Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

APOCALYPSE DE JEAN

Chapitre 5

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1 Et je vis dans la droite de Celui qui était assis sur le trône un livre écrit en dedans et en dehors et scellé de sept sceaux. Et je vis un ange puissant proclamant à haute voix: Qui est-ce qui est digne d'ouvrir ce livre et d'en rompre les sceaux? Et personne, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre, ne put ouvrir le livre et y regarder. Et moi, je pleurais beaucoup de ce que personne n'avait été trouvé digne d'ouvrir le livre et d'y regarder. Et l'un des vieillards me dit: Ne pleure point! Voici, le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David, c'est lui qui a le pouvoir d'ouvrir le livre et ses sept sceaux!

V, 1-5. Le tableau que nous offre le cinquième chapitre est l'un des plus beaux du livre, et à part quelques réminiscences des prophètes, il appartient tout entier à l'auteur pour le fond de la conception.

L'avenir qu'il s'agit de révéler est écrit d'avance (parce que Dieu le sait) dans un livre qu'il n'est donné à personne d'ouvrir et de lire. Aucun ange, aucun homme, aucun mort même — et l'on sait que l'antiquité attribuait aux morts la science de l'avenir (1 Sam. XXVIII) — ne saurait jeter un regard dans ce livre fermé de sept sceaux, c'est-à-dire clos pour le monde. Un seul être peut rompre ces sceaux et dévoiler l'avenir, c'est le grand révélateur, le Verbe divin. Christ. Voilà l'idée de ce morceau: voyons les symboles.

Ces derniers ont pu paraître très peu nettement dessinés. Les commentateurs ont vainement cherché à se faire une idée bien claire de la forme du livre. Si ce dernier portait de l'écriture au dedans et au dehors (litt.: par derrière, sur le dos), comment donc a-t-il été impossible d'en rien voir, et par conséquent d'en rien lire? Puis comment a-t-il été fermé? L'auteur veut-il parler de sept rouleaux superposés l'un à l'autre, de manière qu'à l'ouverture de chaque rouleau une nouvelle partie du contenu est révélée? Mais alors comment les sept sceaux sont-ils visibles dès l'abord? Et si les sept sceaux ferment le livre dans son entier, comment se trouve-t-il ouvert dès que le premier sceau est rompu?

Toutes ces questions sont inutiles, toutes ces difficultés sont imaginaires. Nous n'avons point affaire ici à des faits matériels, mais à des idées abstraites. La forme du livre, ses sceaux, l'ouverture, la connaissance du contenu, tout cela ne forme pas un tout concret et homogène; les éléments de l'allégorie peuvent ne point s'accorder, l'idée est en harmonie avec elle-même d'un bout à l'autre. Il y a l'avenir, connu de Dieu seul et voilé au monde; l'avenir qui se révélera successivement dans la suite des temps d'une manière réelle et objective, mais qui dès à présent, par intuition prophétique, arrive à la connaissance d'un homme privilégié, lequel à son tour est chargé d'en faire part à d'autres hommes. Le livre est écrit des deux côtés du rouleau (Ézéch. II, 10); cela doit signifier sans doute que l'avenir tout entier y est consigné, parce que rien ne peut être caché à Dieu qui a écrit le livre. D'autre part, il faut bien noter que le prophète n'apprend point le contenu du livre par la lecture qu'il en aurait faite, mais par une suite de visions, de tableaux qu'il contemple, et qui, représentant d'une manière concrète et vivante les faits écrits dans le livre, se présentent devant ses regards au fur et à mesure que les feuillets du livre sont tournés. Mais ce n'est pas à dire que ces tableaux aient été peints dans le livre, que ç’ait été un livre à images. Le symbole du livre, et les visions relatives à l'avenir, sont deux choses différentes, deux formes d'une seule et même pensée. Les sceaux indiquent le mystère, le nombre sept se rapporte à l'évolution de l'avenir en sept phases et pas le moins du monde à la forme du volume.

Le Messie sorti de la tribu de Juda (Matth. II, 6. Hébr. VII, 14) est nommé le lion, d'après l'image de la Genèse (chap. XLIX, 9) interprétée théologiquement. Cette image est d'ailleurs en harmonie avec ce qui est dit chap. II, 27. Le rejeton (et non pas la racine) de David vient d'És. XI, 1. On n'a pas besoin de traduire (à la lettre) que le Messie a vaincu. Le verbe grec a ici simplement la signification de réussir, d'après l'hébreu auquel il correspond.

6 Et je regardai, et voici, au milieu entre le trône et les quatre animaux et entre les vieillards, je vis placé un agneau paraissant comme égorgé, et ayant sept cornes et sept yeux. (Ce sont les sept esprits de Dieu envoyés par toute la terre.) Et il vint et prit le livre de la main droite de celui qui était placé sur le trône. Et quand il Peut pris, les quatre animaux et les vingt-quatre vieillards se jetèrent par terre devant l'agneau, ayant chacun une harpe et des coupes d'or pleines de parfums. (Ce sont les prières des saints.) Et ils chantaient un cantique nouveau en disant: Tu es digne de prendre le livre et d'en ouvrir les sceaux, parce que tu as été égorgé et que tu as racheté pour Dieu, au prix de ton sang, des hommes de toute tribu, langue, peuple et nation, et tu en as fait un royaume et des sacrificateurs, pour qu'ils règnent sur la terre!

Et je regardai et j'entendis autour du trône la voix de beaucoup d'anges et des animaux et des vieillards, et leur nombre était des myriades de myriades et des milliers de milliers, qui disaient d'une voix éclatante: L'agneau égorgé est digne de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l'honneur, la gloire et la bénédiction! Et toutes les créatures dans le ciel, et sur la terre, et sous la terre, et sur la mer, et tout ce qui s'y trouve, je les entendis toutes qui disaient: À celui qui est assis sur le trône et à l'agneau, bénédiction, honneur, gloire et pouvoir aux siècles des siècles! Et les quatre animaux dirent: Amen! et les vieillards se jetèrent à terre et se prosternèrent.

V, 6-14. Christ apparaît donc sur la scène pour remplir son rôle de révélateur. Comme il ne s'agit que de symboliser cette idée, on aurait bien tort de demander où il a pu se tenir avant le moment où il devient visible. Il nous est représenté sous l'image de l'agneau pascal, c'est-à-dire comme médiateur de la nouvelle alliance; il paraît comme égorgé, ce qui doit rappeler qu'il a souffert la mort pour la rédemption des pécheurs; enfin il a sept cornes et sept yeux, parce qu'il participe aux attributs de la divinité, comme l'auteur a soin de l'expliquer lui-même. Car c'est lui qui a inventé ce symbole; l'autre, déjà adopté par l'Église (1 Cor. V, 7. Comp. 1 Pierre I, 19. Jean 1, 29), n'avait pas besoin d'explication. Mais encore une fois, il faut faire abstraction de la forme concrète de l'image, pour s'en tenir exclusivement à l'idée représentée, autrement on en viendrait à demander comment un agneau peut être à la fois vivant et égorgé, et comment il peut prendre et tenir un livre, et en ouvrir les sceaux. Pour les sept cornes et les sept yeux, symboles de la puissance et de la science, voy. Zach. IV, 10. Dan. VII, 8.

Les vieillards représentant, comme nous l'avons dit, le sacerdoce céleste, sont munis de coupes à parfums ou d'encensoirs, mais l'encens qu'ils brûlent, ce sont les prières des saints, des hommes pieux et fidèles. C'est une idée empruntée à l'Ancien Testament (Ps. CXLI, 2) et familière au langage figuré du judaïsme (Tob. XII, 15. Act. X, 4), mais symbolisée ici d'une manière très gracieuse. Le cantique nouveau (Ps. XXXIII; XL; XCVI; XCVIII; CXLIV; CXLIX, etc.), qu'ils chantent en l'honneur de l'agneau, rappelle ce qu'il a fait pour les hommes, et insiste (ce qu'il ne faut pas négliger) sur ce que les élus, rachetés par son sang et formant son royaume, sont de toutes les nations de la terre. Il ne s'agit donc pas ici d'un étroit judéo-christianisme qui repousserait les païens. D'après le texte vulgaire, les pronoms dans ce cantique sont à la première personne. Alors il faut supposer tout simplement que ce sont les prières des saints elles-mêmes qui sont ainsi présentées devant le trône de Dieu. Cependant cette leçon ne mérite pas la préférence; car évidemment l'auteur veut raconter que les chants de glorification en l’honneur de l'agneau, entonnés d'abord dans le cercle des vieillards, sont répétés comme par un écho multiple et dans des sphères de plus en plus étendues, par les myriades des anges et par toutes les créatures de l'univers, parmi lesquelles se trouvent naturellement les hommes, et qu'enfin l'Amen solennel, qui clot ce concert universel, est prononcé dans la proximité la plus immédiate du trône.

Les quatre animaux eux-mêmes, qui symbolisent les attributs de la divinité, rendent hommage à l'Agneau et prononcent l'Amen après les hommages de l'univers. C'est que ces attributs personnifiés sont à la disposition de Christ, du Verbe divin, qui les possède et s'en sert. C'est encore l'idée abstraite à laquelle nous nous arrêterons. L'image ne s'allie pas à celles qui ont précédé, car les animaux portant le trône de Dieu ne sauraient se jeter à terre sans ébranler ce dernier.

Le nombre des anges est emprunté à Daniel (chap. VII, 10); les hommages rendus à Christ (v. 12) se formulent en sept termes ou prérogatives; l'univers se divise (v. 13) en quatre sphères ou parties. Ce symbolisme des nombres (sept et quatre) se retrouvera encore souvent.

Dans toutes ces scènes Dieu reste impassible sur son trône. Il ne prend point part à l'action dramatique qui anime le tableau. Il est présent, et sa présence sanctionne tout ce qui se passe. Mais son œuvre est réglée de toute éternité, il n'a pas besoin d'intervenir pour en assurer la marche. Ce repos majestueux ne nous paraît pas être copié sur le modèle d'un roi oriental, régnant plutôt que gouvernant du fond de son palais, mais destiné à mettre en relief cette idée fondamentale de la métaphysique judaïque qui parle de Dieu comme d'un être abstrait, insaisissable à la pensée humaine, mais se révélant par les hypostases de ses attributs.

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