Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'ÉPITRE DE JACQUES

INTRODUCTION

----------


Dans une étude littéraire où la discussion des faits matériels et extérieurs ne peut guère aboutir qu'à des probabilités plus ou moins contestables, il est doublement important de bien préciser la nature de l'ouvrage, l'essence de son contenu, le but et le plan de l'auteur, puisque, après tout, c'est le seul point sur lequel on puisse espérer d'arriver à des résultats positifs et certains. Cependant cette partie de notre tâche, en tant qu'elle exige de plus amples développements, peut et doit être réservée au commentaire, qui suivra le texte pas à pas, et qui aura soin d'en dégager la pensée de l'écrivain et de découvrir le fil de ses idées. Nous avons d'ailleurs essayé dans un autre ouvrage (Histoire de la théol. chrét. au siècle apostol., liv. IV, chap. 8, et liv. V, chap. 22,) de résumer renseignement de l'épître de Jacques, et de le mettre en regard de celui qui est devenu la source et la norme de la théologie protestante, pour faire mieux ressortir ce qu'il a de particulier et ce qui lui assure une place à part dans la littérature chrétienne du siècle apostolique. Nous pouvons donc nous borner ici à une rapide esquisse, destinée à orienter le lecteur, sans avoir la prétention de lui imposer une opinion arrêtée d'avance, ou d'épuiser un sujet, à l'étude duquel nous aimons mieux l'associer par l'analyse approfondie des textes mêmes.

L'épître de Jacques est, de l'aveu de tout le monde, un produit du judéo-christianisme, dans le sens le plus favorable de ce terme. Ce n'est pas qu'elle relève ou préconise d'une manière expresse les principes essentiels de la tendance qu'on a l'habitude de désigner par ce nom, par exemple la valeur permanente de la loi mosaïque ou les espérances messianiques dans leur forme traditionnelle et populaire. En parlant de judéo-christianisme à propos de cet écrit, nous avons plutôt en vue l'absence de tous les éléments mystiques et spéculatifs dans l'enseignement chrétien. Ces éléments sont, ou bien passés sous silence, ou même en quelque sorte explicitement écartés par l'auteur; et les faibles traces du mysticisme évangélique qu'on a prétendu y découvrir (chap. 1, 18) s'effacent devant un examen plus attentif. Le Christ n'est pas ici l'objet de l'instruction religieuse; il n'est pas même invoqué comme le garant ou le dispensateur de la vérité, mais, sans être nommé, il est partout présent pour le lecteur intelligent, et même facilement reconnaissable à des maximes qui portent le cachet de son esprit, et qu'une mémoire fidèle a su reproduire sans les altérer. La loi, si l'on veut, conserve aussi son autorité, mais l'apôtre n'insiste que sur son côté moral; elle se résume pour lui dans la charité fraternelle, et est nommée une loi de liberté, en tant qu'elle doit dégager l'homme de la servitude du péché. On a pu se récrier sur ce que l'auteur prononce si rarement le nom de Jésus, comme si l'appréciation des convictions chrétiennes était une question d'arithmétique; mais on ne prétendra pas qu'une Église qui prendrait pour règle de sa conduite la prédication formulée dans cette épître, risquerait de ne pas faire honneur au nom du maître.

La thèse fondamentale de l'auteur est un principe assez familier à l'esprit Israélite dès avant l'avènement de l'Évangile; savoir, la divergence radicale des deux tendances auxquelles l'homme peut se laisser aller: l'amitié du monde et celle de Dieu; celle-là lui procurant des avantages momentanés, mais entraînant immanquablement sa perte, celle-ci l'exposant souvent aux tribulations de la vie présente, mais le soutenant par l'espérance et lui assurant la compensation. C'est par cette antithèse que notre auteur commence (chap. I, 2), et après y être revenu à plusieurs reprises dans les premières pages (chap. L 9; II, 1, 5), il la formule d'une manière très-précise (chap. IV, 4) et finit par en tirer des conséquences pratiques et des applications de détail (chap. IV, 9, 13; V, 1, 7). D'un côté il y a donc des consolations et des encouragements pour ceux qui ont choisi la bonne part; de l'autre, des avertissements sérieux pour ceux qui jouissent du monde sans songer à l'avenir. Cette double instruction est formulée d'une manière si absolue, qu'on serait presque tenté de croire que, pour cet écrivain, la richesse en elle-même est déjà le péché, ou du moins sa source unique, tandis que la pauvreté serait un titre à la grâce de Dieu (chap. II, 5), et synonyme de christianisme (chap. II, 7) ou de justice (chap. V, 6). En tout cas, dans les parties de l'épître qui se rattachent à cette idée fondamentale, il n'y a pas un mot qui dépasse le niveau de l'Ancien Testament, dans ce qu'il a de plus élevé.

C'est un christianisme pratique que Jacques inculque à ses lecteurs (chap. I, 25 suiv. ; II; III, 13; IV, 7, etc.); ce qu'il craint le plus, c'est qu'on dépense ses forces et son activité en discours oiseux ou même passionnés. On dirait qu'il s'est trouvé en face d'une influence croissante des débats théologiques sur le développement de la vie de l’Église. Le goût du raisonnement et de la polémique lui semble contraire à l'esprit qui doit régir la sainte communauté. Agir vaut mieux que discuter; et l'ambition d'enseigner les autres, est en quelque sorte un symptôme de négligence à l'égard des devoirs plus impérieux et plus utiles. L'aristocratie de la parole et de la science (et il s'agit certainement d'une science qui aurait la foi pour objet) inspire autant d'antipathie que l'aristocratie de l’argent et des beaux habits (chap. II, 2; III, I, 13), à un auteur dont la piété saine et sérieuse n'avait point besoin, pour produire ses fruits, d'un horizon philosophique bien étendu, et qui n'éprouve aucun besoin de se poser comme un penseur profond.

Notre épître se distingue par un style fleuri et sententieux, qui par les nombreuses images dont il est orné, autant que par sa simplicité syntactique, trahit une plume orientale. Mais ce qui la rend surtout intéressante, en tant qu'il s'agit de la forme que revêt ici la pensée, c'est le fait que dans aucune autre épître on ne rencontre autant de réminiscences presque textuelles des discours et maximes que nos évangiles mettent dans la bouche de Jésus (Comp. par ex. chap. I, M avec Malth. VII, 11. — Chap. I, 20 avec Matth. V, 20. — Chap. I, 22 ss. avec Matth. VII, 21 suiv. — Chap. I, 25 avec Jean XIII, 17. — Chap. II, 8 avec Marc XII, 31. — Chap. II, 13 avec Matth. V, 7. — Chap. IV, 12 avec Matth. X, 28. — Chap. V, 2 avec Matth. VI, 19. — Chap. V, 12 avec Matth. V, 34. — Chap. V, 15 avec Matth. IX, 1) et qui, selon toute probabilité, ne sont pas puisées dans une source écrite. Évidemment l'auteur a vécu dans un milieu où des souvenirs de ce genre ont pu conserver toute leur fraîcheur primitive, si l'on n'aime mieux y voir la preuve de ce qu'ils n'avaient pas même besoin de passer par le canal de la tradition pour arriver jusqu'à lui.

Ceci nous conduit à une seconde série de questions, à celles qui concernent l'origine de cet écrit, sa destination primitive, le lieu et l'époque de sa composition et la personne de son auteur. 11 est adressé aux douze tribus dans la dispersion. Cette formule, qui ne se rencontre nulle part ailleurs dans les inscriptions des épîtres apostoliques, pourrait nous faire penser qu'il s'agit des Juifs résidant hors de la Palestine, ou du moins que ces Juifs étaient également compris dans le cercle des lecteurs que l'auteur avait en vue. De fait, si l'on excepte un petit nombre de lignes qui portent un cachet plus particulièrement chrétien, l'épître ne contient rien qui nous empêche de supposer qu'elle ait pu être destinée à un public ainsi mélangé. Mais ce sont précisément ces quelques passages très-explicites (par ex. chap. I, 1; 11,1), joints à la circonstance très importante que l'auteur n'éprouve nulle part le besoin de parler de l'Évangile comme d'une chose nouvelle, inconnue, étrangère encore à ses lecteurs, qui prouvent que nous avons à considérer ceux-ci comme appartenant tous à l'Église de Christ. En effet, Christ est appelé notre seigneur, c'est-à-dire, reconnu comme tel par tous ceux auxquels l'auteur parle en ce moment; il leur enjoint de s'adresser, en cas de maladie, aux anciens de l'Église (chap. V, 14), et ce terme à lui seul nous place dans un milieu qui n'est plus celui du judaïsme traditionnel. Les douze tribus, tout en conservant leur signification ordinaire, d'après laquelle elles expriment l'idée de l'unité et de la totalité du peuple de Dieu, seront donc à prendre ici dans le sens allégorique ou chrétien, qu'on rencontre aussi chez d'autres écrivains du Nouveau Testament (par ex. Gal. VI, 16. Apoc. VII). Nous dirons seulement qu'il n'y a pas dans cette épître la moindre trace de la présence, dans l'Église chrétienne, de membres primitivement étrangers à la synagogue. Comme il est impossible de supposer que l'auteur ait ignoré la présence de cet élément si notable de la communauté, il faudra bien admettre que c'est à dessein qu'il ne le mentionne en aucune façon.

Le fait que l'épître est adressée aux chrétiens de la dispersion peut suffire à lui seul pour nous engager à chercher l'auteur en Palestine, et il n'est guère nécessaire d'étayer cette supposition par des arguments plus ou moins vagues, comme celui tiré de la nature du contenu, ou du moins très secondaire, comme certaines images empruntées à des phénomènes familiers aux habitants de ce pays, par exemple, le vent brûlant du désert (chap. I, 11), les sources salées (chap.III, 11), les deux saisons de pluie régulières (chap. V, 7).

On est moins d'accord sur l'époque de la rédaction. Plusieurs auteurs, se fondant surtout sur le peu de développement que paraît avoir pris la théologie de l'Évangile dans la pensée et sous la plume de l'auteur, regardent cette épître comme le document le plus ancien de la littérature apostolique, et l'attribuent même au fils de Zébédée et frère de Jean, qui occupait l'une des places les plus distinguées parmi les Douze, et qui fut mis à mort dès l'an 44 (Actes XII, 2). Cette opinion est certainement erronée. Le christianisme a dû être déjà très répandu au dehors, les églises organisées, des questions théologiques agitées et controversées, quand notre auteur écrivait sa missive, et ce n'est pas dans les premières années de l'Église naissante qu'on peut trouver la place de tous ces faits. La grande majorité des critiques s'arrêtent à une époque plus récente, à l'une des dernières années qui ont précédé la guerre de Judée et la ruine de Jérusalem. À l'appui de cette hypothèse on allègue: 1° La proximité du retour glorieux de Christ, attendu par l'auteur comme par la plupart des premiers chrétiens (chap. V, 8), mais dont la certitude a dû être ébranlée après la catastrophe dont nous venons de parler. 2° L'emploi du terme de synagogue (chap. II, 2) pour désigner l'assemblée des chrétiens, terme qui semble nous reporter vers un état des choses où, en Palestine du moins, la séparation entre les deux sociétés religieuses n'était point encore devenue un véritable schisme. Le fait qu'un passage de l'épître est déjà cité dans celle de Pierre (chap. IV, 6, comp. 1 Pierre V, 5) (Comparez aussi l'introduction à l'Épître de Pierre). Nous ne voulons pas méconnaître la valeur relative de ces divers arguments, qui seraient peut-être assez plausibles s'ils s'appuyaient sur quelque chose de plus décisif. Mais à eux seuls ils ne suffisent point pour établir la thèse en question, et au fond on ne les cite qu'avec la conviction déjà arrêtée que Fauteur est le chef de l'église de Jérusalem nommé dans les Actes et les Épîtres de Paul, et mort probablement vers l'an 62 ou 64. Mais la croyance à une prochaine manifestation de Christ pour la fondation de son royaume n'a pas disparu, tant s'en faut, avec le temple de Jérusalem; le mot grec synagogue, ne désignant pas ici un édifice particulier, mais une réunion d'hommes, pouvait être employé plus tard encore; et l'époque de l'Épître de Pierre étant incertaine elle-même aux yeux de la critique, une citation quelconque qui s'y trouve (si tant est que c'en soit une) n'est pas de nature à couper court au doute qui nous arrête.

Quoi qu'il en soit de ces arguments à faire valoir en faveur de la haute antiquité de l'épître, il nous paraît sûr et certain que le nom de Jacques que nous lisons dans l'adresse, désigne le personnage qui nous est plus particulièrement connu par le récit des Actes (chap. XII, 17; XV, 13; XXI, 18) et par l'Épître aux Galates (chap. I, 19; II, 9). De ces divers passages il résulte qu'à l'époque illustrée par les travaux apostoliques de Paul, ce disciple se trouvait placé de fait à la tête de l'église de Jérusalem, et exerçait une influence prépondérante et décisive non seulement dans le sein de la communauté de la métropole et parmi les nombreux chrétiens de la Palestine, mais même au dehors (Gal. II, 12), sur tous ceux qui, tout en s'attachant à l'Évangile, entendaient bien ne pas rompre avec la loi. Nous ne nous tromperons certainement pas en disant que cet apôtre était reconnu, en quelque sorte, comme le chef visible et temporaire de la chrétienté, du moins de cette partie qui, recrutée parmi les hommes pieux de la synagogue, ne s'était pas encore fusionnée avec des éléments d'origine étrangère et n'avait pas encore subi l'ascendant des idées nouvelles et universalistes, mises surtout en circulation par l'apôtre des gentils et son école. Si dans l'épître aux Galates il partage cet honneur avec Pierre, en revanche, dans les Actes il paraît primer celui-ci, comme c'est bien aussi le cas dans une certaine partie de la littérature apocryphe du second siècle. D'après cela, il n'y a rien d'étonnant à ce que ce Jacques ait jugé à propos d'adresser à la partie de la chrétienté qui formait pour ainsi dire son diocèse à lui (Gal. II, 7 suiv.) une missive pastorale, un mandement, lequel, tout en se tenant, comme de raison, dans les généralités, pouvait servir à affermir la foi des fidèles dans les conjonctures difficiles du temps, et à leur donner une direction salutaire en vue des tendances divergentes qui commençaient à se produire.

Ceux qui admettent cette combinaison n'ont plus qu'à traiter subsidiairement une question de personnes assez embrouillée, à savoir, si ce chef de l'église de Jérusalem a été l'un des douze apôtres, Jacques fils d'Alphée (Matth. X. Marc III. Act. I), ou s'il faut le distinguer de celui-ci. Les deux opinions sont en présence jusqu'à ce jour, et la persistance du doute et du débat provient en grande partie de ce qu'il s'y est joint un intérêt religieux et dogmatique. Paul nomme ce Jacques le frère du Seigneur (Gal. 1, 19), et il s'agit de savoir dans quel sens il faut prendre cette expression. Les uns la prennent à la lettre et dans le sens le plus strict de la consanguinité; les autres préfèrent lui donner le sens plus large de la parenté en général. Dans ce dernier cas, le fils d'Alphée pourrait avoir été un cousin de Jésus et l'identité des deux Jacques se trouverait établie. Cependant il est impossible de méconnaître que les évangiles parlent à plusieurs reprises de frères du Seigneur qui vivaient avec sa mère Marie et qui évidemment n'appartenaient pas au cercle de ses disciples élus (Matth. XII, 46 ss. ; XIII, 55, et passages parallèles. Jean II, 12; Vil, 3), et le texte de Matth. 1, 25 (dont la teneur, il est vrai, varie dans les manuscrits) paraît insinuer que l'épouse de Joseph a eu plusieurs enfants. L'auteur des Actes (chap. 1,14) et l'apôtre Paul (1 Cor. IX, 5) distinguent explicitement ces frères des Douze. Il nous semble donc que la balance des arguments doit pencher en faveur de l'hypothèse de la distinction des deux Jacques, et c'était bien là aussi l'avis des auteurs chrétiens les plus anciens, avis qui dans la suite a dû être modifié par la puissance du préjugé dogmatique.

C'est donc à un frère du Seigneur que le plus grand nombre des critiques modernes attribue l'épître qui nous occupe, et certes, l'intérêt qui peut s'attacher à celle-ci n'est pas amoindri par cette supposition. On est heureux d'y reconnaître des traces nombreuses de l'influence directe de la pensée et de la parole du Maître; on constate volontiers l'absence de toute préoccupation relative à un enseignement dogmatique plus ou moins subtil, et par contre, cet esprit pratique, ce bon sens moral si sérieux, qui caractérise aussi les discours analogues du Seigneur dans les premiers évangiles. Tout cela cependant ne suffit pas pour établir l'authenticité du livre. À la vérité, le fait que celui-ci a eu beaucoup de peine à conquérir une place assurée dans la collection des écrits apostoliques, ne peut pas servir d'argument péremptoire contre son antiquité. Le canon ne s'est pas formé dans la sphère du judéo-christianisme, dans laquelle cet opuscule a pu, pendant assez longtemps, traîner une existence obscure avant de se frayer l'accès de cette catégorie de chrétiens à qui échut la tâche de doter l'Église d'un recueil officiel de documents scripturaires, et peut-être l'opinion (que nous partageons à notre tour) que l'auteur n'avait point été l'un des Douze, a-t-elle été pour beaucoup dans les hésitations du siècle où le recueil commençait à se former. Ce n'est donc pas de ce côté-là que peut venir un doute dont la critique aurait à tenir compte.

Ce n'est pas non plus sur la divergence vraie ou apparente de la base dogmatique de l'épître comparée à celles de Paul, qu'elle fondera un jugement défavorable, comme l'a pu faire Luther, pour qui il n'y avait d'écrits canoniques que ceux qui reproduisaient plus ou moins explicitement la théologie de l'épître aux Romains. Tout au contraire, elle estime que la nuance spéciale de l'enseignement chrétien, qui se dessine ici d'une manière si simple et si peu prétentieuse, doit militer en faveur de l'opinion qui attribue à ce texte une origine assez rapprochée du berceau même du christianisme. Mais malgré ces éléments de conviction, dont nous ne voulons en rien contester la portée, il faudra convenir qu'une démonstration positive et irréfragable des droits d'auteur du chef de l'église de Jérusalem n'est plus possible aujourd'hui. Les critères qu'on peut puiser dans le texte même ne sont pas concluants, et quant aux témoignages de l'histoire, à ce qu'on appelle les preuves extérieures, ce qu'on peut dire de plus favorable, c'est qu'elles nous font défaut (Voir dans l'Histoire du Canon.).

Restent donc deux questions, de la solution desquelles (solution qui sera toujours le résultat d'une appréciation purement subjective) dépendra la réponse que l'on donnera au sujet du problème critique. En premier lieu, on se demandera si le contenu de l'épître, qui glisse sur la controverse, si chaudement agitée au siècle apostolique, concernant le caractère obligatoire de la loi mosaïque, sans s'y jamais arrêter, bien que l'occasion d'en parler ne manquât point, trahit un auteur que les témoignages les plus irrécusables des contemporains, ou de leurs successeurs immédiats (Gal. II, 12 suiv. Act. XXI, 18. Hégésippe ap. Euseb., II, 23, ce dernier sans doute avec quelque exagération), nous dépeignent comme un conservateur zélé des traditions religieuses de son peuple, un homme incapable de transiger avec des tendances novatrices et à son gré subversives? En second lieu, on sera toujours enclin à penser qu'une discussion, telle que nous la lisons ici au sujet de la valeur respective de la foi et des œuvres, discussion qui forme l'une des parties les plus essentielles et les plus saillantes de notre épître, nous oblige d'admettre que les controverses théologiques avaient déjà gagné du terrain, que les principes de Paul étaient déjà tombés dans le domaine des préoccupations populaires, qu'il se produisait déjà des arguments habituels pour et contre. Or, tout cela ne semblera guère pouvoir être assigné à une époque où l'enseignement de l'apôtre des gentils ne s'était encore adressé qu'à des localités choisies, et où ses épîtres n'avaient pas encore eu le temps de franchir les limites de leur destination primitive. Mais d'après les données, à la vérité assez peu précises, de la tradition ecclésiastique, Jacques serait mort avant Paul. Nous ne serons donc pas étonnés de voir la critique contemporaine pencher de plus en plus vers l'opinion que cette épître de Jacques date du second âge et a été en partie écrite pour réagir contre une tendance, peut-être mal appréciée, laquelle elle-même n'appartenait pas aux débuts de l'enseignement apostolique.

***

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant