ne jurez pas, ni par le ciel ni par la terre, ni par telle autre formule de serment. Que votre dire soit: Oui, oui! et: Non, non! afin que vous n'encouriez pas le jugement.

V, 12. Jacques regarde l'abstention du serment comme une affaire très importante. Cette préoccupation rentre dans la même série d'idées que l'opinion qu'il professe sur la pauvreté et la richesse. Ici encore il se montre disciple fidèle de son maître (Matth. V, 33 s.). Il ne s'agit pas d'un abus du serment; tout serment est un abus, un péché. Jacques ne veut pas seulement condamner les serments prononcés légèrement, ou avec des formules réputées peu sérieuses, sauf à permettre les serments solennels prononcés sous l'invocation directe de Dieu. On doit dire la vérité simplement, franchement: cela suffira. On traduit quelquefois: Que votre oui soit oui..., mais cela serait une défense du mensonge et non du serment (comp. Matth. V, 37). C'est de ce malentendu que vient aussi une variante encore aujourd'hui fort répandue dans les éditions: afin que vous ne tombiez pas dans l’hypocrisie. Tout cela est étranger au texte. L'apôtre interdit le serment, par conséquent il lui oppose la simple affirmation ou négation (selon le cas) sans formule religieuse accessoire.

13 Quelqu'un d'entre vous est-il affligé? qu'il prie! Quelqu'un est-il joyeux? qu'il psalmodie! Quelqu'un d'entre vous est-il malade? qu'il fasse appeler les anciens de la communauté pour qu'ils prient sur lui en l'oignant d'huile au nom du Seigneur; et la prière faite avec confiance sauvera le malade et le Seigneur le relèvera, et s'il devait avoir commis des péchés, il lui sera pardonné.

16 Confessez-vous réciproquement vos fautes et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. La prière fervente du juste est bien efficace. Élie était un homme sujet aux mêmes faiblesses que nous, et pourtant, quand il demanda par une prière qu'il ne plût point, il ne plut point sur la terre pendant trois ans et six mois. Puis, quand il eut prié encore, le ciel donna de la pluie et la terre fit germer son fruit.

V, 13-18. Second avis: recommandation de la prière. Elle est d'abord tout à fait générale. La prière est utile et salutaire dans toutes les circonstances de la vie, dans le bonheur comme dans l'affliction, peut-être plus importante encore dans le premier cas, parce que là elle est plus facilement oubliée. Le chant des psaumes et la musique sacrée se présente ici, d'après les lois du parallélisme, comme synonyme de la prière.

Puis l'apôtre passe à un cas spécial, celui de la maladie. Car il est impossible de méconnaître que dans ce passage toutes les expressions qui parlent de la maladie (guérir, sauver, relever) doivent être prises dans le sens physique. Sans exclure l'emploi des ressources de l'art, l'apôtre déclare que la prière, dans ce cas, est non seulement utile, mais indispensable. La médecine usuelle est représentée par la mention de l'huile, dont l'usage était bien plus fréquent dans les anciens temps, et surtout en Orient, que de nos jours (Marc VI, 13. Luc X, 34). La prière viendra s'y joindre pour plusieurs raisons. D'abord il convient de se rappeler que c'est Dieu qui donne à la médecine sa vertu salutaire (Sir. XX.XVIIl), et par conséquent de l'en remercier, et de lui demander d'en bénir l'emploi. Ensuite la prière est de nature à procurer ou à rendre au malade la sérénité de l'esprit, la résignation et l'espérance, et à faciliter ainsi la guérison physique. De plus, la maladie pouvant être considérée soit comme un châtiment, soit comme une épreuve, la prière est dans les deux cas le moyen le plus naturel, le plus direct et éventuellement le plus efficace pour la faire disparaître. Car si la cause tient au moral, c'est aussi de ce côté-là que doit venir l'effort de l’éloigner. L'auteur lui-même a principalement en vue ce dernier point. Car il parle du pardon des péchés et de ce qui doit le précéder, de la confession. Cette confession même est un symptôme d'amendement. Car de sa nature l'homme est porté, soit à se croire meilleur qu'il ne l'est, soit à cacher ses défauts aux autres. À la confession se rattache la prière d'intercession, qui contribuera, si ce n'est pas toujours à la guérison physique (car l'apôtre n'aurait pu promettre celle-ci dans tous les cas), du moins à celle de l'âme. La confession doit être mutuelle, aucun homme n'étant exempt de fautes et ne devant se poser, dans un moment solennel, comme n'ayant point, lui aussi, la conscience chargée.

Il y a là, sans doute, des idées dont la médecine ne fait pas usage habituellement, mais aucune qui ne fasse honneur au sentiment religieux de l'auteur. Ce qu'il dit de la prière subsiste, bien qu'il soit évident que Dieu ne changera pas le cours de la nature dans l'intérêt d'un individu, c'est-à-dire, dans l'intérêt tel que le monde l'entend; car la vie de personne n'est indispensable, et personne n'est perdu par cela seul qu'il meurt. Mais d'un autre côté il ne faut pas perdre de vue que la prière n'est pas pour Dieu, mais pour nous-mêmes (Matth. VI, 8). Elle doit nous porter à considérer nos désirs et nos besoins sous un point de vue avouable devant Dieu, et de cette manière nous faire discerner ce qui peut être l'objet d'une véritable prière de ce qui en serait indigne; enfin elle doit toujours aboutir à produire en nous une disposition soumise et résignée. On doit prier au nom de Christ; mais on ne le fait qu'autant qu'on arrive à dire en toute sincérité: Mon père, ce n'est pas ma volonté à moi, mais la tienne, qui doit se faire!

On sait que l'Église catholique s'appuie sur ce passage pour recommander l'extrême onction et la confession. Le premier de ces rites pourrait bien avoir été provoqué dans l'origine par notre texte. Il est superflu de faire remarquer qu'il a un tout autre but que celui qui est indiqué ici.

Pour prouver la puissance de la prière sur les résolutions de Dieu, Jacques rappelle l'histoire du prophète Élie (1 Rois XVII s., comp. Luc IV, 25), d'après la forme qu'elle avait reçue dans la tradition. Le chiffre exact de trois ans et demi n'appartient pas au texte hébreu.

19 Mes frères, si quelqu'un d'entre vous devait s'être écarté de la vérité, et qu'un autre l'y ramène, qu'il sache que celui qui ramène un pécheur de son égarement, sauve une âme de la mort et couvre une multitude de péchés.

V, 19, 20. Enfin l'apôtre, après avoir parlé de ce que le chrétien peut faire, même dans la sphère religieuse, pour le bien physique de son prochain, ajoute quelques mots sur ce qu'il doit faire pour son bien moral. Ramener un pécheur sur le droit chemin, est à la fois un devoir et un bonheur. On se rappelle ici involontairement les paraboles du 15e chapitre de Luc, La vérité dont l'auteur parle, est essentiellement la vérité pratique, le chemin du devoir. Il faut remarquer en général que les deux éléments de la vérité, la connaissance et la pratique, ne sont jamais scindés et séparés complètement dans la pensée des auteurs du Nouveau Testament. Ramener un pécheur dans la bonne voie, c'est couvrir ses péchés antérieurs, en d'autres termes, les faire oublier, non seulement par les hommes, mais encore par Dieu, qui pardonne en vue du repentir sincère et qui par conséquent ne punit pas.

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