Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'ÉPÎTRE AUX HÉBREUX

Chapitre 1

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1 Dieu, après avoir autrefois parlé à nos pères par les prophètes, à diverses reprises et en diverses manières, nous a parlé à nous, dans ces derniers temps, par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses par lequel il a aussi créé le monde, et qui, étant le reflet de sa gloire et l'empreinte de son essence et soutenant toutes choses par sa puissante parole, a opéré la purification des péchés et est allé s'asseoir à la droite de la Majesté dans les régions célestes, devenu d'autant supérieur aux anges qu'il a reçu un nom plus excellent que le leur.

I, 1-4. Ces versets peuvent être regardés comme une espèce d'exorde ou d'exposition générale du sujet; ils renferment deux idées qui domineront le traité: Toutes les révélations successives de Dieu se tiennent et se rapportent l'une à l'autre; la dernière est la plus grande et la plus éclatante. Les premières ont été variées et réitérées, la dernière est unique et définitive; celles-là ont été faites par l'organe des prophètes, celle-ci par le Fils, dont les attributs sont tels qu'ils rendent superflue toute comparaison.

Chaque mot dans cet exorde mériterait une sérieuse attention, d'autant plus que la langue française n'a pas les moyens de les rendre tous très exactement. Les révélations antérieures ont été variées quant à leur forme, comme parvenues aux hommes par des songes, des visions, des anges, des hommes inspirés et autrement, et réitérées dans le temps, ce qui par soi-même prouve qu'aucune d'elles n'était complète et suffisante. Le mot grec par lequel le texte commence pourrait même, d'après son étymologie, exprimer l'idée qu'elles n'ont été que partielles et pour cela même multiples. Dieu d.parlé; l’auteur se sert ici d'un verbe qu'il aime à employer et qui, dans son style théologique, est essentiellement réservé à désigner- des communications de ce genre particulier. Notre langue ne nous en fournit aucun qui ait cette signification spéciale. Il a parlé à nos pères; c'est donc comme Juif s'adressant à des Juifs que l'apôtre écrit; partout dans cette épître le monde païen disparaît devant le regard du théologien. Il dû parler par les prophètes, littéralement dans eux, l'inspiration consistant en une communication intérieure de l'esprit divin à des individus privilégiés; il a parlé autrefois, dans les anciens temps; par ces mots, l'auteur restreint la notion de prophète à ce que nous, fait connaître l'histoire de l'Ancien Testament. Jean-Baptiste n'est pas prophète dans ce sens traditionnel et littéraire.

Dans ces derniers temps il nous a parlé par le Fils. Les derniers temps (litt.: la fin des jours), est une phrase usitée chez les prophètes et consacrée par la traduction des Septante, pour désigner l'avenir messianique. Le Nouveau Testament l'emploie également dans ce sens, surtout quand il s'agit de caractériser l'époque précédant immédiatement la parousie et le jugement (Jacq. V, 3. Jud. 18). Ici (comme 1 Pierre I, 20. Hébr. IX, 26) il s'agit de la première venue de Christ; il en résulte que les deux époques ou manifestations de celui-ci étaient supposées devoir se suivre de très près.

Le Fils est introduit sans article (chap. III, 6; VII, 28), soit comme nom propre, soit comme épithète exclusivement réservée à une seule personne. Les lignes suivantes résument les attributs de cette personne. Nous y reconnaissons immédiatement la notion théologique du Logos, telle qu'elle est ébauchée dans Col. I, 15 et suiv., et plus nettement dessinée dans le prologue de Jean, sans qu'il y ait ici d'autre différence que celle des termes, lesquels se trouvent être, plus directement qu'ailleurs, empruntés à la philosophie alexandrine contemporaine. Voici ces attributs:

1 Dieu a ÉTABLI le Fils héritier de toutes choses. L'héritier est, du moins éventuellement, le maître; il s'agissait ici de combiner dans un même terme l'idée de Fils et celle de possesseur (roi, juge, etc.). Dieu n'est jamais appelé héritier, car ce mot ne permet pas d'effacer complètement l’idée du temps. Il s'agit donc d'un titre donné au Fils par la volonté du Père, de quelque chose qu'il est devenu. Or, comme l'auteur met cet attribut en tête des autres, il ne peut pas se rapporter à l’exaltation du Fils ressuscité, mais doit nécessairement se rapporter à sa préexistence.

2° Par le Fils il a créé le monde. Le monde est exprimé au moyen d'un terme appartenant au langage philosophique des Juifs (Targoum, Talmud, Rabbins) et plus tard des théologiens syriens et arabes (comp. chap. XI, 3). On a tort de traduire les siècles, car il ne s'agit pas du temps, mais de la matière, de tout ce qui existe, de l'univers cosmique. Le Fils est donc le Verbe, la Parole créatrice de Dieu conçue comme personne. Il a été l'organe de la création. Dieu a parlé et par suite le monde fut, telle est l'expression populaire. Dieu a produit, engendré la Parole, et la Parole a produit, créé le monde, telle est la formule philosophique. Les livres philosophiques de l'Ancien Testament, en parlant de la création, nomment la Sagesse au lieu de la Parole (Prov. VIII, 22 et suiv. Sir. XXIV); mais ce n'est que dans le livre de la Sapience (chap. VII suiv.) que cette notion a une valeur ou portée métaphysique, comme ici.

3° Le Fils est le reflet de la splendeur divine et l'empreinte de l'essence de Dieu. Pour nous, qui ne pouvons voir Dieu lui-même (Jean I, 18), le Fils est l'image de Dieu (Col. I, 15. 2 Cor. IV, 4). Dieu, est-il dit dans le langage figuré de la Bible, habite dans une lumière impénétrable (I Tim. VI, 16) et éblouissante (Apoc. XXI, 23), ce qui revient à dire qu'il est inaccessible à l'intelligence humaine. Le Fils est le reflet de cet éclat (le mot du texte se retrouve littéralement dans Sap. VII, 25). Cela peut signifier un rayon qui en émane, ou un éclat qui se dessine au dehors; dans les deux cas, le terme est un essai de rendre saisissable une idée transcendante, celle de la consubstantialité du Fils et du Père (Lumière de lumière dans le Symbole de Nicée), bien qu'il ne dise rien sur la nature du rapport métaphysique entre les deux personnes.

L'empreinte est une image reproduite par le ciseau (le mot grec caractère signifie proprement le burin) ou autrement sur une matière dure; pour le sens, cette formule revient donc à celle d'image, employée ailleurs dans le Nouveau Testament. L'essence, en grec litt.: le fondement, la base d'une chose, la réalité. Le mot grec du texte (hypostase) a reçu dans le langage théologique des siècles suivants une tout autre signification. Jusqu'au quatrième, il signifiait, comme ici, l'essence (la substance) et non la personne; ce n'est que plus tard qu'on parla d'une essence et de trois hypostases.

Ces attributs, du reste, appartiennent au Fils en propre; par le fait qu'il est le Fils, il est aussi le reflet et l'empreinte, tandis que ses relations avec le monde, comme créateur et héritier, sont survenues dans le temps (comp. Phil. II, 6).

4° Il est aussi le conservateur de toutes choses; la création est un acte continu (Col. I, 17. Jean V, 17). Le terme technique est: porter (Rabbins, Philon, Septante, Sénèque, ép. 31. Deus vehit omnia). La Parole avait créé, le Fils-Verbe personnel soutient et conserve, également par la parole, c'est-à-dire la volonté censée exprimée.

À ces attributs métaphysiques, tous déjà reconnus et formulés par la philosophie juive, et dont aucun n'appartient au christianisme exclusivement, viennent maintenant se joindre les attributs spécifiquement évangéliques.

5° Il a opéré la purification des péchés (Col. I, 20). C'était pour l'auteur la chose capitale, celle qui fait le sujet de son traité. Elle suppose nécessairement l'incarnation du Verbe, qui n'est pas explicitement nommée ici, mais qui est une idée absolument étrangère à la philosophie judaïque. — Le texte vulgaire ajoute les motspar lui-même (comp. chap. IX, 12. Col. I, 14), qui sont superflus et inconnus aux anciens témoins.

6° Enfin, il fut élevé à la dignité qui lui revenait en vue de son essence, après avoir accompli son œuvre terrestre. La phrase figurée signifiait dans l'origine un rapport de sûreté et de protection, plus tard de dignité (Ps. CX, 1. Matth. XX, 21), et est devenue la phrase usuelle pour ce qu'on appelle l'état d'exaltation de Christ (Matth. XXVI, 64. Col. III, 1. Rom. VIII, 34. Éph. 1,20. 1 Pierre III, 22. Act. VII, 55, etc.). Elle n'est employée nulle part du Verbe préexistant, toujours du Christ exalté, du personnage historique dans sa position actuelle et définitive. La Majesté est nommée à la place de Dieu, d'après les usages du langage religieux de l'époque, qui demandait ces circonlocutions (comp. Matth., loc. cit.).

Avec le 4° verset, l'auteur entre déjà en matière. Christ, comme Fils et comme assis à la droite de Dieu, par sa nature et par sa destinée, est au-dessus de tous les êtres. Cela préparera le chemin à la démonstration de la thèse relative à la supériorité de l'Évangile sur la Loi.

Il est devenu supérieur aux anges par cette exaltation, car il ne l'était pas immédiatement auparavant pendant sa vie terrestre (chap. II, 9). L'auteur n'a pas égard ici à la supériorité native et essentielle du Fils (comp. Éph. I, 21. Phil. II, 9). Cette supériorité sur les anges se montre déjà dans les noms, car ange signifie messager, serviteur, tandis que le Fils est l'héritier de la maison (comp. chap. Ill et Gal. IV). Il a reçu son nom dès le moment de son existence. L’auteur ne détermine pas ce moment, mais il n'évite pas non plus les formules qui, à l'époque des discussions trinitaires au quatrième siècle, auraient été répudiées comme impliquant une origine dans le temps. On doit observer que l'Ancien Testament nomme quelquefois les anges fils de Dieu, ce qui serait en contradiction avec l'argumentation de notre texte; cependant le singulier ne se trouve nulle part dans ce sens, et, ce qui plus est, les Septante, qui sont la source de l'auteur à l'exclusion du texte hébreu, traduisent généralement les «fils de Dieu» par les anges.

Cette thèse de la supériorité du Fils sur les anges est démontrée dans les versets suivants par une série de passages bibliques, dont l'interprétation était implicitement déterminée dans les écoles de la manière dont l'auteur l'expose, de sorte qu'il n'a pas besoin de se perdre dans les détails de l'exégèse.

5 Car auquel d'entre les anges a-t-il jamais dit: Mon Fils, c'est toi; moi je t'ai engendré aujourd'hui? Et une autre fois: Moi je serai son père et il sera mon fils? Et quand, une autre fois, il introduit le Premier-né dans le monde, il dit: Et tous les anges de Dieu doivent l'adorer. Et tandis qu'il dit des anges: Celui qui fait de ses anges des vents, et de ses serviteurs une flamme de feu, il dit au Fils: Ton trône, ô Dieu, est éternel; le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture; tu aimes la justice et hais l'iniquité; c'est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t'a oint d'une huile de réjouissance plus que tes collègues.

10 Puis: Toi, Seigneur, tu as fondé la terre au commencement, et les cieux sont l'œuvre de tes mains; ils périront, toi tu restes; ils vieilliront tous comme un vêtement, et comme un manteau tu les rouleras et ils changeront; toi, tu restes le même et tes années ne finiront pas! À qui d'entre les anges a-t-il jamais dit: Assieds-toi à ma droite jusqu'à ce que J'aie mis tes ennemis comme marchepied sous tes pieds! Ne sont-ils pas tous des esprits subalternes envoyés comme serviteurs pour le bien de ceux qui doivent hériter le salut?

I, 5-14. L'auteur cite deux séries de passages relatifs, les uns aux anges, les autres au Fils. Dans l'explication de ces passages, il convient avant tout de s'en tenir au point de vue de notre texte; pour leur sens primitif et historique, au sujet duquel la science pourrait avoir des réserves à faire, nous renvoyons simplement le lecteur au commentaire sur l'Ancien Testament. Voyez d'ailleurs ce que nous avons dit sur l'exégèse des apôtres, dans notre Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique, 3e édit., liv. IV, chap. 2.

1°Les anges : Pour eux il n'y a, à vrai dire, qu'un seul passage direct, Ps. CIV, 4, cité ici d'après le texte des Septante. Il résulte de leur version, que Calvin déjà a reconnue pour fausse, que les anges, êtres subalternes, dont Dieu se sert comme de ministres de sa volonté, apparaissent dans le monde comme des phénomènes matériels et physiques, sous la forme de vents et d'éclairs. Personne ne prendra ces phénomènes pour des êtres divins, à moins de tomber dans un polythéisme grossier; donc, implicitement, les anges sont abaissés au niveau inférieur des faits contingents et dépendants de la volonté de Dieu.

Cette réflexion, appartenant à une conception religieuse de la nature, est élevée plus loin par l'auteur (v. 14) au niveau d'une thèse de théologie chrétienne. De même que les phénomènes de la nature, les destinées des hommes auxquels est réservé le salut sont, non pas souverainement réglées, mais ministériellement secondées, sous la direction suprême de Dieu, par ces serviteurs subalternes; de sorte que, à vrai dire, l'homme même est élevé au dessus d'eux, en ce que leur ministère est consacré à son service. Ils interviennent dans la direction de sa vie individuelle vers le salut, comme anges gardiens et tutélaires, et dans la direction générale des choses d'après les plans de Dieu pour le salut de l'humanité, par exemple dans l'histoire de Jésus et des missions apostoliques.

2° Quant au Fils, il y a des passages plus nombreux et plus expressifs.

a) Ps. II, 7, cité litt. d'après les Septante. Le même psaume est encore invoqué comme messianique. Act. IV, 25 et suiv. ; XIII, 33. Hébr. V, 5. Apoc. II, 27; XII, 5; XIX, 5. Le passage est placé en tête des autres à cause du mot engendré, corrélatif avec le nom du Fils. Le nom du Fils est un nom exclusif, propre et privilégié, car lui seul est engendré. Ce dernier mot, en tant que rapporté à l'acte de Dieu, n'est employé pour aucun autre personnage, pas même pour un ange. L'interprétation de notre auteur est donc différente de celle donnée par Luc, Act. XIII, 33, qui y voit une allusion à la résurrection de Jésus. L'exégèse orthodoxe et traditionnelle s'est rattachée de préférence à notre auteur, mais en insistant (ce que ce dernier ne fait pas) sur le mot aujourd’hui, dans lequel elle prétend trouver le sens de l'éternité.

b) 2 Sam. VII, 14, citation exacte d'après les Septante et conforme à l'original. Les paroles citées, à elles seules, n'ont pas précisément une grande force probante. Mais, comme la théologie judaïque déjà reconnaissait à ce passage un sens messianique, parce qu'il y est promis une royauté éternelle au rejeton de David, notre auteur a pu également le faire valoir dans ce sens. En tout cas, pour y arriver, il faut détacher la phrase du contexte et n'avoir point égard à celle qui suit immédiatement dans l'original.

c) La citation du v. 6 est d'origine incertaine. En l'introduisant, l'auteur parle du Premier-né évidemment dans le sens métaphysique, dans lequel ce terme désigne le Verbe préexistant à la création (Col. I, 16. Apoc. III, 14). Ce terme se trouve déjà Ps. LXXXIX, 28, dans un passage non cité dans le Nouveau Testament, mais appliqué au Messie par les Rabbins. Il s'agit de savoir dans quel sens il est parlé de l'introduction du Premier-né dans le monde. On peut dire que Dieu n'aura pas attendu l'incarnation pour le faire reconnaître par les anges, qui devaient lui avoir rendu hommage bien antérieurement. Il est plus naturel de songer au moment où le monde nouvellement créé était sommé de reconnaître le Fils comme créateur. À ce moment, les anges seuls étaient les êtres formant pour ainsi dire l'Église du Verbe (comp. chap. XII, 22), et qui pouvaient recevoir l'ordre de Dieu d'adorer le Fils. Quant aux paroles citées, on a cru tour à tour les retrouver Ps. XCVII, 7 et Deut. XXXII, 43. Dans le premier passage, les Septante ont changé les faux dieux du texte hébreu en anges; dans le second passage, ils ont purement et simplement ajouté ces mots qui ne se trouvent pas dans l'original.

d) Ps. XLV, 7 et 8, d'après les Septante, qui ont deux fois mis le nom de Dieu au vocatif, traduction d'après laquelle l'auteur était positivement autorisé à appliquer au Fils la dignité divine. Les autres éléments de la citation ne se prêtent pas aussi bien au dessein de notre écrivain. Sans doute on pouvait appliquer au Fils, considéré comme roi (chap. VII, 2), les qualités et fonctions énumérées dans le texte: onction, sceptre, droiture; mais il ne faut pas pousser la curiosité exégétique jusqu'à demander ce que pouvaient être pour le Messie les collègues et la réjouissance. Quant à celle-ci, on peut songer à la gloire céleste, et les collègues seront les rois du monde, car il est le roi des rois (Apoc. XIX, 16), ou bien ce seront tous ceux qui partagent sa gloire actuelle.

e) Ps. CII, 26 et suiv. Pour transporter au Fils un passage plus naturellement appliqué au Père, l'auteur part du point de vue que c'est Dieu qui parle lui-même dans l'Écriture, et non tel ou tel auteur humain; par conséquent, en appelant quelqu'un Seigneur et en le saluant comme créateur et éternel. Dieu n'a pu s'adresser qu'au Fils.

f) Ps. CX, 1 (comp. 1 Cor. XV, 25. Act. II, 34. Matth. XXII, 43. Hébr. V, 6; X/13). Même observation. C'est encore Dieu qui parle; donc ce n'est pas à Dieu que le texte s'adresse, mais à un autre auquel Dieu accorde et confirme une place à sa droite. Paul, dans le passage 1 Cor. XV, insiste jusqu'à ce que, pour en déduire la conséquence qu'il arrivera un moment où Christ cédera le gouvernement du monde au Père. Notre auteur ne s'arrête pas à cet élément, qui n'est pas le motif de sa citation et dans lequel il ne paraît avoir vu que la certitude de la soumission des ennemis.

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