Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

APOCALYPSE DE JEAN

Chapitre 9

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1 Et le cinquième ange ayant sonné, je vis un astre tombant du ciel sur la terre, et on lui donna la clef du puits de l'abîme. Et il ouvrit le puits de l'abîme et il sortit du puits une fumée pareille à la fumée d'une grande fournaise, et le soleil et l'air furent obscurcis par la fumée du puits. Et de cette fumée sortirent des sauterelles qui se jetèrent sur la terre, et il leur fut donné un pouvoir comme l'ont les scorpions de la terre, et il leur fut dit de ne point faire de mal aux herbes de la terre, ni à aucune verdure, ni à aucun arbre, mais seulement aux hommes qui ne portent point le sceau de Dieu sur le front; et il leur fut donné de ne point les tuer, mais de les tourmenter pendant cinq mois, de tourments pareils à ceux que cause le scorpion quand il pique un homme. Et en ces jours-là, les hommes chercheront la mort et ne la trouveront pas, et ils désireront de mourir, mais la mort les fuira.

7 Et la forme de ces sauterelles était semblable à celle de chevaux équipés pour la guerre, et sur leurs têtes il y avait comme des couronnes ressemblant à de l'or, et leurs visages étaient comme des visages d'hommes, et elles avaient des chevelures comme des chevelures de femmes, et leurs dents étaient comme celles des lions, et elles avaient des cuirasses semblables à des cuirasses de fer, et le bruit de leurs ailes était pareil au bruit de nombreuses voitures attelées, s'élançant au combat. Et elles avaient des queues comme les scorpions, avec des dards, et c'est dans leurs queues que se trouvait leur pouvoir de faire du mal aux hommes pendant cinq mois. Elles avaient pour roi au-dessus d'elles un ange de l'abîme, dont le nom est Abaddon en hébreu, en grec il se nomme Exterminateur. Le premier malheur est passé: voici, il en vient encore deux après!

IX, 1-12. Il avait été annoncé plus haut que les trois dernières trompettes amèneraient trois plaies (fléaux, malheurs, catastrophes) plus terribles encore que les précédentes. Voici maintenant la première de ces plaies ou, comme s'exprime le texte, le premier de ces cris de Ouè, qui pour les Grecs et pour les Romains sont l'expression de la terreur et de la menace. La terre sera envahie par des nuées de sauterelles, mais ces sauterelles, tant par leur origine, que par leur forme et par leur action, seront bien autrement terribles que celles qui viennent dévaster de temps à autre les champs des hommes et dont le passage laisse après lui les traces d'une affreuse désolation. Le fond de l'image est emprunté à la nature, car le prophète veut réellement parler d'animaux nuisibles, contre lesquels l'homme n'a pas les moyens de se défendre (et il n'est pas question le moins du monde d'une allégorie soit historique, soit religieuse), mais son imagination se donne libre carrière pour charger les traits du tableau des couleurs les plus vives et les plus criantes.

Ces sauterelles ne sont pas écloses sur la terre, elles viennent de l'enfer. À cet effet, un ange descend dans ce lieu de feu et de mort, par un puits, comme on descend dans une mine; il en ouvre la porte et laisse échapper ainsi la fumée de la fournaise souterraine et avec elle sortent en même temps des êtres vivants et malfaisants, comme la fumée ordinaire emporte avec elle des étincelles et des débris de matière combustible qui retombent sur le sol et y causent du dommage. Nous disons un ange, car il est évident que l’astre tombant du ciel, saisissant une clef, descendant par un puits et ouvrant une porte, est pour l'auteur un être personnel et vivant. Nous avons là devant nous une trace, la plus récente peut-être, de l'antique mythologie sémitique, qui déifiait, ou du moins qui vivifiait les astres et les considérait comme des puissances intelligentes, comp. Juges V, 20. Job XXXVIII, 7. De même dans le livre d'Hénoch il est question d'étoiles qui mangent, qui ont des mains et des pieds (chap. 85, 87), conceptions qui seraient grotesques et absurdes, si l'idée de la personne ne dominait pas la notion de la forme. Les sauterelles qui sortent de l'abîme ont un roi, elles agissent avec ensemble, d'après une direction consciente, ce qui revient à dire que leur action est positivement et volontairement cruelle et funeste; ce roi est un ange de l'abîme, l'un des démons qui résident dans le séjour des ténèbres et de la mort (non pas l'ange de l'abîme, qui ne serait autre que l'Hadès lui-même (chap. VI, 8). Le nom hébreu qui lui est donné, Abaddon, se rencontre dans la poésie hébraïque (Job XXVI, 6; XXVIII, 22. Prov. XV, 11), comme synonyme du S'eôl ou de la mort; notre auteur lui donne un sens plus personnel et plus actif.

Quant à la forme, il emprunte une série de traits à la fameuse description des sauterelles qui se trouve dans le livre de Joël (chap. II), mais ces traits sont beaucoup exagérés à dessein, pour frapper l'imagination et augmenter la terreur que la prédiction doit inspirer. La comparaison des sauterelles et des chevaux est consacrée même par le langage populaire; en Allemagne on les appelle chevaux du foin; leurs antennes, leur peau, le bruit qu'elles font, sont tour à tour utilisés pour la description fantastique du texte; partout sous ces formes, plus baroques encore qu'effrayantes, au gré de notre goût, on peut facilement retrouver la primitive simplicité de la nature qui a suggéré les images. Les queues seules sont une addition tout à fait arbitraire, inventée pour le besoin de la conception du moment.

Car ces sauterelles, tout à fait différentes en cela des sauterelles ordinaires, ne s'attaquent pas à la végétation, mais aux hommes mêmes; et comme elles doivent avoir le pouvoir de les tourmenter sans les tuer, et de prolonger ainsi leurs tourments (pendant cinq mois, c'est-à-dire beaucoup plus longtemps que les sauterelles ordinaires n'ont coutume d'affliger la contrée sur laquelle elles s'abattent), il leur est donné des dards ou aiguillons logés dans l'extrémité de leurs corps, comme celui du scorpion; leurs piqûres venimeuses se prolongent et se répètent, sans que les hommes trouvent le repos, et au point de leur faire désirer la mort. Il faut convenir que les imprécations contre les païens oppresseurs d'Israël, qu'on trouve dans un certain nombre de psaumes, n'expriment nulle part un sentiment de haine et de cruauté aussi raffinée que le présent tableau. On remarquera surtout qu'à cette occasion l'auteur passe tout à coup du style de la narration apocalyptique, à celui de la simple prédiction. Cela ne fait que rehausser l'intérêt personnel, le plaisir sympathique qu'il prend lui-même à la perspective qu'il décrit.

13 Le sixième ange ayant sonné, j'entendis une voix qui sortait des quatre angles de l'autel d'or placé devant Dieu, et qui disait au sixième ange, lequel tenait la trompette: Lâche les quatre anges qui sont enchaînés sur le grand fleuve d'Euphrate! Et on lâcha les quatre anges, préparés pour l'heure et le jour et le mois et l'année, afin qu'ils fissent périr le tiers des hommes. Et le nombre des bataillons de chevaux était de vingt mille myriades: j'entendis leur nombre. Et ainsi je vis les chevaux dans ma vision, et ceux qui les montaient; ils avaient des cuirasses couleur de feu et d'hyacinthe et de soufre, et les têtes des chevaux étaient pareilles à des têtes de lions, et de leurs gueules il sortait du feu et de la fumée et du soufre. C'est par ces trois plaies que périt le tiers des hommes, par le feu et la fumée et le soufre qui sortaient de leurs gueules. Car la puissance de ces chevaux était dans leur gueule et dans leur queue, car ces queues étaient semblables à des serpents ayant des têtes, et c'est avec elles qu'ils faisaient du mal. Et les autres hommes, qui n'avaient point péri par ces plaies, ne se repentirent pas des œuvres de leurs mains, de manière à ne plus adorer les démons et les idoles d'or et d'argent et d'airain et de pierre et de bois, qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher, et ils ne se repentirent pas de leurs meurtres, ni de leurs sorcelleries, ni de leurs débauches, ni de leurs rapines.

IX, 13-21. La sixième plaie (le second Ouè ou malheur par excellence) est plus terrible que la précédente, car elle fait périr le tiers des hommes, et la description en est plus fantastique encore. On voit deux cents millions de cavaliers montés sur des chevaux qui ont des têtes de lions et pour queues des serpents et qui vomissent de leurs bouches du feu, de la fumée et du soufre.

Qu'est-ce que cela doit signifier? On y a vu tour à tour les Romains, les Parthes, le Mahométisme, le choléra, et je ne sais quoi encore. Mais l'analogie du tableau précédent suffira pour faire rejeter toutes ces explications et pour nous en faire trouver la véritable. Il est évident que l'auteur n'a fait qu'exagérer les proportions et symboliser la nature et les effets d'une autre plaie naturelle de l'Orient, du Samoûm ou vent brûlant du désert, dont la violence irrésistible et les effets pernicieux et délétères sont connus des voyageurs et souvent décrits dans leurs relations.

Sur les bords de l'Euphrate, au delà du vaste désert de l'Arabie, la puissance de cet ouragan brûlant, représentée par quatre anges, est aujourd'hui enchaînée, mais dès à présent réservée pour le moment précis où Dieu voudra s'en servir pour exécuter ses décrets vengeurs. Une voix partie de l'autel, de cet autel où les prières des saints persécutés ont été brûlées comme un encens accepté du Très-Haut, ordonne à l'ange de la sixième trompette de lâcher cette quadruple puissance de l'ouragan qui va se déchaîner sur le monde incrédule tout entier. Ici la description présente une lacune; l'auteur voulait dire, sans doute, que les quatre anges à leur tour mettent en mouvement les forces dévastatrices qu'ils commandent; mais il a hâte de saisir les figures concrètes qui se dessinent devant son regard, et il passe sans aucune transition à la description des monstres qui animent ce qui pour l'observateur ordinaire est un simple phénomène de la nature. Le vent du désert est brûlant et étouffant et obscurcit l'atmosphère; c'est pour cela que l'armure des cavaliers a les couleurs rouge, brun foncé et jaunâtre, et que le souffle sortant de la gueule des chevaux est formé de feu, de fumée et de soufre. Le samoûm ne renverse pas seulement tout ce qu'il trouve devant lui, mais derrière lui aussi, après son passage, la mort et la désolation en marquent les traces. Voilà pourquoi il est donné aux chevaux des queues de serpents ayant la tête en arrière.

Cependant ces châtiments ne sont pas destinés à corriger les hommes, mais à leur faire sentir la colère de Dieu. Aussi bien les survivants ne songent-ils pas à se convertir, ils persistent dans leur idolâtrie (description empruntée à Dan. V, 23) et dans leurs crimes. À cette occasion, les dieux du paganisme sont positivement appelés des démons, c'est-à-dire considérés comme des êtres véritables usurpant les prérogatives du seul vrai Dieu (comp. 1 Cor. X, 20), comme l'antiquité chrétienne l'a pensé assez généralement.

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