Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 20

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1 Lorsque ce tumulte eut cessé, Paul réunit les disciples, prit congé d'eux et partit pour se rendre en Macédoine. Après avoir parcouru ces contrées, où il adressa aux fidèles de nombreuses exhortations, il passa en Grèce et s'y arrêta trois mois. De là il voulait se rendre par mer en Syrie, mais les Juifs méditant un guet-apens, il se décida à retourner par la Macédoine.

4 II était accompagné jusqu'en Asie par Sopater, fils de Pyrrhus de Bérée, les Thessaloniciens Aristarque et Secundus, Gaïus de Derbe et Timothée, enfin par les Asiates Tychicus et Trophime. Ceux-ci prirent les devants et nous attendirent à Troas; nous-mêmes nous quittâmes Philippes après les fêtes de Pâques, et, après une traversée de cinq jours, nous les rejoignîmes à Troas où nous restâmes sept jours.

XX, 1-6. Les événements que l'historien mentionne ici d'une manière assez rapide et superficielle peuvent se placer dans l'hiver de l'année 59 de notre ère. Les Pâques dont il est question seraient celles de l'an 60. Les épîtres de Paul servent à compléter ce récit. C'est pendant le premier séjour de Macédoine que fut écrite la deuxième aux Corinthiens; un peu plus tard, à Corinthe même, Paul composa celle aux Romains. La relation est tellement abrégée ici, que nous devinons plutôt que nous n'apprenons explicitement différentes circonstances plus ou moins intéressantes. Ainsi nous pouvons supposer que les Juifs avaient pris des mesures pour tuer Paul, soit au moment de son embarquement, soit en pleine mer, et qu'ayant eu connaissance de leur dessein, il changea le plan de son voyage, de manière à reprendre sans autre motif la longue et fatigante route de terre. Ainsi encore, nous voyons tout à coup reparaître sur la scène ce compagnon inconnu qui parle à la première personne et qu'on a de tout temps identifié avec l'auteur du livre, et ce qui plus est, c'est à Philippes que nous le retrouvons, dans l'endroit même où nous avions perdu sa trace (XVI, 16). Ainsi enfin, nous sommes abandonnés à nos conjectures pour nous expliquer la présence de tant de personnes dans l'entourage de Paul. Serait-ce que nous aurions à les considérer comme les délégués de différentes communautés, porteurs du produit de la collecte organisée au profit des chrétiens de Jérusalem, et dont il est plus d'une fois question dans les épîtrcs aux Corinthiens? On pourrait dire alors que Paul, voulant prévenir tout soupçon offensant pour son caractère, aurait refusé de se charger lui-même de ces sommes. Toutefois il y a dans cette société plusieurs personnes qui étaient antérieurement déjà attachées à l'apôtre (par ex. Timothée), d'autres qui restèrent avec lui bien au-delà du terme du présent voyage, comme Aristarque et l'inconnu. — Du reste, plusieurs de ces disciples sont aussi nommés dans les épîtres, voyez Éph. VI, 21. Col. IV, 7. 2 Tim. IV, 12, 20. Gaïus doit être un autre que le Macédonien qui a été nommé au chap. XIX, 29, et le Corinthien de Rom. XVI, 23.

7 Le premier jour de la semaine, comme nous étions réunis pour le repas commun, Paul, qui voulait partir le lendemain, parla à l'assemblée et prolongea son discours jusque vers minuit. La salle de l'étage supérieur où nous étions réunis était éclairée par beaucoup de lampes. Or, il arriva qu'un jeune homme, nommé Eutychus, qui était assis sur l'appui d'une fenêtre, tomba dans un profond sommeil, pendant que Paul continuait toujours à parler, et entraîné dans son sommeil, se laissa choir du haut, du troisième étage et fut relevé mort.

10 Cependant Paul descendit, se pencha sur lui et le prit dans ses bras, en disant: «Ne vous troublez pas ! Son âme est encore en lui!» Puis il remonta, rompit le pain et mangea, en continuant à parler longtemps encore et jusqu'au point du jour, où il partit. Le garçon fut ramené vivant, à la grande satisfaction des autres.

XX, 7-12. Le premier jour de la semaine, c'est le dimanche. On pourrait en conclure que ce jour était dès lors consacré aux réunions des chrétiens. Nous croyons cependant que ce raisonnement n'est pas bien solide, ces réunions paraissant avoir été alors bien plus fréquentes (II, 46), et ici il s'agit d'une réunion extraordinaire et plus solennelle peut-être, parce qu'elle était motivée par le départ de l'apôtre et de ses amis, qui devait avoir lieu le lendemain. Tout de même la célébration du dimanche remonte à une très haute antiquité et s'explique moins justement par la séparation ou l'opposition des chrétiens et des Juifs, que par les rapports plus intimes des deux éléments, les chrétiens continuant à fréquenter la synagogue et voulant pourtant aussi s'assembler à part.

Le repas commun (l'agape, comp. II, 42) était suivi de la sainte-cône. Il s'agit donc ici d'une assemblée tenue fort tard, et dans laquelle le repas n'eut lieu qu'à une heure très-avancée de la nuit, parce que le sermon s'était prolongé, et l'accident arrivé au jeune Eutychus avait momentanément interrompu l'entretien. Quant à cet accident, les paroles de Paul pourraient facilement être interprétées dans le sens d'une chance heureuse, par suite de laquelle le jeune homme ne se serait pas fait de mal. Mais ce n'est pas là ce que Luc veut raconter. Il ne dit pas qu'il fut relevé pour mort, comme mort. Et ce que Paul fait en se rendant auprès du malheureux, est identiquement la même chose que ce qui est raconté sur le compte d'Élie et d'Élisée, dans des cas pareils. D'ailleurs, le parallélisme constant, dans notre livre, entre Paul et Pierre (voyez IX, 40), ne nous permet pas d'amoindrir la portée du fait. L'apôtre est si sûr d'avoir rendu la vie à ce garçon, qu'il remonte aussitôt, prêche et mange comme si de rien n'était. C'est un miracle, ce n'est pas un accident que l'auteur veut raconter.

13 Cependant nous autres nous prîmes les devants en allant par mer jusqu'à Assos, où nous devions reprendre Paul; car c'est ainsi qu'il l'avait arrangé, voulant lui-même faire la route à pied. Quand il nous eut rejoint à Assos, nous le prîmes à bord et nous allâmes à Mitylène. Étant partis de là, nous arrivâmes le lendemain à la hauteur de Chios, le jour suivant nous cinglâmes vers Samos, et après nous être arrêtés à Trogylium, nous touchâmes le jour suivant à Milet. Car Paul avait résolu de passer devant Éphèse, pour ne pas être arrêté trop longtemps en Asie. Car il avait hâte de se trouver à Jérusalem, si cela était possible, pour le jour de la Pentecôte.

XX, 13-16. Le voyage se poursuit le long de la côte de l'Asie mineure, dans la direction du nord au sud. On se tient tout près de la terre, sans doute parce qu'on n'avait qu'une petite embarcation, ou plutôt peut-être parce qu'on en avait une autre a chaque station où il se trouvait des bateliers caboteurs à la disposition du public. D'abord Paul fait une journée à pied, de Troas à Assos. Il pouvait suivre ainsi la base d'un triangle très avancé dans la mer, tandis que les autres avaient à faire un grand détour pour doubler le cap. La prochaine station fut la ville de Mitylène sur la côte orientale de l'île de Lesbos, en face du continent, dont elle n'est séparée que par un détroit. Chios et Samos restèrent de même à la droite des voyageurs. Cette dernière île est située entre Éphèse et Milet, et le cap Trogylium, où l'on s'arrêta, se trouve en face de l'île. Cela seul prouve déjà que les commentateurs ont tort de leur faire prendre terre à la fois sur l'île et près du cap. À Milet enfin, ils s'arrêtèrent pour quelques jours.

17 Depuis Milet il envoya à Éphèse pour faire appeler près de lui les anciens de cette église. Quand ils furent arrivés auprès de lui, il leur dit: «Vous savez comment, depuis le premier jour où j'ai mis le pied en Asie, j'ai passé tout ce temps avec vous, servant le Seigneur en toute humilité, malgré les larmes et les épreuves que me causaient les embûches des Juifs; comment, loin de rien négliger de ce qui pouvait vous être utile, je vous ai prêché et enseigné, en public et dans vos maisons, vous recommandant avec instance, tant aux Juifs qu'aux Grecs, la conversion à Dieu et la foi en notre Seigneur Jésus.

22 Et maintenant, voyez, je vais à Jérusalem, où mon esprit me pousse irrésistiblement, sans que je sache ce qui m'y arrivera; si ce n'est que le Saint-Esprit m'avertit dans chaque ville, en me disant que des chaînes et des persécutions m'attendent. Mais ma vie ne vaut pas à mes yeux la peine que j'en parle, puisqu'il s'agit d'accomplir ma carrière, et le ministère dont j'ai été chargé par le Seigneur Jésus, à l'effet d'annoncer l'évangile de la grâce de Dieu.

25 Or, voyez, moi je sais bien que vous ne verrez plus ma face, vous tous au milieu desquels j'ai séjourné pour prêcher le royaume. Je vous prends donc à témoins en ce jour, de ce que je ne suis responsable du sang d'aucun de vous; car je n'ai point négligé de vous annoncer toute la volonté de Dieu. Prenez donc garde à vous-mêmes et à tout le troupeau auprès duquel le Saint-Esprit vous a placés comme surveillants, afin de paître l'église du Seigneur, qu'il s'est acquise au prix de son propre sang.

29 Je sais bien qu'après mon départ des loups dangereux se glisseront parmi vous qui n'épargneront pas le troupeau, et que du milieu même de vous il s'élèvera des hommes qui, par des enseignements pervers, entraîneront les disciples à leur suite. Veillez donc, en vous rappelant que pendant trois ans je n'ai cessé de vous exhorter nuit et jour, individuellement et les larmes aux yeux.

32 Quant à présent, je vous recommande à Dieu et à la parole de sa grâce, à celui qui peut vous édifier de plus en plus et vous assurer votre héritage parmi ceux qui lui sont consacrés. Je n'ai demandé l'argent, ni l'or, ni le vêtement de personne: vous savez vous-mêmes que ces mains-là ont pourvu à tous mes besoins et à ceux de mes compagnons, et je vous ai montré que c'est en travaillant ainsi qu'il faut soutenir les faibles, et se rappeler les paroles du Seigneur Jésus, qui a dit lui-même: Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir.»

XX, 17-35. Nous lisons ici le plus beau d'entre tous les discours insérés dans notre livre, et qui, dans la forme abrège même sous laquelle il nous est parvenu, révèle une profondeur de sentiments et une conception du devoir apostolique telle, qu'il peut être comparé aux plus touchantes pages des épîtres. Tout nous fait sentir que nous avons ici un résumé fait par un auditeur immédiat.

Paul, prêt à faire son grand voyage d'Occident, duquel il n'espérait guère revenir, ne voulait pas quitter les rivages de l'Asie, où il avait travaillé pendant plus de dix ans, sans prendre congé de la communauté au sein de laquelle il avait vécu en dernier lieu. Mais craignant d'y être arrêté trop longtemps s'il s'y rendait de sa personne, il se ménagea une entrevue avec les anciens (presbytres) de l'église. Ces anciens sont désignés par lui-même, dans la suite du discours, comme surveillants (évêques, ce qui prouve clairement qu'au gré du rédacteur et de son époque, les deux noms étaient équivalents, l'un d'origine juive, l'autre usité parmi les Grecs. L'opinion contraire, défendue par la tradition catholique, conformément à ce qui, à partir du second siècle, est devenu la forme régulière de la constitution ecclésiastique, ne se soutient pas en présence de notre texte et d'autres analogues (Tite I, 5, 7. Phil. I, 1). Elle prétend qu'il s'agit ici non pas seulement des anciens d'Éphèse, mais des évêques de toutes les autres églises de la province.

Le discours lui-même est ce que nous appellerions un sermon d'adieu; la personne de l'apôtre y est sans doute mise en évidence, mais on aurait tort d'y trouver l'expression d'une vanité personnelle, peu en harmonie avec la manière dont il a l'habitude de parler de lui-même dans ses épîtres (1 Cor. XV, 8 ss. 2 Cor. 1,12. IV, 7 ss., etc.). Il se résume en cette simple idée: j'ai tâché de faire de mon mieux, pour accomplir la mission que le Seigneur m'avait confiée auprès de vous; je crois avoir fait mon devoir, faites le vôtre! Ce cadre, si simple et si naturel, est rempli par quelques développements sans artifice rhétorique, comme sans vaine prétention; et l'orateur ne manque pas, en rappelant sa riche part de peines, d'attribuer le succès obtenu, et surtout le progrès à désirer, à l'action de Dieu et de son esprit. Du reste, le texte n'a guère besoin de commentaires, et nous pourrons nous borner à quelques remarques de détail. Nous relèverons surtout les nombreux éléments qui nous rappellent des passages parallèles des épîtres ou auxquels ces derniers peuvent servir de commentaires. Voyez, par exemple, pour les larmes et épreuves, que Paul signale comme ayant été l'accompagnement ordinaire de ses travaux apostoliques, l'éloquent tableau qu'il en fait 2 Cor. VI, 4 ss. ; pour le dévouement avec lequel il fait le sacrifice de sa vie, Phil. II, 17; pour la comparaison de celle-ci avec une course, 2 Tim. IV, 7; pour l'assimilation de son œuvre à un ministère, c'est-à-dire à un service officiellement imposé, 2 Cor. III, 6; pour les pleurs versés à l'occasion des exhortations individuelles, 2 Cor. II, 4; pour le soin qu'il met à signaler son entier désintéressement, 1 Cor. IX. 2 Cor. VII, 2. 2 Thess. III, 8, etc.

Ce que Paul dit de son voyage de Jérusalem est très simple, et n'aurait pas dû arrêter ou dérouter les commentateurs. Il se dit irrésistiblement poussé (litt.: lié) par son esprit vers cette ville, bien que, de ce côté-là, l'horizon fût bien sombre et que les avertissements, que le Saint-Esprit lui donnait en route (par la bouche de ses amis), dans chaque ville où il séjournait, fussent de nature à l'arrêter. Cette explication est exigée par ce que nous lirons au chapitre suivant (XXI, 4,11). L'antipathie, l'exaspération des Juifs fanatiques, qui suscitait partout des dangers à Paul, et qui ne reculait plus déjà devant des pensées d'assassinat (XX, 3), devait être bien autrement menaçante à Jérusalem, où leur haine avait les coudées bien plus franches. L'événement ne prouva que trop que ces appréhensions étaient fondées. Elles devaient lui apparaître comme des manifestations dictées par l'esprit de la prophétie. Mais elles ne devaient pas l'arrêter. Les périls et la mort ne devaient pas l'effrayer, car il les rencontrait partout sur son chemin, et à moins d'abdiquer son apostolat, il n'avait pas à reculer. Son voyage avait un but noble, conciliateur; il y tenait (comp. XXI, 13).

Nous signalerons encore deux variantes du texte. La phrase que nous avons rendue à la lettre par ces mots: ma vie ne vaut pas la peine que j'en parle, est énoncée ainsi dans la plupart des éditions: Je ne tiens compte de rien, et je ne prise pas tant ma vie. C'est la difficulté syntactique de la leçon primitive, qui a pu engager les anciens copistes à la changer. La seconde variante est plus fameuse: au lieu de ces mots: l'église du Seigneur qu’il s'est acquise au prix de son sang, on lisait autrefois: l'église de Dieu, etc., et on y voyait un passage à citer à l'appui du dogme de la divinité du Christ. La critique moderne a rétabli le mot de Seigneur, sur la foi des anciens témoins; d'ailleurs, ni le Nouveau Testament, ni l'ancienne orthodoxie patristique (en tant qu'elle est représentée par S. Athanase, qui blâme explicitement cet usage), ne se servent de la phrase: le sang de Dieu. Ce qui a pu provoquer le changement, c'est que Paul, dans ses épîtres, se sert exclusivement de la formule: église de Dieu. — Quant à la locution: je ne suis pas responsable de votre sang, voy. XVIII, 6. — La parole de la grâce de Dieu, c'est l'évangile. — L'image des loups était naturellement donnée par celle du troupeau (Jean X, 12); il s'agit évidemment des éléments hétérogènes et corrupteurs qui, soit du dehors, soit du dedans, introduiront l'erreur et la perdition dans le bercail; et les tristes prévisions de l'apôtre n'étaient que trop justifiées par l'expérience qu'il avait déjà faite antérieurement (voyez les introductions à ses diverses épîtres).

En terminant, Paul cite un mot de Jésus que nos évangiles n'ont pas conservé dans cette forme, bien qu'on puisse trouver des sentences qui s'en rapprochent plus ou moins. Ce fait n'a rien d'étonnant; dans les premiers temps, les souvenirs des nombreux auditeurs immédiats du Seigneur ont dû garder un trésor plus ou moins riche de pareilles maximes, qui ont naturellement fini par se perdre, en tant que les recherches des évangélistes ne s'en emparèrent point pour les préserver de l'oubli. — En traduisant: soutenir (ménager) les faibles, et non: secourir les malades ou les nécessiteux, nous nous éloignons de l'interprétation reçue. Le contexte ne nous paraît pas favoriser cette dernière, tandis qu'il est naturel que Paul dise: j'ai mieux aimé gagner mon pain par le travail de mes mains, que de me laisser entretenir par les fidèles, pour ne point affaiblir dans certains esprits la puissance de l'évangile (1 Cor. IX, 18. 2 Cor. VII. 2).

36 Quand il eut fini de parler, il se mit à genoux et pria avec tous les assistants, qui versèrent des larmes abondantes et se jettent nt au cou de Paul en l'embrassant avec effusion. Ils étaient surtout affligés au sujet de cette parole qu'il avait dite, savoir qu'ils ne verraient plus sa face. Et ils l'accompagnèrent jusqu'au bateau.

XX, 36-38. Cette scène n'a pas besoin de commentaire, et nous ne nous y arrêtons que parce qu'elle confirme pleinement la supposition que le bateau avec lequel on voyageait, n'était pas toujours le même. Pour s'arrêter à Milet, en attendant l'arrivée des Éphésiens, il avait fallu quitter ou congédier le précédent bateau; au départ on en monte un autre. La même chose arriva probablement à chaque station nommée dans le texte.

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