Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'ÉPÎTRE AUX HÉBREUX

Chapitre 7

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1 Car ce Melchisédek, roi de Salem, prêtre du Dieu suprême, lequel alla à la rencontre d'Abraham quand il revint de la bataille avec les rois, et qui lui donna la bénédiction, auquel Abraham départit la dîme de toutes choses, qui se traduit d'abord roi de justice, puis aussi roi de Salem, c'est-à-dire roi du salut, sans père, sans mère, sans généalogie, n'ayant ni un commencement de jours ni une fin de vie, mais qui est absolument assimilé au Fils de Dieu, il reste prêtre à perpétuité.

VII, 1-3. Après ses avis préliminaires l'auteur arrive enfin à la discussion même du parallèle qu'il a annoncé, entre Christ et Melchisédek. Nous supposons connu le récit de la Genèse (chap. XIV, 18-20) relatif à ce personnage. L'auteur le résume à son tour dans les versets que nous venons de transcrire. Pour lui, outre les détails de ce récit, les uns explicites et affirmatifs, les autres sous-entendus et négatifs, la chose importante est que le Psaume CX, 4, compare Christ à Melchisédek comme sacrificateur, en disant expressément que les deux personnages le sont dans la même signification et à perpétuité. C'est du moins le sens que notre auteur trouve dans ce texte, et c'est de là qu'il passe à la Genèse pour en analyser le récit à son tour. On voudra bien remarquer que l'auteur, d'après la construction même de sa phrase, insiste avant tout sur cette perpétuité de la sacrificature. Melchisédek (lui, tout d'abord; il ne s'agit pas encore de Christ) reste sacrificateur à perpétuité.

Il résulte immédiatement de ce premier fait que, dans la pensée de l'auteur, Melchisédek n'est pas un personnage historique et n'a pas été un homme existant à une époque donnée. Car un tel homme ne reste d'aucune manière à perpétuité ce qu'il est. Donc, à ce premier titre déjà, il est élevé dans la sphère théologique, et n'appartient pas à la série des faits historiques et matériels.

La même conséquence résulte de plusieurs éléments du récit de la Genèse.

Notre auteur mentionne en passant: 1° la bénédiction donnée à Abraham; 2° la dîme payée par ce dernier. Sur ces deux faits, il se réserve de revenir plus tard pour en faire voir la signification théologique, car au point de vue de l'histoire ils n'auraient rien d'extraordinaire.

Ensuite il signale les noms contenus dans le récit: 3° celui de la personne; 4° celui du lieu. Ces noms ont une signification théologique et partant ne sont pas de simples noms accidentels d'histoire et de géographie. Justice et salut sont les deux termes fondamentaux de l'Évangile; s'ils se retrouvent ensemble dans un personnage déjà connu comme exceptionnel, on voit tout de suite que ce n'est pas au nom propre, mais à sa signification intime qu'il faut s'en tenir. L'auteur ne se soucie pas le moins du monde, comme nos exégètes, de savoir où était située la ville de Salem. Il sait que la ville du salut n'existe qu'au ciel (chap. IX, 24; comp. avec chap. X, 19; XII, 22; XIII, 14); le roi de cette ville ne peut être que le Fils de Dieu.

En troisième lieu, il fait remarquer que 5° Melchisédek ne tient par aucun lien à l'histoire, ni par une généalogie, comme tant d'autres, ni par une narration complète de sa vie, qui en marquerait le commencement et la fin. Ce n'est pas que par hasard l’Écriture n'en mentionne rien, comme elle se tait sur mille autres choses; mais à dessein elle introduit un personnage complètement isolé de l'humanité, pour l'assimiler au Fils de Dieu, c'est-à-dire pour avertir le lecteur intelligent qu'il ne s'agit pas d'un homme, mais de ce Fils dont les attributs doivent et peuvent être reconnus d'avance dans ce portrait typique. En d'autres termes, la Genèse voulait enseigner ce que serait et ce qu'est le Fils de Dieu; elle ne voulait pas du tout raconter une scène plus ou moins curieuse de la vie d'un homme.

Melchisédek n'est pas un personnage historique, mais une figure typique. Car ce qui est dit v. 3 n'est vrai d'aucun homme, pas même de l'homme Jésus, qui du moins avait une mère et une généalogie, qui est né un jour et mort un autre jour; mais cela est vrai du Fils de Dieu, pour lequel les notions de paternité, de naissance, etc., n'ont point le sens vulgaire, dont l'existence dépasse par ses deux bouts la mesure des temps. Un personnage qui est assimilé à un être pareil n'est donc en aucune façon un être réel, parce qu'il n'y en a pas deux de ce genre, mais c'est un type, une image. Les anciens théologiens l'ont parfaitement senti et ont en conséquence prétendu que Christ est venu personnellement apparaître à Abraham. Mais telle n'est pas la pensée de l'auteur, qui ne dit point que Christ s'est assimilé à Melchisédek, mais que Melchisédek a été assimilé à Christ (par l'Écriture traçant librement son portrait dans cette intention).

Voilà pour le fond de l'argumentation. Voyons l'application.

4 Considérez maintenant quel doit être celui auquel même le patriarche Abraham donna la dîme des tas de butin. Or, d'après la loi, ceux des Lévites qui reçoivent la sacrificature ont le droit de prendre la dîme de la part du peuple, c'est-à-dire de leurs frères, bien qu'ils soient également issus d'Abraham; et voilà que celui qui n'appartient point à leur famille prend la dîme d'Abraham et donne la bénédiction à celai qui avait reçu les promesses de Dieu. Mais c'est sans contredit l'inférieur qui reçoit la bénédiction du supérieur.

8 De plus, ici ce sont des hommes mortels qui perçoivent la dîme; là, c'est celui duquel il est attesté qu'il possède la vie, et, pour ainsi dire, dans la personne d'Abraham Lévi lui-même a payé la dîme, lui qui autrement doit la percevoir; car il était encore dans les reins de son père lorsque Melchisédek vint à la rencontre de ce dernier.

VII, 4-10. L'auteur, par l'analyse des deux premiers faits de la dîme payée et de la bénédiction donnée, arrive à une série de conséquences qui toutes établissent que Melchisédek-Christ est au-dessus des Lévites.

1° Abraham a payé la dîme à Melchisédek; donc Melchisédek était son supérieur. Mais Abraham est le patriarche par excellence, donc Melchisédek est supérieur à tout le peuple d'Israël.

2° Melchisédek n'était ni Israélite ni Lévite; donc, en lui payant la dîme, Abraham, par cela même, le mettait au-dessus de la loi qui réserve la dîme aux Lévites.

3° Melchisédek bénit Abraham; mais la bénédiction est toujours donnée par un supérieur à un inférieur. Or, Abraham est le plus grand des hommes, parce que Dieu lui avait donné une promesse toute exceptionnelle. Donc Melchisédek est au-dessus des hommes en général.

4° Le Psaume atteste que Melchisédek est sacrificateur à perpétuité. Or, les Lévites sont mortels; donc Melchisédek est plus qu'eux. On voit encore ici qu'il ne s'agit pas d'un personnage historique, car nulle part l'Écriture ne dit que celui qu'Abraham rencontra n'est pas mort comme tous les autres hommes.

5° Les Lévites eux-mêmes, enfants d'Abraham, ont déjà existé en germe dans Abraham, d'après le système du traducianisme; ils ont donc aussi payé la dîme à Melchisédek; donc Melchisédek est plus qu'eux.

De toute façon, la sacrificature lévitique, voire la dignité patriarcale suprême, est déclarée inférieure à la sacrificature et à la dignité de Christ, tant que puisque Christ est représenté par son antitype Melchisédek, lequel ne peut pas avoir eu tous ces privilèges comme homme historique, mais comme représentant de Christ. Du moment que Melchisédek serait autre chose encore, toute l'argumentation de l'auteur croulerait, car alors il y aurait eu, outre Christ, un homme qui pourrait recevoir les honneurs réservés au seul Fils de Dieu.

11 0r, si l'état parfait avait pu être amené par le sacerdoce lévitique (puisque le peuple avait reçu une loi basée sur celui-ci), qu'était-il encore besoin qu'il parût un autre prêtre selon l'ordre de Melchisédek, et qu'il ne fût pas appelé selon Tordre d'Aaron? Car, si l'ordre du sacerdoce est changé, nécessairement la loi est changée aussi; car celui au sujet duquel ces choses sont dites appartient à une autre tribu, dont aucun membre n'a eu affaire à l'autel. Car il est notoire que notre Seigneur est issu de Juda, d'une tribu à l'égard de laquelle Moïse n'a rien dit relativement au sacerdoce.

15 Et cela devient plus évident encore, quand il paraît un autre prêtre à l'instar de Melchisédek, qui le devient, non d'après une loi fondée sur une règle charnelle, mais en vertu de sa vie impérissable, puisque le témoignage cité dit formellement: Tu es prêtre à tout jamais selon l'ordre de Melchisédek,

18 C'est que la loi antérieure est abrogée parce qu'elle était impuissante et inutile (la loi n'ayant rien amené à la perfection), et à sa place est introduite une meilleure espérance, par laquelle nous avons accès auprès de Dieu. Et Jésus est le garant d'une meilleure alliance en tant que cela n'a pas été fait sans l'intervention d'un serment; car eux avaient été institués prêtres sans serment; lui, au contraire, l'a été avec un serment, par celui qui lui a dit: Le Seigneur a juré et il ne s'en repentira pas: Tu es prêtre à tout jamais!

23 De plus, eux ont été prêtres en grand nombre, parce que la mort les empêchait de rester en place; lui, au contraire, parce qu'il reste à tout jamais, exerce un sacerdoce intransmissible; et c'est pour cela qu'il peut aussi sauver parfaitement ceux qui, par lui, s'approchent de Dieu, puisqu'il vit toujours pour intercéder pour eux.

26 C'était bien un pareil grand-prêtre qu'il nous fallait, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, et élevé au-dessus des cieux, qui n'a point besoin, jour par jour, comme les autres, d'offrir des sacrifices, d'abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple; car il a fait cela une fois pour toutes en s'offrant lui-même. Car la loi établit grands-prêtres des hommes sujets à la faiblesse; mais la parole intervenue après la loi, sous la foi du serment, institue le Fils exalté pour l'éternité.

VII, 11-28. De l'analyse typologique du texte de la Genèse l'auteur passe, dans le morceau qu'on vient de lire, à la discussion théologique du parallèle entre Christ et Melchisédek.

Il en fait découler plusieurs thèses de la plus haute importance pour son traité.

1° A la place du sacerdoce lévitique il est institué un sacerdoce non lévitique (v. 13 et 14). Jésus appartenait à la tribu de Juda et non à celle de Lévi; Melchisédek aussi n'appartenait pas à cette dernière. L'auteur parle ici comme si Jésus était le fils de Joseph, ce qu'il n'a pas voulu dire, sans doute, dans le sens naturel du mot. Mais il peut l'appeler ainsi dans le sens légal, comme Matthieu le fait aussi.

2° La loi ne connaissant pas d'autre sacerdoce que celui de Levi, V. 13 et 14 (il est question delà loi de Moïse, qui était l'acte constitutionnel du peuple israélite, v. 11), il en résulte que par l'institution du sacerdoce non lévitique la loi elle-même est changée, altérée, violée, abrogée (v. 12).

3° Un pareil changement n'aurait pas été nécessaire si la loi avait pu faire ce qu'elle semblait promettre et ce dont le monde avait besoin, savoir, si elle avait pu la perfection, conduire l'homme au but qu'il devait atteindre, le rendre parfait, juste, ôter ses péchés et l'empêcher d'en commettre de nouveaux (v. 11, 18, 19).

4° La translation du sacerdoce de Lévi à Melchisédek-Christ acquiert une importance spéciale par ce fait, que le sacerdoce, de passager, transmissible, variable qu'il était, devient par là permanent et éternel (v. 15-17). Car (v. 23 et 24) les anciens prêtres mouraient comme tous les hommes et se succédaient ainsi dans leur ministère, d'après une loi fondée sur une règle charnelle, c'est-à-dire la règle naturelle de la génération et de la naissance; tandis que le sacrificateur annoncé dans le Psaume et décrit d'avance dans la Genèse possède et exerce le sien à tout jamais, en vertu (d'après une force ou puissance inhérente à sa personne) de sa vie impérissable; il n'a pas besoin de successeurs, parce qu'il reste éternellement lui-même.

5° La supériorité du nouveau sacerdoce sur l'ancien résulte encore de cette circonstance, que ce dernier est une institution fondée, comme toutes les autres de la loi, par la simple promulgation mosaïque, tandis que le nouveau est institué d'une manière exceptionnelle et particulière, par une manifestation spéciale de Dieu et sous la foi d'un serment solennel juré par Dieu (v. 20-22) dans le Ps. CX. Le médiateur (chap. VIII, 6) est, à cette occasion, appelé le garant de l'alliance dans un sens plus expressif, parce qu'il importe à l'homme avant tout d'être sûr de ce qui lui est promis.

6° Le sacrificateur de l'Ancien Testament doit renouveler son acte expiatoire jour par jour; celui de la nouvelle Alliance le consomme une fois pour toutes; cette différence signale mieux que toute autre la valeur relative des deux actes, valeur dont il sera question ultérieurement (v. 27). Auparavant il n'était question que de la cérémonie anniversaire du jour de l'expiation. La locution jour par jour revient donc à notre: annuellement. Pour le sens, cela ne fait pas de différence.

7° Le premier a dû sacrifier pour ses propres péchés; le second, le nôtre, étant sans péché, par lui-même accompli et parfait, n'a pas besoin d'un pareil sacrifice; le sien nous profite exclusivement à nous (v. 26-28). Il est séparé des pécheurs, non pas dans le sens historique, Jésus ayant fréquemment conversé avec eux, mais dans le sens moral d'abord, puisqu'il est lui-même sans péché, et surtout dans le sens théologique, particulier à notre épître: aujourd'hui, dans le ciel (v. 26), il est séparé à jamais des pécheurs, comme le grand-prêtre de l'Ancien Testament a dû pendant sept jours, avant le jour de l'expiation, se séparer même de sa famille.

8° Le but et le résultat de cette translation du sacerdoce est donc d'amener cette perfection que la loi était impuissante à produire. Les hommes, étant restés pécheurs sous l'ancienne loi malgré les sacrifices, ne pouvaient avoir accès auprès du Dieu juste et saint. Ils l'ont aujourd'hui de fait et en perspective (v. 19, 25). Cette perspective leur est assurée, parce que leur grand-prêtre exerce des fonctions permanentes et est lui-même parfaitement saint (v. 24, 26). L'idée de désigner l'exercice des fonctions sacerdotales comme une intercession peut avoir été prise par l'auteur dans le rite lévitique (Lév. XVI), bien qu'il n'y en soit pas question explicitement. La théologie réformée ne presse pas l'image et n'y voit que l'idée de l'efficacité permanente du sacrifice de Christ. La théologie luthérienne, au contraire, lui reconnaît une valeur objective et déclare qu'après le sacrifice fait une fois pour toutes, Christ intercède verbalement et d'une manière continuelle en présentant son sang à Dieu.

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