Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'ÉPÎTRE AUX HÉBREUX

INTRODUCTION

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L'ouvrage dont nous allons nous occuper, et qui est communément désigné par le nom assez singulier et peu juste à l’Épître aux Hébreux, n'est pas, tant s'en faut, l'écrit le moins intéressant du Nouveau Testament. Pour le fond, il représente une phase particulière du développement de la pensée chrétienne, et quant à la forme, il peut être appelé avec raison le plus ancien traité systématique de la théologie de l'Évangile. En effet, aucun écrit apostolique antérieur ne saurait être rangé dans cette catégorie. Toutes les épîtres de Paul sont des œuvres de circonstance, dans lesquelles les besoins locaux et les rapports personnels occupent une large place; et le quatrième évangile, à la rédaction duquel la conception théorique a eu pour le moins tout autant de part que les faits eux-mêmes, est positivement d'une origine plus récente que le livre qui fait l'objet de cette étude.

Nous commencerons par y distinguer deux parties. Des treize chapitres dont il se compose dans nos éditions, les douze premiers forment le corps de l'ouvrage, et c'est à eux que nous appliquons cette dénomination de traité ou de discours, dont nous venons de nous servir. Le dernier seul est une espèce d'appendice épistolaire, et justifie jusqu'à un certain point le nom d'épître qui est donné à l'écrit entier, d'après l'usage traditionnel, bien qu'il le mérite beaucoup moins que les autres documents du siècle apostolique connus sous cette désignation. Nous inclinons à penser que la partie principale a été écrite indépendamment de toute préoccupation de circonstance. Elle paraît avoir eu, dans la pensée de l'auteur, une portée toute générale; car elle discute d'une manière purement théorique la question capitale qui s'agitait dans l'Église primitive, savoir celle du rapport entre l'ancienne et la nouvelle économie, entre la loi et l'Évangile. Ce discours, aussi distingué par la netteté de la disposition et l'élévation des idées, que par l'élégance et la correction classique du style, établit les prérogatives du Christ sur les organes de la révélation faite au Sinaï, et la supériorité absolue des biens assurés aux croyants par le nouvel ordre de choses sur les avantages plus ou moins imaginaires, et en tout cas insuffisants, que la loi offrait au peuple de Dieu. Il a pour but de faire comprendre aux chrétiens, partisans de celle-ci, l'erreur de leur point de vue, et les mécomptes auxquels ils s'exposent en y persistant. Ce but donne à l'exposition de l'auteur une allure toute pratique: partout des exhortations pressantes interrompent, sans l'affaiblir, son argumentation théologique, et vers la fin ces deux éléments se confondent en une péroraison, qui est l'une des pages les plus éloquentes de la littérature du premier siècle.

Nous ne ferons pas ici l'analyse détaillée du livre. Nous l'avons essayé dans un autre ouvrage (Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique, 3e édit., tome II., p. 265 s.) et le commentaire qui va suivre mettra nos lecteurs à même de se rendre compte, sans trop d'efforts, de la manière dont l'auteur développe sa pensée, dont l'exposition est suffisamment lucide. Nous nous bornons ici à en marquer préalablement les principaux éléments.

La comparaison entre le christianisme évangélique et le judaïsme légal porte sur deux points: la dignité relative des personnages qui, dans les deux dispensations, ont servi d'intermédiaires entre Dieu et le monde, et la nature des résultats obtenus par l'une et par l'autre. Dans la première partie, le Christ est représenté successivement comme révélateur et comme grand-prêtre. À l'égard de la première de ces qualités, il est mis en parallèle avec Moïse et les anges, auxquels la théologie judaïque attribuait une intervention directe dans l'œuvre de la promulgation de la loi; et sa supériorité est démontrée tant par la nature divine de sa personne, attestée par l'Écriture, que par le fait que son ministère a été la manifestation suprême des desseins de Dieu à l'égard de l'humanité, et a clos définitivement la série des révélations multiples et partielles des anciens temps. Mais il l'emporte également sur le personnage que l'ancienne économie plaçait à la tête du peuple comme le représentant de ses intérêts auprès de Dieu, et comme l'organe des grâces que celui-ci pouvait ou voulait lui accorder. Le grand-prêtre juif, mortel et pécheur comme tous ses semblables, est à tous égards inférieur à celui qui a la double prérogative de l'absence du péché et de la vie éternelle, sans que pour cela il reste étranger aux faiblesses et aux douleurs de la nature humaine, et dont le sacerdoce promet ainsi à ceux qui se rattachent à lui, des avantages plus réels et plus durables que ceux que pouvait offrir la sacrificature de l'Ancien Testament.

C'est de ces avantages, des bienfaits de la dispensation évangélique, que l'auteur s'occupe plus spécialement dans la seconde partie de son traité. 11 y parle des effets respectifs de la médiation sacerdotale d'Aaron et de Christ. C'est ici surtout qu'il développe le parallèle des deux alliances; mais il ne le fait pas d'une manière abstraite et d'après des considérations directement religieuses ou morales. Si, dans la première moitié de son ouvrage déjà, il a largement employé la méthode de l'explication allégorique des textes, il s'y arrête ici avec plus de complaisance encore, et d'une façon de plus en plus spirituelle. C'est le tabernacle mosaïque avec ses diverses parties, ses meubles et ses rites, qui lui fournit le cadre de son exposé théologique de la nature et des moyens de la réconciliation de l'humanité pécheresse avec Dieu, telle qu'elle est promise par l'Évangile. Mais ce rapprochement fait ressortir en même temps l'immense différence des résultats promis et assurés par chacune des deux institutions. Nulle part ailleurs cette idée, si familière dès l'abord aux théologiens de l'Église, savoir que l'ancienne alliance, avec ses formes, ses prescriptions et même ses héros théocratiques, n'était que l'image prophétique, l'ombre ou le type de l'ordre des choses fondé par l'avènement de Christ (Jean 111, 14. Gal. IV, 22 s. Col. II, 17. Éph. V, 32, etc.), n'a été développée à la fois avec autant d'ensemble et d'une façon en apparence si simple et si naturelle. Aussi bien cette étude est-elle devenue un modèle pour d'innombrables imitations, qui n'ont pu que le gâter par des surcharges, mais jamais le dépasser; et, en fin de compte, un élément de la doctrine officielle, surtout dans le sein du protestantisme.

On conçoit que le but prochain de l'auteur de ce tableau comparatif des deux alliances a dû être d'amener les adhérents de l'ancienne à s'affilier à la nouvelle, ou peut-être plus particulièrement de faire comprendre à ceux qui s'étaient déjà ralliés à celle-ci, qu'ils se trompaient étrangement en prétendant les combiner toutes les deux, et en croyant devoir les considérer comme ayant la même valeur et comme devant se maintenir l'une à côté de l'autre. C'est ce but assez nettement indiqué et facile à constater, qui a suggéré à un lecteur plus récent l'idée d'inscrire en tête de ce discours anonyme la rubrique: Épître aux Hébreux, titre mal choisi, en ce sens que dès les temps apostoliques le nom d'Hébreux n'était plus donné qu'à ceux des Juifs qui parlaient encore l'idiome cananéen (Phil. III, 5), et ce n'est certes pas à cette catégorie particulière que l'auteur s'est adressé de préférence. Mais c'est là une question de détail qui n'a pas pour nous une grande importance. Le fait est qu'au fond l'auteur traite le même sujet, et en face des mêmes besoins et des mêmes conceptions imparfaites de l'Évangile, que l'épître aux Romains et surtout celle aux Galates; mais sa méthode, son argumentation, ses moyens dialectiques, et, comme nous verrons plus bas, sa théorie même, tout cela est différent chez l’apôtre des gentils.

D'après cet exposé, il sera permis de demander si cet écrit est réellement une épître, c'est-à-dire si l'auteur, en en disposant le plan, et en le rédigeant, a eu en vue un public spécial, un cercle de lecteurs appartenant à une localité particulière. Car il est hors de doute que ce que nous avons appelé l'appendice lui assigne une pareille destination. Mais quant au corps même du traité, la chose n'est pas aussi évidente. Il est vrai que l'auteur parle généralement à la seconde personne: toutes les fois qu'il descend des hauteurs de la démonstration théologique pour en venir aux exhortations pratiques, il se place en face de ses lecteurs, il les a pour ainsi dire devant lui. Mais tout orateur qui traite un sujet d'une portée générale peut faire de même; un exposé théorique du genre de celui-ci, et rédigé, non pas pour la satisfaction personnelle de l'écrivain, mais pour l'instruction et dans l'intérêt du grand nombre, peut très bien prendre les allures du discours et de l'apostrophe. D'un autre côté, l'entrée en matière sans aucun préambule, sans un seul mot d'introduction, de salutation, d'adresse enfin, est pourtant trop en dehors de tout ce que nous pouvons appeler le style épistolaire, pour que nous ne devions pas hésiter à ranger cet essai de théologie parmi les lettres apostoliques.

Ajoutez à cela que ceux qui ont été d'un avis contraire ont dû se donner bien de la peine pour découvrir l'église particulière que l'auteur aurait eue en vue; et toutes les conjectures faites à cet égard, à grand renfort d'arguments péniblement amassés, ont dû tour à tour s'effacer devant d'autres conjectures tout aussi plausibles, ou plutôt tout aussi précaires. On a cherché les lecteurs dans les trois parties du monde ancien; on a songé à Corinthe, à Éphèse, à Laodicée. Un grand nombre de critiques croient que les nombreuses allusions au culte judaïque, qui appartiennent à l'essence même du traité, ne pouvaient être comprises que par des habitants de Jérusalem. Ce serait aux chrétiens de cette ville, à cette pépinière du judéo-christianisme, que l'auteur se serait adressé de préférence, le besoin d'une instruction comme celle qu'il avait à donner étant ici plus pressant que partout ailleurs. Mais on a de la peine à se persuader qu'un écrivain quelconque de l'école de Paul (et à plus forte raison Paul lui-même !) ait pu croire qu'il captiverait l'attention et qu'il gagnerait l'esprit de ses frères de la métropole, en leur disant qu'ils étaient bien lents à comprendre, qu'ils auraient besoin qu'on leur enseignât encore les premiers éléments des révélations de Dieu, qu'ils en étaient encore au lait, et non à la nourriture solide, malgré le temps écoulé depuis le commencement de l'Évangile, et en raison duquel ils devraient instruire les autres (chap. V, 11). Est-ce qu'il était bien convenable de jeter cela à la tête d'une communauté dirigée par les disciples immédiats de Jésus, par les colonnes de l'Église? Et quand ailleurs on leur dit qu'ils se sont mis incessamment au service des fidèles (chap. VI, 10), cela peut s'appliquer à toutes les communautés du siècle apostolique, mais peut-être serait-ce moins bien mis à l'adresse de celle de Jérusalem qui recevait des aumônes du dehors. Et ce n'est pas aux chrétiens de Jérusalem qu'on pouvait dire (chap. XII, 4) qu'ils n'avaient pas encore été dans le cas de résister jusqu'au sang dans leur lutte contre le péché, quand au vu et au su de tout le monde c'est précisément à Jérusalem qu'avait d'abord coulé le sang des martyrs. L'appendice même, qui ne laisse pas que de faire quelques allusions à des rapports personnels de l'auteur avec des lecteurs déterminés, ne nous conduit pas à Jérusalem. Car il y est question de Timothée comme d'un personnage bien connu dans la localité et dont on promet la visite prochaine (chap. XIII, 23), et l'auteur lui-même, en parlant de l'y accompagner, s'exprime d'une manière qui fait voir qu'il s'agit là de son domicile habituel, si ce n'est de sa patrie (v. 19). Or, l'esprit de toute l'épître est un autre que celui que nous savons avoir régné dans le chef-lieu de la Palestine, à l'époque où elle doit avoir été écrite (Actes XXI, 20), et qui n'aurait guère permis, même au plus éloquent prédicateur, d'espérer qu'il parviendrait à le changer par quelques allégories ingénieuses. De nos jours, plusieurs savants, persuadés toujours qu'il faut se décider pour une destination spéciale de l'épître et croyant pouvoir arriver à un résultat plausible avec quelque chance de ne pas se payer d'illusions, ont proposé de songer de préférence à Alexandrie. Il est vrai que nous ne savons absolument rien de certain sur l'origine de l'église chrétienne de cette ville. Mais la circonstance que c'est dans ce milieu que l'épître a trouvé ses plus anciens patrons et admirateurs, que c'est là d'abord qu'on a été jusqu'à l'attribuer au plus illustre des apôtres, que c'est aux théologiens d'Alexandrie qu'elle doit sa conservation et sa réception au canon, qu'elle est l'expression très-fidèle du genre d'études auquel on s'y livrait à l'égard de l'Ancien Testament, et que la conjecture la plus vraisemblable sur la personne de l'auteur nous ramène également dans cette sphère, cette circonstance, disons-nous, pourrait bien autoriser la critique à ne pas rejeter de prime abord la combinaison que nous venons d'indiquer. Cependant nous n'y attachons pas une trop grande importance. Si elle peut être rendue plausible tant qu'il ne s'agit que du traita proprement dit, nous ne saurions nous cacher son peu de probabilité pour ce qui concerne le dernier chapitre. Nous ne saurions nous expliquer comment Timothée (si tant est qu'il soit question du disciple de Paul) aurait été connu à Alexandrie. À moins donc de regarder l'appendice comme une addition apocryphe, destinée à donner le change aux lecteurs au sujet de la personne de l'auteur, nous aimons mieux dire que la science n'a plus les moyens de décider la question, et qu'il faut se borner, quant au corps même du livre, à reconnaître que Fauteur a affaire à des tendances et non à des individus, et que ces tendances pouvaient se produire de la même manière en maint endroit.

Nous allons aborder une question bien plus controversée encore, et sans contredit plus importante, bien que pour la théologie moderne, comme déjà pour celle de Luther et de Calvin, elle n'ait pas l'importance que le vulgaire a bien voulu y attacher. C'est celle de l'auteur. Tout le monde sait que l'opinion traditionnelle met en tête de cet opuscule anonyme le nom de l'apôtre Paul. Mais ce qu'en France tout le monde ne sait pas, c'est que cette opinion ne repose sur aucun fondement solide, et ne saurait plus aujourd'hui se justifier devant un examen tant soit peu sérieux. En effet, à l'époque où l'attention des docteurs de l'Église commença à se reporter sur cet écrit, ils n'avaient à leur disposition aucun renseignement positif sur son origine. Les plus anciens auteurs qui en parlent explicitement en sont réduits à de simples conjectures, ou à des assertions dont nous ne connaissons pas les raisons et qui leur sont personnelles. Irénée ne le connaissait pas du tout, lui qui aurait eu mille occasions de le mettre à profit dans sa polémique contre les gnostiques. Tertullien, dans le seul passage où il le cite, l'attribue à Barnabas, l'ami et le collègue de Paul. Clément d'Alexandrie est le premier qui désigne Paul lui-même comme auteur, mais il prétend que l'original était en hébreu et que ce que l'Église possède est une traduction due à la plume de Luc. Mais on a reconnu depuis longtemps qu'une pareille hypothèse est absolument inadmissible, par la raison que de tous les livres du Nouveau Testament, celui-ci se ressent le moins de l'habitude des Juifs hellénistes de façonner leurs conceptions d'après le génie de la langue sacrée de Canaan, ce qu'un simple traducteur n'aurait certainement pas pu éviter, et qu'il y a même là des tournures et des termes qui n'ont aucun équivalent en hébreu. Aussi bien le savant disciple de Clément, Origène, a-t-il abandonné cette hypothèse de son maître: il entrevoit bien une certaine affinité entre la théologie paulinienne et celle de notre épître, mais il ne se fait pas illusion sur l'entière différence dans les formes, et il finit par avouer son ignorance à l'égard de l'auteur. Il est donc dûment constaté qu'au troisième siècle encore, les plus savants n'osaient se prononcer d'une manière catégorique sur une question qui les intéressait pourtant à un haut point, parce qu'ils faisaient grand cas du livre et qu'ils éprouvaient ainsi le besoin de lui assurer une certaine autorité, ce qui n'était guère possible avec l'absence d'un nom propre.

Les doutes et les incertitudes se maintinrent dans l'Église pendant deux siècles encore après Origène. Cependant en Orient les tendances générales de la théologie, et surtout de l'exégèse, favorisèrent de plus en plus l'insertion de l'épître dans le canon de l'Écriture sainte, et cela impliquait en même temps la reconnaissance de l’apôtre Paul comme auteur. En Occident, les choses n'allèrent pas aussi vite. Ce ne fut qu'au commencement du cinquième siècle qu'un concile de Carthage ajoutait l'Épître aux Hébreux comme quatorzième au recueil des lettres pauliniennes qu'on avait réunies antérieurement, et à l'égard desquelles on avait adopté la formule, devenue quasi sacramentelle, que Paul avait écrit à sept églises, ni plus ni moins, comme Jean, lui aussi, dans l'Apocalypse. Le savant Jérôme, tout en ne voulant pas contredire explicitement cette tardive addition, se tient pourtant sur la réserve, partout où il parle en historien et en critique, et montre assez nettement qu'il s'agit là d'une coutume qui peut se justifier en pratique, mais qui ne repose pas sur des données historiques suffisantes. Les écrivains du moyen âge, dont la science ne remonte guère au delà de Jérôme, conservèrent le souvenir de ces hésitations et les mentionnent assez fréquemment, sans y attacher de l'importance, et surtout sans entrer dans la discussion du fait. Il en fut autrement à l'époque de la Réforme. Non-seulement Luther et Calvin déclarèrent très explicitement qu'à leur avis Paul n’était pas l'auteur de l'épître; le premier lui assigna même une place très secondaire dans le canon, en la rejetant après celles de Pierre et de Jean; le second l'apprécie davantage et la cite souvent, mais toujours comme anonyme et en distinguant soigneusement l'auteur et l'apôtre des gentils. Dans le sein de l'Église catholique même il s'éleva des voix dans ce sens, et si des intérêts plus graves n'avaient donné un autre cours à la direction des esprits et aux travaux de l'érudition, il est fort probable que dès lors la question aurait été définitivement résolue dans le sens négatif. Mais les préoccupations pratiques prévalurent et rendirent même nécessaire une critique plus généralement conservatrice à l'égard des traditions relatives aux saintes écritures, de sorte que, vers la fin du siècle, on avait laissé tomber cette question et la tradition reprit ses droits.

Les témoins anciens ne décidant rien, ou prouvant plutôt que le nom de l'apôtre Paul n'a été rattaché à cet ouvrage que par suite d'une conjecture, ou d'une appréciation purement subjective, et plus tard par la force de l'habitude, c'est bien à une autre source d'information que la science doit s'adresser, pour essayer d'arriver à quelque chose de plus sûr à l'égard de l'auteur. De fait, la critique a pris eu considération plusieurs arguments à faire valoir, soit pour, soit contre l'origine paulinienne de l'épître. On a signalé d'un côté l'absence plus ou moins complète des formes et des formules épistolaires généralement usitées dans les épîtres de Paul. On a su trouver de l'autre côté des raisons spécieuses pour expliquer cette différence. À cet égard, nous nous bornerons à dire que ce serait une singulière prétention de la critique que d'imposer à un écrivain quelconque l'obligation de rédiger tous ses écrits d'après une méthode et pour ainsi dire sur un patron unique. Un argument plus important est tiré de la différence du style des deux auteurs présumés, différence incontestable pour tout lecteur tant soit peu exercé, et déjà relevée par les anciens: d'un côté, ampleur rhétorique et classicité relative de la diction; de l'autre, imperfections nombreuses de celle-ci rachetées par une allure plus vive et une dialectique plus incisive. Cependant cet argument pourrait être neutralisé en quelque sorte par la considération que nous sommes autorisés à voir ici, non un écrit de circonstance, une lettre jetée à la hâte sur le papier, dans un moment de préoccupation et de souci, mais un travail réfléchi, fruit d'une méditation prolongée, d'une étude approfondie. Les adversaires de la tradition ont insisté sur l'invraisemblance que Paul se soit adressé à un public composé exclusivement de judéo-chrétiens, sans dire un mot de la portée universelle de l'Évangile; les défenseurs ont fait valoir le rapport évident entre la terminologie théologique de l'épître aux Hébreux, et celle qui nous est devenue si familière par les épîtres de Paul. Des deux côtés, en effet, il est constamment question de foi, de salut, de l'effusion du Saint-Esprit, de l'abaissement et de l'exaltation du Christ, de sanctification, d'expiation, d'épreuves, de vocation, de grâce, d'endurcissement, d'œuvres mortes, de l'imposition des mains, de l'exemple d'Abraham, de la distinction à faire entre un enseignement élémentaire et une instruction supérieure, et de maintes autres choses encore, que le lecteur ne tardera pas à reconnaître comme lui étant devenues familières par les lettres de Paul. Des deux côtés, c'est la même méthode exégétique, s'appliquant à découvrir des prédictions messianiques, non seulement dans les passages qui se rapportent directement à l'avenir, mais jusque dans les récits historiques, compris comme préfigurant la personne et l'œuvre de Christ.

Et pourtant c'est précisément sur ce terrain-là que la critique trouve des arguments décisifs pour distinguer l'auteur de l'épître aux Hébreux de l'apôtre Paul. Sans doute, au point de vue éthique, la théologie de l'écrivain anonyme ne laisse rien à désirer. Il déclare nettement que le sacrifice lévitique n'a pas la puissance de faire disparaître le péché ou de donner la tranquillité à la conscience. Cela revient au fond à la formule de Paul, relative à la valeur des œuvres. Il réserve à Christ la mission et le pouvoir de rétablir la paix de l'âme avec Dieu, tant en abolissant les péchés antérieurs, qu'en conduisant l'homme à ce qu'il appelle son accomplissement, c'est-à-dire au but qui lui est proposé, à sa sanctification ultérieure et permanente. Si les formules sont ici tant soit peu différentes, l'analogie entre les deux systèmes est très grande; celui de notre auteur a même pu paraître trop rigoureux aux docteurs de l'Église, notamment à Luther, bien qu'au fond la théorie de Paul ne lui cède pas en sévérité.

Malgré cela, cette dernière se distingue fort à son avantage de la formule de notre épître, par la présence d'un élément qui manque à celle-ci. L’idée fondamentale de la théologie paulinienne est celle de la foi, c'est-à-dire de la communion personnelle du croyant avec la mort et la résurrection du Sauveur. Le Christ est certainement l'auteur du salut, mais l'individu se l'approprie par cette union d'un genre tout particulier, par laquelle le vieil homme meurt en Christ, et une nouvelle créature ressuscite avec lui. Eh bien, cet élément vital, indispensable, essentiel de la théologie paulinienne, manque ici complètement. À la vérité, l'épître aux Hébreux prononce assez fréquemment les mots de foi, de croire, mais dans un sens tout différent de celui qu'ils ont dans les épîtres pauliniennes. À cet égard, la démonstration est bien facile, l'auteur donnant lui-même la définition de ce qu'il appelle la foi. Elle est, dit-il au chap. XI, une conviction relative à ce qu'on espère, une certitude à l'égard de faits qu'on ne voit pas. Quelques lignes plus loin, il ajoute: Sans la foi il est impossible d'être agréable à Dieu; car celui qui veut s'approcher de Dieu, doit croire qu'il existe et qu'il est un rémunérateur pour ceux qui le cherchent. Une pareille foi est évidemment une conviction de l'entendement, la croyance à la réalité d'une chose, surtout d'une chose invisible, spécialement d'un fait à venir, garanti par une promesse.

Ainsi la foi est synonyme de l'attente confiante de l'accomplissement des promesses de Dieu, de la patience, de la constance. Mais c'est là la notion vulgaire du terme de foi, dans laquelle il n'y a rien de spécifiquement évangélique, et surtout rien de cet élément mystique qui s'attache à la formule paulinienne. Tout le chapitre XI confirme cette explication; il énumère tous les exemples de cette foi dont l'histoire sainte fait mention; il met en scène tous les héros de la théocratie qui ont été fidèles à Jéhova, et ne se sont pas laissé détourner de leur foi par les misères et périls de la vie présente, en se soutenant par la ferme conviction que les promesses des biens futurs finiraient par se réaliser.

Ajoutez à cela que les idées accessoires, lesquelles chez Paul sont inséparables de celle de la foi, ou plutôt qui y rentrent, les idées de la vocation, de la justification, de la régénération, manquent également dans l'épître aux Hébreux. Mais ce qui est plus significatif encore, et ce qui doit achever de nous convaincre, c'est que la rédemption est représentée par notre auteur comme un acte purement extérieur, qui se passe en dehors de l'individu qui doit en profiter. Elle l'opère bien dans son intérêt, mais il n'est pas dit qu'il se l'approprie d'une manière active, qui modifierait sa propre nature. Et cela se conçoit: l'auteur, en basant sa conception sur les rites de la sacrificature de l'Ancien Testament, ne pouvait y faire entrer des éléments étrangers à ces rites. Le prêtre portait le sang de la victime au sanctuaire et en aspergeait l'arche sainte, le trône de Jéhova; il en aspergeait aussi les assistants, voilà tout; le peuple restait purement passif. Il n'est pas même question de ses dispositions. Le type ne fournissait rien qu'il fût possible de traduire dans un sens évangélique. Aussi bien l'auteur transporte au ciel l'acte de la rédemption, c'est là que le Christ présente son sang à Dieu; au lieu que Paul représente l'acte de la rédemption comme opéré dans chaque fidèle intérieurement. Chose curieuse, c'est cette conception positivement moins élevée, moins évangélique, moins spiritualiste, qui a prévalu dans l'Église; déjà l'Apocalypse l'avait adoptée, et les siècles postérieurs n'ont vu reprendre le pur et vrai paulinisme que par des esprits d'élite. On se contentait généralement de la conviction que le Christ avait satisfait pour nous, et les théories des Pères, ainsi que celle d'Anselme qui a fini par être adoptée par les docteurs protestants, ne vont guère au delà de l'idée mosaïque du sacrifice. Luther même, par une singulière inconséquence de sa critique, d'ailleurs en général fort peu scientifique, tout en déclarant que l'auteur de l'épître aux Hébreux mêle la paille à l'or, l'exalte parce qu'elle parle si maîtrement du sacerdoce de Christ, oubliant ainsi que, si cette épître est rejetée hors du canon (comme il le veut), l'idée même de ce sacerdoce n'a plus aucune garantie dans le Nouveau Testament.

Cette analyse de la pensée fondamentale de notre auteur suffirait à elle seule pour établir l'impossibilité de l'identifier avec l'apôtre Paul. Mais d'autres faits analogues peuvent être allégués dans le même but. Nous ferons remarquer d'abord que la christologie a fait ici un pas au delà de la limite qu'elle a atteinte dans les épîtres pauliniennes. Celles-ci insistent sur la nature humaine de Christ, ou plutôt elles parlent volontiers de l’homme Jésus, né de la femme (Gal. IV, 4. Rom. I, 3, 4; comp. 1 Tim. II, 5), tandis que l'auteur anonyme pousse le spiritualisme jusqu'à le détacher complètement de l'humanité en ce qui concerne la modalité de son entrée dans le monde et dans l'histoire (chap. VU, 3). L'épître aux Colossiens même n'est pas allée aussi loin dans l'expression de sa conception métaphysique.

Ensuite on s'apercevra que l'auteur parle à ses lecteurs judéo-chrétiens comme s'il n'y avait qu'eux au monde. Sans doute il devait s'appliquer à les convaincre sans les effaroucher, et tâcher de les élever à son point de vue en captivant leur intelligence sans froisser leurs sentiments. Mais Paul, en face d'un pareil public, par exemple dans son épître aux Romains, ne s'est jamais imposé des réticences aussi étonnantes. Le silence absolu sur le rapport entre les œuvres et la foi, qui caractérise le présent traité, nous paraîtrait inexplicable dans la supposition de son origine paulinienne. Le silence sur la vocation des gentils, sur le principe universaliste, sans lequel on ne peut guère se figurer une seule page de Paul parlant de l'œuvre de Christ, nous semblerait plus inexplicable encore. Pas une seule fois il n'est question de païens. On dirait que l’auteur ignore leur existence. Il y a même un passage où il s'exprime comme s'ils étaient formellement exclus des desseins du Dieu sauveur (chap. II, 16). Nous ne prétendons pas affirmer que telle était la pensée de fauteur, mais nous maintenons que jamais une phrase sortie de la plume de Paul n'aurait pu donner lieu à la plus faible apparence de ce genre. Ici, le peuple est toujours et partout le peuple Israélite.

Nous nous permettrons une dernière observation. L'épître aux Hébreux, elle aussi, proclame la déchéance de la loi mosaïque, mais l'auteur ne considère pas, ainsi que le fait Paul, la nouvelle économie comme quelque chose de foncièrement différent de l'ancienne. Il n'oppose pas la foi et la loi, par la simple raison que la foi n'a pas chez lui le sens qu'elle a chez Paul. Sa théologie n'a pas, comme celle de l'apôtre, une base psychologique. Le nouvel agent, le principe régénérateur de celle-ci, c'est l'esprit de Dieu communiqué au croyant: cet esprit n'a pas de rôle dans notre épître. La justice est celle des œuvres, tout au plus celle qui se manifeste par la confiance dans les promesses (chap. XII, 11; XI, 7). La dispensation évangélique est simplement quelque chose de meilleur (chap. XI, 40), non pas quelque chose de tout nouveau, en comparaison de l'ancienne alliance.

Ces arguments ont paru à la critique moderne pleinement suffisants pour établir la non-identité des deux auteurs, et pour prouver que la pensée chrétienne a été dès l'abord assez vivante, assez originale pour produire des conceptions plus variées qu'on ne l'entrevoyait autrefois, et dont plus tard on s'obstinait à ne pas reconnaître la diversité. On conçoit que de nos jours, comme du temps des docteurs alexandrins, on n'ait pas voulu s'arrêter à ce résultat purement négatif; et si jadis le besoin impérieux de décorer d'un nom propre un livre supposé inspiré, a fait naître des conjectures plus ou moins hasardées, aujourd'hui la curiosité littéraire et historique conduit les savants à les reprendre en sous-œuvre, indépendamment de toute préoccupation théologique. Mais il faut convenir que nous n'en sommes pas plus avancés. On peut alléguer des raisons plus ou moins plausibles pour prouver que tel ou tel personnage apostolique pourrait bien être l'auteur qu'on cherche; mais comme on en a pu signaler plusieurs auxquels il serait permis de songer, et que, d'un autre côté, nous ne connaissons qu'un bien petit nombre d'individus contemporains des apôtres, sans pouvoir affirmer que parmi ceux dont il n'y a plus de trace il n'y ait pas eu des gens lettrés et instruits, toutes ces hypothèses restent de purs exercices de sagacité, et aucune n'arrive à des résultats qui s'imposent à la science comme définitivement acquis. Aussi bien pensons-nous qu'il serait superflu de les discuter ici tout au long. Cependant, et sous le bénéfice de ces réserves, nous conviendrons que parmi les hypothèses qui ont été produites à cet égard, il y en a deux qui méritent plus qu'une simple mention. L'une met en avant le nom de Barnabas, de ce lévite cypriote nommé quelquefois dans les Actes et dans les Épîtres. Il n'est plus question de lui après l’époque de la première aux Corinthiens, mais rien n'empêcherait de supposer qu'il ait vécu quelques années plus tard encore. Nous ne savons absolument rien sur ses faits et gestes après l'époque où il cessa d'accompagner Paul dans ses voyages; mais ce qui a fait penser à lui, c'est que Tertullien, à la fin du second siècle, le désigne comme auteur, purement et simplement, sans exprimer le moindre doute, et sans mentionner la moindre divergence de la tradition. Il faut donc admettre que dans sa sphère c'était l'opinion reçue et générale. Sur quoi peut-elle s'être fondée? Nous l'ignorons. Dans un catalogue des livres bibliques qui se trouve à la fin du Codex dit de Clermont (qui contient les épîtres de Saint Paul), on lit entre l'épître de Jude et l'Apocalypse, l’Épitre de Barnabas. L'épître aux Hébreux n'y est pas mentionnée. On pourrait en conclure que l'auteur de ce catalogue a adopté l'opinion de Tertullien. Quoi qu'il en soit, l'hypothèse relative à Barnabas aurait peut-être prévalu, si une autre, plus plausible à maint égard, ne se fût recommandée à la majorité des critiques modernes, qui ont désiré s'arrêter à un nom propre quelconque. Cette autre hypothèse a été proposée par un théologien qui ne s'est guère occupé de critique positive, et qui n'a pas même daigné l’appuyer de tous les arguments qu'on peut faire valoir en sa faveur. C'est Luther; il a prononcé le premier le nom d'Apollonius, de cet Apollonius d'Alexandrie qui fut lié avec Paul, et dont les Actes vantent la science exégétique. Or, la science exégétique dans ces temps-là consistait essentiellement à savoir trouver dans les textes un sens caché et pouvant être mis en rapport avec les idées philosophiques ou religieuses de l'époque; et c'est à Alexandrie surtout que cette science était cultivée avec prédilection. On est peut-être autorisé à dire que les Corinthiens préféraient l'enseignement d'Apollonius à celui de Paul, en raison de son ingénieuse interprétation de l'Écriture; et si l'on compare ce que Paul leur dit dans sa première épître (chap. II et III), en parlant de sa méthode propre et de celle de son collègue, avec ce que l'auteur de l'épître aux Hébreux dit à ses lecteurs (chap. V, 11 suiv.) sur les différentes formes de l'instruction évangélique, il faut convenir que l'analogie est frappante. Dans la personne de cet ami de Paul nous comprendrions sans peine et les nombreux éléments, soit idées, soit termes, qui nous rappellent renseignement du grand apôtre, et les nuances assez sensibles que nous avons dû signaler plus haut. S'il pouvait être prouvé que nous ne devons pas chercher l'auteur en dehors du petit cercle de personnes dont les noms ont été conservés par les documents du siècle apostolique, certes nous n'hésiterions pas dans le choix à faire.

Il reste à résoudre une dernière question de quelque importance, c'est celle de l'époque à laquelle nous aurons à assigner la rédaction de l'épître. Les résultats purement négatifs auxquels a abouti l'examen de la question concernant l'auteur, ne préjugent en rien la solution de cet autre problème. Aussi bien la critique s'est-elle donnée libre carrière dans le vaste champ des hypothèses, et l'on est même descendu bien bas dans l'histoire du deuxième siècle pour déterminer la place chronologique de l'ouvrage.

Tout d'abord c'est un fait indubitable, que l'auteur déclare lui-même appartenir à la seconde génération des chrétiens. Dès le début (chap. II, 3), il écrit ces paroles significatives: Si déjà la parole annoncée par des anges (au Sinaï) a été valide au point que toute transgression et toute désobéissance a reçu une juste rémunération, comment nous y échapperions-nous en négligeant un si grand salut, lequel, après avoir été au commencement annoncé par le Seigneur, nous est parvenu d'une manière sûre par ceux qui l'avaient entendu de lui, Dieu appuyant leur témoignage par toutes sortes de miracles, ainsi que par l'effusion du saint esprit réparti selon sa volonté ? Celui qui a écrit ces hgnes se distingue clairement des premiers disciples, dont il invoque même l'autorité et la garantie pour la certitude de l'enseignement évangélique (ce qui est encore absolument contraire à l'habitude et aux principes de Paul), et il embrasse déjà de son point de vue une période de progrès du christianisme qui justifiait ses convictions et ses avertissements. Il est encore plus explicite à la fin (chap. XIII, 7): Souvenez-vous, dit-il, de vos directeurs, qui ont prêché la parole de Dieu; contemplez l'issue de leur carrière et imitez leur foi ! Voilà bien la première génération qui a déjà disparu en majeure partie, du moins dans la sphère à laquelle l'auteur s'adressait. Ailleurs (chap. V, 12) il parle également d'un temps comparativement long qui s'est écoulé depuis le commencement de la prédication de l'Évangile; le même point de vue a dicté les passages chap. X, 32 et XII, 23.

D'un autre côté, l'usage qui est fait de notre épître dans celle de Clément de Rome, écrite probablement avant la fin du siècle, ne nous permet pas de reculer la rédaction de la nôtre fort au delà des limites de la période apostolique proprement dite. Et si ce qui est dit au chap. XIII, 23, de la mise en liberté du frère Timothée, se rapporte au disciple bien connu de Paul, comme on l'admet généralement, et non à quelque homonyme, cette circonstance est de nature à corroborer l'opinion que nous venons d'émettre.

Mais le fait principal sur lequel a roulé la discussion relative à l'époque de la composition de l'épître aux Hébreux, c'est la manière dont l'auteur s'exprime sur le compte du sanctuaire de l'ancienne alliance. Au chap. IX, il en fait la description, et en retraçant les rites qui s'y accomplissaient il en parle au présent comme de choses existant encore, au vu et au su de tout le monde. On en a conclu que l'épître a dû être écrite avant la destruction du temple en l'an 70; on a même vu ici un argument de plus à faire valoir en faveur des droits d'auteur de Paul. À y regarder de plus près, la conclusion n'est pas à l'abri de toute objection. On s'aperçoit facilement que l'auteur ne parle pas du temple de Jérusalem tel qu'il a existé dans les derniers temps; tout son raisonnement, ici comme partout ailleurs, porte sur les textes de l'Ancien Testament. Aussi bien ne nomme-t-il point le temple, mais le tabernacle mosaïque; ce sont les institutions mosaïques consignées dans l'Exode qui lui servent de texte pour y rattacher ses interprétations allégoriques. En un mot, il fait ce que nous appellerions aujourd'hui de la théorie, comme plus tard les Pères et les docteurs du moyen âge, voire les théologiens protestants, n'ont pas cessé d'en faire, à propos des mêmes textes, sans être gênés en cela par la destruction du temple de Jérusalem. Nous ne pensons donc pas que l'on puisse trouver là une preuve irréfragable de ce que l'épître aurait été écrite avant cette catastrophe. Cependant nous inclinons à adopter cette même opinion par un autre motif. Si le temple avait réellement déjà été détruit, l’auteur aurait sans doute fait allusion de manière ou d'autre à cet événement. On sait par l'histoire quelle profonde impression il produisit sur l'esprit des chrétiens et combien il modifia les convictions de ceux qui jusque-là n'étaient pas parvenus à dégager l'Évangile des étreintes de la Loi. L'auteur, qui écrivait dans le but de les aider dans ce travail d'affranchissement, n'aurait sans doute pas négligé de tirer parti d'un fait qui à lui seul parlait plus haut que tous les arguments delà dialectique et de l'exégèse.

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