Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 24

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1 Cinq jours plus tard arriva le grand-prêtre Ananias, avec les anciens et un certain Tertullus, avocat, lesquels introduisirent devant le gouverneur une action contre Paul. Celui-ci ayant été appelé, Tertullus commença son plaidoyer en ces termes: «C'est par toi, ô très excellent Félix, que nous jouissons d'une paix profonde; c'est à ta prévoyance que ce peuple doit en tout et partout les bienfaits d'une bonne administration: nous le reconnaissons avec une entière gratitude.

4 Cependant, pour ne pas t'importuner trop longtemps, je te prie d'écouter notre requête sommaire avec ta bonté habituelle. Nous avons trouvé cet homme, qui est une vraie peste, qui a excité des troubles parmi les Juifs du monde entier et qui est le chef de la secte des Nazaréens, comme il tentait de profaner le temple, et nous l'avons arrêté. Si tu veux procéder à son interrogatoire, tu pourras apprendre de sa propre bouche tout ce dont nous l'accusons.» Les Juifs s'associèrent à cette accusation, en déclarant que les choses s'étaient passées ainsi.

XXIV, 1-9. Paul étant désormais entre les mains de l'autorité romaine, le Sanhédrin, de juge qu'il avait été, se fait partie civile et envoie quelques-uns de ses membres, son président en tête, accompagné d'un avocat romain, pour introduire une action judiciaire devant le gouverneur. On ne voit pas clairement à quelle fin ils plaident; du moins, l'esquisse du discours de l'avocat que nous venons de lire n'en parle pas. Cependant nous ne risquerons guère de nous tromper, en disant qu'on demandait l'extradition de l'accusé. Nous avons vu ailleurs que les missionnaires chrétiens étaient accusés de tentatives politiques et de forfaiture contre les lois de l'État, par ceux qui espéraient ainsi surprendre la religion des juges. Ici, on se garde bien de placer l'accusation sur ce terrain; le gouverneur pouvait trop facilement la vérifier et la réduire à sa juste valeur, ou plutôt la lettre du commandant lui épargnait d'avance toute peine à cet égard. On suit donc une autre tactique: Paul n'est qu'un chef de secte, un fauteur de troubles intérieurs, un profanateur du sanctuaire. Tout cela ne regardait pas la justice romaine. Le Sanhédrin seul peut connaître de pareils faits, il réclame son prisonnier, qu'on lui a enlevé sans motif valable. Nous devinons sans peine l'arrière-pensée du Sanhédrin. Ils n'auraient eu garde de se laisser entraîner une seconde fois à des querelles de parti. Aujourd'hui ils étaient parfaitement d'accord et l'on voit clairement que l'effervescence de l'autre jour ne provenait pas le moins du monde de quelque sympathie dogmatique des Pharisiens pour l'apostat, l'adversaire de la loi.

Le discours de l'avocat, qui dans cette légère esquisse même se fait reconnaître pour un chef-d'œuvre d'habileté, est encore remarquable par son exorde et sa péroraison. Il débute par de basses et viles flatteries pour l'un des plus méchants gouverneurs que la Judée ait subis, et dont l'administration a pu fournir, peu de temps après, ample matière aux Juifs pour lui intenter un procès en cour impériale. Après cela, l'orateur exprime une espèce de regret de ce qu'il vient importuner le magistrat pour une affaire si simple, et dans laquelle celui-ci devait reconnaître immédiatement son incompétence; enfin, en terminant, il a le front d'en appeler à l'accusé lui-même, qui ne manquera pas de confirmer les faits exposés.

Voilà l'analyse du discours d'après le texte authentique. Cependant comme celui-ci présente une petite faute de rédaction que nous avons dû faire disparaître, les copistes l'ont complètement dénaturé en intercalant une longue phrase qui a passé dans les imprimés. Voici ce qu'ils font dire à Tertullus: «. . . Nous l'avons arrêté et nous voulions le juger conformément à notre loi. Mais le commandant Lysias survint, l'arracha avec violence de nos mains et l'emmena en disant que ceux qui voulaient l'accuser auraient à s'adresser à toi. Si tu veux l'interroger, tu sauras, etc.» Certes, l'avocat aurait été un grand sot, s'il avait ainsi incriminé un officier supérieur; il devait s'attendre à ce que les deux Romains ne se querelleraient pas entre eux pour mieux faire les affaires des Juifs; Lysias aurait hautement protesté contre cette manière de critiquer ses actes, et en tout cas cela n'aurait jamais abouti à l'extradition immédiate de Paul, la seule chose que le Sanhédrin devait désirer. D'ailleurs, toute cette phrase manque dans les meilleurs manuscrits, et si elle était authentique, on ne s'expliquerait pas qu'elle en ait pu être retranchée.

10 À cela Paul, quand le gouverneur lui eut donné la parole, répondit ainsi: «Comme je sais que tu es magistrat de ce peuple depuis de longues années, c'est avec une pleine confiance que je te présente ma justification. Car tu pourras constater qu'il n'y a pas plus de douze jours que je suis arrivé à Jérusalem pour y faire ma dévotion, et qu'on ne m'a trouvé ni dans le temple, ni dans les synagogues, ni en ville, haranguant qui que ce soit, ou provoquant un attroupement de la foule; et ils ne peuvent pas prouver ce dont ils m'accusent maintenant.

14 Mais je confesse que j'adore le Dieu de mes pères d'après la doctrine que ceux-ci appellent une secte, croyant à tout ce qui est écrit dans la loi et les prophètes, et espérant, sur la foi de Dieu (comme d'ailleurs eux aussi l'admettent), qu'il y aura une résurrection des justes et des injustes. Et c'est dans cette espérance que je m'efforce moi-même d'avoir une conscience pure devant Dieu et les hommes, en tout temps. Je suis venu ici après une absence de plusieurs années, dans le but d'apporter à mon peuple des aumônes et des offrandes, et c'est à cette occasion qu'ils m'ont rencontré dans le temple occupé à des rites sacrés, et non dans un attroupement, ni dans un tumulte; mais c'étaient quelques Juifs d'Asie, et ce sont eux qui auraient dû se présenter pour m'accuser, s'ils avaient quelque chose à dire contre moi.

20 Ou bien que ceux-là même qui sont ici présents disent de quel méfait ils m'ont trouvé coupable, quand je comparaissais devant le Sanhédrin: si ce n'est peut-être au sujet de ce seul mot que j'ai prononcé devant leur assemblée: C'est pour la résurrection des morts que je suis mis en jugement devant vous aujourd'hui!»

XXIV, 10-21. Le discours de Paul reprend un à un les éléments de celui de la partie adverse. Sans s'abaisser jusqu'à flatter son juge, l'apôtre en appelle à la longue expérience du gouverneur, qui était alors dans la huitième année de sa magistrature et qui devait suffisamment connaître l'état des choses et des esprits en Palestine (comp. v. 22), pour ne pas se laisser influencer par des insinuations dictées par le fanatisme et la mauvaise foi. Passant aux faits, Paul démontre d'abord combien il sera facile de les constater exactement, puisqu'ils ne remontent qu'à quelques jours; puis il défie ses adversaires de prouver leurs assertions, de produire des témoins qui oseraient ou pourraient donner à des démarches parfaitement innocentes, une couleur douteuse ou compromettante, à quelque titre que ce fût. Il saurait d'autant moins être question d'une profanation du temple, qu'au moment même de son arrestation il était engagé dans des actes religieux, conformes à la lettre et à l'esprit de la loi. D'ailleurs, s'il y avait eu là un motif de procéder contre lui, c'était bien à ceux qui avaient été sur les lieux dans ce moment, qui avaient pris l'initiative dans cet esclandre, de se présenter ici pour justifier leurs actes et pour formuler leurs griefs. L'accusé a le droit d'être mis en face de ses accusateurs.

Paul avait encore été signalé comme le chef de la secte des Nazaréens. Il relève cette accusation, pour en montrer la véritable valeur. Oui, dit-il, j'adhère à cette doctrine, mais je repousse la qualification de sectaire; ma religion est celle de mes pères, Leur code sacré est aussi le mien; quant à mes espérances, mes adversaires les partagent. Mes convictions m'imposent le devoir et la volonté de mener une vie irréprochable. Il n'y a là rien de criminel, rien d'hétérodoxe même. On pourrait objecter que Paul, dans l'intérêt de sa défense, réduit ici le christianisme à une expression bien décolorée, et qu'à vrai dire il n'en relève aucun élément distinctif, qu'il affecte, au contraire, d'effacer la différence entre l'Évangile et la Loi, qu'il sait si bien caractériser dans ses écrits. On aurait tort de vouloir méconnaître ce fait, et de nier qu'il en a agi ainsi en vue des exigences du moment; cependant il ne faut pas oublier qu'il était sincèrement convaincu que tout ce qui est essentiel à l'Évangile se trouve déjà implicitement contenu dans la Loi, sous une forme prophétique ou symbolique (Rom. III, 31, etc.), et que ce sont les Juifs incrédules qui sont les véritables apostats (Rom. X, 1 ss., etc.). Aussi la fin du discours doit-elle être comprise comme une ironie. Du reste, il convient encore ici de faire, à l'égard de la parfaite exactitude des paroles mises dans sa bouche, les mêmes réserves que nous avons déjà faites au chapitre précédent.

22 Sur cela, Félix, qui était assez exactement renseigné sur ce qui concernait cette doctrine, remit la cause en disant: «Quand le commandant Lysias sera venu ici, j'examinerai votre affaire.» En attendant, il ordonna au capitaine de faire garder Paul, mais de manière à lui accorder une certaine liberté et à n'empêcher aucun de ses amis de l'assister.

XXIV, 22-23. Comme il existait à Césarée même une communauté chrétienne, le gouverneur savait parfaitement bien à quoi s'en tenir à ce sujet. Les Juifs ne lui en imposèrent donc point avec leurs incriminations, et il ne leur livra pas son prisonnier. Mais il ne le relâcha pas non plus, pour ne pas provoquer de leur part une explosion de colère, ce qu'il voulait éviter par les motifs personnels que nous avons indiqués plus haut. Il prend donc pour prétexte la nécessité d'entendre le commandant Lysias, que nous ne voyons plus reparaître sur la scène, et prononce la formule Amplius, c'est-à-dire l'ajournement de la cause et du jugement. Cependant Paul est traité avec tous les ménagements possibles. Il reste aux arrêts dans l'hôtel même du préfet; mais il n'est nullement gêné dans ses rapports avec ses amis du dehors.

24 Quelques jours après, Félix, avec sa femme Drusille, qui était juive, fit appeler Paul, pour l'entendre parler sur la foi en Christ. Mais quand celui-ci lui parla de justice et de continence et du jugement à venir, Félix fut troublé et dit: «Tu peux te retirer pour le moment; je te ferai rappeler quand j'en trouverai le loisir.» Il espérait aussi que Paul lui donnerait de l'argent, et c'est pour cela qu'il le faisait appeler assez fréquemment pour s'entretenir avec lui.

XXIV, 24-26. En deux traits de plume, l'auteur peint le caractère des trois personnes qui sont en scène. La princesse (XXIII, 24), qui ne paraît pas s'être préoccupée du christianisme antérieurement, à la curiosité de voir l'homme dont on parlait tant depuis quelques jours. On invite Paul à exposer ses croyances. L'apôtre, au lieu de faire un cours de métaphysique ou de polémique, comme peut-être on s'y attendait, profite de l'occasion pour adresser à son auditoire quelques paroles sérieuses, et Félix, dont la justice administrative était suffisammment appréciée dans le pays, et qui avait enlevé Drusille à son mari, trouve bientôt qu'il en a entendu assez pour cette fois. Il est assez débonnaire pour ne pas s'emporter contre le fâcheux prédicateur, ou plutôt, comme il lui connaît beaucoup d'amis, il espère que tout cela finira, comme d'autres affaires avaient fini aussi, par une somme d'argent, sur laquelle il y aurait moyen de s'entendre.

27 Deux années se passèrent ainsi, et Félix eut pour successeur Porcius Festus. Et comme il désirait obliger les Juifs, Félix laissa Paul dans sa prison

1 Or, Festus étant arrivé dans sa province, se rendit dès le troisième jour de Césarée à Jérusalem. Aussitôt les chefs des prêtres et les principaux Juifs reproduisirent leur accusation contre Paul et insistèrent auprès de lui, en demandant comme une faveur (mais dans un but hostile) qu'il le fit venir à Jérusalem. En même temps, ils préparèrent un guet-apens pour se défaire de lui en chemin.

4 Festus répondit que Paul resterait prisonnier à Césarée, et que lui-même allait bientôt y retourner. «Or, vos chefs, ajoutait-il, pourront m'y accompagner, et formuler leur accusation, s'il y a quelque charge contre cet homme.)

XXIV, 27 - XXV, 5. Les intrigues recommencent de plus belle à l'arrivée du nouveau gouverneur. Les partis fanatiques ont toujours aimé à s'emparer de l'esprit des hommes haut placés, mais peu au courant des discussions d'école. Festus n'a pas plus tôt paru à Jérusalem pour recevoir les hommages des autorités locales, qu'on l'obsède de sollicitations, très inofiensives en apparence. On ne veut plus lui enlever son prisonnier, on n'élève plus de conflit de compétence. Il ne s'agit que d'une toute petite faveur: il jugera lui-même l'accusé, comme son prédécesseur l'a voulu, sans en rien faire; seulement il le fera ici à Jérusalem. En attendant ils prenaient leurs mesures pour lui en épargner la peine. Festus refuse. A-t-il été averti de l'intention secrète des Juifs? ou n'avait-il réellement d'autre motif que le peu de temps qu'il se proposait de rester à Jérusalem? Notre auteur n'en sait rien. Le résultat fut le même dans les deux cas.

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