Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'ÉPÎTRE AUX HÉBREUX

Chapitre 6

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1 Laissons donc là l'enseignement élémentaire relatif à Christ et passons à ce qu'il y a de plus parfait, sans nous arrêter encore une fois aux principes fondamentaux du renoncement aux œuvres mortes, de la foi en Dieu, de la doctrine du baptême, de l'imposition des mains, de la résurrection des morts et du jugement éternel. Et ceci, nous le ferons si Dieu le permet;

4 car il est impossible que ceux qui ont été éclairés une fois, qui ont goûté le don céleste, qui ont eu part au Saint-Esprit, qui ont goûté la précieuse parole de Dieu et les biens du monde à venir, et qui ont fait une rechute, de manière à crucifier et à outrager encore une fois le Fils de Dieu, autant qu'il est en eux, soient de nouveau amenés à la repentance. Car une terre qui, abreuvée par des pluies fréquentes, produit des plantes utiles à ceux au profit desquels elle est cultivée, a part à la bénédiction de Dieu; si, au contraire, elle ne donne que des ronces et des chardons, elle est jugée mauvaise et digne d'être maudite, et Ton finit par y mettre le feu.

VI, 1-8. La liaison des idées n'est pas ici très-logique en apparence. Tout à l'heure l'auteur disait que ses lecteurs pourraient bien ne pas comprendre une instruction trop peu élémentaire, et pour cela il veut négliger les éléments et s'élever plus haut. Plus loin, après leur avoir annoncé cette instruction plus approfondie, il ajoute: Car il est impossible de se relever d'une rechute. L'explication de ces transitions en apparence, singulières et contradictoires, pourrait être trouvée dans une idée que l'auteur n'exprime pas directement, mais qui semble dominer son exposition: «Il n'y a de salut que dans le progrès de l'intelligence des choses divines; de même que la terre, dûment arrosée, doit produire des plantes utiles ou mauvaises, il n'importe, de même il faut que l'enseignement fasse arriver l'homme à quelque chose; il ne peut pas rester stationnaire, sans rien produire. Il marchera en avant vers le bien, ou bien il reculera et tombera dans le mal. Donc il faut que je vous fasse comprendre les vérités élevées de l'Évangile, de peur qu'en vous arrêtant éternellement au début, vous ne finissiez par perdre même ce que vous avez.» (C'est au fond l'idée exprimée par Jésus, Matth. XXV, 29; XIII, 12; et par Paul, Gal. III, 1 et suiv.) Par conséquent, le v. 1 se rattache à vrai dire au v. 11 du chapitre précédent, et le reste est à mettre en parenthèse, ou bien encore on peut le rattacher à l'idée du v. 12: raison du temps. ...

Il est intéressant de voir quelles sont les doctrines chrétiennes qualifiées ici d'élémentaires: 1° La repentance, demandée déjà par Jean-Baptiste et dès le début par Jésus (Luc III, 3. Matth. IV, 17. Comp. Luc V, 32. Act. V, 31, etc.). Les œuvres mortes sont un terme propre à notre auteur, qui a son explication dans les phrases analogues de saint Paul (Col. II, 13. Éph. II, I. Rom. VI, 23) et de Jacques I, 15. Ce sont ou les œuvres d'hommes morts moralement, ou des œuvres qui conduisent à la mort, ou enfin des œuvres sans vie et puissance propre. — 2° La foi en Dieu peut être signalée dans son opposition avec le paganisme, ou encore dans un sens plus particulièrement chrétien, comme la confiance en ses promesses (comp. chap. XI). — 3° La doctrine du baptême, les rapports du rite avec la foi et l'espérance. Le grec met le pluriel; si cela n'est pas simplement une particularité du style, on pourrait songer à la différence du baptême d'eau et du baptême d'esprit. — 4° l'imposition des mains rappelle en tout cas ce dernier baptême et la communication du Saint-Esprit (chap. II, 4. 1 Tim. IV, 14. 2 Tim. I, 6. Act. VIII, 17; XIX, 6). — 5° La résurrection et 6° le jugement dernier sont mentionnés d'autant plus naturellement que l'enseignement élémentaire de l'Évangile avait été dans le principe essentiellement eschatologique.

Les phrases toutes synonymes des v. 4 et 5 reviennent pour notre langage actuel à la notion de chrétiens; seulement cette notion est concentrée ici à peu près dans l'idée d'une participation à une plus parfaite connaissance de Dieu et de sa volonté, et à l'avant-goût de l'éternité. L'illumination se rapporte à l'intelligence; le don céleste et l'Esprit saint sont identiques; la parole de Dieu, d'après le contexte, paraît être de préférence la promesse, et les puissances du monde à venir (d'après le grec) sont les choses que ce monde peut donner et donnera.

Il se présente cependant ici une difficulté assez sérieuse. Déjà dans les premiers siècles on a été choqué de cette assertion qu'après une rechute (soit dans le paganisme, soit dans un péché mortel, comme la définissaient les Pères), il n'y a plus moyen de se relever. L'Église orthodoxe condamna formellement cette théorie préconisée par les Montanistes et les Novatiens, et ce n'était pas la moindre des raisons pour lesquelles notre épître a été si longtemps repoussée du Canon dans l'Église latine. Luther s'appropria à son tour et ce point de vue dogmatique et ce jugement défavorable à l'épître. Les Luthériens statuaient que les régénérés pouvaient tomber (renatos labi posse), et les Calvinistes disaient que les tombés pouvaient être relevés (lapsos restitui posse). Pour éviter la conséquence fâcheuse à la canonicité de l'épître, on prit le parti de dire que l'apôtre parle ici du péché contre le Saint-Esprit, lequel seul est impardonnable. On a aussi voulu réduire le sens du mot impossible à celui de très-difficile (comp. Matth. XIX, 24).

Il nous semble cependant que l'image même de la terre abreuvée par la pluie nous met sur la voie de la véritable pensée de l'auteur. Il compare les hommes dont il parle à une terre qui a reçu du ciel tout ce qu'il lui faut pour produire de bonnes plantes, et qui, par suite de sa qualité inférieure, n'en produit que de mauvaises; évidemment les chrétiens assimilés à une pareille terre ne sauraient avoir été de vrais chrétiens; ils ont pu tout au plus en porter le nom, recevoir extérieurement, machinalement, par l'oreille et la mémoire, la substance de l'Évangile; mais celui-ci n'a pas pénétré dans leurs cœurs, n'y a pas éveillé de bons germes; leur chute, à vrai dire, n'est donc pas une rechute dans la force du terme; autrement la régénération elle-même devrait être considérée comme un fait très-superficiel aussi, ce qui serait une contradiction flagrante. Du reste, cette théorie, dût-elle être plus rigide encore, ne serait point en contradiction avec la conception idéale de l'Évangile (Rom. VI, 2. Hébr. X, 26, 29). S'il est vrai que personne ne réalise l'idéal, il est vrai aussi que celui qui le réaliserait ne tomberait plus; et surtout il est vrai que plus on a eu les moyens de s'élever, plus la chute, si elle a lieu, est terrible et désespérée.

Pour l'allégorie de la terre, comp. Matth. XIII, 1 et suiv., 24 et suiv. Luc III, 9. 1 Cor. III, 9. La mention de la bénédiction et de la malédiction rappelle seulement l'aspect riant ou triste du sol, à moins qu'on ne veuille dire que l'auteur, oubliant qu'il peint une image, songe déjà à l'application qu'il en veut faire aux hommes (comp. Gen. III, 17).

9 Cependant, mes bien-aimés, tout en parlant ainsi, nous espérons, quant à vous, ce qu'il y a de mieux et ce qui conduit au salut. Car Dieu n'est pas injuste, de manière à oublier votre activité et l'amour que vous avez montré pour son nom, en vous mettant constamment au service des fidèles. Nous souhaitons que chacun de vous montre le même zèle pour que son espérance devienne de plus en plus assurée, jusqu'à la fin, de manière à ne pas vous relâcher, mais à imiter ceux qui par la foi et la persévérance ont recueilli l'héritage promis.

VI, 9-12. En revenant à ses lecteurs, l'auteur les rassure sur ses sentiments à leur égard. J'ai parlé, dit-il, des dangers qui peuvent vous entourer, d'une manière tout à fait générale. Quant à vous personnellement, je m'attends à tout autre chose qu'à une aussi regrettable défection. À cette occasion, il signale ce que les chrétiens qu'il a devant les yeux ont déjà fait pour la cause commune, surtout les preuves qu'ils ont données (à défaut d'occasions plus graves, chap. XII, 4) de leur foi et de leur dévouement, en prenant soin les uns des autres. Dieu ne permettra pas que ce bon commencement soit perdu. C'est en sa fidélité (1 Thess. V, 24) que je mets ma confiance; il a commencé l'œuvre, il la conduira à bonne fin, car la meilleure récompense pour celui qui fait le bien, c'est que faire le bien lui devient plus facile avec l’aide de Dieu. La vie du chrétien est un continuel effort pour atteindre un grand but; plus on avance, plus l'espérance d'aboutir est assurée; après avoir soutenu la lutte avec persévérance et sans jamais en détourner les yeux, on finit par obtenir ce qui a été promis au bon combattant. En ceci les chrétiens ont devant eux d'illustres exemples, consignés exprès pour eux dans l'Écriture (chap. XI).

13 C'est ainsi que Dieu, en faisant sa promesse à Abraham, comme il ne pouvait jurer par quelqu'un de plus grand que lui, jura par lui-même en disant: Oui certes je te bénirai; oui certes je te multiplierai! Et c'est ainsi qu'en persévérant dans sa foi il obtint ce qui lui fut promis. Car les hommes ont coutume de jurer par quelque chose de plus grand qu'eux, et le serment leur sert de garantie en mettant fin à toute discussion.

17 C'est pourquoi Dieu, voulant montrer à ceux qui devaient recueillir l'héritage promis que sa volonté était immuable, intervint avec un serment, afin que par deux choses immuables, dans lesquelles il était impossible que Dieu mentît» nous eussions une puissante assurance, à laquelle nous pussions nous en tenir, de manière à saisir fermement l'espérance qui est devant nous. Oui, nous la tenons comme l'ancre de notre âme, ferme et sûre; elle pénètre dans le sanctuaire qui est derrière le rideau, où Jésus est entré pour nous comme précurseur, quand il fut devenu grand-prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédek.

VI, 13-20. L'objet de la promesse faite à Abraham (Gen. XXII, 16 et 17) n'est pas mentionné exprès, si ce n'est dans le mot multiplier; en tout cas, elle est prise dans le sens messianique et tout au moins dans le sens typique. Car nous aussi nous avons reçu une promesse, et ce qui a été dit à Abraham est comme une image prophétique et par conséquent directement applicable à ce qui nous regarde (Gal. III. Rom III).

La promesse de Dieu à Abraham, faite sous la foi du serment, est pour nous un gage; la foi d'Abraham est pour nous un exemple, un type dans le sens pratique, comme la première était un type dans le sens dogmatique. La Genèse dit que Dieu ne se contenta pas d'une simple promesse, il y ajouta le serment, dans la forme qui seule peut convenir à Dieu. Ce serment achève de nous prouver que la volonté de Dieu est immuable, et qu'il ne dépend que de nous d'en profiter. Quand l'auteur dit que la promesse de Dieu est garantie par deux choses immuables, et d'autant plus sûre, on suppose vulgairement que l'une de ces deux choses est sa simple promesse, et l'autre le serment. Mais, à notre avis, c'est là toujours une seule et même chose, ou plutôt le serment apparaît alors comme un hors-d'œuvre inutile. Nous estimons donc que l'une de ces choses c'est la parole évangélique apportée par Christ, l'autre le serment typique donné à Abraham. Cette interprétation rentre parfaitement dans les vues de l'auteur qui va tout à l'heure s'occuper longuement d'un fait analogue, le sacerdoce de Christ établi à la fois par le sacrifice de Golgotha et par la figure typique de Melchisédek.

L'espérance des chrétiens relative à l'héritage futur est comparée à une ancre qui sauvegarde le vaisseau contre les tempêtes. Cette espérance (et non cette ancre, comme on fait dire vulgairement à l'auteur) pénètre avec nous dans le sanctuaire, nous y accompagne ou, pour mieux dire, nous en ouvre dès à présent la perspective. C'est une allusion au Très-Saint du tabernacle, dans lequel, sous l'ancienne économie, le souverain sacrificateur seul entrait une fois par an; pour notre auteur, ce Très-Saint, c'est le type du ciel et de sa félicité, où notre souverain sacrificateur. Christ, est entré pour y rester et pour nous en ouvrir l'accès (comp. chap. IV, 16; X, 20).

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