Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

APOCALYPSE DE JEAN

Chapitre 6

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1 Alors je vis comme l'agneau ouvrit l'un des sept sceaux, et j'entendis l'un des quatre animaux criant comme une voix de tonnerre: Approche! Et je regardai et vis un cheval blanc, et celui qui le montait tenait un arc, et il lui fut donné une couronne et il partit en vainqueur et pour aller vaincre. Et quand il ouvrit le second sceau, j'entendis le second animal qui criait: Approche! Et il parut un autre cheval roux et à celui qui le montait il fut adonné le pouvoir d'ôter la paix de la terre, pour que les hommes s'égorgeassent les uns les autres, et il lui fut donné une grande épée. Et quand il ouvrit le troisième sceau, j'entendis le troisième animal qui criait: Approche! Et je regardai et vis un cheval noir, et celui qui le montait tenait une balance dans sa main. Et j'entendis une voix au milieu des quatre animaux qui disait: Le litre de froment à un denier et trois litres d'orge à un denier; mais ne fais pas de mal à l'huile et au vin l Et quand il ouvrit le quatrième sceau, j'entendis le quatrième animal qui criait: Approche! Et je regardai et je vis un cheval jaunâtre, et celui qui le montait avait nom Mortalité. Avec lui vint l'Enfer et il leur fut donné pouvoir sur le quart de la terre, pour le faire périr par le glaive et par la famine et par la mortalité et par les bêtes sauvages.

VI, 1-8. La série des événements futurs qui se révèlent au prophète, à mesure que les sceaux s'ouvrent, commence naturellement par ce qu'on appelait les douleurs de l'enfantement du règne messianique, les grandes calamités qui en doivent précéder l'établissement et qui frapperont l'humanité sans distinction des bons et des méchants. Parmi ces calamités, trois surtout sont fréquemment, et pour ainsi dire proverbialement, nommées ensemble: la guerre, la famine et la peste, voyez Jér. XIV, 12; XXIV, 10; XXVII, 8; XXXIV, 17; XXXVIII, 2; XLII, 17. Éz. V, 12. Ce dernier prophète y joint encore (chap. XIV, 21) les bêtes féroces qui, sur les bords du désert, envahissaient un pays dépeuplé par les autres fléaux (comp. Matth. XXIV, 6 ss.). Le dernier verset du morceau que nous avons devant nous énumère précisément ces quatre ennemis de la vie des hommes.

Mais dans les quatre tableaux qui précèdent, les bêtes sont remplacées par une autre figure empruntée également à l'Ancien Testament. Jérémie avait dit (chap. XXI, 7; XXXII, 36J: celui qui échappera à la guerre, à la famine et à la peste, tombera entre les mains du roi de Babel. C'est cette formule que notre auteur représente dans sa première figure, en faisant précéder les trois fléaux par le vainqueur, personnification de l'ambition et de l'orgueil qui entraînent après eux la destruction et la ruine.

Les quatre causes de mort ou principes de destruction sont personnifiées sous la figure de quatre cavaliers, d'après Zach. VI, 1 ss.; comp. chap. I, 8 ss. On peut se représenter leur apparition successive comme venant des quatre points cardinaux, de manière qu'à chaque nouvelle apparition un autre animal fait approcher le prophète. Ce dernier ne feuillette pas le livre, mais il voit des fantômes passer devant lui. On voit d'ailleurs que toute cette première série de figures est copiée sur les anciens, mais l'arrangement parallèle et la mise en scène appartiennent à notre auteur.

Le vainqueur monte un cheval blanc, comme les rois et les triomphateurs; ses attributs sont l'arme et la couronne. La guerre monte un cheval roux, couleur du feu ou du sang; son attribut est l'épée, sa mission est d'exciter les hommes les uns contre les autres. La famine monte un cheval noir, la peau de l’homme prenant une couleur noirâtre par l'excès de la privation. Son attribut est la balance, parce qu'il faut mesurer à chacun sa ration avec une extrême parcimonie. L'image n'est pas bien transparente, aussi une voix l'explique-t-elle. Ce n'est pas la voix de Dieu qui reste toujours impassible sur son trône, et n'intervient pas dans de pareils détails. Le prophète entend la voix, mais préoccupé de l'image, il n'en détermine pas l'origine. La voix fait connaître la cherté des grains. Un chénix de froment (nous avons remplacé ce terme par celui de litre, bien que probablement le litre soit un peu plus grand que ne l'a été la mesure ancienne) formait, d'après l'estimation du temps, la ration journalière d'un homme, par exemple d'un soldat; un denier revient à 85 centimes. D'après cela, l'hectolitre reviendrait à près de cent francs. La proportion est énorme (surtout si l'on tient compte de la valeur relative de l'argent alors et aujourd'hui), mais elle l’est sans doute à dessein. Nous savons par Cicéron (Verrès III, 81) qu'on achetait alors en Sicile un modius de froment (douze chénix) pour un denier; l'orge coûtait la moitié. L'huile et le vin ne sont pas frappés par cette calamité, mais ils ne servent pas à la nourriture de l'homme dans une proportion notable.

La quatrième image a été généralement mal comprise par les interprètes. Le cavalier qui monte le cheval pâle ou baillet (couleur de la maladie) n'est pas la mort dans le sens propre, mais ce que le peuple appelle quelquefois de ce nom, la mortalité, c'est-à-dire les maladies contagieuses, l'épidémie, la peste, comp. chap. XVIII, 8.

Après les quatre fléaux, et avec la mission de recueillir les nombreuses victimes (un quart de tous les vivants) de tous les quatre, vient l'Enfer, le S'eôl, l'Hadès, le séjour des morts personnifié, qui les engloutit. Les quatre tableaux sont ainsi plus intimement liés entre eux et séparés du suivant. Le texte authentique dit: il lui fut donné pouvoir, c'est-à-dire à l'Enfer, et non pas: il leur fut donné, ce qui se rapporterait aussi à la peste; car si cette dernière à elle seule eût dû engloutir un quart des hommes, il faudrait en conclure que les fléaux précédents auront déjà fait périr les trois autres quarts et il en résulterait cette absurdité qu'il ne serait resté personne.

9 Quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis au-dessous de l'autel les âmes de ceux qui avaient été égorgés à cause de la parole de Dieu et du témoignage auquel ils avaient adhéré. Et ils crièrent à haute voix et dirent: Jusques à quand, ô Seigneur saint et véridique, diffères-tu le jugement et veux-tu ne pas venger notre sang sur les habitants de la terre? Et il leur fut donné à chacun une robe blanche, et il leur fut dit de se tranquilliser quelque temps encore, jusqu'à ce que leurs compagnons de service et leurs frères, qui devaient être mis à mort comme eux-mêmes, fussent aussi venus à leur terme.

VI, 9-11. Le tableau qui se présente après l'ouverture du cinquième sceau est complètement indépendant de celui qui précède, ainsi que de celui qui suit. Le sens en est très clair. À l'époque où Fauteur écrivait, il y avait déjà eu beaucoup de martyrs et les persécutions continuaient. Le prophète ne peut pas en promettre la fin très prochaine. Cette idée de la nécessité de la patience, pour quelque temps encore, est rendue concrète dans une scène d'un grand effet poétique. Les martyrs se présentent devant Dieu pour demander vengeance, mais il leur est dit que le moment de cette dernière n'est pas encore venu. Il y a des compagnons de service, des frères croyants comme eux et placés dans des conditions analogues, qui doivent d'abord arriver également au terme de leur carrière, sans doute par la même fin (ou d'après une autre leçon: compléter le nombre), avant que le jour de la grande compensation ne vienne.

Les détails n'offrent pas de difficulté. L'autel, qui n'a pas encore été mentionné, se place naturellement dans la demeure du Très-Haut, près de son trône, comme c'était le cas dans le sanctuaire de Jérusalem. — Pour la parole et le témoignage, voyez chap. I, 2. — La robe blanche expliquée plus bas (chap. VII, 13). Pour ceux qui la reçoivent ici, elle est le gage immédiat de leur titre à l'entrée au royaume.

12 Et quand il ouvrit le sixième sceau, je vis comme il y eut un grand tremblement de terre, et le soleil devint noir comme un cilice de crin, et la lune entière devint comme du sang, et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre; c'était comme un figuier qui laisse tomber ses fruits verts quand il est agité par un vent violent. Et le ciel se replia comme un livre qu'on roule et toutes les montagnes et les îles furent ôtées de leurs places. Et les rois de la terre, et les grands, et les capitaines, et les riches, et les puissants, et tous les serfs et hommes libres, se cachèrent dans les cavernes et dans les rochers des montagnes, et dirent aux montagnes et aux rochers: Tombez sur nous et cachez-nous devant la face de celui qui est assis sur le trône et devant la colère de l'agneau; car il est arrivé, le grand jour de sa colère, et qui peut rester debout?

VI, 12-17. Cette scène se détache également des autres et amène comme sixième tableau des signes précurseurs de la parousie, les terribles phénomènes de la nature, les tremblements de terre et les éclipses (Joël II, 10; III, 4. Amos VIII, 9. És. XIII, 10. Éz. XXXII, 7. Matth. XXIV, 7, 29, etc.).

Le cilice est une étoffe grossière faite de poil de chèvre, et de couleur noire. (L'emploi du mot sac est ridicule.) — La lune dans ses éclipses prend quelquefois une teinte rougeâtre. — La chute des étoiles comparées à des figues (És. XXXIV, 4. Nah. III, 12. Matth., 1. c.) s'explique par les idées cosmologiques des anciens qui se représentaient quelquefois le ciel comme une tente susceptible d'être roulée et pliée; les étoiles y sont attachées comme des lampes, et tombent à terre quand la tente est ramassée (Ps. CIV, 2. És., 1. c). — Les hommes qui se cachent par peur dans les cavernes sont pris dans És. II, 10, 21. Osée X, 8; comp. Luc 23 XXIII, 30. — Pour les paroles qui leur sont mises dans la bouche, voyez Nah. I, 6. Mal. III, 2. Ces cris d'angoisse, qui peuvent être regardés comme l'effet de toutes les calamités décrites dans ce chapitre, mais plus particulièrement des derniers phénomènes, forment une antithèse naturelle avec la consolation symbolisée par les robes blanches. Pendant ces temps de préparation et d'épreuves tous les hommes souffrent indistinctement, mais les méchants, les incrédules, les ennemis de Dieu et de Christ, que le prophète signale surtout dans les rangs supérieurs de la société, y voient l'annonce de leur ruine et se livrent au désespoir, tandis que les fidèles s'adressent avec confiance à Dieu et s'affermissent ainsi dans le courage de la patience.

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