Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 19

----------

1 Or, pendant qu'Apollos était à Corinthe, Paul, après avoir parcouru les provinces supérieures, arriva à Éphèse, et ayant rencontré quelques disciples, il leur dit: «Avez-vous reçu le Saint-Esprit en devenant croyants?» À quoi ils répondirent: «Mais nous n'avons pas même entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit.» Et il reprit: «En vue de quoi donc avez-vous été baptisés?» Ils répondirent: «C'était pour le baptême de Jean.»

4 Alors Paul dit: «Jean baptisait d'un baptême de repentance, en disant au peuple de croire à celui qui allait venir après lui, c'est-à-dire, à Jésus.» Ayant entendu cela, ils se firent baptiser au nom du Seigneur Jésus. Et lorsque Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit vint sur eux et ils parlèrent en langues et prophétisèrent. Ils étaient en tout au nombre d'environ douze hommes.

XIX, 1-7. Après ce qui a été raconté à la fin du chapitre précédent, le fait mentionné ici ne saurait présenter aucune difficulté sérieuse. Évidemment les disciples, dont il est question, n'ont pas été chrétiens, puisqu'ils ne savent rien de Jésus ni du Saint-Esprit. Ils auront été disciples dans le même sens qu'Apollonius, se nourrissant d'espérances messianiques plus ou moins vagues, ou mieux encore disciples d'Apollonius lui-même, et formant après son départ l'école ou le troupeau qu'il était parvenu à s'attacher. Car il ne faut pas perdre de vue qu'en ce moment il n'y avait pas encore de communauté chrétienne à Éphèse; Aquila et Priscilla paraissent avoir été provisoirement les seuls croyants, et Apollonius lui-même, instruit par eux, s'était hâté de chercher une autre sphère d'action, ne voulant pas tout à coup produire ses nouvelles convictions devant son auditoire accoutumé. Or, ce qu'Aquila avait dû faire pour le maître, Paul le fit pour les disciples. Mais ce n'était pas de prime abord qu'il s'était rendu compte de la nature des choses. Ayant rencontré de manière ou d'autre les personnes en question, qui pouvaient lui avoir été désignées comme des croyants, ou qui s'étaient présentées à lui à ce titre (car en tout cas Luc veut les signaler comme le premier noyau de l'église d'Éphèse), il supposait naturellement qu'il avait affaire à des chrétiens et se mit à les interroger sur leurs dispositions et leurs expériences intimes. La conversation ayant touché la communication et l'action du Saint-Esprit, il découvrit l'ignorance dans laquelle ces hommes se trouvaient relativement aux faits élémentaires de la foi chrétienne, et remontant ainsi de question en question, il constata que le nom même de Jésus était encore étranger à ses interlocuteurs. Dès lors il comprit que l'instruction à leur donner devait commencer par les origines mêmes de la prédication évangélique, et faire ressortir la différence entre le point de vue judaïque représenté par le baptème de Jean, et celui de la nouvelle économie.

La phrase: c'était pour le baptême de Jean , donne une tournure bien incomplète à la pensée quelle doit exprimer; elle dépend de la forme de la question précédente, question dont les Éphésiens ne pouvaient comprendre la portée: «Ce qui s'est passé, ce qu'on nous a fait, c'était pour, que nous eussions ce qu'on appelait le baptême de Jean; voilà tout ce que nous en savons.» Paul leur explique alors ce que c'était que ce baptême de Jean: il avait en vue un Messie futur, non encore manifesté, il s'en tenait là. Depuis, nous savons que ce Messie s'est révélé dans la personne de Jésus; c'est donc au fond et virtuellement en vue de Jésus que Jean baptisait, et moi je vous dis cela pour vous expliquer le sens et la portée de ce qui vous a été donné.» Naturellement il y joignit aussitôt une instruction plus développée, à la suite de laquelle les douze hommes acceptèrent le baptême chrétien. Au sujet de ce dernier, nos anciens exégètes, fourvoyés par des préjugés dogmatiques, ont débité les choses les plus singulières, au point de nier l'accomplissement même de l'acte du baptême dans cette occasion. Le texte étant positif, nous ne nous arrêterons pas à les réfuter.

L'imposition des mains produisit sur les nouveaux croyants un effet analogue à celui que le récit de notre livre a déjà constaté dans plusieurs autres occasions (comp. surtout X, 46). Le moment solennel amena une manifestation de sentiments religieux, telle qu'on n'aurait pas dû les attendre de la part de gens du commun. Chez les uns c'était l'expression d'une éloquence inspirée rendant compte avec une vivacité pleine de feu de ce qui se passait au fond de leur âme; chez les autres c'était des phénomènes plus insolites encore, l'excitation intérieure ne leur permettant pas de s'expliquer sur leurs sentiments d'une manière suivie et cohérente. La prophétie et les gloses (langues) marquent une seule et même chose, le saisissement momentané opéré par l'esprit divin, mais à deux degrés ou sous deux formes, avec ou sans les moyens de le communiquer à d'autres d'une manière intelligible.

8 Dès lors il fréquentait la synagogue et y prêcha durant trois mois sur le royaume de Dieu avec une entière franchise, et en cherchant par ses discours à produire la conviction. Mais comme quelques-uns restaient endurcis et refusaient de croire, en décriant son enseignement devant la foule, il se sépara d'eux, et prenant à part ses disciples, il s'entretenait avec eux journellement dans l'auditoire de Tyrannus. Cela se continua pendant deux ans, de manière que tous les habitants de F Asie, tant Juifs que Grecs, entendirent la parole du Seigneur.

XIX, 8-10. Nous voyons ici, d'une manière plus directe encore que précédemment, comment se formaient les églises chrétiennes dans la sphère d'action de Paul. Il débutait toujours dans les synagogues, et y prêchait jusqu'à ce que l'opposition conservatrice, arrivée à avoir une conscience nette de la différence des points de vue, prît des mesures pour gêner sa prédication et pour la lui interdire définitivement. Il cherchait alors un local convenable en ville (ici c'est l'auditoire d'un certain Tyrannus, rhéteur ou philosophe, sans doute), le louait, et y réunissait ceux qui étaient disposés à l'entendre. Dans un local pareil (profane, si l'on veut), les Grecs se présentaient plus librement, et formaient bientôt la majorité du public.

Éphèse était un grand centre politique et commercial, où la population des alentours affluait pour ses affaires privées. Bien des personnes du dehors, amenées d'abord par la curiosité, pouvaient ainsi occasionnellement prendre connaissance de la prédication évangélique, et c'est ainsi qu'au bout de quelques années (deux à trois, comp. XX, 31), des noyaux de communautés chrétiennes avaient pu se former sur différents points de la province (l'Asie proconsulaire, la partie sud-ouest de ce que nous appelons l'Asie mineure, comp. VI, 9; XVI, 6), sans qu'il soit nécessaire de supposer que Paul ait été directement à l'œuvre dans chaque localité. Le Nouveau Testament nous fait connaître, pour une époque antérieure à l'an 68, les églises de Smyrne, de Thyatires, de Pergame, de Colosses, de Laodicée, d'Hiérapolis, de Sardes, de Philadelphie. Voyez du reste la note sur Col. II, 1.

11 Cependant Dieu faisait des miracles extraordinaires par les mains de Paul, au point qu'on emportait les linges ou les vêtements de son corps pour les mettre sur les malades, et que les maladies les quittaient et que les esprits malins sortaient d'eux.

13 Or, quelques-uns d'entre les exorcistes juifs ambulants essayèrent d'invoquer le nom du Seigneur Jésus sur ceux qui étaient possédés par des esprits malins, en disant: «Je vous adjure par ce Jésus que Paul prêche.» C'étaient certains fils d'un archiprêtre juif, nommé Skeuas, au nombre de sept, qui faisaient cela. Mais l'esprit malin répliqua et dit: « Je connais Jésus et je sais qui est Paul, mais vous qui êtes-vous?» Et l'homme en qui se trouvait l'esprit malin, s'élança sur eux, en terrassa deux et eut si bien le dessus, qu'ils durent s'enfuir de cette maison couverts de blessures et en laissant leurs habits.

17 Ce fait parvint à la connaissance de tous les Juifs et Grecs qui habitaient Éphèse et tout le monde était saisi de stupeur; le nom du Seigneur Jésus était glorifié, et un grand nombre de personnes devenues croyantes vinrent confesser et déclarer leurs pratiques, et plusieurs de ceux qui avaient exercé des arts futiles, apportèrent leurs livres et les brûlèrent publiquement; et en en faisant l'estimation, on trouva une valeur de cinquante mille pièces d'argent. C'est ainsi que la parole du Seigneur gagnait en force et en autorité.

XIX, 11-20. La foi populaire se manifeste ici sous une face où elle touche de bien près à la superstition (comp. V, 15). L'historien n'en a pas moins le droit d'enregistrer des faits qui, tout singuliers qu'ils paraissent, peuvent bien avoir été très-réels. Sans doute ce n'étaient pas les linges de Paul qui guérissaient les malades par une vertu magique, et l'apôtre aurait été le dernier à les prêter pour un pareil usage (bien que Fauteur s'exprime de manière à autoriser en apparence une telle interprétation); mais toujours c'était la foi en une telle vertu qui opérait les guérisons, comme cela s'est vu à toutes les époques de l'histoire et de nos jours encore (comp. Matth. IX, 21).

L'histoire évangélique nous offre aussi le premier exemple de l'usage magique que des exorcistes juifs prétendaient faire du nom de Jésus, pour chasser les démons (Luc IX, 49). La scène qui nous est racontée ici n'a rien d'incroyable. Des exorcistes viennent trouver un homme possédé, c'est-à-dire atteint d'une maladie incurable, mentale ou nerveuse, et, en tout cas, persuadé d'avoir un diable dans son corps. Ils l'ennuient de leurs opérations mystérieuses et de leurs adjurations solennellement absurdes. L'individu, qui avait évidemment entendu Paul, parle au nom de la personne du démon qu'il sent en lui (Matth. VIII, 29), et puis se jette furieux sur les importuns qui l'obsèdent (Le texte vulgaire laisse supposer la présence de sept exorcistes. La leçon préférée par la critique moderne ne parle que de deux, mais d'une manière passablement obscure.), et qui, effrayés par son paroxysme inattendu, gagnent le large, non sans avoir été maltraités, et à la grande satisfaction de ceux qui, tout en croyant à la réalité des possessions diaboliques, regardaient avec raison ces magiciens vagabonds comme des trompeurs et des escrocs. Ce métier cependant doit avoir été bien lucratif, puisqu'un prêtre juif d'un rang élevé l'avait fait apprendre à ses sept fils.

Il était même élevé à la dignité d'une science qu'on étudiait dans des livres rares et curieux, remplis sans doute de formules magiques et de règles d'art. Le prix de ces livres était en proportion des effets qu'on en attendait. Les exorcistes convertis, à eux seuls, en brûlèrent, est-il dit, pour une valeur de 50,000 drachmes grecques (au-delà de 45,000 fr.).

Cette dernière circonstance est de la plus haute importance pour l'histoire, et même pour l'intelligence de quelques épîtres (par ex. de la 1re à Timothée), où il y est fait allusion. Il y avait donc parmi les personnes d'Éphèse, devenues croyantes, un certain nombre qui avaient pratiqué la magie et qui n'y avaient pas renoncé pour se convertir, mais qui gardaient soigneusement encore leurs livres magiques. Ces personnes s'étaient donc affiliées à l'Église, précisément dans la supposition qu'elles y profiteraient pour la connaissance des sciences occultes. On venait à la communauté comme à une société d'adeptes, et non pas toujours dans un but religieux et par un besoin du cœur. Cela nous laisse entrevoir, pour la jeune Église, des périls que n'avait guère prévus le généreux enthousiasme des missionnaires, peu familiarisés avec l'état des esprits dans cette société grecque, toute gangrenée et en pleine décomposition. La mauvaise tournure qu'avait prise l'affaire des fils de Skeuas intimida les gens de cette catégorie, qui vinrent enfin confesser leurs pratiques, faire l'aveu de leurs superstitions, aussi vaines qu'égoïstes, et pour montrer la sincérité de leur repentir, ils firent le sacrifice de ce qu'ils possédaient de plus précieux, de ces livres achetés à grand prix et désormais inutiles.

21 Après ces événements, Paul conçut le projet de se rendre à Jérusalem, en traversant la Macédoine et l’Achaïe. «Quand j'aurai été là, disait-il, il faut aussi que j'aille visiter Rome.» Il envoya donc en Macédoine deux de ses aides, Timothée et Éraste, tandis que lui-même s'arrêta encore quelque temps en Asie.

XIX, 21, 22. Nous voici à la fin de la période biennale (triennale, comp. XX, 31), assignée par l'auteur au séjour de Paul à Éphèse. L'apôtre considère son œuvre comme terminée dans cette province. Il va chercher un nouveau centre d'activité. Il jette les yeux sur la capitale de l'empire. Mais auparavant, dans la prévision que le retour vers l'Orient pourrait être bien éloigné ou même hors de sa perspective, il veut encore une fois visiter ses églises dans les deux provinces grecques, et faire ses adieux aux chrétiens de Jérusalem, qui ne l'aimaient pas, mais qu'il tenait à ne pas avoir pour ennemis. En ce moment même, il s'occupait d'organiser une collecte en faveur de leurs pauvres (1 Cor. XVI. 2 Cor. VIII, IX), et c'est surtout dans ce but qu'il se fit précéder par son disciple Timothée et son ami Éraste de Corinthe, qui furent spécialement chargés de cette œuvre.

23 C'est vers cette époque qu'il éclata une émeute assez considérable, au sujet de renseignement de l'évangile. Il y avait un certain Démétrius, un orfèvre, qui faisait gagner beaucoup d'argent à ses ouvriers en fabriquant des figures en argent du temple d'Artémis. Cet homme assembla ses gens et tous les ouvriers du même état, et leur dit: «Citoyens, vous savez que notre bien-être dépend de ce gain, et vous voyez et entendez que, non seulement à Éphèse, mais presque dans toute l’Asie, ce Paul a gagné et débauché une masse de monde en disant que ce ne sont pas des dieux, ceux qui se font de la main.

27 Et ce n'est pas seulement notre intérêt à nous qui risque d'en souffrir, mais le temple même de notre grande déesse Artémis n'est plus compté pour rien, et bientôt c'en sera fait de la majesté de celle que révère toute l'Asie et le monde entier.» Après ce discours, transportés de colère, ils se mirent à crier: «Vive TArtémis des Éphésiens!»

29 Le tumulte se répandit par toute la ville; ils se précipitèrent tous ensemble vers le théâtre, en y entraînant les Macédoniens Gaïus et Aristarque, les compagnons de Paul. Paul lui-même voulait se présenter devant le peuple, mais les disciples le retinrent. Quelques-uns même d'entre les Asiarques, qui étaient de ses amis, envoyèrent vers lui pour l'engager à ne pas se rendre au théâtre.

32 Cependant l'assemblée était dans la confusion; chacun criait de son côté, et la plupart ne savaient pas pourquoi l'on s'était réuni. Enfin on poussa vers la tribune, du milieu de la foule, un certain Alexandre, que les Juifs voulaient mettre en avant; et cet Alexandre ayant fait signe de la main, s'apprêta à prendre leur défense devant le peuple. Mais quand on reconnut que c'était un Juif, on se mit à crier tout d'une voix et pendant près de deux heures: «Vive l'Artémis des Éphésiens!»

35 Enfin le secrétaire public parvint à apaiser la foule et tint ce discours: «Citoyens d'Éphèse! Quel est donc l'homme qui ne saurait que cette cité est la gardienne du temple de la grande Artémis et de son symbole tombé du ciel? Cela étant incontestable, il convient que vous restiez calmes, et que vous ne fassiez rien avec précipitation. Vous avez amené là ces hommes qui ne se sont rendus coupables ni de sacrilège ni de blasphème envers votre déesse. Or donc, si Démétrius et ses ouvriers ont affaire à quelqu'un, il y a des jours d'audience et des magistrats; qu'on se fasse assigner! Si, au contraire, vous êtes venus réclamer pour autre chose, cela pourra être réglé dans une assemblée légalement convoquée. Autrement nous risquons d'être accusés de sédition, pour ce qui s'est passé aujourd'hui, attendu qu'il n'y a aucun motif à faire valoir pour justifier cet attroupement. » Et après avoir dit cela, il congédia l'assemblée.

XIX, 23-41. La scène décrite ici, est peut-être la plus pittoresque de tout le livre; elle porte à un si haut point le cachet de la vérité psychologique, qu'elle trahit à chaque ligne le témoin oculaire.

D'abord nous apprenons ici de la manière la plus authentique, que la prédication de l'évangile faisait dans la province d'Asie des progrès tels, que l'industrie fondée sur les croyances anciennes et les superstitions populaires en ressentait déjà le contrecoup et commençait à languir. Éphèse possédait un sanctuaire fameux d'origine sémitique, et consacré à la grande déesse des peuples de l'Orient qui, dans leur système religieux, représentait le principe de la fécondité maternelle de la nature. Les Grecs lui avaient donné, dans cette localité, le nom d’Artémis (Diane). Ailleurs on l'appelait Aphrodite (Vénus). Son temple était compté parmi les sept merveilles du monde. On y conservait une pierre tombée du ciel (Diopetès), un aérolithe, qui était censé être un symbole (plutôt qu'un simulacre) de la divinité, comme c'était le cas dans d'autres sanctuaires sémitiques, par exemple pour la Vénus de Paphos et dans la Gaaba de La Mecque. Le culte de cette divinité se célébrait avec une grande pompe, et en attirant la foule des pèlerins il était à la fois un lien politique pour les populations environnantes, et une source de revenus pour toutes sortes d'industries. La ville se paraît du titre de Néocoros, littéralement nettoyeuse du temple, c'est-à-dire, tenant à honneur de l'entretenir avec splendeur et d'y faire ses dévotions. On fabriquait de petites figures de ce temple, en argent, lesquelles se vendaient aux pèlerins et aux indigènes, en guise de souvenirs et pour des usages superstitieux.

Démétrius n'exagérait pas, sans doute, quand il se plaignait de l’influence de la prédication de Paul, qui ruinait son industrie. Pline atteste des faits analogues, cinquante ans plus tard, dans son rapport à Trajan sur le christianisme de Bithynie (Epp. X, 97). C'est d'ailleurs chose très-caractéristique que l'orfèvre parle d'abord de ses intérêts personnels et en seconde ligne seulement de ceux du culte. Du reste, dans une grande ville grecque, une émeute s'improvisait facilement. Le lieu du rendez-vous était désigné d'avance, c'était le théâtre. Les simples curieux formaient ici, comme toujours, la majorité, sans savoir de quoi il était question. Les meneurs même paraissent avoir ignoré ce qu'ils voulaient. Cependant on avait rencontré dans la rue quelques personnes de l'entourage ordinaire de Paul. On s'en saisit, on les traîna dans l'assemblée. Mais dans l'absence d'un magistrat, d'un président, d'une forme régulière quelconque, il ne pouvait y avoir qu'un tumulte, qui allait en croissant avec le nombre des gens qui accouraient.

Dans le premier moment, Paul avait voulu généreusement braver l'orage et proclamer la vérité devant un auditoire tel qu'il ne l'avait jamais encore eu. Ses amis et les chefs de la cité l'en dissuadèrent. Ces derniers sont nommés les Asiarques, c'est-à-dire les membres d'un corps électif de représentants des différentes villes de la province d'Asie, corps qui, dans l'origine, avait été ce que nous appellerions aujourd'hui le conseil fédéral de toutes ces petites républiques municipales indépendantes. Depuis la conquête des Romains, cette institution n'avait plus d'importance politique; les Asiarques ne surveillaient plus que les affaires du culte et les jeux publics, qui rentraient, les uns et les autres, dans la sphère des intérêts fédéraux.

Cependant il était à craindre que cette assemblée tumultueuse n'en vînt à des excès. Comme il résulte de notre texte, les Juifs, présents en nombre, finirent par comprendre qu'il s'agissait d'antipathies religieuses, et craignant que la haine populaire ne se portât contre eux dans cette occasion, comme elle avait coutume de le faire périodiquement, ils essayèrent de séparer leur cause de celle des chrétiens, avec lesquels on les confondait encore habituellement. Ils poussèrent donc un des leurs à la tribune, mais celui-ci ne parvint pas à se faire entendre.

Enfin, un magistrat, le greffier ou secrétaire qui fonctionnait ordinairement dans les assemblées du peuple et que tout le monde connaissait, parut sur la scène et obtint un moment de silence. Il en profita pour faire comprendre à cette masse de gens, qui ne savaient pas ce qu'ils voulaient, que les affaires privées se traitaient ailleurs, et les affaires publiques tout autrement. La bourgeoisie et la populace d'Éphèse étaient assez bien disciplinées déjà sous la férule romaine, pour comprendre à demi-mot qu'il y avait tout à perdre et rien à gagner à ce que l'ordre public fut troublé. Il restait si peu de libertés aux Grecs, sujets de Rome, que les hommes sensés étaient forcément conservateurs.

***


Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant