Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPITRE DE JACQUES

Chapitre 3

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1 Ne veuillez pas, mes frères, vous ériger en docteurs en trop grand nombre, sachant que nous serons jugés plus sévèrement. Car nous sommes tous sujets à faillir, à beaucoup d'égards; si quelqu'un s'en préserve dans ses discours, c'est là un homme parfait, capable de tenir en bride son corps tout entier. Si nous mettons le frein dans la bouche des chevaux pour qu'ils nous obéissent, nous dirigeons aussi leur corps tout entier. Voyez encore les vaisseaux qui sont si grands et que poussent des vents violents: ils sont dirigés par un très petit gouvernail partout où le veut l'intention du pilote.

5 De même la langue est un petit membre et elle a de grandes prétentions. Voyez quel petit feu peut embraser une grande forêt! La langue aussi est un feu; ce monde d'iniquité, la langue, se pose parmi nos membres, souillant le corps tout entier, et enflammant le cours de la vie, enflammée elle-même par l'enfer. Car les quadrupèdes, les oiseaux, les reptiles et les poissons de toute espèce peuvent être domptés et ont été domptés par l'espèce humaine, mais pour ce qui est de la langue, aucun homme ne peut la dompter; c'est un mal sans repos, elle est pleine d'un venin mortel.

9 Par elle nous bénissons le Seigneur et père; par elle aussi nous maudissons les hommes créés à l'image de Dieu. C'est de la même bouche que sort la bénédiction et la malédiction. Il ne doit pas en être ainsi, mes frères. La source fait-elle jaillir de la même ouverture de l'eau douce et de l'eau salée? Le figuier, mes frères, peut-il produire des olives, ou la vigne des figues? Tout aussi peu la source salée donnera de l'eau douce!

III, 1-12. L'antithèse entre la théorie et la pratique, qui vient d'être développée dans le morceau précédent, amène, par une association d'idées on ne peut plus simple, le conseil très-sérieux donné aux chrétiens de ne pas rechercher de préférence les occasions de faire de la pure théorie, d'enseigner, de prêcher. Non que ce ne soit pas aussi une chose utile et nécessaire; mais l'auteur se préoccupe de ce que beaucoup de ceux qui enseignent s'exposent à s'y adonner trop exclusivement, à négliger la pratique qui est l'essentiel, à attacher une valeur excessive à leurs propres paroles, à épuiser leurs forces dans le raisonnement et leur temps dans le discours, à exagérer l'importance de leurs conceptions subjectives, enfin à donner libre carrière à leur spéculation d'abord, puis à leurs prétentions, enfin à leurs passions. C'est ainsi que l'auteur revient à une idée qu'il a déjà effleurée plus haut (chap. I, 19, 26), et cette fois-ci il s'y arrête et traite son sujet à fond. L'énergie qu'il y met, on serait presque tenté de dire la vivacité toute poétique de ses couleurs, fait voir combien la chose lui tenait à cœur, et combien son expérience a dû lui imposer l'obligation de s'exprimer avec une certaine véhémence. Mais nous constaterons encore une fois que rien dans ce texte ne nous autorise à ramener sa pensée aux fautes ordinaires commises au moyen de la langue, à circonscrire notre interprétation à la sphère des devoirs et des défauts sociaux communs; il s'agit bien certainement avant tout de l'enseignement, de la théorie, d'une occupation relative aux vérités religieuses qui en entrave l'usage pratique, de la controverse qui trouble la paix de la communauté sans la rendre meilleure. Si les réflexions de l'auteur peuvent encore trouver leur application dans un cercle plus étendu de devoirs et de relations, cela ne prouve pas qu'il ait eu en vue cette possibilité; en effet, nous n'avons pas remarqué jusqu'ici qu’il se soit laissé aller à de vagues généralités.

Au siècle apostolique, les docteurs n'exerçaient pas une fonction officielle et distincte. On enseignait plutôt occasionnellement, mais on pouvait arriver à y prendre goût, à s'en faire une occupation régulière. C'est cette tendance que l'apôtre a en vue. Comme il est docteur lui-même, il parle communicativement; il a la conscience de l'immense responsabilité qui pèse sur sa charge et il en avertit les autres, pour appeler leur attention sur les périls auxquels ils s'exposent. En effet, l'homme est faible et enclin au péché; à chaque pas qu'il fait dans sa carrière il peut faillir ou broncher. Mais de toutes les chutes aucune n'est plus fréquente que celle qui s'accomplit par le mauvais emploi de la parole. Cela est si vrai, dit-il, que celui qui sait maîtriser sa langue sera aussi plus apte à maîtriser les autres membres, organes de la convoitise (Marc IX, 43 ss.).

Du reste, dans ce morceau généralement figuré et d'une composition presque poétique, la comparaison porte successivement sur différents points. Il y a d'abord l'antithèse entre la petitesse matérielle de la langue, considérée comme membre du corps, et sa puissance morale. À ce titre, elle est d'abord mise en parallèle avec la bouche du cheval, ensuite avec le gouvernail d'un vaisseau. Le cheval et le vaisseau sont deux masses ou corps doués d'une grande force, difficiles à manier tous les deux et incomparablement supérieurs à l'homme. Pourtant celui-ci les domine dès qu'il parvient à s'emparer de la bouche du cheval, et dès qu'il commence à manier le petit gouvernail. Aussi la langue se targue-t-elle de grandeur, elle parle haut, elle revendique une position d'honneur, elle joue un grand rôle.

De là, l'auteur passe à une seconde comparaison, qui lui tient encore plus à cœur. Toute petite qu'elle est, la langue peut faire un mal immense. De même qu'une petite étincelle peut embraser une grande forêt, la langue peut mettre le monde en feu. Le feu est considéré comme un élément destructeur; la langue peut lui être comparée à ce titre, et même à deux égards. Elle met le feu à la vie, y introduit un élément de violence et de destruction, et à elle-même ce feu est communiqué par la puissance de l'enfer; c'est un feu infernal, quant à son origine, sa tendance et son effet. L'expression est ici en partie obscure et recherchée. Ce que nous traduisons par le cours de la vie, est appelé proprement la roue de la naissance, probablement parce que l'auteur compare la vie à une roue qui court, ou qui parcourt un espace, à partir du moment de la naissance. Par les autres phrases: un monde d'iniquité, et souiller, l'auteur laisse tomber cette allégorie.

Une troisième comparaison porte sur la force indomptable de la langue, à laquelle il a été fait allusion dès les premières lignes de ce morceau. L'homme qui est parvenu à maîtriser tous les êtres qui l'entourent, échoue incessamment dans ses efforts quand il doit brider sa langue. Comme exemple des écarts de cette dernière, l'apôtre signale ce fait à la fois singulier et déplorable, que les sentiments les plus divers et les plus contradictoires s'expriment par la langue, de sorte qu'évidemment l'un au moins doit être faux et condamnable, si ce n'est tous les deux. Car si la malédiction prononcée contre un semblable est un crime, la louange de Dieu prononcée simultanément ne peut être que le fruit de l'hypocrisie. Dieu est le père commun des hommes, créés tous à son image; comment donc accorder ces deux manifestations? (Matth. V, 24. 1 Jean IV, 20.) Les images et l'application ont ici une double portée: Deux effets contradictoires ne peuvent provenir d'une seule cause, et chaque cause a son effet correspondant. L'effet étant mauvais, la cause ne saurait être bonne; le cœur doit être mauvais aussi.

Le texte de ce morceau, comme en général celui des épîtres catholiques, présente beaucoup d'altérations, dans les manuscrits et dans les éditions. Nous l'avons traduit et commenté selon la forme adoptée par la critique moderne. Quant au style que nous avons qualifié de poétique, il est curieux de remarquer que la plupart des images dont se sert l'auteur se retrouvent dans la littérature profane, par la raison qu'elles sont très naturelles. Voyez, pour la bride et les chevaux, Xénophon (Gyrop. IV, 3, 3) et Sophocle (Antig. 477); pour le gouvernail, Lucrèce (IV, 899); les deux images combinées avec la langue humaine se trouvent textuellement dans l'Axiochus de Platon et dans Plutarque (de aud. poet., p. 33), ainsi que dans Philon (de agricult., p. 311); l'image de la forêt incendiée appartient déjà à Homère (Iliade XI, 155) et à Pindare (Pyth. III, 66), et celle des animaux domptés se lit dans les mêmes termes chez Sophocle dans l'Antigone (v. 332).

13 Qui d'entre vous est sage et intelligent? Qu'il en donne les preuves par une bonne conduite et par la douceur de sa sagesse! Mais si vous avez dans votre cœur un zèle acrimonieux et querelleur, n'allez point affecter une vaine gloriole et mentir ainsi contre la vérité. Ce n'est point là la sagesse qui vient d'en haut, mais une sagesse terrestre, sensuelle, diabolique.

16 Car là où il y a un zèle querelleur, il y a aussi du désordre et toutes sortes de mauvaises actions. La sagesse d'en haut est d'abord pure, ensuite pacifique, modérée, conciliante, pleine de charité et de bons procédés, éloignée de la duplicité et de l'hypocrisie. Le fruit de la justice est semé au moyen de la paix par ceux qui la maintiennent.

III, 13-18. Ceux qui prétendent instruire les autres doivent commencer par prouver qu'ils sont instruits eux-mêmes; il faut qu'ils fassent leurs preuves (litt.: (qu'ils montrent leurs, œuvres); car ce sont les œuvres qui font connaître les pensées et les sentiments. Cette nouvelle antithèse entre la sagesse accompagnée de douceur, et l'esprit de dispute, cette mention de la vaine gloriole opposée à la vérité, fait voir encore une fois qu'il ne s'agit pas des abus de la parole dans le sens des devoirs sociaux en général, mais dans l'application toute spéciale à l'enseignement. Or, la preuve qui doit démontrer qu'on est qualifié pour instruire les autres, c'est tout juste l’opposé de ce que l'auteur a décrit jusque-là. Ce n'est pas l'abus de la langue, mais la pratique du devoir, la bonne conduite; ce n'est pas l'amertume du cœur et l'esprit de dispute, mais la douceur qui caractérisera le genre de sagesse (ou de savoir) qu'on veut faire valoir. Un docteur chrétien qui se laisserait inspirer par ce mauvais esprit, mentirait contre la vérité, car cet esprit est incompatible avec sa mission; il s'arrogerait, par suite d'une fausse appréciation de lui-même, des fonctions qu'il serait incapable de remplir dignement. Sans doute, la sagesse est la condition indispensable pour qui veut instruire les autres, mais il y a deux sortes de sagesse: Celle qui vient de la terre, de la disposition naturelle de l'homme non régénéré, de ses affections charnelles ou animales (1 Cor. II, 14; III, 1) et, à vrai dire, du diable, pousse à l'acrimonie, à la querelle, à la controverse, elle détruit au lieu d'édifier. Celle qui vient du ciel est avant tout pure de pareils alliages, et par conséquent elle se manifeste par les caractères opposés à ceux qui viennent d'être nommés. Ils se résument dans la notion de la paix, que l'apôtre estime être assurée là où la langue ne la trouble pas. Il compare cette paix (considérée d'abord comme une qualité morale, ensuite comme un état social) à une semence d'où provient un fruit doux et salutaire, et ce fruit est Id. Justice, c'est-à-dire cet état normal auquel Dieu prend plaisir et auquel le chrétien doit tendre.

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