Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPITRE DE JACQUES

Chapitre 4

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1 D'où viennent parmi vous les guerres et les luttes? N'est-ce pas? c'est de vos passions qui combattent dans vos membres? Vous convoitez et vous ne possédez pas; vous assassinez, vous êtes jaloux, sans pouvoir obtenir; vous luttez et vous guerroyez; vous ne possédez point, parce que vous ne savez pas demander. Vous exigez bien, mais vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal, dans le but de dépenser pour satisfaire vos passions. Idolâtres que vous êtes! Ne savez-vous pas que l'amitié du monde, c'est l'inimitié contre Dieu? Quiconque donc veut être l'ami du monde, se constitue l'ennemi de Dieu.

IV, 1-4. Ces idées se rattachent étroitement à ce qui précède et il n'y avait pas de raison pour couper ici le texte en chapitres. Il avait été question de l'esprit de discorde qui se manifeste parmi les hommes, surtout aussi par suite de l'abus de la parole, du mauvais usage de la langue, de la prétention de se faire le directeur des autres. La source de cette tendance est positivement mauvaise; ce sont nos passions, ou, si l’on veut, nos affections, les instincts charnels, qui nous guident, qui sont comme des guerriers armés qui s'emparent de nous, qui s'établissent dans nos membres, les poussent et les dirigent à leur gré et ne leur permettent pas de se subordonner à l'esprit, lequel seul devrait les gouverner. Elles sont toutes des manifestations diverses de l'amour immodéré de soi-même, de Tégoïsme qui ne connaît d'autre règle que sa propre satisfaction, sans aucun égard aux droits des autres et au devoir. Pour l'image, comparez Rom. VI, 13; VII, 22, Col. III, 5.

Ce débordement de la passion est peint par une série de termes cités à titre d'exemples et en partie synonymes, les uns étant figurés, les autres propres: convoiter, envier, guerroyer, assassiner. Cette dernière expression n'a pas besoin d'être prise à la lettre. Sans doute la passion peut entraîner l'homme jusqu'à l'effusion du sang, mais au point de vue évangélique le meurtre se commet déjà par la disposition intérieure de la haine et de la colère, même sans être consommé matériellement (Matth. V, 21. 1 Jean III, 15). On a eu tort de changer le mot dans les anciennes éditions.

Et que gagne-t-on à cette fougue déréglée de la passion? Ni une véritable satisfaction, ni le repos de l'âme, ni un vrai plaisir, ni la paix intérieure. On trouble la société, on fait du tort aux autres, sans obtenir un véritable avantage pour soi-même. Car la satisfaction donnée momentanément à la passion n'est pour elle qu'un nouvel aiguillon. Il y aurait bien un moyen d'obtenir un vrai bien, un vrai bonheur; il faudrait savoir le demander. Ce mot demander est pris ici dans des sens différents, distingués dans l'original par deux formes du même verbe, et que nous avons dû rendre par deux mots divers. Il y a demander (à l’actif) dans le sens d'exiger, de solliciter avec véhémence, de prétendre impérieusement. C'est ce que vous faites, dit Jacques; c'est ce que vous savez faire: mais cela n'aboutit pas; ce n'est pas le chemin de la véritable satisfaction qui rend l'âme contente. Pour arriver à celle-ci, il faudrait demander (au moyen) autrement; demander dans le sens de prier, solliciter avec humilité et résignation, avec modération et confiance, se fiant à Dieu et non à ses propres forces, sachant distinguer ce qui est vraiment salutaire de ce qui ne donne qu'une jouissance passagère, aspirant à ce qui plaît à Dieu pour en faire un bon usage et non à ce que réclame notre égoïsme pour en jouir seul.

Par la nature même des choses, l'auteur est amené à signaler ici l'opposition radicale entre Dieu et le monde, le bien et le mal, l'impossibilité d'être à la fois l'ami de l'un et de l'autre, ou aimé de l'un et de l'autre. Car il faut remarquer que ces deux rapports peuvent être pris à la fois dans le sens actif et dans le sens passif, l'amitié étant quelque chose de réciproque. Peut-être la pensée de l'apôtre est-elle le mieux rendue si nous traduisons: Celui qui aime le monde se fait reconnaître comme ennemi de Dieu (comp. Matth. VI, 24. Jean XV, 19). Pour résumer en un seul mot cette idée d'inimitié contre Dieu, Jacques se sert d'une expression consacrée par le langage figuré des prophètes et répétée aussi par Jésus (Matth. XII, 39), mais que nous avons remplacée dans notre traduction par une autre qui en donne le sens, en sacrifiant une forme qui ne nous est pas familière. En hébreu, une défection de Dieu est représentée comme un adultère, Israël étant considéré comme engagé à Jéhova par un lien conjugal. Le texte dit donc au fond: Par une conduite pareille vous êtes de véritables païens. (Le texte vulgaire met les deux genres: hommes et femmes adultères, ce qui, d'après l'esprit de la syntaxe hébraïque, marque la totalité. La critique a biffé le masculin sans changer le sens.)

5 Ou bien, croyez-vous que l'Écriture parle en l'air? C'est avec jalousie qu'il réclame l'esprit qu'il a logé en nous, mais il nous offre aussi une grâce plus grande. C'est pour cela qu'il dit: Dieu résiste aux orgueilleux, mais aux humbles il offre sa grâce.

IV, 5, 6. Ces deux versets passent, et non sans raison, pour être les plus difficiles du Nouveau Testament. Il n'y a pas un mot dans ce texte dont le sens et le rapport avec les autres ne soient douteux; aussi dans les éditions la ponctuation syntactique varie-t-elle à l'infini, et dans les commentaires, loin de trouver une solution simple et naturelle, on ne fait que constater l'obscurité de la pensée et de l'expression.

Voici d'abord quelques indications qui feront voir à nos lecteurs pourquoi ce texte est réellement difficile au point qu'on ne peut choisir qu'entre la supposition qu'il aurait été matériellement corrompu dans les premières copies, et le regret que l'auteur n'ait pas eu la main bien heureuse dans l'expression de sa pensée. Avec la phrase: Ou bien croyez-vous? il veut naturellement introduire une opinion contraire à celle qu'il vient d'énoncer: prétendez-vous dire que le contraire est vrai? Tout cela est bien clair, mais voici la difficulté: ce qui suit, est-ce une citation scripturaire? et dans ce cas, où commence-t-elle? où finit-elle? d'où est-elle prise? que signifie-t-elle? Ou bien la citation n'est-elle faite qu'au verset, de sorte que le cinquième contient une pensée incidente? Toutes les réponses possibles, et Un bon nombre d'impossibles, ont été données à propos de ces questions. Nous ne les reproduirons pas, bien que nous ne soyons pas sûrs du tout de la justesse de la nôtre. Nous nous bornerons à rendre compte de notre traduction, basée principalement sur l'impossibilité absolue de trouver dans l'Ancien Testament un texte quelconque que l'auteur aurait pu vouloir invoquer ou rappeler par les paroles du v. 5. Ces paroles doivent donc lui appartenir à lui-même; en second lieu, nous maintenons que l'association des idées doit nous, guider dans l'interprétation et nous imposer le devoir de rattacher notre texte à celui qui précède.

Or, dans ce qui précède immédiatement l'auteur avait signalé l'incompatibilité absolue entre l'amitié du monde et celle de Dieu, et il s'était servi, pour la caractériser, d'un terme emprunté aux rapports conjugaux et qui assimilait l'amour d'un homme pour le monde à l'infidélité de l’épouse adultère, c'est-à-dire au crime le plus impardonnable au point de vue des mœurs orientales. C'est à cette comparaison que se rattache la phrase que nous avons à étudier maintenant. Croyez-vous que l’Écriture parle en vain, en vain, sans motif suffisant? que ce n'est pas son sérieux, quand elle s'exprime d'une manière aussi sévère? Ne vous y trompez pas: Dieu déclare lui-même dans l'Écriture qu'il est un Dieu jaloux; il ne souffre pas qu'on se partage entre lui et un autre maître; il réclame pour lui tout seul l'amour, la foi, l'obéissance; il nous a donné son esprit, précisément pour que nous lui appartenions exclusivement. (Nous sommes convaincus que Dieu est le sujet dans la phrase qui forme la seconde moitié du v. 5, quoique le nom ne s'y trouve pas.) Cet esprit doit nous faire tendre vers lui seul. En revanche, et pour le cas que nous suivrions l'impulsion qu'il voulait nous donner, il nous offre et accorde aussi une grâce plus grande; si nous l'aimons, il nous aimera; nous ne perdrons rien à nous séparer du monde et de ses biens trompeurs; au contraire, nous y gagnerons. Car l'Écriture dit encore (Prov. III, 34): que Dieu accorde sa grâce aux humbles et qu'il résiste aux orgueilleux, c'est-à-dire qu'il la leur refuse. Il est évident que les humbles et les orgueilleux sont, comme dans toute cette épître, d'un côté les hommes pieux, mais peu favorisés dans ce monde-ci, de l'autre ceux qui jouissent des biens de la terre, mais qui par cela même ne recherchent pas Dieu. Ce sont les portraits tracés dès la première page du livre.

7 Soumettez-vous donc à Dieu, résistez au diable, et il fuira loin de vous. Approchez-vous de Dieu et il s'approchera de vous. Purifiez vos mains, pécheurs; sanctifiez vos cœurs, hommes irrésolus! Soyez affligés et tristes, et pleurez! Que votre rire se change en deuil et votre gaîté en abattement I Humiliez-vous devant Dieu et il vous élèvera.

IV, 7-10. Ici l'apôtre s'arrête à décrire l'amitié de Dieu dans ses conditions et ses conséquences. Il commence par demander la soumission, et cela d'autant plus naturellement qu'il avait dépeint les hommes qu'il veut convertir par le nom d'orgueilleux. Ils se prévalaient de leur puissance, de leur richesse ou de leur autorité et ne recherchaient que cela. Avant toute autre chose il faut qu'ils détournent leur regard de ces biens, soit comme objets de leurs désirs, soit comme base de leur valeur personnelle. Cherchez Dieu et cherchez-le humblement; soyez disposés à tout donner pour obtenir sa grâce, et il ne se refusera pas à vous. Par contre, résistez au diable, lequel, en sa qualité d'adversaire de Dieu, veut vous asservir à lui-même, et vous empêcher de vous rallier à Dieu. Il vous subjugue au moyen de vos convoitises (chap. I, 14; IV, 1); mais sa puissance n'est pas invincible. Dès que nous le voulons. Dieu vient nous assister. Faisons le premier pas, Dieu ne manquera pas de faire les autres. Ce ne sont donc pas les saints que le diable tente de préférence, d'après cette assertion de l'apôtre. Mais celui-ci prêche aussi très nettement le dogme du synergisme, ou de la coopération de l'homme dans l'œuvre de son salut. Car il dit aux pécheurs, aux hommes irrésolus (litt.: à deux âmes), c'est-à-dire hésitant encore entre l'amitié du monde et celle de Dieu: Purifiez vos cœurs et vos mains, vos pensées et vos actes, vous ne serez pas abandonnés à vous-mêmes dans cette œuvre de votre sanctification. Dieu veut vous aider, mais il faut que vous commenciez.

Mais, ajoute-t-il, sachez bien que, pour avoir les biens résultant de l'amitié de Dieu, il faut renoncer à ceux que peut donner le monde. Il faut en faire le sacrifice. La joie en Dieu et le bruit du plaisir mondain s'excluent. L'auteur, fidèle à son maître (Luc VI, 20 ss.), s'exprime à ce sujet d'une manière énergique et ne songe pas à adoucir la sévérité de ses leçons. Apprêtez-vous à souffrir, à perdre, à vous abstenir, à faire l'expérience de tout ce que le monde craint: pauvreté, besoin, douleur — vous en serez dédommagés dans une autre sphère de votre existence. Voilà ce que dit la fin de notre morceau. Il ne s'agit pas de la douleur du repentir, mais des épreuves des enfants de Dieu (chap. I, 2).

11 Ne médisez point les mis des autres, mes frères! Celui qui médit de son frère ou qui juge son frère, médit de la loi et juge la loi. Or, si tu juges la loi, tu ne la pratiques point, mais tu te mets au dessus d'elle. Un seul est législateur et juge, celui qui peut sauver et perdre: mais toi, qui es-tu pour juger le prochain?

IV, 11, 12. L'auteur revient encore une fois à ce qui avait fait le sujet du chapitre précédent. Comme nous sommes tous pécheurs, il convient de s'abstenir de la critique des autres, surtout en tant qu'elle deviendrait amère et passionnée. Juger est pris ici dans le sens d'une opinion malveillante, d'une condamnation. En se la permettant, on se met en même temps au-dessus de la loi, on médit d'elle, on la critique, car elle commande une conduite opposée (chap. II, 8). Or, relativement à la loi, l'homme n'a qu'une chose à faire — c'est de la pratiquer. Juger, critiquer, raisonner, ce n'est pas pratiquer. C'est dans la pratique que consiste la part, le devoir de l'homme. Ce qui est au delà, appartient à Dieu seul qui a donné la loi et qui est aussi le seul juge du mérite des hommes, il ne nous appartient pas d'usurper son privilège.

13 Hé bien donc, vous qui dites: «Aujourd'hui et demain nous irons dans telle ville, nous y passerons une année, nous trafiquerons et nous ferons des profits!» vous qui ne savez pas ce qui • sera demain — car qu'est-ce que votre vie? vous êtes une vapeur qui paraît un instant et qui se dissipe ensuite! — au lieu de dire: «Si le Seigneur le veut, nous vivrons et nous ferons ceci ou cela», tandis que maintenant vous vous vantez dans votre orgueil.... toute vanterie de ce genre est mauvaise.

IV, 13-16. Après toutes les réflexions et recommandations adressées à ses lecteurs chrétiens pour leur inculquer les deux grands principes du renoncement et de la pratique du devoir, l'auteur en terminant revient au tableau déjà deux fois ébauché (chap. I, 10, 11; II, 1-7) du riche de ce monde qui ne songe qu'aux biens terrestres et oublie Dieu. Ce tableau (chap. IV, 13-V, 6) amène en quelque sorte la péroraison ou l'allocution finale adressée aux éprouvés (chap. V, 7-11), et l'épître, parfaitement arrondie quant à sa substance essentielle, se termine comme elle a commencé. Il résulte de ce que nous venons de dire que l'apostrophe, que nous expliquons en ce moment, s'adresse à un public absolument différent de celui auquel jusqu'ici l'auteur a prodigué le nom de frères. Ce sont les riches du dehors, païens ou juifs, que l'apôtre a en vue; ceux qui ont été dépeints comme les ennemis de Christ.

La construction du texte est un peu embrouillée et l'auteur perd le fil de sa phrase. Le sens n'en est pas affecté; au contraire, il est tellement clair que toute explication semble superflue. Les riches sont ici représentés spécialement comme des négociants aventureux qui, sans songer à Dieu, ne visent qu'à amasser des richesses. On peut comparer ici Luc XII, 16-21, et surtout les épîtres de Sénèque (IX et CI), où le tableau tracé par l'apôtre se trouve reproduit presque à la lettre.

17 Ainsi, pour quiconque sait faire le bien et ne le fait pas, il y a péché.

IV, 17. Celte sentence, qu'il sera utile de comparer à Luc XII, 47, interrompt assez inopinément le discours. Immédiatement après, l'auteur revient à son apostrophe sévère et menaçante. C'est encore la forme particulière de l'enseignement hébraïque qui nous fera comprendre comment il a pu négliger les allures du raisonnement ou l'enchaînement logique des idées, et préférer une juxtaposition plus abrupte de maximes ou d'avertissements. C'est la phrase immédiatement précédente: toute vanterie de ce genre est mauvaise, qui amène le présent avis: Vous voilà avertis, vous n'avez plus d'excuse à faire valoir. Désormais ce que vous faites ne s'appellera plus de la légèreté, de l'insouciance; c'est de la rébellion contre Dieu.

À vrai dire, ce mot s'applique ici à un cas assez spécial; cependant il exprime un principe absolu et en même temps particulier à la morale chrétienne. Le chrétien ne saurait faire plus que son devoir; car son devoir est de faire tout le bien qu'il peut. Il n'a donc aucun mérite en le faisant (Luc XVII, 10). Une bonne action qui n'aurait pas été un devoir est une chose que la morale de l'Évangile ne connaît pas.

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