Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 21

----------

1 Quand nous eûmes repris la mer après nous être séparés d'eux, nous fîmes voile en droite ligne sur Cos; le lendemain nous arrivâmes à Rhodes, de là à Patara, et y ayant trouvé un bâtiment qui allait faire la traversée vers la Phénicie, nous y montâmes et nous reprîmes la mer. Arrivés en vue de file de Chypre et l'ayant laissée à gauche, nous fîmes voile vers la Syrie, et nous prîmes terre à Tyr. Car c'était là que le bâtiment devait décharger sa cargaison.

4 Nous allâmes trouver les disciples et nous y restâmes sept jours. Ils disaient à Paul, par la suggestion de l'esprit, de ne pas monter à Jérusalem. Après y avoir passé tout ce temps, nous sortîmes pour partir et tous nous accompagnèrent, avec femmes et enfants, jusque hors de la ville, et là, sur le rivage, nous nous agenouillâmes pour prier; puis, ayant pris congé les uns des autres, nous nous rendîmes à bord, et les autres retournèrent chez eux.

XXI, 1-6. Le trajet de Milet à Jérusalem ne se fait pas non plus d'une seule traite, bien que Paul n'eût aucun motif de s'arrêter en route. C'étaient les occasions qui manquaient, et l'on dut continuer à profiter de quelques bateaux qui, soit exprès, soit d'habitude, faisaient le service entre des ports voisins. Ainsi on arrivait successivement aux îles de Cos et de Rhodes, puis au port de Patara en Lycie, à l'angle sud-ouest de l'Asie mineure. Dans ce dernier endroit seulement on eut la bonne chance de trouver un bâtiment qui allait directement en Phénicie, sans longer la côte, en coupant le golfe de Chypre en diagonale, par la haute mer et de manière à laisser l'île à gauche. Probablement ce même vaisseau devait aussi aller de Tyr à Césarée, après avoir terminé ses affaires dans la première de ces villes; car cela seul nous explique pourquoi la société de Paul passe toute une semaine à Tyr.

À Tyr il y avait une communauté de chrétiens qui donna l'hospitalité aux voyageurs. Les frères de Tyr cherchèrent à dissuader Paul de son voyage de Jérusalem. Ils connaissaient, mieux encore que ceux d'Éphèse, les dispositions des Juifs de la Palestine à l'égard de l'apôtre, et l'effervescence des esprits, dans le centre de l'orthodoxie traditionnelle, au sujet des prédications subversives qu'on savait ou qu'on supposait avoir été faites par lui. Ils l'avertirent donc avec instance, et comme l'événement prouva qu'ils n'avaient point eu tort, Luc dit qu'ils parlaient par la suggestion de l’esprit, comme prophètes (comp. XX, 23). Leurs conseils étaient dictés par l'intérêt qu'ils prenaient à la conservation de la personne de Paul. Celui-ci suit l'impulsion du même esprit, qui lui trace la ligne du devoir. L'esprit est le même des deux côtés, mais nous ne dirons pas qu'il se met en contradiction avec lui-même, quand ce sont ses organes qui apprécient les faits à deux points de vue différents.

7 Quant à nous, notre navigation se termina par le trajet de Tyr à Ptolémaïde, où nous saluâmes les frères et passâmes un jour avec eux. Partis le lendemain, nous arrivâmes à Césarée, où nous nous rendîmes dans la maison de l'évangéliste Philippe, qui était l’un des sept, et nous demeurâmes chez lui. Il avait quatre filles non mariées qui étaient prophétesses.

10 Comme nous y restâmes plusieurs jours, il survint de Judée un certain prophète nommé Agabus, lequel, étant venu chez nous, prit la ceinture de Paul et se lia les pieds et les mains, en disant: «Voici ce que dit l'Esprit saint: l'homme à qui est cette ceinture, les Juifs le lieront ainsi à Jérusalem et le livreront aux païens.» Quand nous entendîmes cela, nous le conjurâmes, nous et les personnes de l'endroit, de ne pas monter à Jérusalem.

13 Mais Paul répondit: «Que faites-vous là, pleurant et me brisant le cœur? car, pour ma part, je suis prêt non seulement à me laisser lier, mais à mourir à Jérusalem pour le nom du Seigneur Jésus!» Et comme il ne se laissait pas persuader, nous cessâmes d'insister en disant: «Que la volonté du Seigneur se fasse!» Après ce séjour, nous prîmes nos effets et nous montâmes à Jérusalem. Il vint aussi avec nous des disciples de Césarée qui nous conduisirent chez un certain Mnason Cypriote, un disciple, qui devait nous donner l'hospitalité.

XXI, 7-16. Ptolémaïde (Saint-Jean d'Acre), l'ancienne Acco, était le dernier port de quelque importance vers le sud, sur la côte de la Syrie. La grande navigation s'arrêtait là; le reste du voyage devait se faire à pied.

Philippe, autrefois l'un des sept diacres de Jérusalem, était maintenant établi à Césarée. Il était évangéliste, c'est-à-dire qu'il parcourait la contrée pour évangéliser les populations des environs. Il est assez vraisemblable que ce nom et celui d'apôtre avaient déjà alors un sens différent, selon l'étendue du cercle d'action que chaque missionnaire s'était tracé, ou bien la différence des termes venait de ce qu'en Palestine on réservait le nom d'apôtres aux Douze. Notre récit mentionne un séjour prolongé de la société de Paul dans la maison de Philippe. Cela nous fait supposer que, malgré les lenteurs du voyage, on était arrivé en Palestine quelque temps avant la Pentecôte et que par conséquent on n'était pas trop pressé de se rendre à Jérusalem. Il va sans dire que pendant ce séjour les voyageurs assistèrent à toutes les réunions de prières des chrétiens de l'endroit, et là ils entendirent, entre autres orateurs, les quatre filles de Philippe, qui prêchaient également quand l'esprit les y poussait. Ce fait n'a rien de choquant, ni même de surprenant. Les relations fraternelles qui unissaient tous les membres de ces petits troupeaux primitifs en faisaient autant de familles, et les femmes y pouvaient prendre la parole tout aussi bien que si ç'avaient été des réunions domestiques. L'énergie particulière du sentiment religieux à cette époque donnait d'ailleurs à bien des personnes, qui dans les temps ordinaires se seraient tenues sur l'arrière-plan, le courage et les forces de se produire en public, et en même temps les talents nécessaires pour contribuer à l'édification commune. Il n'y a dans tout cela rien d'extraordinaire. Ces quatre jeunes personnes ne sont pas nommées prophétesses parce qu'elles auraient fait métier de prédire l'avenir, encore moins étaient-elles des nonnes qui auraient fait vœu de virginité. Ce sont là des explications incompatibles avec ce que nous savons des origines de l'Église. Tout de même nous avons lieu de penser que Paul, en assistant à ces discours de femmes en assemblée publique, devait en être médiocrement satisfait. Sa sagesse pratique, tout en reconnaissant l'action du Saint-Esprit partout où elle se manifestait, aimait aussi à faire des réserves au nom des convenances et de la prudence (1 Cor. XIV, 34. 1 Tim. II, 12), en vue des défauts de la nature humaine, qu'il n'avait pas l'habitude d'oublier pour se laisser entraîner à une exaltation périlleuse.

Le prophète Agabus est déjà nommé plus haut (XI, 28). La démonstration qu'il fait rentre dans la catégorie des actes symboliques des prophètes de l'Ancien Testament (1 Rois XI, 30. Ésaïe XX. Jér. XIII. Éz. IV, etc.). Nous dirons de cette prophétie et de la réponse de Paul ce que nous avons dit sur la scène de Tyr. Il était permis aux amis de Paul de le retenir, il leur était facile surtout de prédire les dangers qu'il courait. (Livrer aux païens, veut dire faire mourir, l'autorité romaine seule ayant le droit de vie et de mort, le jus gladii, la haute justice criminelle.) Leurs prévisions et leurs instances leur étaient également inspirées, puisque les unes ne les trompèrent pas et que les autres étaient dictées par les motifs les plus nobles. Mais Paul aussi pouvait dire: si je m'arrête aux portes de Jérusalem, sous le prétexte que ma présence n'y est pas nécessaire, et que je ne dois pas m'exposer à un danger imminent (raisonnement sans contredit prudent et légitime), autant vaut renoncer à l'apostolat; car les mêmes dangers se présentent partout, et une fois que des considérations de ce genre auront prévalu, c'en sera fait de l'énergie de mon courage, de la fermeté d'un dévouement qui doit être élevé au-dessus de toute réserve et faiblesse (Matth. X, 28, 39, etc.). Les amis comprennent la grandeur de cette résolution, et entrant dans le point de vue de l'apôtre, bien qu'avec une douloureuse résignation, ils disent: Que la volonté de Dieu se fasse! Car ils sont pénétrés de cette conviction, qu'une aussi belle et généreuse déclaration ne peut être aussi que l'œuvre du Saint-Esprit.

17 Lorsque nous arrivâmes à Jérusalem, les frères nous accueillirent avec empressement. Dès le lendemain, Paul se rendit avec nous chez Jacques; tous les anciens s'y trouvèrent. Après les avoir salués, il leur raconta en détail tout ce que Dieu avait fait parmi les païens par son ministère.

20 Quand ils l'eurent entendu, ils louèrent Dieu: cependant ils lui dirent: «Tu vois, cher frère, combien de myriades de Juifs sont devenus croyants, et tous sont partisans zélés de la loi. Or, on leur a rapporté sur ton compte que tu prêches l'apostasie à tous les Juifs qui sont dans les pays des païens, en leur disant de ne point circoncire leurs enfants et de ne plus vivre selon les rites de Moïse. Qu'y a-t-il donc à faire? On saura nécessairement que tu es arrivé. Fais donc ce que nous allons te dire: Il y a parmi nous quatre hommes qui sont engagés par un vœu; va te joindre à eux pour les rites de consécration et charge-toi de la dépense commune, afin qu'ils arrivent à se couper les cheveux; de cette manière, tout le monde saura que rien n'est vrai de ce qu'on a rapporté sur ton compte, mais que toi aussi tu pratiques et observes la loi.

25 Relativement aux païens devenus croyants, nous avons décidé et nous leur avons mandé qu'ils eussent à s'abstenir des viandes provenant d'animaux immolés aux idoles ou étranglés, ainsi que du sang et de l'impudicité.» Sur cela, Paul s'associa à ces hommes, et s'imposant les rites de la consécration dès le lendemain, il se rendit au temple pour annoncer d'avance l'époque de l'accomplissement du vœu où le sacrifice devait être offert pour chacun d'eux.

XXI, 17-26. Cette entrevue de Paul avec Jacques est de la plus haute importance pour l'histoire. On y voit d'abord que les chefs de la communauté de Jérusalem (parmi lesquels les apôtres ne sont pas mentionnés, de sorte qu'on peut les croire absents de la ville) sont tout disposés à faire bon accueil au célèbre apôtre des gentils. On écoute le récit de ses travaux, on se réjouit de ses succès, on veut bien croire qu'il y a toujours entre lui et la métropole communauté d'intérêts et de sentiments. Mais on ne peut lui cacher que tout le monde ne partage pas cette opinion. Il y avait à Jérusalem et dans la Palestine des myriades d'hommes qui partageaient sincèrement les espérances chrétiennes et professaient le nom du Seigneur Jésus, sans entendre le moins du monde rompre avec la loi. Au contraire, ils en étaient les zélés partisans, on pourrait même traduire, les adhérents fanatiques, et ils regardaient comme un apostat quiconque aurait osé faire bon marché de l'institution mosaïque. On dit donc à Paul: «Tu vois cela, tu ne peux pas l'ignorer, tu dois en tenir compte. Or, c'est précisément à ton nom que s'attache à cet égard un terrible soupçon et ta présence ne manquera pas d'échauffer les esprits et de faire éclater un orage qu'il faut tâcher de conjurer. On s'assemblera, on criera: il faut prévenir un fâcheux conflit. Il faut faire quelque chose qui puisse calmer l'effervescence, en donnant des garanties matérielles d'adhésion à la foi et à l'église de nos pères. Il faut faire une démonstration éminemment judaïque, une profession publique, moins en paroles qu'en actes.» On lui indique même une occasion et des formes qui permettront d'atteindre ce but. Parmi les usages religieux usités chez les Juifs, il y en avait qui servaient à manifester des sentiments de piété et de dévotion tout particuliers. C'étaient les vœux personnels et spontanés. On prie donc Paul de faire un vœu ou plutôt d'agir comme s'il l'avait fait antérieurement; c'est-à-dire de s'associer à quelques personnes qui étaient dans ce cas et qui d'ici à quelques jours achevaient la période de la consécration extraordinaire qu'ils s'étaient imposée (et pendant laquelle on se soumettait à certaines abstinences, voy. XVIII, 18), et qui devaient à cette occasion faire offrir en leur nom un sacrifice solennel et se faire couper les cheveux en signe de cessation des obligations ascétiques. «Joins-toi, lui dit-on, à ces hommes; fais avec eux les dévotions obligées, et ce qui plus est, supporte à loi seul les frais de la solennité prochaine pour tous les cinq; cela te vaudra la considération publique et l'on se convaincra que les rapports qui circulent sur ton compte sont de pures calomnies.» Paul, pour avoir la paix, accepte la proposition et fait les démarches indiquées.

Les cérémonies en question appartenaient aux formes traditionnelles du culte et ne rentraient pas toutes dans les prescriptions textuelles de la loi (Nombres VI). Elles ne créent point ici de difficulté. Le texte ne détermine pas la durée de l'abstinence. Il va être question de sept jours; cependant ceux-ci ne paraissent pas devoir représenter la durée entière du vœu, mais plutôt la période pendant laquelle Paul y a pris part, à moins qu'on ne préfère rapporter le chiffre à la fête de la Pentecôte. Ce qu'il y a de bien plus difficile à concevoir, c'est le rôle que Paul joue en cette occasion. Si les choses se sont passées comme notre texte le raconte (et il est presque impossible de ne pas voir dans le narrateur un témoin oculaire), il faut convenir que l'apôtre a été ici sous la pression des circonstances, et surtout d'un entourage auquel il n'était pas habitué, et qu'il s'est laissé aller à un mouvement de faiblesse dont nous ne l'aurions guère cru capable. En effet, on peut dire que l'accusation portée contre Lui était fondée quant à ce qu'elle avait d'essentiel. Car s'il n'était pas vrai que Paul prêchait aux Juifs l'apostasie, et qu'il les empêchait directement de circoncire leurs enfants, il leur répétait du moins que la circoncision n'avait aucune valeur religieuse, qu'elle était une forme désormais superflue de la foi. Et rien n'est plus vraisemblable que la cessation de fait de cette pratique dans beaucoup de familles juives, affiliées aux églises pauliniennes. Les épîtres récemment écrites aux Galates et aux Romains justifient pleinement les soupçons des chrétiens de Jérusalem, dont les théories étaient positivement opposées à celles de Paul. Celui-ci, étant pour ainsi dire mis en demeure de s'expliquer nettement sur sa position vis-à-vis du mosaïsme, au lieu de rendre un hommage sincère à la vérité telle qu'il l'a reconnue, préfère éluder la nécessité de répondre et s'accommoder aux circonstances. On peut dire à sa décharge que les actes de dévotion, dans les formes judaïques, ne lui étaient pas étrangers ou antipathiques (XVIII, 18, 21; XX, 6, 16. 1 Cor. IX, 20, etc.), qu'il s'en acquittait librement et fréquemment; qu'en s'y prêtant ici, il n'entendait pas les élever à la dignité de conditions du salut, ou leur attribuer une valeur méritoire, contrairement à ses convictions évangéliques. Tout cela est très vrai; mais la question n'est pas là. Si les chrétiens de Jérusalem lui reprochent de dispenser les Juifs de la circoncision, il devait leur répondre directement sur ce fait et l'expliquer, faire voir la différence entre cette dispense et la prédication de l'apostasie. Il agit de façon à faire prendre aux autres le change sur ses convictions intimes. Il n'aurait rien gagné, sans doute, à faire parade de ces dernières, mais fallait-il les voiler?

On ne se décidera jamais qu'à grand regret à reconnaître ce qu'il y a d'insolite et d'inattendu dans la conduite de Paul; mais ce n'est certes pas une raison d'accuser l'historien d'infidélité. Il y a même dans sa narration un élément qui montre que les faits n'ont point été altérés. Jacques tient aux engagements pris, et pris, on le sait, avec quelque scrupule, avec quelque hésitation. Il veut rester fidèle à ce qui a été convenu autrefois (chap. XV): liberté relativement à la circoncision pour les païens, mais en revanche, maintien des obligations légales pour les Juifs. Lui et ses amis ne refuseront pas aux premiers ce qu'ils leur ont accordé; Paul, de son côté, n'enfreindra pas ce qui a été réservé pour les seconds. C'est à ce point de vue surtout que Jacques pouvait dire à Paul: Je veux bien admettre que tu n'as pas violé les engagements pris d'un commun accord, mais il faut que tu le prouves par des actes. Ainsi, ce que Paul va faire n'est pas une pure accommodation de forme, c'est une déclaration de principe: il doit montrer que, pour sa personne, il est encore Juif, se sachant et se disant astreint à la loi. Son acte était donc ou une profession de judaïsme ou une comédie jouée, comme il le dit lui-même de tout ce qui n'est pas conforme à la conviction (Gal. II, 13). Devait-il aller jusque-là?

27 Au moment où les sept jours allaient être accomplis, les Juifs d’Asie, l'ayant aperçu au temple, ameutèrent la foule entière et mirent la main sur lui, en criant: «Au secours, Israélites! Le voilà, cet homme, qui prêche partout et devant tout le monde contre notre nation et la loi et ce lieu-ci, et maintenant il a même introduit des païens au temple et a profané ce lieu saint!» Car ils avaient vu auparavant l'Éphésien Trophimus avec lui dans la ville, et ils croyaient que Paul l'avait introduit au temple.

30 Sur cela, toute la ville fut en émoi; le peuple accourut de tous côtés; on saisit Paul, on le traîna hors du temple, et aussitôt les portes furent fermées. Pendant qu'on s'apprêtait à le tuer, le commandant de la cohorte fut averti que tout Jérusalem était dans l'agitation. À l'instant il prit des soldats et des officiers et descendit en courant vers les Juifs, et ceux-ci, voyant le commandant et les soldats, cessèrent de frapper Paul.

33 Alors le commandant s'approcha, le fit arrêter, ordonna qu'on le liât de deux chaînes et demanda qui il était et ce qu'il avait fait? Comme la foule répondait par des cris divers, le commandant, ne pouvant rien apprendre de positif à cause du tumulte, le fit conduire à la citadelle. Arrivé sur les marches, il se trouva être porté par les soldats, tellement la foule les pressait, car une masse de gens les suivait en criant: à bas!

37 Cependant au moment où l'on allait le faire entrer dans la citadelle, Paul dit au commandant: «Me serait-il permis de te parler?» Et celui-ci répondit: «Tu sais le grec? Tu n'est donc pas cet Égyptien qui naguère a soulevé les quatre mille brigands et les a emmenés au désert?» Et Paul reprit: «Je suis un Juif de Tarse, citoyen d'une ville assez considérable de la Cilicie; je te prie, permets-moi de haranguer le peuple.»

40 Le commandant lui en ayant donné la permission, Paul, placé sur les marches, fit signe de la main au peuple, et un profond silence s'étant établi, il lui adressa le discours suivant en langue hébraïque:

XXI, 27-40. Pour l'intelligence de cette scène, il est essentiel qu'on connaisse la disposition des lieux. Le mot temple désigne, on le sait, toute la vaste enceinte du lieu saint, avec ses cours et autres dépendances. L'accès de cette enceinte était interdit aux non-circoncis. L'auteur a soin de nous dire que Paul n'avait point violé cette règle, mais que la haine fanatique des Juifs, rapprochant dans leur imagination l'entourage ordinaire de Paul de sa personne seule présente, fit éclater contre lui l'orage qui le menaçait depuis longtemps.

Une émeute était facilement excitée au milieu de cette foule immense, rassemblée à l'occasion de la fête. Il suffisait de crier: Un païen au temple! Sus aux intrus! À bas l'apostat! et en un clin d'oeil l'attroupement se faisait, les violences éclataient, le lynch-Iaw s'appliquait. On traîne Paul hors de l'enceinte, parce qu'on veut le tuer, et le meurtre dans l'intérieur de la cour aurait été une profanation. La police lévitique fit fermer les portes, pour ne pas laisser troubler le culte.

La citadelle (arx Antonio), dont il est question ici, était un fort construit à l'angle nord-ouest de la colline du temple, et dominait ce dernier. Elle servait de castra, ou de caserne, à la cohorte qui composait la garnison de Jérusalem. L'autorité militaire était ainsi toujours à même de surveiller les mouvements populaires qui, à Jérusalem, pour des raisons matérielles tout aussi bien que religieuses, ne pouvaient s'organiser que dans les vastes cours du saint lieu. Voilà ce qui explique comment un piquet de soldats, sous la conduite personnelle du chef de la cohorte, pouvait se trouver sur les lieux dès le premier moment, et sauver la vie de Paul. On n'avait pour cela qu'à descendre les marches du perron par lesquelles on montait à la citadelle.

Le commandant d'ailleurs soupçonnait un mouvement politique; en conséquence, il prit des mesures de rigueur contre l'individu qui lui était désigné comme la cause de cette échauffourée. Il ne se rendait pas compte, sans doute, de l'acharnement de la populace contre un homme qu'il croyait être un démagogue. En tout cas, il voulait s'assurer de sa personne. Récemment un faux prophète égyptien (Joseph, Antiqq. XX, 8. Guerre des Juifs, II, 13) avait embauché beaucoup de monde, et avait conduit sa troupe sur la montagne des oliviers, en leur promettant qu'ils verraient les murs de Jérusalem s'écrouler sur son ordre. Le procureur Félix avait fait disperser ce rassemblement. Le commandant croyait voir dans Paul le chef qui avait échappé à cette occasion. Les brigands (style officiel) sont les adhérents d'un parti politique opposé au gouvernement de fait, des insurgés; le texte grec et les usages romains les appellent même des sicaires, c'est-à-dire des assassins. Il est fort possible que le poignard jouait là son rôle, comme nous le voyons encore de nos jours; il est possible encore, que des excès de tout genre se produisaient à la suite de la surexcitation des passions politiques ou sous des prétextes puisés dans la position respective des partis. Tout zélateur (Luc VI, 15) n'était pas pour cela un voleur ou un brigand.

***


Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant