Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 9

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1 Cependant Saul, toujours plein de rage contre les disciples du Seigneur et ne respirant que le carnage, s'était adressé au grand-prêtre à l'effet d'obtenir des lettres pour les synagogues de Damas, afin que s'il y trouvait des personnes appartenant à cette secte, tant hommes que femmes, il pût les faire arrêter et conduire à Jérusalem.

IX, 1, 2. Après l'épisode relatif aux travaux apostoliques du diacre Philippe, et aux progrès de l'évangile amenés par la persécution même, le récit de l'auteur revient à cette dernière et fait connaître une nouvelle conquête, et la plus importante de toutes, qu'elle prépara vers le même temps, par l'intervention directe de la Providence.

L'autorité suprême du Sanhédrin de Jérusalem en matière ecclésiastique était reconnue partout dans le monde judaïque, même au-delà des limites de la Palestine. Cependant les occasions où elle aurait eu à s'exercer directement étaient bien rares et les synagogues avaient de fait une existence indépendante. Une centralisation bureaucratique était chose inconnue dans cette sphère. Il s'agit donc ici d'une mission extraordinaire et de lettres de créance qui donnaient à Saul des pleins pouvoirs exceptionnels, et qui enlevaient, pour ce cas particulier, à la police locale son action souveraine. C'est du moins ce que le texte nous doit faire supposer.

L'existence de disciples à Damas pouvait être simplement supposée par la police de Jérusalem; la suite de cette histoire la constate d'une manière positive. Il est difficile de dire comment ils s'y trouvèrent. Ce pouvaient être des personnes chassées de Jérusalem par la récente persécution, ou bien plutôt des Juifs résidant à Damas déjà antérieurement, et mis en contact avec l'église et l'évangile à l'occasion de leurs pèlerinages. Les deux explications sont favorisées par le v. 13.

Ce que nous traduisons par secte, signifie proprement le chemin, terme employé déjà dans l'Ancien Testament pour toute manière de vivre, usage ou règle, dépendant plus ou moins de la libre volonté de l'homme. L'expression dans le sens indiqué se rencontrera plus d'une fois encore dans ce livre.

3 Pendant ce voyage, quand il était déjà près de Damas, tout à coup une lumière venue du ciel éclata autour de lui, et tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? Et il dit: Qui es-tu, Seigneur? Et celui-ci répondit: Je suis Jésus que tu persécutes. Mais lève-toi et rends-toi dans la ville et il te sera dit ce que tu dois faire.

7 Cependant ses compagnons de voyage restaient là tout ébahis; ils entendaient bien la voix, mais ne voyaient personne. Saul se releva de terre, mais quand il ouvrit les yeux, il ne vit rien; on dut le prendre par la main pour le conduire à Damas, et il resta trois jours sans voir, et sans boire ni manger.

IX, 3-9. Ce morceau célèbre ne donnera lieu qu'à un petit nombre d'observations de détail. Tout l'intérêt se concentre sur le fait en lui-même. Les éditions vulgaires ont un texte un peu plus complet, c'est-à-dire chargé d'interpolations que la critique moderne a biffées. Le sens n'en est pas affecté au fond. Elles sont d'ailleurs empruntées en partie aux textes parallèles. La seule variante à laquelle on pourrait attacher de l'importance est celle du v. 8, où nous lisons: il ne vit rien, ce qui est pleinement justifié par la suite du récit; car Luc veut dire qu'il avait perdu l'usage de la vue. Le texte vulgaire porte: il ne vit personne (une seule lettre de plus dans le grec), ce qu'on entend comme si l'auteur voulait dire: Jésus avait disparu, bien qu'il n'ait pas dit non plus qu'il était apparu. Mais cela peut signifier simplement que Saul ne voyait plus même les personnes qui l’accompagnaient.

Le même fait est rapporté deux fois encore dans le livre des Actes (chap. XXII et XXVI), où le récit est mis dans la bouche même de Paul. Les trois récits s'accordent pleinement et à l'égard de toutes les circonstances essentielles, sauf quelques détails de rédaction. Les seuls éléments, qui peuvent être relevés comme offrant des variantes, sont les suivants: 1° l'événement eut lieu en plein midi; 2° la voix s'exprima en hébreu; 3° elle prononça quelques paroles de plus que celles qui sont rapportées ici. Toutes ces variantes sont des additions qui ne changent rien à la nature du fait. On peut ranger dans la même catégorie: 4° que les compagnons de Saul tombèrent aussi à terre, d'après l'autre relation. La seule contradiction réelle que ces divers textes paraissent offrir est celle-ci: chap. IX il est dit: les compagnons entendirent la voix, mais ne virent personne; chap. XXII nous lisons: ils virent la lumière, mais n’entendirent point la voix de celui qui me parlait. Il y a un moyen bien simple de faire accorder ces deux relations; on n'a qu'à dire: ils virent une lumière, mais non une personne; ils entendirent des sons (un bruit), mais non des paroles. La scène racontée par Jean (XII, 29) semble favoriser cette manière de voir. Là aussi il s'agit d'une voix qui, pour la foule, est un bruit, un tonnerre, pour Jésus, une parole articulée et intelligible.

Tous les détails de ce récit, de quelque manière qu'on les envisage, ramènent toujours la question capitale, celle de savoir quelle idée nous devons nous faire du fait en lui-même. La science moderne s'est montrée très disposée à l'expliquer de manière que l'élément surnaturel en disparaisse. On est enclin à supposer à Paul des doutes et des scrupules qui lui seraient venus depuis plus ou moins longtemps au sujet de la justice de ses procédés; la constance de ses victimes, la noblesse de son propre caractère, les discussions mêmes qu'il aurait soutenues contre Étienne, et dans lesquelles il aurait pu, plus d'une fois, constater secrètement la faiblesse de ses propres arguments et la puissance de ceux de son adversaire, tout cela aurait ébranlé ses convictions et préparé au fond de son âme une réaction qu'il se serait obstiné à étouffer, en persistant, par esprit de parti, par fausse honte, par ambition, dans la voie qu'il avait suivie d'abord. Cependant, avec le temps, loin de son entourage ordinaire et des clameurs de son parti, dans le silence et l'isolement d'un long voyage, cet autre courant d'idées aurait insensiblement gagné du terrain, se serait imposé à son esprit d'une manière de plus en plus irrésistible, de sorte qu'il ne fallait plus qu'une circonstance particulière, en elle-même peut-être de bien peu d'importance, pour lui assurer une victoire décisive. Surpris par un orage, au moment où le combat intérieur était arrivé à une crise, un coup de foudre éclatant à côté de lui et manquant de le tuer, le jeune Pharisien y aurait reconnu un avertissement du ciel, et selon la trempe énergique de son caractère, aurait suivi depuis ce jour la nouvelle impulsion avec la même ardeur, avec plus d'ardeur encore, qu'il n'en avait mis naguère à servir une cause pour laquelle il s'était passionné sans avoir trop réfléchi à ses motifs.

À première vue, cette explication paraît se recommander par sa simplicité. L'histoire fournit d'autres exemples de conversions semblables, et s'il n'y avait à lui opposer que la forme du récit que nous venons de lire, elle aurait de grandes chances d'être goûtée de préférence. Elle se heurte cependant contre un fait dont on aurait bien tort de ne pas tenir compte. C'est le témoignage de Saul lui-même, qui revient à plusieurs reprises, et d'une manière plus ou moins directe, à parler de sa conversion dans un sens qui suppose la réalité des éléments essentiels de la présente narration. Non seulement il déclare formellement avoir vu Jésus en personne, après tous les apôtres, et de la même manière qu'eux (1 Cor. IX, 1; XV, 8; comp. Gal. I, 1, 15), mais ce qui est bien plus important, il représente toujours sa conversion comme arrivée subitement, sans stade préparatoire, et par l'action directe, puissante, exclusive de Dieu. Lui qui connaissait si bien le cœur humain, qui avait si bien contracté l'habitude de scruter le sien propre, il ne trouvait, ni dans ses souvenirs, ni dans ses méditations postérieures, rien qui ressemblât à ce travail subjectif de lente transformation dont nous avons parlé plus haut et qui, à vrai dire, est le pivot de l'interprétation dite naturelle; au contraire, tout son système théologique est basé sur le fait de la nécessité de l'intervention immédiate de la grâce divine, sans laquelle aucun mortel ne se dégagerait des liens de la chair et du monde qui l'éloignent du salut (comp. Gal. I, 16. Éph. III, 8).

Et c'est ce dernier élément que la discussion théologique ne doit jamais perdre de vue. La question du miracle, considéré comme un fait extérieur et matériel, peut être d'une importance secondaire; la chose essentielle, c'est que nous ne perdions pas de vue le grand principe évangélique d'un contact direct de l'esprit de Dieu avec celui de l'homme, contact qui échappe à l'analyse du raisonnement. Qu'il s'agisse ici d'un coup de foudre ou d'une apparition de Jésus, c'est un seul individu, entre plusieurs placés dans des conditions extérieures identiques, qui en est affecté dans un sens qui décidera du reste de sa vie et de manière que ce jour marquera dans l'histoire de l'humanité tout entière. Pourquoi le météore ne produit-il pas le même effet sur tous? Pourquoi l'apparition n'est-elle visible qu'à un seul? Une seule et même réponse suffira pour les deux questions: La Providence choisit les instruments de sa volonté et il appartient à l'homme de reconnaître sa main dans ces choix et dans leurs effets; c'est une peine bien superflue qu'on se donne, en s'arrêtant à discuter les moyens qu'elle emploie à ses fins, comme s'il s'agissait de calculer l'action d'un ressort mécanique. Ceux qui ont le bonheur de savoir découvrir dans leur propre vie intérieure les traces de ce contact direct de l'esprit de Dieu avec leur développement spirituel, leurs tendances et leurs succès, n'éprouveront guère le besoin de marchander les détails de notre récit. Le mysticisme évangélique, en révélant au sens chrétien un monde de miracles incessants, lui épargne la peine de se préoccuper du petit nombre de ceux qu'analysent contradictoirement le rationalisme critique et le rationalisme orthodoxe.

10 Or, il y avait à Damas un disciple nommé Ananias, à qui le Seigneur dit dans une vision: Ananias! Et il répondit: Me voici, Seigneur! Et le Seigneur lui dit: Va te rendre à la rue dite droite, et cherche là, dans la maison de Judas, un nommé Saul de Tarse. Tu le trouveras en prières, car il a vu un homme du nom d'Ananias, entrant chez lui et lui imposant la main pour lui faire recouvrer la vue.

13 Ananias répondit: Seigneur, j'ai entendu bien des gens qui racontaient combien de mal cet homme a fait à tes fidèles à Jérusalem, et comment il vient ici avec des pleins pouvoirs de la part des principaux prêtres, pour faire arrêter tous ceux qui invoquent ton nom. Mais le Seigneur lui dit: Va toujours, car cet homme est pour moi un instrument que j'ai choisi pour porter mon nom devant les païens, les rois et les enfants d'Israël; et moi je lui ferai connaître tout ce qu'il aura à souffrir pour mon nom.

17 Et Ananias s'en alla et entra dans cette maison, et lui ayant imposé les mains, il dit: Saul, mon frère, le Seigneur m'a envoyé, ce Jésus qui t'est apparu sur le chemin par lequel tu es venu, afin que tu recouvres la vue et que tu sois rempli de Saint-Esprit. Et aussitôt il tomba de ses yeux comme des écailles; il recouvra la vue, se leva et se fit baptiser, et ayant pris de la nourriture, il reprit ses forces.

IX, 10-19. Cette partie du récit constate toute une série de miracles auxquels on fait ordinairement moins attention, parce que tout l’intérêt de l'histoire s'attache à ce qui précède. Saul conduit à Damas dans la maison d'un nommé Judas, y reste pendant trois jours dans un état de cécité et de complète prostration. Une nouvelle vision lui fait connaître le nom et la personne de celui auquel il doit se confier pour consommer l'œuvre de sa transformation. En même temps, une vision analogue avertit ce même personnage de la présence de Saul, lui indique son logement, et lui enjoint de l'aller guérir. Ananias, qui d'abord éprouve une certaine crainte quant au résultat de cette entrevue, opère le miracle de la guérison et baptise le futur apôtre des gentils. Ainsi, d'un bout à l'autre, l'entrée de Saul dans sa nouvelle position porte le caractère d'une dispensation providentielle des plus fortement accusées. Il y a plus: l'intervention du disciple de Damas ne regarde guère que la guérison physique et le rite extérieur de l'initiation; une instruction chrétienne, une préparation spirituelle du nouveau converti à son futur ministère n'est pas mentionnée; elle est plutôt exclue par la narration. Dieu qui a choisi son instrument, lui donne aussi son esprit et se réserve de lui faire connaître ce qu'il aura à souffrir, à plus forte raison ce qu'il aura à prêcher. C'est bien là le sens intime de ce tableau résumé en deux mots par l'apôtre lui-même, Gal. I, 16.

Pour la forme dialoguée du récit de la vision, comp. I Sam. III. Elle tend à faire ressortir ce fait, qu'une volonté supérieure a seule pu engager Ananias à faire une démarche qui devait lui paraître périlleuse. Les persécutions de Jérusalem étaient connues à Damas par des chrétiens fugitifs; on savait la part que Saul y avait prise; la nouvelle de ses projets sur Damas l'avait précédé dans cette ville; personne ne pouvait s'attendre à une révolution aussi complète dans ses dispositions, et venir au-devant de lui, c'était, selon toutes les apparences, se livrer sans nécessité à un ennemi auquel on pouvait espérer de se dérober en restant dans l'obscurité. Il ne faut pas d'ailleurs s'arrêter à quelques lacunes que présente le récit. Ainsi les paroles adressées par Ananias à Saul contiennent des éléments que la narration précédente avait passés sous silence.

En passant, relevons encore quelques expressions particulières du texte. Pour la première fois, les chrétiens sont ici désignés par un terme qu'on traduit communément par Saints. La signification propre de ce dernier mot dans notre langue est telle qu'il impliquerait, de la part de ceux qui se l'appliquent, une prétention qui très certainement n'était pas dans leur pensée. Aussi l'étymologie recommande-t-elle une interprétation différente. Au lieu de saints, il faut dire consacrés, c'est-à-dire, réglant la vie entièrement sur les besoins et les devoirs du service de Dieu, en renonçant aux motifs et aux tendances d'un monde profane. Cela se dit aussi des choses réservées à l'usage de Dieu. — Paul est appelé un instrument choisi, d'autres aiment mieux dire un vase', le terme grec comporte les deux traductions et la destination de P apôtre, déporter le nom de Christ au loin, paraît favoriser la figure d'un vase. Cependant l'autre expression est plus conforme à notre manière de parler. — L'imposition des mains n'est pas moins efficace ici, où elle se fait par le ministère d'un simple disciple, qu'ailleurs où ce sont les apôtres qui la donnent; et l'esprit reçu par Paul est, ici comme ailleurs dans ce livre, la force spirituelle de reconnaître sa nouvelle mission et le courage moral de l'accomplir immédiatement.

19 II resta quelque temps avec les disciples de Damas et se mit aussitôt à prêcher Jésus dans les synagogues, savoir que lui était le fils de Dieu. Tous ceux qui l'entendaient étaient dans l'étonnement et disaient: N'est-ce pas là celui qui a persécuté à Jérusalem ceux qui invoquaient ce nom-là, et qui est venu ici dans le but de les faire arrêter pour les emmener devant les chefs des prêtres?

22 Cependant Paul se montrait de plus en plus puissant à confondre les Juifs qui habitaient Damas, en leur démontrant que c'était là le Christ. Mais après un certain laps de temps, les Juifs se concertèrent à l'effet de lui ôter la vie. Ce complot vint à la connaissance de Saul. On gardait les portes jour et nuit pour parvenir à lui ôter la vie. Mais les disciples le prirent une nuit et le firent descendre au moyen d'un panier par-dessus le mur.

IX, 19-25. Les épîtres de Paul fournissent quelques détails sur les faits qu'on vient de lire. Le passage 2 Cor. XI, 32, en nommant le prince auquel appartenait alors la ville de Damas, nous permet de fixer la date même de l'événement, qui se placera aux premières années du règne de l'empereur Gaïus. Cependant cela ne détermine pas l'époque précise de la conversion de l'apôtre, Luc énonçant l'intervalle écoulé entre celle-ci et sa fuite de Damas par des phrases très vagues (quelque temps, un certain laps de temps), tandis que Paul (Gal. I, 17 s.) parle d'une absence qu'il aurait faite pour se rendre dans l'Arabie, d'un nouveau séjour à Damas, et de trois années qui se seraient écoulées (depuis quand?) jusqu'à son retour à Jérusalem. Il est difficile de dire si la fuite de Damas, effectuée comme cela est raconté v. 25, se place avant le voyage d'Arabie, ou immédiatement avant celui de Jérusalem. Dans les deux cas, on a de la peine à retrouver les trois années, et Luc ne paraît pas avoir connu tous les détails mentionnés par Paul.

La prédication de Paul, d'après les renseignements donnés par notre texte, est identiquement la même que celle des autres apôtres, Jésus est le Christ, le Messie attendu. Le terme de fils de Dieu, qui ne se retrouve pas ailleurs sous la plume de l'auteur de ce livre, n'en dit pas davantage ici (v. 22), bien que l'expression soit déjà d'une nuance plus chrétienne que celles usitées dans la théologie judaïque. La démonstration de cette thèse se sera faite également comme nous l'avons vue dans les premiers chapitres.

Saul ayant eu connaissance du complot qui menaçait sa vie, a dû se tenir caché pendant quelque temps, de sorte qu'on gardait les portes pour ne pas le laisser échapper. Son domicile était inconnu à ses ennemis; ses amis le firent passer dans une maison adossée au mur d'enceinte et c'est par une fenêtre de cette maison qu'il put gagner le large (2 Cor. XI, 33; comp. Jos. II, 15).

26 Arrivé à Jérusalem, il essaya de se mettre en rapport avec les disciples, mais tout le monde le craignait et personne ne voulait croire qu'il était un disciple. Cependant Barnabas le prit avec lui et le conduisit auprès des apôtres, en leur racontant comment il avait vu le Seigneur sur son chemin, et que celui-ci lui avait parlé, et comment à Damas il avait franchement prêché au nom de Jésus.

28 Dès lors, il conversait avec eux à Jérusalem, prêchant franchement au nom du Seigneur. Il avait aussi des entretiens et des discussions avec les Hellénistes; mais ceux-ci voulaient lui ôter la vie. Quand les frères apprirent cela, ils le conduisirent à Césarée et le firent partir pour Tarse.

IX, 26-30. Ce récit fait voir plus clairement encore que, dans la pensée de Luc, le séjour de Paul à Damas n'a pas duré trop longtemps. S'il n'a fallu que quelques jours pour avertir les chrétiens de Damas des mesures de rigueur qui se préparaient contre eux, il est difficile de comprendre que ceux de Jérusalem soient restés trois ans à ne rien savoir des prédications du nouveau converti. Il faudrait admettre que le séjour en Arabie, passé sous silence dans les Actes, a occupé à lui seul la presque totalité de ces trois années; mais cela ne prouverait que plus directement que notre auteur suit une tradition indépendante du récit de Paul lui-même et qu'il n'a pas connu les épîtres. Il y a plus. Barnabas aurait introduit Paul auprès des apôtres, Paul aurait conversé avec eux plus ou moins longtemps, en s'appliquant même à la prédication et à la controverse; tandis que Paul affirme (Gal. I, 18 ss.) être allé à Jérusalem dans le seul but de faire la connaissance de Pierre, n'avoir vu aucun autre des Douze, n'y être resté que quinze jours, et avoir été personnellement sans rapport avec les églises de la Judée, lesquelles auraient été tout heureuses d'apprendre sa conversion. Enfin, le retour dans sa ville natale paraît s'être effectué par la voie de terre, d'après Gal. I, 21, tandis qu'ici la mention de Césarée, port de mer, semble indiquer une autre route. De tout cela il résulte que la narration présente ne repose pas directement sur des communications venues de Paul lui-même. Les contours généraux de l'histoire restent les mêmes des deux côtés; il n'y a que certains détails qui changent de couleur. La circonstance que Barnabas (le lévite cypriote) s'intéresse à Paul n'a rien d'extraordinaire; il pouvait l'avoir connu antérieurement; ils étaient presque compatriotes, et fréquentaient probablement autrefois la même synagogue.

31 Cependant l'Église était en paix dans toute la Judée et la Galilée et la Samarie, s'édifiant et marchant dans la crainte du Seigneur, et elle croissait en nombre par l'assistance du Saint-Esprit. Or, il arriva que Pierre, en allant visiter tous les fidèles, vînt aussi chez ceux qui habitaient Lydda.

33 Là il trouva un homme du nom d'Énée, lequel était paralytique et restait depuis huit ans couché sur son grabat. Pierre lui dit: Énée, Jésus le Christ te guérit: lève-toi et fais ton lit toi-même! Et aussitôt il se leva et tous les habitants de Lydda et du Saron le virent et se convertirent au Seigneur.

IX, 31-35. La persécution avait cessé pour le moment, peut-être en partie à cause de l'absence de celui qui paraît y avoir poussé le plus ardemment. Mais les effets heureux qu'elle avait produits ne cessèrent point pour cela. Notre texte nous apprend en quelques lignes que, tandis que les apôtres continuaient à rester à Jérusalem, l'évangile se répandait au loin dans toutes les parties du pays; des communautés se formaient partout, et prospéraient, non seulement quant au nombre de leurs membres, mais encore à l'égard de leur développement religieux et moral. Incidemment nous apprenons qu'il y en avait en Galilée, ce qui n'a rien d'étonnant après les nombreuses relations de Jésus lui-même avec cette contrée; et dans le district voisin de la mer, à Césarée, Ioppé (Jaffa), Lydda, en général dans tout le Saron, c'est-à-dire dans la belle plaine située au sud de la chaîne du Carmel et au nord du pays des Philistins.

Ces communautés ont dû se former rapidement depuis les prédications de Philippe (VIII, 40). Pierre va les visiter, et dans ce voyage il trouve l'occasion de contribuer, pour sa part, et par d'éclatants miracles, à faire avancer l'œuvre de l'évangélisation, mais surtout de faire un grand pas lui-même dans l'intelligence de l'évangile et de sa propre mission.

Le texte ne nous dit pas si le paralytique était chrétien ou un individu quelconque que la Providence mit sur le chemin de l'apôtre. Cette dernière manière de voir peut se prévaloir d'un fait parallèle (III, 2), et du terme dont Luc se sert pour introduire cet homme; comp. v. 36, où l'expression est toute différente. En lui disant de faire son lit lui-même, Pierre l'invite à prouver sur les lieux que l'usage de ses membres lui a été rendu.

36 À Ioppé, il y avait parmi les disciples une femme nommée Tabitha (ce qu'on peut traduire par Chevrette), laquelle faisait beaucoup de bonnes œuvres et d'aumônes, Or, il arriva, vers ce temps-là, qu'elle tomba malade et mourut. On la lava et on la déposa dans la salle de l'étage supérieur. Mais comme Lydda est dans le voisinage de Ioppé, les disciples ayant appris que Pierre s'y trouvait, envoyèrent deux hommes vers lui, pour le prier de vouloir bien se donner la peine de se rendre chez eux.

39 Pierre se mit en route et alla avec eux, et quand il fut arrivé, on le conduisit à la salle supérieure, et toutes les veuves en pleurs se pressèrent autour de lui, en lui montrant les habits et les vêtements que Tabitha avait faits pendant qu'elle était avec elles. Cependant Pierre, ayant fait sortir tout le monde, s'agenouilla et fit une prière; puis il s'approcha du corps et dit: Tabitha, lève-toi! Et elle ouvrit les yeux et ayant aperçu Pierre, elle se redressa sur son lit.

41 Alors il lui tendit la main et la fit lever; et ayant appelé les fidèles et les veuves, il la leur présenta vivante. Ce fait fut connu dans tout Ioppé, et beaucoup de personnes crurent au Seigneur. Lui-même demeura à Ioppé pendant un certain temps, chez un corroyeur nommé Simon.

IX, 36-43. La ville de Ioppé, en hébreu Iapho, aujourd'hui Jaffa, est un port de mer, assez important autrefois. — Le récit qu'on vient de lire a beaucoup d'analogie, même dans l'expression textuelle, avec celui de la guérison miraculeuse de la fille de Iaïrus (Marc V, 36 ss.). Cela est si vrai, qu'involontairement le commun des lecteurs se représente Tabitha aussi comme une jeune fille, bien que Luc n'en dise rien, et qu'il soit plus naturel de songer de préférence à une personne plus âgée, généralement connue par sa bienfaisance et universellement regrettée dans la communauté. Du reste, le narrateur semble insister sur la réalité de sa mort; il dit que déjà on a fait sur elle les ablutions d'usage, qu'on l'a déposée dans une salle particulière, que les veuves sont réunies (non pas précisément pour la pleurer comme une amie ou une bienfaitrice, ce qui d'ailleurs n'est pas exclu, mais) pour remplir les devoirs d'usage dans les cas de deuil, tout cela doit nous faire comprendre que Tabitha était morte. Cependant la réputation de Pierre était telle, que les chrétiens de Ioppé s'adressent à lui dans l'espoir de lui voir opérer ici un miracle pareil à ceux qu'on savait avoir été faits par Jésus, et cet espoir ne les trompa point. Le miracle eut lieu et l'effet moral en fut très sensible.

L'usage de donner aux enfants (et surtout aux filles) des noms d'animaux était fort ancien, parmi les Juifs et chez d'autres peuples. Nous rappelons ici Debora (abeille), Rachel (brebis), Iaël (chamois), etc. Tabitha est probablement une espèce particulière d'antilope ou de gazelle, animal dont les formes gracieuses et les yeux brillants ont été souvent chantés par les poètes. — Les habits montrés par les veuves ne sont pas nécessairement ceux que ces veuves portaient sur elles et qui leur auraient été donnés à titre d'aumône par la défunte. Car rien ne nous dit qu'il s'agit ici de veuves pauvres. On veut vanter son application au travail, On étale les preuves matérielles d'une assiduité persévérante, qui ne s'est arrêtée que la veille de la mort, et qui était consacrée à des œuvres de charité.

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