Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPITRE DE JACQUES

Chapitre 1

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1 Jacques serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ aux douze tribus dans la dispersion, salut.

I, 1. Les observations qui peuvent se rattacher à cette suscription en tant qu'elle se rapporte à la personne et à la position de l'auteur et au cercle des lecteurs auxquels il destinait son écrit, ont déjà été faites dans l'Introduction. Nous ne nous arrêterons ici que pour relever la portée dogmatique de la formule. Comme partout ailleurs dans les Épîtres, et en général dans le Nouveau Testament, le nom de Jésus-Christ s'y trouve associé à celui de Dieu, et l'auteur, en se disant serviteur de l'un comme de l'autre, se place vis-à-vis du Seigneur dans le même rapport que la généralité des chrétiens. Ce fait deviendrait plus significatif encore, si l'on admettait qu'il ait vécu d'abord avec lui dans des relations de famille.

2 Mes frères, considérez comme un sujet de pure joie les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés, en reconnaissant que ce moyen de constater votre foi produit la constance. Mais la constance, à son tour, doit avoir un effet pratique parfait, afin que vous soyez parfaits et accomplis, ne vous trouvant en défaut à aucun égard.

I, 2-4. Dès la première ligne, l'auteur signale la position du fidèle serviteur de Dieu vis-à-vis du monde. Ce qu'il rencontre le plus souvent et le plus sûrement devant lui, c'est la tribulation, la privation, l'inimitié. C'est là une expérience bien commune et constatée surtout bien fréquemment dans les Psaumes (comp. Hist, de la théol. chrét. au siècle apostol., liv. I, chap. 9), et maintes fois rappelée par Jésus à ses disciples, qui devaient ainsi être préparés d'avance à la lutte qu'ils auraient à soutenir (Matth. V, 10 suiv. ; X, 16 suiv. ; XVI, 24 ss., etc.). Mais loin de s'en attrister ou de s'en effrayer, le chrétien reconnaît, dans tout ce qui peut lui être réservé de fâcheux, un moyen dont Dieu se sert pour assurer son bien et ses progrès spirituels. Il appelle ses malheurs des épreuves, c'est-à-dire des moyens d'exercer ses forces morales, de fortifier ses convictions et sa volonté, d'en constater l'énergie, et de le rendre de plus en plus apte à travailler à l'œuvre de Dieu, et sûr de triompher des obstacles qu'il peut rencontrer dans cette carrière. Il s'en réjouit donc, et cette joie est pure, c'est-à-dire nullement troublée par des regrets ou sujette à des défaillances. La constance, la fermeté, produite par ces épreuves, lesquelles ne sont jamais de nature à devenir absolument insupportables pour les forces de l'homme (1 Cor. X, 13), n'est point seulement une disposition purement passive, dont l'énergie s'épuiserait dans la patience et dans la résignation; si elle est ce qu'elle doit être, elle se montrera aussi par des effets pratiques, litt.: par l'œuvre, c'est-à-dire par l'activité conforme à la volonté de Dieu, dans toutes les sphères de la vie où il s'agira d'accomplir des devoirs et de mettre à profit les dons que chacun tient de la Providence (v. 17) pour le bien commun de tous. La perfection chrétienne consistera en ce que tous ces éléments existent et agissent en même temps et qu'aucun d'eux ne fasse défaut.

Ces premières lignes de l'épître n'auraient jamais créé de difficulté aux commentateurs, si l'on s'était toujours bien rendu compte de la valeur de certaines expressions grecques qui y figurent. Ainsi le mot que nous traduisons ici par épreuve, est rendu ailleurs par tentation, et la tentation étant considérée comme quelque chose de mauvais, il se présente cet embarras, que Jacques nous recommande de regarder comme un sujet de joie ce que, d'après l'injonction de Jésus (Matth. VI, 13), nous prions Dieu d'éloigner de nous. Dans les originaux, c'est le même terme des deux côtés, et dans notre texte même, quelques lignes plus bas (v. 13), nous nous trouverons en face de la même contradiction apparente, et d'autant plus singulière, que c'est le même auteur qui l'introduit, et à la même page, on dirait sans s'en apercevoir. La solution cependant est facile à trouver. Le même fait qui, selon la volonté de Dieu, nous arrive comme une épreuve, c'est-à-dire dans un but salutaire, peut devenir, par suite de notre faiblesse, une occasion de chute; le bien peut se changer en mal, mais ce dernier ne doit pas être attribué à Dieu; la faute en est dans l'homme même. L'auteur développera cette antithèse d'une manière tout à fait lucide. Seulement les traducteurs français se trouvent dans l'impossibilité de la rendre également claire, l'usage ne leur permettant pas de se servir d'expressions parfaitement correspondantes. Nous devrons donc prendre quelques libertés à cet égard, pour ne pas sacrifier la clarté du sens aux exigences d'un littéralisme gênant.

Une difficulté analogue résulte de l'impuissance de la langue française à bien rendre un second terme employé par l'auteur. Si tout à l'heure on se trouvait obligé d'employer deux mots différents pour en traduire un seul, voici maintenant un cas où l'on n'en a qu'un seul pour en traduire deux très distincts pour la signification. Nous venons de dire que l'épreuve est un moyen, soit de constater la valeur (d'un homme ou d'une chose), soit de l'augmenter. Déjà là il y a dans le texte deux mots étrangers l'un à l'autre. Mais il y a plus. Le résultat de l'épreuve (de l'examen, de l'éducation donnée), c'est la valeur constatée ou acquise; on dit alors que quelqu'un a soutenu l'épreuve, qu'il a fait ses preuves, qu'il est éprouvé, et par conséquent approuvé, qu'il est à toute épreuve, etc. La différence est celle des termes allemands Prüfung et Bewährung. C'est parce qu'on ne s’est pas bien rendu compte de tout cela qu'on a pu trouver une espèce de contradiction entre notre texte et Rom. V, 3, 4. Et pourtant les deux apôtres disent absolument la même chose: La tribulation (l'épreuve) produit la constance, la constance produit la condition bonne et sûre de celui qui a fait ses preuves, etc.

5 Si quelqu'un d'entre vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu, qui donne à tous de bon gré et sans marchander, et elle lui sera donnée. Mais il faut qu'il demande avec confiance, sans douter; car celui qui doute ressemble à la vague de la mer, qui est chassée et agitée par le vent; car un pareil homme ne doit pas s'imaginer qu'il obtiendra quoi que ce soit de la part du Seigneur. Un homme dont l'âme est comme partagée, est inconstant dans tout ce qu'il fait.

I, 5-8. Comme l'auteur va revenir tout à l'heure à ce qu'il disait tantôt sur les épreuves qui attendent le fidèle, et à l'antithèse entre les deux tendances qui sollicitent l'homme, soit pour le rapprocher de Dieu, soit pour l'attacher au monde, le texte que nous venons de transcrire peut être considéré comme une digression incidente, mais au fond ne nous éloignera pas du suiet principal.

Cette digression est amenée par la dernière phrase qui a précédé. Si l'épreuve, était-il dit, produit la constance, et que la constance à son tour se manifeste par l'action, tout ce qui est essentiel se trouve réalisé, il n'y a plus de défaut. Cependant une chose, une qualité utile, indispensable, ne doit pas manquer non plus, et là où l'on en reconnaît le besoin, il sera bon qu'on la demande à Dieu, le dispensateur de tout bien. Cette qualité est appelée la sagesse. Par là, on n'entend pas un degré supérieur d'intelligence théorique, ce qui serait exprimé par un autre mot grec; mais l'intelligence pratique, l'art de se diriger soi-même, le choix du but prochain à poursuivre, l'appréciation des moyens, le jugement à porter sur les hommes et les choses, en un mot, le savoir-faire, dans un sens noble et moral de ce terme. L'auteur en donnera plus loin (chap.III, 13 suiv.) une définition plus détaillée, en tant qu'elle s'applique de préférence aux relations sociales et qu'elle se caractérise comme venant du ciel. Elle est opposée à une sagesse terrestre, égoïste, diabolique, qui ne recherche que les avantages mondains de l'individu.

De pareils dons. Dieu les donne de bon gré, litt.: simplement, libéralement, sans autre condition, bien entendu quand on les lui demande sans arrière-pensée; il les donne sans marchander, plus exactement, sans en faire une honte, un reproche, à celui qui les réclame, comme c'est le cas quand on donne à contrecoeur et seulement pour n'être pas importuné. D'un autre côté, la demande doit aussi être faite d'une certaine manière. La prière, pour être exaucée, doit être faite dans une certaine disposition (chap. V, 16. Matth. XXI, 21); et cette disposition est résumée de manière à nous ramener à la pensée principale. Il ne faut pas qu'il y ait dans l'âme de celui qui s'adresse à Dieu une espèce de partage, de divergence, comme de deux courants allant en sens opposé, une hésitation entre deux directions à prendre, entre deux maîtres à servir. À moins qu'on ne se donne franchement à Dieu, de manière à prêter à l'action de son esprit un appui solide, un terrain facile à féconder, et à suivre soi-même une ligne nettement tracée dont on ne dévie pas, la prière n'aurait pas plus d'effet que l'essai qu'on ferait d'édifier une construction assurée sur les flots agités de la mer. Ce qui est ici appelé l’inconstance, est moins la transition trop facile d'une tendance à l'autre, que le manque d'énergie dans la poursuite d'un but une fois fixé.

9 Or donc, que le frère humble se glorifie de son, élévation, le riche au contraire de son humiliation. Car il passera comme la fleur de l'herbe: dès que le soleil se lève avec le vent chaud, il dessèche l'herbe, sa fleur tombe, et la beauté de son aspect se perd; c'est ainsi que le riche aussi se fane dans sa carrière I Heureux l'homme qui supporte patiemment l'épreuve; car s'il la soutient, il recevra la couronne de la vie que Dieu a promise à ceux qui l'aimeront.

I, 9-12. En revenant maintenant à son point de départ, l'apôtre dessine, d'une manière plus concrète et plus pittoresque en même temps, le double portrait de celui qui se donne à Dieu et que le monde repousse, et de celui qui jouit du monde en oubliant Dieu. Dès à présent, cette antithèse de l'amitié du monde et de l'amitié de Dieu (chap. IV, 4), que l'auteur ne perdra plus guère de vue, se produit très nettement sous sa plume. Le point de vue est identiquement le même que celui qui a dicté la parabole de l'homme riche et du pauvre Lazare (Luc XVI). Le frère humble, c'est celui qui est à la fois matériellement pauvre, opprimé, malheureux, et spirituellement riche par son rapport avec Dieu. La double signification d'un seul mot (pauvre et pieux) a son analogie dans le langage de l'Ancien Testament et dans des faits historiques plus récents (Ébionites, Pauvres de Lyon). Il ne suffit donc pas de traduire: le frère de condition humble, parce que ainsi on n'exprime qu'une partie du sens. Cette humilité-là est un sujet de gloire, l'élévation, la compensation, lui étant assurée par la promesse de Dieu. L'auteur, imitant en ceci la manière de parler de Jésus, rapproche tellement dans sa phrase les deux termes qui semblent s'exclure, qu'ils énoncent un paradoxe contre lequel on serait tenté de se récrier. Mais il renchérit encore sur cette tournure par la phrase suivante: Le riche doit se glorifier de son humiliation — (il ne veut pas dire: de son humilité, c'est-à-dire, être d'autant plus humble) — le riche n'a pas besoin qu'on l'exhorte à se glorifier, il ne le fait que trop, et à propos d'un avantage bien passager et bien trompeur, de ses richesses matérielles, qui n'ont pas plus de durée et de consistance que la verdure des champs (És. XL, 6. Ps. XXXVII, 2; XG, 5; CIII, 15. Job XIV, 2, etc.). Hé bien donc, qu'il se glorifie, mais qu'il sache que ce dont il fait aujourd'hui sa gloire, cela fera tantôt son humiliation, quand la valeur véritable des biens matériels se révélera (chap. V, 2, 3). En style moins oriental et sententieux, on aurait dit: Laissez toujours le riche se glorifier de ce qui un jour l'humiliera, de ce par quoi se manifestera sa réelle pauvreté: vous, que le monde appelle pauvres et qu'il fait souffrir pour cela, espérez, soyez heureux dès à présent, car pour vous aussi les choses changeront.

L'image de la couronne (symbole de la récompense) appliquée aux biens de la vie à venir, est assez familière aux auteurs du Nouveau Testament. Nous l'avons rencontrée fréquemment chez Paul; nous la retrouverons encore I Pierre V, 4. Apoc. II, 10. Si elle est empruntée dans le principe aux jeux publics des Grecs, elle doit avoir été depuis longtemps popularisée dans une sphère bien plus étendue, les apôtres ne pouvant pas l'avoir tirée de là. (Le nom de Dieu qui manque dans le texte de la dernière ligne se supplée facilement.)

13 Que personne ne dise, quand il y succombe: c'est par Dieu que je suis tenté. Car Dieu est exempt de toute tentation du mal et ne tente lui-même personne. Chacun est tenté en tant qu'il est entraîné et séduit par sa propre convoitise. Puis la convoitise, ayant conçu, donne naissance au péché, et le péché, parvenu à son terme, enfante la mort.

16 Ne vous y trompez pas, mes frères bien-aimés; tout don excellent et tout présent parfait vient d'en haut, de la part du père des lumières, chez lequel il n'y a aucun changement, aucune ombre de variation. C'est parce qu'il l'a bien voulu qu'il nous a enfantés au moyen de la parole de vérité, afin que nous fussions en quelque sorte les prémices de ses créatures. Sachez-le bien, mes frères bien-aimés!

I, 13-19. Nous avons traduit un peu plus librement la première phrase de ce morceau, parce que c'était le seul moyen de faire comprendre au lecteur que l'association des idées, dans l'esprit de l'auteur, s'est faite d'une manière toute naturelle, tandis qu'elle doit paraître assez capricieuse, pour ne pas dire plus, partout où l'on s'obstine à employer sans autre liaison les termes d’épreuve et de tentation. Du reste, nous nous en rapportons à ce qui a été dit plus haut sur la relation psychologique et morale qui existe entre ces deux notions.

L'auteur ne se contente pas de repousser l'idée d'attribuer à Dieu la tentation, c'est-à-dire l'intention d'induire l'homme à mal faire, en l'exposant à une expérience malheureuse ou à la nécessité d'une détermination morale: l'épreuve, dit-il, qui vient de Dieu, a un tout autre but, et le mal qui n'a pas de prise sur Dieu ne saurait émaner de lui. Il veut indiquer la vraie source de la tentation. Cette source se trouve en nous-mêmes; c'est la convoitise, la tendance naturelle de la chair, qui tient au monde, qui vise au mal (Gal. V, 16. Tite II, 12. Col. III, 5). Il n'examine pas d'où vient cette disposition, il se borne à la constater, à nous en rendre responsables, à nous contester tout droit d'en rejeter la faute sur quelqu'un d'autre.

La description qu'il donne des phénomènes moraux qui se produisent sur ce terrain est très pittoresque, et la traduction a dû en partie effacer les couleurs du tableau. La convoitise est présentée comme un chasseur qui attire les animaux dans son piège au moyen d'appâts, puis surtout comme une courtisane qui nous fascinerait, et s'asservirait notre volonté; si nous cédons à ses séductions, elle devient mère; son enfant, c'est l’action mauvaise, le péché de fait; cet enfant (en grec, le péché est du genre féminin) grandit, arrive à sa maturité, le péché se fortifie en nous, devient une puissance, et finalement, à son tour, met au monde la mort, la punition divine, irrémédiable. Voilà comment l'homme arrive à se perdre; Dieu n'y est pour rien; il est au contraire l'auteur et la source de tout bien; et pour rester dans son image l'apôtre oppose, à la convoitise mère du péché et de la mort, le créateur, père de ceux qui doivent être les prémices, les premiers fruits mûrs de la nouvelle moisson spirituelle, dont la semence à été la parole de vérité, l'Évangile (Matth. XIII, 23, etc.). Et de même que les prémices sont consacrées à Dieu, les chrétiens doivent l'être aussi. Nouveau motif de ne point s'attacher au monde. L'antithèse déjà signalée se traduit ici par celle des notions de sacré et de profane. Dieu est appelé le père des lumières, c'est-à-dire des astres, en tant que ces derniers, par leur éclat, servent à symboliser l'illumination spirituelle. L'apôtre comprend cependant que cette comparaison déroge à la majesté divine; il se hâte donc d'ajouter que la lumière qui est en Dieu et qui émane de lui n'est point sujette, comme celle des astres, à des éclipses et à des variations.

La phrase finale, d'après le texte vulgaire, se rattache à ce qui suit: Ainsi donc, mes frères, tout homme doit être, etc.

19 Mais tout homme doit être prompt à écouter, lent à parler, lent à se mettre en colère. Car la colère de l'homme ne fait point ce qui est juste devant Dieu. Ôtez donc toute souillure, tout débordement de méchanceté, et recevez avec douceur la parole qui a été implantée en vous et qui peut sauver vos âmes. Mais appliquez-vous à mettre cette parole en pratique et ne vous bornez pas à l'écouter, en vous abusant vous-mêmes.

23 Car si quelqu'un écoute la parole sans la mettre en pratique, il ressemble à un homme qui aurait regardé dans un miroir son visage tel qu'il est naturellement, et qui, après l’avoir regardé, s'en serait allé et aurait oublié aussitôt comment il était. Celui, au contraire, qui contemple de près la loi parfaite, la loi de liberté, en s'y arrêtant, et qui arrive ainsi, non à être un auditeur oublieux, mais à mettre la main à l'œuvre, celui-là sera heureux par son action même.

I, 19-25. La transition du morceau précédent à celui-ci se fait simplement par la mention de la parole, de l'Évangile prêché au nom de Dieu, ou d'après une expression figurée, planté par Dieu et semé dans les cœurs pour leur salut. C'est le don le plus excellent parmi tant d'autres dont il s'agit de se montrer reconnaissant. Or, cela ne peut mieux se faire que par ces deux choses: d'abord écouter promptement, recevoir volontiers, avec déférence et empressement, ensuite pratiquer, mettre en œuvre. Si ce second élément manquait, le premier n'aurait pas de valeur. On s'abuserait étrangement, litt.: on ferait un bien faux raisonnement, en croyant qu'il suffit d'écouter. Il faut aussi ôter ce que la parole interdit et condamne, et puis agir et travailler selon ses directions. Tout à l'heure cette dernière idée sera développée par des exemples.

L'image du miroir n'est pas bien clairement énoncée. Voici ce que l'apôtre veut dire: En se regardant dans le miroir, on découvre les taches accidentelles qui défigurent le visage ou les défauts delà toilette; on en profitera pour y porter remède. Que dirait-on d'un homme qui, après s'être aperçu de la présence de choses de cette nature, n'en tiendrait pas compte? Ainsi la parole de Dieu est comme un miroir, parce que, tout en nous dirigeant vers le bien, elle nous fait connaître, par la comparaison de l'idéal et de la réalité, tout ce qui nous manque ou nous défigure. Devons-nous passer devant elle en nous contentant de ce qu'elle nous apprend sur la réalité, et ne point nous y mirer jusqu'à ce que nous ayons atteint l'idéal? Au contraire, au lieu d'y jeter en passant un regard superficiel, il faut s'y arrêter, se baisser, s'incliner, pour voir de plus près afin d'en profiter davantage. Le vrai bonheur est à ce prix-là.

La parole de l'Évangile est nommée par Jacques, comme elle l'est quelquefois aussi par Paul (Rom. III, 27; VIII, 2; Gal. VI, 2), une loi, parce qu'il l'envisage ici spécialement au point de vue de la direction morale et pratique qu'elle doit nous donner; mais il l'appelle une loi de liberté, sans doute dans le même sens dans lequel nous trouvons ce mot chez d'autres apôtres aussi, c'est-à-dire relativement au péché. Cette interprétation se rattache à ce qui a été dit d'un côté de l'asservissement sous la convoitise, et de l'autre de la nécessité d'ôter les souillures, de se débarrasser du débordement du mal, c'est-à-dire, de cette masse d'éléments mauvais que l'homme traîne avec lui et dont après tout il ne sent que trop bien le fardeau.

Mais il y a encore un mot dans notre texte que nous n'avons pas relevé jusqu'ici, une idée que l'apôtre ne fait qu'effleurer et qu'il développera fort au long plus tard (chap. III). Soyez lents à parler, lents à la colère. Cette maxime a sa valeur, sans doute, quand on la prend dans son sens le plus large, et dans des applications nombreuses et variées que nous n'entendons pas exclure ici. Mais nous sommes convaincus que l'auteur a en vue quelque chose de plus spécial. Nous constaterons plus bas, qu'en recommandant la réserve à l'égard de l'usage de la parole, il a en vue le trop grand empressement des hommes à enseigner, à se faire les directeurs spirituels les uns des autres, et surtout à y mettre delà passion. Voilà aussi pourquoi il conseille à ses lecteurs de recevoir la parole avec douceur, c'est-à-dire, sans en faire un sujet de discussion et de controverse; ce que cette parole enjoint étant de nature à s'imposer directement à la conscience et à n'avoir pas besoin d'examen contradictoire. Le danger naît précisément à propos de ce que l'homme ajoute de son chef à la parole de Dieu.

26 Si quelqu'un croit faire acte de culte, sans tenir sa langue en bride, mais en se trompant lui-même, son culte est vain. Un culte pur et sans tache au gré de Dieu le père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, à se conserver exempt de souillure vis-à-vis du monde.

I, 26, 27. Premier exemple de cette pratique réclamée par l'apôtre, exemple d'autant plus intéressant qu'il n'oppose pas simplement la charité active ou la sanctification personnelle à l'indifférence pour les prochains ou à la négligence à l'égard de soi-même. Le danger moral qui préoccupe l'auteur avant tous les autres, c'est qu'on ne tienne pas sa langue en bride, c'est qu'on croie faire acte de culte tout en lâchant le frein à la langue. Sérieusement, peut-il être question ici des péchés ordinaires de la langue, de bavardage, d'injures, de calomnie même? Qui est-ce qui a jamais cru faire acte de culte, ou se montrer plus particulièrement religieux par de pareilles qualités? Mais il s'agit positivement de la prétention de se mettre au premier rang parmi les fidèles, de valoir mieux que les autres, par le parler théologique, par le bruit qu'on fait comme docteur et controversiste.

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