Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPITRE DE JACQUES

Chapitre 2

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1 Mes frères, ne veuillez pas allier la foi en notre glorieux Seigneur Jésus-Christ à des considérations de personnes. Si, par exemple, il entre dans votre assemblée un homme vêtu d'un habit magnifique et portant une bague d'or, et qu'il entre aussi un pauvre en haillons, et que, en voyant celui qui porte l’habit magnifique, vous lui dites: Toi, assieds-toi ici à cette place d'honneur I et que vous dites au pauvre: Toi, reste-là debout! ou bien: Assieds-toi au bas de mon marchepied! ne faites-vous pas, à part vous, une distinction d'après un jugement inspiré par de mauvaises pensées?

5 Écoutez, mes frères bien-aimés! Dieu n'a-t-il pas élu ceux qui sont pauvres au gré du monde, pour qu'ils soient riches en foi et héritiers du royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment? Mais vous, vous auriez méprisé le pauvre! Ne sont-ce pas les riches qui vous oppriment? eux, qui vous traînent devant les tribunaux? Ne sont-ce pas eux qui outragent le beau nom que vous portez? Sans doute, si vous accomplissez la loi royale, selon cette parole de l'Écriture: Tu aimeras ton prochain comme toi-même — vous faites bien; mais si vous faites acception des personnes, vous commettez un péché, et la loi elle-même vous déclare transgresseurs.

10 Car celui qui aurait observé la loi entière et aurait failli en un seul point, est coupable à l'égard du tout. Car celui qui a dit: Tu ne commettras pas d'adultère! a dit aussi: Tu ne commettras point de meurtre! Or, si tu ne commets pas d'adultère, mais que tu commettes un meurtre, tu es devenu transgresseur de la loi. Parlez ainsi et agissez ainsi comme devant être jugés d'après une loi de liberté. Car le jugement est sans miséricorde pour celui qui n'a pas exercé la miséricorde. La miséricorde affronte le jugement.

II, 1-13. Ce morceau se rattache au précédent en ce qu'il introduit d'abord un second exemple destiné à illustrer la thèse de la nécessité de pratiquer la parole et de ne pas se borner à l'écouter. Et cet exemple est encore choisi dans le cercle d'idées dans lequel l'auteur se mouvait dès le commencement, savoir, à ce point de vue d'un antagonisme entre le monde et Dieu et de la nécessité de choisir entre l'un et l'autre. De plus, après tout ce que nous avons déjà lu, nous ne serons pas surpris de voir que la richesse est purement est simplement considérée comme un signe de tendance mondaine, la pauvreté comme le caractère inséparable de la piété. Il est vrai que la richesse, la puissance, imposent à la plupart des hommes; que la pauvreté, la condition faible et infime, leur inspire le mépris ou au moins l'indifférence; et l'on n'est que trop enclin à juger et à traiter les hommes d'après ces conditions tout extérieures. Hé bien, dit l'auteur, cette habitude est incompatible avec la foi chrétienne, qui exige qu'on se place à un point de vue tout différent.

L'auteur parle à des chrétiens. Leur assemblée, dont il est question ici, n'est donc pas la Synagogue, mais une réunion particulière et intime. Cependant il devait arriver fréquemment que des étrangers, des curieux, s'y trouvaient, avec des dispositions plus ou moins bonnes. On n'avait aucune raison de les exclure. À Jérusalem surtout, où nous supposons que l'auteur écrivait, ce fait devait se produire très souvent. Il en parle donc par expérience. Il pouvait avoir observé, ce que nous savons tous, que dans la société l'habit fait l'homme, que le riche a la préséance et tous les honneurs. Mais à ses yeux c'était là une concession faite au monde. Nous dirions peut-être que les hommes doivent être jugés d'après leur valeur morale, et telle est sans doute aussi au fond la pensée de l'apôtre; mais il est si bien convaincu qu'il est bien difficile qu'un riche entre dans le royaume de Dieu (Matth. XIX, 23. Luc. VI, 20), qu'il ne s'arrête pas même à cet examen préalable, que l'expérience est censée avoir déjà fait, selon lui, d'une manière générale et définitive. Ce sont les riches qui oppriment, qui poursuivent, qui dépouillent par tous les moyens, légaux ou autres; ce sont les riches qui outragent le nom que nous portons (c'est le nom de Christ, et non celui de chrétiens, que les fidèles ne se donnaient pas eux-mêmes), c'est-à-dire tout simplement: ce sont eux qui sont nos adversaires dans le monde. Ce sont au contraire les pauvres que Dieu a élus (1 Cor. I, 27), c'est à eux qu'appartient le royaume à venir, en compensation de leur sort malheureux sur la terre.

Cette manière tranchante de séparer les hommes en catégories et de provoquer des antipathies là où il n'y en avait peut-être pas, ou pour mieux dire, cette insistance que l'apôtre met à classer les hommes, là où nous aurions pensé qu'il serait plus important de bien signaler la diversité des principes et des tendances, elle pouvait faire naître une objection. Le commandement suprême n'était-il pas d'aimer Dieu, et son prochain comme soi-même (Matth. XXII, 39), et cette maxime n'est-elle pas consacrée par l'Écriture (Lév, XIX, 18)? L'auteur est loin de nier cela. Il appelle lui-même ce précepte la loi royale, le commandement par excellence. Mais il persiste dans sa remontrance. Cent fois l'Ancien Testament blâme ceux qui font acception des personnes, c'est-à-dire qui jugent d'après des considérations extérieures et étrangères aux faits. Dieu, est-il dit, ne fait pas acception des personnes. Malheur au juge qui fait acception des personnes! C'est donc là une faute, une transgression, condamnée d'avance par la loi. Or, pour mériter l'éloge d'avoir observé la loi, il ne suffit pas de remplir un devoir, il faut les remplir tous; celui qui transgresse un commandement, pèche tout autant que s'il les avait transgressés tous. Il ne suffit pas d'aimer le prochain, il faut aussi ne pas faire acception des personnes. Montrer du mépris au pauvre parce qu'il est pauvre, de la déférence au riche parce qu'il est riche, cela n'est pas cet amour du prochain que la loi demande, c'est un symptôme non équivoque qu'on fait une distinction d'après un jugement inspiré par de mauvaises pensées, par un point de vue étranger à la parole de Dieu, incompatible avec la foi en Christ, qui doit nous détacher du monde. (Cette phrase a été traduite de différentes manières, elle est assez obscure.)

La loi est une loi de liberté, elle veut vous dégager de la servitude du monde et du péché; rompez donc avec le monde; l'humilité qu'on s'impose en face du riche, prouve au fond qu'on estime sa position plus désirable que celle qu'on occupe, en d'autres termes, on montre qu'on tient à ce qui la distingue des autres. Or, il ne faut pas oublier que les bornâmes seront jugés d'après cette loi-là; il importe donc qu'on enseigne et qu'on agisse en conséquence, qu'on ne transige pas sur les principes, qu'on ne flatte pas le monde dans ses représentants, qu'on ne tourne pas le dos à Dieu en refusant sa sympathie à ceux qui lui appartiennent plus particulièrement, aux pauvres (Matth. V, 7; X, 42; XXV, 40 ss., etc.) La miséricorde, la charité pour ceux qui en ont besoin, affronte le jugement, c'est-à-dire qu'elle n'a pas besoin de le craindre: sa cause y est gagnée d'avance.

14 À quoi cela sert-il, mes frères, si quelqu'un dit avoir de la foi, et qu'il n'ait pas d'œuvres? La foi peut-elle le sauver? Si par exemple un frère ou une sœur sont dans le dénuement et manquent de la nourriture quotidienne, et que quelqu'un de vous leur dise: Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous! sans leur donner ce qui est nécessaire au corps, à quoi cela sert-il? De même aussi la foi, si elle n'a point d'œuvres, est morte en elle-même.

18 Au contraire, on pourra dire: Toi, tu as la foi; moi, j'ai des œuvres: montre-moi ta foi sans les œuvres, et moi, par mes œuvres, je te montrerai la mienne. Tu crois qu'il y a un Dieu unique? fort bien! Les diables le croient aussi et ils tremblent! Mais veux-tu savoir, ô homme vain, que la foi sans les œuvres est stérile? N'est-ce pas pour des œuvres que notre père Abraham a été déclaré juste, parce qu'il avait offert sur l'autel son fils Isaac? Tu vois que la foi coopérait à ses œuvres, et c'est par les œuvres que la foi fut rendue parfaite, et l'Écriture fut accomplie en ce qu'elle dit: Abraham crut Dieu et cela lui fut imputé à justice; et il fut appelé l'ami de Dieu.

24 Vous voyez que c'est par suite des œuvres que l'homme est déclaré juste et non par suite de la foi seule. Ainsi encore la courtisane Rahab, n'est-ce pas pour des œuvres qu'elle a été déclarée juste, parce qu'elle avait accueilli les messagers et qu'elle les avait fait partir par un autre chemin? Car de même que le corps sans l'esprit est mort, de même la foi aussi est morte sans les œuvres.

II, 14-26. Ce morceau, devenu célèbre par les longues discussions théologiques qui s'y sont rattachées, surtout dans les temps modernes, ne contient au fond qu'une nouvelle application d'un principe déjà formulé et proclamé précédemment. Il s'agit encore de la nécessité absolue de la pratique du devoir, comme seule expression adéquate de la vraie religion. Cette pratique (sanctification et charité) avait été successivement opposée à la simple audition passive et stérile de la parole de Dieu, puis à la prétention de faire de l'enseignement, comme si le culte consistait dans le parler, ensuite à la fausse appréciation du rapport entre le monde et Dieu, de laquelle résulte une conception erronée du devoir, enfin à l'illusion qu'on pourrait se faire au sujet de la valeur d'un accomplissement partiel et incomplet des commandements de Dieu. Ici, cette même pratique est recommandée comme seule vraie, bonne et salutaire, à l'exclusion d'une simple conviction restée à l'état de théorie et n'exerçant aucune influence sur la volonté.

Pour bien saisir la pensée de l'auteur, il faut d'abord constater qu'il ne parle pas d'une conviction affectée, d'une foi mensongère; car il ne fallait pas de grands efforts pour prouver qu'une pareille foi non seulement n'a aucune valeur, mais est même un grave péché, parce qu'elle est une tentative détromper à la fois Dieu et les hommes. Non, l'apôtre admet que l'on soit convaincu; il veut seulement prouver que cela ne suffît pas. Et ce fait, il le démontre par une série d'exemples très instructifs que nous allons analyser dans un ordre un peu différent de celui dans lequel ils se présentent, afin d'en faire mieux ressortir la portée.

1° Tu crois, dit-il, qu'il y a un Dieu unique... voilà bien l'exemple le plus frappant qu'on pouvait choisir; car il s'agit là d'une vérité théorique absolue, incontestable, lié bien, le fait qu'on l'accepte, qu'on en est pénétré et convaincu, suffit-il pour assurer le bonheur de l'homme, pour le rendre agréable à Dieu, pour en faire un chrétien, pour le sauver enfin? Certes non, car les diables le croient et le savent également,' et ils tremblent, c'est-à-dire, cette conviction produit un effet tout opposé, parce qu'il leur manque la chose essentielle, l'action conforme à la reconnaissance d'un Dieu saint et juste.

2° Abraham, notre père, avait certainement la foi; il connaissait Dieu, il conversait avec lui, il a été par ses sentiments un modèle de piété. Mais cela suffisait-il? Dieu s'est-il contenté de ces dispositions intérieures? Non, il lui demanda le sacrifice de son fils. Sans doute, si Abraham n'avait pas eu de foi, il n'aurait pas obtempéré à cette injonction; mais Dieu ne l'aurait pas faite s'il ne lui avait pas fallu des preuves. La foi coopéra donc à l'acte, le rendit possible et facile, mais sans l'acte elle serait restée imparfaite et sans valeur. Si l'Écriture dit qu'Abraham fut déclaré juste en vue de sa foi, c'est que cette foi avait reçu sa confirmation, avait été pour ainsi dire validée, par les œuvres; et s'il lui fut décerné (par la tradition) le titre honorifique d'ami de Dieu, ce ne fut pas à cause de n'importe quels sentiments intimes, mais à cause d'un attachement qui avait fait ses preuves.

3° Rahab, dont l'histoire est racontée dans le livre de Josué à l'occasion de la prise de Jéricho, fut la seule personne épargnée dans le massacre des habitants de cette ville. Israël et son chef théocratique, agissant ici au nom de Dieu, lui assurèrent la vie sauve, en d'autres termes, la déclarèrent juste et la sauvèrent, tandis que tous ses concitoyens furent frappés de malédiction et exterminés (on remarquera l'analogie entre ces faits purement matériels et politiques et les faits d'une nature essentiellement spirituelle et morale qu'ils sont destinés à illustrer). Pourquoi en a-t-on agi ainsi envers cette femme? La réponse ne saurait être douteuse. En effet, suffira-t-il de dire que c'était parce qu'elle croyait à la victoire des Israélites, ou qu'elle avait de la sympathie pour eux? Mais ils n'en auraient rien su! Elle fut sauvée pour avoir agi en leur faveur, en recevant chez elle leurs espions, en les cachant, en leur sauvant la vie. Voilà donc encore, et très positivement, l'acte qui est la cause directe du salut.

4° Enfin, dans la vie de tous les jours, en face des besoins sociaux, suffit-il de parler, de professer des principes, d'affirmer le devoir, pour produire un effet matériel? Suffit-il de dire à celui qui a faim, rassasie-toi? à celui qui est nu, chauffe-toi? Évidemment il faut lui donner de quoi se vêtir et se nourrir. La parole bienveillante (car c'est bien elle que l'auteur oppose à l'acte, et non pas une parole dédaigneuse et dure), la parole bienveillante à elle seule, toute bonne qu'elle est, ne sert à rien, si elle n'est pas accompagnée ou suivie d'un acte charitable.

L'auteur se résume, à trois reprises (v. 17 s. et v. 24 et 26), pour formuler sa pensée d'une manière plus générale: la foi sans les œuvres est morte, stérile, cela veut dire sans effet salutaire pour celui qui s'en contente, qui borne à elle seule sa religion, de même qu'elle est sans effet au dehors, à l'égard des autres; ou plutôt, ce dernier défaut est la cause directe du premier. La justification, c'est-à-dire la déclaration de Dieu que l'homme est comme il le veut avoir, intervient après et en mie des œuvres, et non de la foi seule, c'est-à-dire d'une conviction purement théorique, qui, sans doute, ne doit pas faire défaut, mais qui ne saurait produire l'effet plus éloigné, à moins d'avoir produit l'effet plus prochain: d'abord la pratique du devoir, ensuite seulement la justification. D'après cela, il est évident que, si l'on doit dire que les deux éléments, la foi et les œuvres, doivent exister et se manifester dans l'homme véritablement chrétien, il faut pourtant considérer les œuvres comme le plus important: car là où elles se produisent, on constate que la foi existe aussi; tandis que la foi pourrait exister sans les œuvres, et, dans ce cas, n'avoir aucune valeur. La foi n'a de vie et de valeur que par les œuvres, comme le corps n'a de vie et de valeur que par l'esprit. Ce simple parallélisme décide la question; car personne ne mettra le corps au-dessus de l'esprit.

Il y a plus (v. 18): l'existence même de la foi ne se reconnaît que par les œuvres; sans celles-ci on ne sait pas même que celle-là n'est pas soit une illusion, soit un mensonge. Pour prouver cela, l'apôtre se pose en face d'un homme qui dit (et qui peut dire en bonne conscience) qu'il a la foi; lui, l'apôtre, ne dira pas qu'il a la foi, il se borne à montrer ses œuvres. Quelle sera la position respective de ces deux personnes? L'apôtre aura apporté des faits palpables, et son interlocuteur, les voyant, saura aussi que la foi, dont il n'a pas parlé, y est: également; tandis que l'autre personnage, qui n'a rien produit, si ce n'est son assertion purement théorique qu'il a la foi, n'aura point pu convaincre l'apôtre, faute de preuves palpables.

Les commentateurs ont l'habitude d'insérer ici de longues discussions sur la fameuse question de savoir si ce passage contredit, ou bien même est destiné à contredire, renseignement des épîtres pauliniennes, ou si Ton peut établir, sur une base plus ou moins solide, un accord entre les deux auteurs. On sait que Luther et ses successeurs immédiats se sont prononcés catégoriquement dans le sens négatif, et ont été ainsi amenés à contester à notre épître la dignité canonique. Beaucoup de nos savants contemporains, sans se préoccuper de cette dernière question, ont été de cet avis, et ont même parlé d'une polémique directe et intentionnelle. Beaucoup d'autres, depuis le dix-septième siècle jusqu'à nos jours, ont été d'un avis contraire. Nous ne nous engagerons pas ici dans ce débat théologique. Nous nous bornons, dans cet ouvrage, à bien préciser le sens de chaque texte. Pour ce qui est du jugement à porter sur le rapport entre les deux formules ou points de vue, nous croyons pouvoir ici nous contenter de renvoyer nos lecteurs à un chapitre particulier de notre Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique, t. II, p. 251 s. de la troisième édition.

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