Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

APOCALYPSE DE JEAN

Chapitre 11

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1 Et il me fut donné une canne semblable à un bâton, avec ces mots: «Lève-toi et mesure le temple de Dieu et l'autel et ceux qui y adorent; mais la cour qui est au-dehors, du temple, tu la laisseras dehors et ne la mesureras pas, car elle est abandonnée aux païens et ils fouleront aux pieds la ville sainte pendant quarante-deux mois. Et je commettrai mes deux témoins pour qu'ils prophétisent pendant douze cent soixante jours, revêtus de cilices.» Ce sont eux qui sont les deux oliviers et les deux candélabres placés devant la face du Maître de la terre. Et si quelqu'un veut leur faire du mal, il sort du feu de leur bouche qui dévore leurs ennemis; et si quelqu'un veut leur faire du mal, il faut qu'il périsse ainsi. Ils ont le pouvoir de fermer le ciel, afin qu'il ne tombe pas de pluie pendant la durée de leur prédication, et ils ont le pouvoir, à l'égard des eaux, de les changer en sang, et de frapper la terre de toutes sortes de plaies, toutes les fois qu'ils le voudront.

7 Et quand ils seront arrivés au terme de leur ministère, la bête qui monte de l’abîme leur livrera un combat, et les vaincra et Jes tuera, et leurs cadavres resteront sur la place de la grande cité qui est appelée, de son nom mystique, Sodome et Égypte, et dans laquelle aussi leur maître a été crucifié. Et d'entre les peuples et les tribus et les langues et les nations îl y en aura qui verront leurs cadavres pendant trois jours et demi, et ils ne permettront pas que leurs cadavres soient mis dans un sépulcre. Et à cause d'eux les habitants du pays se livreront à la joie et à l'allégresse, et s'enverront des présents les uns aux autres, parce que ces deux prophètes ont tourmenté les habitants du pays. Mais après les trois jours et demi un souffle de vie entra en eux de la part de Dieu et ils se redressèrent sur leurs pieds et une grande frayeur saisit ceux qui les voyaient. Et j'entendis une voix forte venant du ciel, qui leur disait: Montez ici! Et ils montèrent au ciel dans le nuage, à la vue de leurs ennemis. Et en cette même heure il se fit un grand tremblement de terre et la dixième partie de la ville s'écroula et sept mille hommes périrent dans ce tremblement, et les autres furent saisis de terreur et rendirent hommage au Dieu du ciel.

XI, 1-13. Nous avons donc ici le véritable entracte annonce plus haut, c'est-à-dire cette partie intégrante du grand drame de l'avenir qui se place après la sixième plaie et avant la catastrophe finale. C'est l'une des parties du texte qui a le plus égaré les commentateurs. Il s'agit ici du sort réservé à Jérusalem; mais le symbolisme n'est pas toujours bien transparent et la forme même de l'exposition laisse à désirer, l'auteur passant tour à tour du ton de la prophétie qui parle au futur, à celui de l'intuition extatique qui se sert du présent (ce que nous avons effacé dans la traduction pour la rendre intelligible) et au style du narrateur qui raconte au prétérit des scènes qui ont passé sous ses yeux. Pour plus de clarté, il conviendra de décomposer le tableau et d'en contempler les divers éléments l’un après l'autre.

Établissons d'abord qu'il s'agit réellement de Jérusalem. C'est la ville où se trouve le temple et l'autel de Dieu: or, Jéhova ne reconnaissait point d'autre sanctuaire que celui de Sion (comp. chap. XIV, 1); et tant que l'adoration du vrai Dieu est localisée, ne serait-ce que pour les besoins du symbolisme, c'est à Sion que nous aurons à placer les adorateurs. Mais la ville elle-même, en dehors du sanctuaire, a perdu ses titres et privilèges; elle a rejeté son seigneur et maître, elle a fait couler sur la croix son sang qui demande encore vengeance. Elle porte donc aujourd'hui, non plus le nom sacré que lui donne l'histoire théocratique, mais celui d'Égypte, qui rappelle tout ce que les prophètes avaient le plus en horreur, celui de Sodome, qu'eux-mêmes bien anciennement déjà lui donnaient, tant pour flétrir ses iniquités que pour faire pressentir son châtiment (És. I, 10. Jér. XXIII, 14. Ez. XVI, 48). Enfin, s'il pouvait rester un doute, la mention de la mort de Jésus suffirait à elle seule pour le dissiper.

Ce que nous venons de dire doit faire immédiatement comprendre qu'il sera question ici de Jérusalem à deux points de vue tout opposés; au point de vue idéal, d'après lequel la cité sainte a été l'objet des promesses divines, le centre des manifestations tutélaires de Jéhova, le symbole de la certitude des relations théocratiques entre Dieu et les siens; et au point de vue de la réalité, d'après lequel la ville rebelle et vainement avertie tant de fois, finira par ressentir la juste colère de son juge irrité. L'auteur ne s'arrête qu'un instant au premier point de vue, pour peindre de préférence l'avenir prochain d'après le second.

Tout d'abord il faut remarquer que l'annonce de la double destinée de Jérusalem est mise, sans que l'auteur le dise expressément, dans la bouche de Christ même (mes témoins, v. 3), de Christ qui est le sauveur des uns, et la cause de la ruine des autres, de ceux qui l'ont mis à mort. Mais il faut admettre que le discours de Christ s'arrête au 3° verset, car plus loin il est question de lui à la troisième personne (leur maître, v. 8). Or, Christ dit deux choses: 1° II ordonne au voyant de mesurer le temple; non point, certes, afin d'en constater les dimensions, car cela ne s'appliquerait pas à ceux qui y adorent; mais pour délimiter l'enceinte qui doit servir d'asile idéal aux fidèles dont le nombre, idéal aussi, a déjà été déterminé et qui doivent être abrités là (chap. XIV, 1) pendant la durée des dernières épreuves d'un monde devenu mûr pour le châtiment, et jusqu'à ce que la nouvelle Jérusalem (chap. XXI), soit prête à les recevoir. Déjà les anciens prophètes avaient employé ce symbole de la mesure dans le sens indiqué, voyez Zach. II, 5; comp. Éz. XL, 3. Amos VII, 7. Toujours est-il que notre texte déclare de la manière la plus positive que le temple ne sera pas frappé, lui aussi, de la vindicte céleste (voyez l'Introduction, p. 24). 2° Il déclare également en termes fort simples que la ville tombera au pouvoir des païens, qui la profaneront par leur présence, mais il ne dit pas qu'ils la détruiront. Toute la ville, hormis le temple, sera foulée aux pieds par les païens. Cependant ce châtiment, car c'en est un, n'est pas à considérer comme une preuve de ce que la patience du Dieu d'Israël est épuisée; au contraire, il fait envoyer encore une fois à son peuple, et pour lui donner un avertissement suprême, les deux témoins de Christ, ses deux plus grands prophètes, qui exerceront leur ministère (auprès des Juifs, comme cela va sans dire, et non pas auprès des païens) pendant toute la durée de l'occupation.

Ces deux prophètes sont, à n'en pas douter, Moïse et Élie. Tout ce qui est dit aux v. 4-6 est destiné à les signaler d'une manière indubitable. À la fermeture du ciel, au feu sortant de la bouche, on reconnaît Élie (1 Rois XVII. Jaq. V, 17. 2 Rois I, 10. Comp. Jér. V, 14. Sir. XLVIII, 1); l'eau changée en sang, et les plaies variées, rappellent Moïse. Les croyances apocalyptiques des Juifs parlaient de prophètes anciens devant revenir pour servir de précurseurs au Messie, voyez Jean I, 21. Marc VI, 15, et surtout Matth. XVII, 10 ss. Ils apparaissent revêtus de cilices, comme Jean-Baptiste, en leur qualité de prédicateurs de la repentance. La comparaison avec des oliviers et des candélabres est copiée dans Zach. IV, 5.

Leur ministère dure trois ans et demi (42 mois à 30 jours ou 1260 jours); ces nombres sont empruntés à Daniel VII, 25; XII, 7. Comp. Apoc. XII, 14. L'auteur adopte purement et simplement les combinaisons de son devancier, il change seulement le terme à partir duquel il fait courir la période indiquée. De même que Fauteur du livre de Daniel en fixait le commencement, au moment où il écrivait ou du moins dans l'avenir le plus immédiat, de même l'auteur de notre Apocalypse, qui n'a cessé de répéter que tout ce qu'il prédit doit arriver dans le plus bref délai, fixe évidemment le commencement des trois années et demie à l'époque de la 6e trompette (comp. v. 14), c'est-à-dire dans un avenir très-prochain. En d'autres termes, le présent entracte, la partie la moins rapide du drame, durera trois ans et demi.

Mais à la fin de cette période, les événements se succèdent de nouveau avec une effrayante rapidité, parce que le dernier délai accordé, et accordé aux Juifs seuls, est expiré, et rien n'arrête plus le bras du Juge. Les deux prophètes, malgré la puissance miraculeuse avec laquelle ils ont pu résister, pendant leur ministère, aux attaques d'un monde rebelle, finissent par succomber aux assauts de l'enfer. Une bête monte de l'abîme, une puissance-monstre, en possession de toutes les forces que Satan peut donner à ceux qui travaillent pour sa cause, vient à surgir, et, avec la permission de Dieu, cette puissance l'emporte sur les fidèles serviteurs de Dieu pendant un espace de temps très court (trois jours et demi, en style apocalyptique). Les prophètes sont tués, et les Juifs incrédules, leurs ennemis, croyant avoir remporté une victoire définitive, se réjouissent de leur triomphe; ils se complimentent les uns les autres, comme, on le fait à l'occasion d'un événement heureux, en s'envoyant des cadeaux (Néh. VIII, 10. Esth. IX, 19), et joignant l'outrage à la cruauté, ils laissent les corps des martyrs sans sépulture, en spectacle aux païens. La bête est introduite avec l'article défini, quoique l'auteur n'en ait pas encore parlé; c'est qu'elle jouera un rôle prépondérant dans la suite du drame, et dès à présent le rédacteur, qui la connaît, prête au prophète, qui est censé la voir pour la première fois, une expression qui n'est point naturelle dans la bouche de celui-ci. Le 13 et le 17e chapitre nous feront connaître cette figure d'une manière plus directe et nous ne voulons pas anticiper sur la description qui en sera donnée.

Après la courte période pendant laquelle l'enfer est victorieux, les choses changent tout à coup de face. Les deux prophètes sont ressuscités et montent au ciel (ce qui, du reste, pour l'un comme pour l'autre, n'est pas chose inattendue d'après leur histoire d'autrefois, 2 Rois II, 11. Jud. 9. Matth. XVII, 3), et cela devant les yeux et à la stupéfaction de leurs ennemis. Un dernier châtiment frappe Jérusalem: un tremblement de terre engloutit une partie de la ville et de ses habitants, mais cette catastrophe, très différente à cet égard de toutes celles qui ont été l'objet des 6 trompettes (chap. IX, 20), amène la conversion des survivants.

Cela fait voir que le prophète, après tout, distingue très nettement les Juifs des païens, et tandis que ces derniers, représentés comme définitivement voués au châtiment éternel, persistent dans leur incrédulité et blasphèment encore en périssant, les Juifs, en majorité, viendront à résipiscence au dernier moment et rendront hommage au Dieu de leurs pères, qui pourra ainsi détourner de leurs têtes les foudres de sa colère.

14 Le second malheur est passé — voici, le troisième arrive bientôt!

XI, 14. Ce verset, tout simple qu'il est, a pourtant égaré les commentateurs qui n'ont pas toujours su lui assigner sa place légitime dans l'évolution des scènes apocalyptiques. Voici comment il faut le comprendre.

Les sept trompettes devaient annoncer sept coups frappés (sept plaies) sur le monde opposé à rétablissement du royaume de Dieu. Après les quatre premières plaies il fut dit expressément (chap. VIII, 13) qu'il en viendrait encore trois autres, et ces trois dernières, devant être plus terribles que les premières, furent appelées d'avance les trois malheurs, ou plutôt littéralement les trois Ouè, par une interjection marquant l'effroi et la douleur. Le premier ouè (5e trompette), c'étaient les sauterelles; le second (6e trompette), c'était le vent brûlant du désert; reste le troisième ou dernier (la 7e trompette), la catastrophe finale. Celle-ci ayant été retardée et comme perdue de vue, par l'intercalation de l'entracte, l'auteur, en allant l'aborder, rappelle dans quel rapport de succession ou de symétrie elle doit se trouver avec ce qui précède. J'avais vu, dit-il (précédemment), le deuxième Ouè; le troisième est proche. Rien n'est donc moins conforme à son intention que la supposition d'après laquelle la catastrophe de Jérusalem aurait été le deuxième, ou du moins une partie du deuxième malheur. Au contraire, cette catastrophe, par ses résultats, est plutôt un bienfait et n'a rien de commun avec les trompettes et leurs plaies.

15 Et le septième ange sonna de la trompette. Alors de fortes voix se firent entendre dans le ciel qui disaient: L'empire du monde est remis à notre Seigneur et à son Christ, et il régnera aux siècles des siècles! Et les vingt-quatre vieillards, assis devant Dieu sur leurs sièges, se jetèrent la face contre terre et adorèrent Dieu en disant: Nous te rendons grâces, Seigneur, Dieu tout-puissant, qui es et qui as été, de ce que tu as saisi ton grand pouvoir et pris possession de ta royauté; les nations étaient en fureur, mais ta colère est enfin venue; il est venu, le moment de juger les morts et de donner leur récompense à tes serviteurs les prophètes, et aux saints et à ceux qui révèrent ton nom, aux petits et aux grands, et de perdre ceux qui perdent la terre! Et le temple de Dieu au ciel s'ouvrit, et l’arche de son alliance apparut dans son temple, et il y eut des éclairs et des bruits et des tonnerres et une forte grêle.

XI, 15-19. La septième trompette sera la dernière, elle donne donc le signal du commencement de la fin, et nous savons que tout le reste du drame, jusqu'au bout, sera le contenu de la 7e trompette, de même que toutes les sept trompettes dans leur ensemble, avec les événements qu'elles ont dû annoncer, avaient été le contenu du 7e sceau. Plus la fin avait été retardée par les scènes préliminaires, plus l'impatience croissante du lecteur donne aussi de solennité à ce signal suprême, plus enfin la brièveté même de la phrase qui l'introduit est de nature à lui donner du relief.

Mais l'auteur révèle son génie poétique par une autre combinaison encore. Nous comprenons sans peine que la catastrophe définitive sera amenée par une lutte des deux puissances, de Dieu et de Satan, de la lumière et des ténèbres, puisque en ce moment même c'est cette dernière puissance qui a le dessus dans le monde; et avant toute autre chose, avant la réalisation des vœux ardents des croyants et l'accomplissement des promesses divines, il y aura un choc, un combat, que les fidèles eux-mêmes, tout en y mettant leur espoir, ne peuvent voir approcher qu'avec anxiété. Et voilà que l'annonce de ce combat, non encore décidé de fait, est formulée comme un cri de victoire, comme un chant de triomphe. Oui, le passage qu'on vient de lire proclame par anticipation l'issue certaine et prochaine de cette lutte entre le ciel et l'enfer; il exprime, sous une forme concrète on ne peut mieux choisie, cette idée abstraite que la victoire ne saurait être douteuse du moment qu'il plaira à Dieu d'engager le combat, de frapper son coup, de dire enfin: C'est moi qui suis le maître et le roi.

De ce point de vue, notre morceau est on ne peut plus transparent. L'empire du monde est remis à Dieu, non qu'il lui eût échappé jusqu'ici, mais c'est que le mortel soupirait après une manifestation éclatante de cette suprématie incontestable, et si longtemps déjà Dieu permettait qu'elle fût contestée! Il saisit enfin son pouvoir et prend possession de sa royauté, c'est-à-dire, il fait valoir ses prérogatives envers et contre tous; désormais il règne seul et ne tolère plus aucune velléité de rébellion. Jusqu'ici les nations, les païens surtout, étaient en fureur (Ps. II, 1), sévissant contre les hommes et bravant le Très-Haut; maintenant sa colère éclate, il arme son bras vengeur, et sa justice distribue à chacun ses récompenses et ses peines méritées. — Si les copistes et les traducteurs avaient compris ce beau texte, ils n'auraient pas trouvé nécessaire d'ajouter à ces épithètes du nom de Dieu: qui es et qui as été, cette autre: et qui viendras, que nous avons lue plus haut, par la simple raison que dans ce moment-là Dieu est supposé être venu, pour ne plus cesser d'y être.

Mais la double péripétie du drame, l'entrée des fidèles au royaume de paix et de félicité, et la perte ou destruction de ceux qui ont perdu, corrompu, ensanglanté la terre, n'est point seulement proclamée d'avance par des voix célestes, elle est encore représentée d'une manière sensible et matérielle. Le sanctuaire dans lequel Dieu réside (chap. III, 12; VII, 15; XIV, 15) s'ouvre, c'est-à-dire le rideau qui en voilait encore la partie intérieure (comme dans le temple de Jérusalem) se lève et laisse entrevoir l'Arche sainte, le symbole de l'alliance de Jéhova avec son peuple, cette arche perdue depuis la ruine du premier temple, et qui se retrouve ici comme le gage d'une union désormais indissoluble. (L'image doit être appréciée pour elle-même, et non être mise en regard de ce fait, que depuis longtemps Dieu est en scène sans que le temple ait dû s'ouvrir.) Et pendant que le regard des héritiers du royaume contemple avec bonheur cet objet réjouissant, l'orage éclate à l'entour, dans un rayon plus vaste, sur ceux qui n'y auront point part.

Après cette proclamation préalable du résultat, les visions vont se porter sur, le conflit des puissances engagées, lequel doit amener la ruine définitive de tout ce qui s'oppose à Dieu. Ce conflit, nous l'avons déjà dit, ne saurait être long, et le récit s'en résumera, en quelques lignes. Mais la symétrie du poème en demande davantage, et les proportions se retrouvent, conformément aux règles de l'art, par des tableaux préliminaires ou accessoires. Ainsi tout d'abord l'auteur peint les ennemis mêmes qui vont se mettre en scène, maintenant que, après les coups redoublés qui ont frappé leurs adhérents parmi les hommes, ils sont pour ainsi dire obligés d'engager leurs propres personnes.

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