Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 3

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1 Or Pierre et Jean montaient ensemble au temple vers l'heure de la prière du soir. Et il y avait là un homme, paralytique depuis sa naissance, qui s'y faisait porter et qu'on déposait chaque jour près de la porte du temple appelée la belle, pour qu'il demandât l'aumône à ceux qui entraient au temple. Celui-ci, ayant vu Pierre et Jean qui allaient entrer au temple, s'adressa à eux pour recevoir une aumône; et Pierre, ayant jeté les yeux sur lui, ainsi que Jean, lui dit: «Regarde-nous!» L'autre les fixa, en s'attendant à recevoir d'eux quelque chose.

6 Mais Pierre lui dit: «De l'argent et de l'or, je n'en ai point; ce que j'ai, je te le donne: au nom de Jésus-Christ de Nazareth, va marcher!» Et l'ayant pris par la main droite, il le souleva, et aussitôt ses chevilles et ses pieds se trouvèrent fortifiés, et il se leva en sursaut et marcha et entra avec eux au temple, se promenant et sautant en louant Dieu.

9 Et tout le peuple le vit se promenant et louant Dieu, et comme on le reconnaissait pour celui-là même qui avait eu coutume de s'asseoir à la belle porte du temple, pour demander l'aumône, on fut rempli d'étonnement et de surprise au sujet de ce qui lui était arrivé.

III, 1-10. Après avoir raconté la manière solennelle et miraculeuse dont l'Église fut fondée et inaugurée, et après avoir esquissé en quelques mots l'état prospère de la première communauté de Jérusalem, l'auteur va nous faire connaître la seconde phase de cette histoire, en racontant le premier conflit engagé entre l'Église et le pouvoir officiel. Car c'est bien là l'élément principal de son récit, qui n'a pas pour but de nous donner simplement un exemple de ces miracles que les apôtres ont dû luire en grand nombre (II, 43). Sans doute, le miracle qui va être raconté devient l'occasion de l'enquête et de la persécution; mais c'est bien cette dernière qui déterminera le développement ultérieur, la direction particulière que prendra l'Église et dont l'historien avait à s'occuper de préférence. Il est à remarquer qu'aucune divergence de doctrine, aucun enseignement hostile à la loi et à la synagogue, ne provoque encore l'attention et les soupçons des autorités juives; il s'agit seulement d'un nom ou d'un personnage que la prédication apostolique préconisait, tandis qu'un arrêt du Sanhédrin l'avait frappé de proscription. La thèse que Jésus de Nazareth était le Christ, est encore la seule qui divise les apôtres et les docteurs juifs, la seule formule qui résume et épuise les croyances spécifiquement chrétiennes.

Le temple dont il est question ici, n'est pas l'édifice sacré lui-même, le sanctuaire (naos), dont l'entrée était réservée aux prêtres exclusivement; il s'agit des cours qui l'entouraient, avec les portiques, salles et auditoires mis à la disposition du public, l'enceinte sacrée (Meron). C'est là que le peuple se rendait, soit pour assister aux cérémonies du culte, soit pour y faire sa dévotion privée. Trois fois par jour, à la 3e, 6e et 9e heure, c'est-à-dire au milieu de la matinée, à midi, et vers trois heures du soir, d'après notre manière de compter, les Juifs pieux récitaient leurs prières, d'après les prescriptions traditionnelles, et ceux qui le pouvaient se rendaient à cet effet au lieu saint. Le présent récit nous montre donc encore les disciples se soumettant scrupuleusement aux ordonnances religieuses de leur nation.

Pierre et Jean y allaient ensemble. C'est ainsi qu'il faut traduire les premiers mots du texte (comp. I, 15), et non pas: vers le même temps. Luc, qui venait de clore son récit précédent par des généralités, n'a pas pu vouloir y rattacher celui-ci chronologiquement. En français, sans doute, une indication de temps arrondirait convenablement la phrase. Mais il ne faudrait pas mettre: Un jour.... car le verbe est à l'imparfait et doit exprimer une habitude.

La porte près de laquelle se trouvait le mendiant, est appelée la belle, selon la traduction généralement adoptée. Toutefois le sens du mot est douteux, les Grecs possédant un terme bien plus usité pour exprimer la notion de la beauté. On a bien essayé d'autres explications, mais à défaut de renseignements positifs, la désignation, qui pourrait bien avoir eu une origine de circonstance, restera pour nous un nom propre. De même, la situation topographique de cette porte nous est inconnue.

Pierre dit au mendiant: Regarde-nous! non pour voir si cet homme était réellement infirme ou s'il exploitait impudemment la commisération des passants, mais pour le préparer à recevoir avec attention le bienfait qu'il lui destinait et pour lui faire écouter le nom de son Sauveur. Va marcher! texte vulgaire: lève-toi et marche! Au nom de Jésus-Christ, par sa puissance et volonté; car il ne s'agit pas d'un effet magique produit par le nom solennellement prononcé (XIX, 13), mais de l'action d'une personnalité, agissant avec conscience et liberté et déléguant sa propre puissance, en vue de la foi (III, 16), à ceux qu'elle a choisis comme ses organes.

11 Or, comme il s'attachait à Pierre et à Jean, c'est vers eux que le peuple étonné accourut de toutes parts, au portique dit de Salomon. Pierre, voyant cela, s'adressa au peuple en ces termes: Israélites, pourquoi vous étonnez-vous au sujet de cet homme? ou pourquoi est-ce sur nous que vous portez vos regards, comme si c'était par notre propre puissance ou piété que nous aurions fait qu'il pût marcher? Le Dieu d'Abraam, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus que vous, vous avez livré et renié à la face de Pilate, quand celui-ci voulut l'absoudre.

14 Mais vous, vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu'on vous accordât la grâce d'un meurtrier, et vous avez fait tuer l'auteur de la vie, que Dieu a ressuscité des morts, ce dont nous sommes témoins. C'est en vue de la foi en son nom que son nom a fortifié cet homme que vous voyez et que vous connaissez, et la foi qui agit par lui a donné cette santé parfaite en présence de vous tous.

17 Or, mes frères, je sais bien que vous avez agi par ignorance, de même que vos magistrats. Mais Dieu a ainsi accompli ce qu'il avait annoncé d'avance par la bouche de tous ses prophètes, savoir que son oint devait souffrir. Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés, pour que les temps du repos puissent venir de la part du Seigneur, et qu'il envoie le Christ qui vous a été destiné d'avance, Jésus, lui que le ciel doit recevoir, jusqu'au temps du rétablissement de toutes choses, dont Dieu a parlé jadis par la bouche de ses saints prophètes.

22 Moïse d'abord a dit: «Le Seigneur votre Dieu vous suscitera, d'entre vos frères, un prophète pareil à moi: écoutez-le dans tout ce qu'il vous dira; et toute âme qui n'écoutera pas ce prophète-là, sera exterminée du milieu du peuple.» Et généralement les prophètes, depuis Samuel et ses successeurs, tous tant qu'ils ont parlé, ont aussi annoncé ces temps-là. Vous êtes les fils des prophètes et de l'alliance que Dieu a faite avec vos pères, en disant à Abraam: «Et en ton rejeton seront bénies toutes les familles de la terre!» C'est a vous les premiers que Dieu, en suscitant son serviteur, Fa envoyé pour vous bénir, en ce que chacun se détourne de ses vices.

III, 11-26. Le peuple avait naturellement fixé d'abord son attention sur le mendiant, dont tout le monde connaissait l'infirmité et dont la guérison devait paraître chose extraordinaire. On le suivait d'un regard de curiosité et de surprise; or, il s'attachait d'une manière ostensible à la personne des deux apôtres, les accompagnant au portique de Salomon (voyez Jean X, 23), où ils allaient faire leur prière, et leur témoignant, par la voix et les gestes, sa vive reconnaissance. C'est donc vers eux que la foule devait accourir, et Pierre aussitôt saisit cette occasion favorable pour l'évangéliser.

Il débute en détournant l'attention de son auditoire des personnes présentes pour la reporter sur Jésus, qui est le véritable sujet de son discours. Les apôtres, bien qu'ils aient réellement opéré le miracle, n'en réclament pas la gloire pour eux-mêmes. Si l'opinion vulgaire attribuait à la sainteté des prophètes le privilège dont ils jouissaient à cet égard, d'après les récits des Écritures, le disciple de Christ sait que sa sainteté n'est jamais telle, qu'elle puisse lui valoir des prérogatives refusées au commun des mortels. Le don des miracles (1 Cor. XII, 10) n'est pas le prix d'un mérite, mais un effet de la grâce, et l'honneur en revient à celui qui seul possède la puissance sur toutes choses.

À cet exorde se joint l'exposition de quelques idées religieuses, fort simples encore, qui constituaient dans le principe toute la théologie apostolique, mais qui ne se présentent pas ici comme le résumé d'un système logiquement disposé. La guérison du paralytique est donc tout d'abord et exclusivement attribuée à Jésus; cela se trouve déjà dans le v. 13, où la phrase: Dieu a glorifié Jésus, se complète naturellement par cette autre sous-entendue: en lui donnant la puissance dont vous voyez les effets; mais cela est aussi exprimé en termes formels v. 16, où son nom signifie sa personne et son action personnelle. Or, qui est ce Jésus? Quelles sont ses qualités et attributions? Il est d'abord appelé le Serviteur de Dieu, d'une manière générale, en sa qualité de prophète (v. 22), tous les prophètes étant les serviteurs de Dieu et les organes de sa volonté; mais il est appelé ainsi plus spécialement en vue des prophéties contenues dans la seconde partie du livre d'Ésaïe, où le terme en question, interprété dans le sens messianique, constituait une espèce de nom propre, de qualification officielle du Christ attendu. (Les anciens interprètes ont mis ici à tort le Fils au lieu du Serviteur: le langage du Nouveau Testament distingue nettement les deux termes, comp. IV, 25.) Jésus est de plus le Saint et le Juste, auquel Pilate même n'a pas trouvé de faute. Cependant ce caractère est revendiqué ici, moins dans un but théologique, que pour faire ressortir ce qu'il y avait d'odieux dans sa condamnation, et pour réveiller la conscience du peuple. C'est dans le même sens qu'il est appelé l’auteur (litt.: le guide) de la vie, celui qui en montre le chemin et qui la procure à ceux qui le suivent. (L'idée de la royauté, exprimée dans les traductions ordinaires, n'y est pas contenue.) Ces deux dernières qualifications font antithèse à celle de meurtrier, qui revient à l'homme préféré par les Juifs, et sont plus particulièrement d'une portée évangélique, tandis que celles de serviteur et de prophète n'élèvent pas Jésus au-dessus de la sphère des hommes de Dieu de l'Ancien Testament (comp. v. 22, pareil à moi).

Dans ces divers titres de Jésus sont contenues en germe les principales notions de la doctrine du salut, celle de la sainteté et de la justice réalisées d'abord dans sa personne, et celle de la vie à obtenir par lui. Ces notions n'attendent plus que le travail de la réflexion théologique pour prendre tous les développements dont elles sont susceptibles. Mais il s'y joint une dernière qui n'est pas la moins importante et qui à elle seule formera bientôt le point de départ du mouvement de séparation entre la théologie de l'Église et celle de la Synagogue (Act. XVII, 3; XXVI, 23). Ce Jésus est mort par vos mains, dit Pierre; vous l'avez renié devant le tribunal d'un juge païen, en présence duquel vous auriez dû reconnaître hautement ses titres (erreur fatale et criminelle, que l'apôtre veut bien excuser par l’ignorance, le manque d'intelligence à l'égard de la volonté de Dieu): mais cette mort, malgré cela, n'était pas un accident ordinaire, quoique déplorable; elle rentrait dans les vues de Dieu, dont vous avez ainsi (v. 18) accompli le dessein, sans le savoir vous-mêmes; l'oint de Dieu, le Christ promis, démit souffrir; il n'aurait pas subi la mort, si cela n'avait pas été dans les décrets de Dieu.

Voilà ce que Pierre affirme sur le compte de Jésus de Nazareth, pour lequel il demande la foi de ses auditeurs. Mais il n'affirme pas seulement, il veut aussi prouver. Sa première preuve est le fait de la résurrection, appuyé sur le témoignage oculaire des disciples (v. 15); la seconde est tirée des Écritures. Tout l'Ancien Testament (v. 18, 24) est une prophétie concernant les temps à venir, dont le Christ est le commencement et la fin. Plusieurs textes sont cités à titre d'exemples, mais dès la première ligne du discours, le rapport intime entre l'ancienne et la nouvelle alliance ressort implicitement de ce que celui qui a glorifié Jésus est appelé le Dieu d’Abraam, l'orateur voulant signaler par ce moyen la continuité des révélations et la connexité de toutes les phases de l'histoire théocratique.

Les citations des passages Deut. XVIII, 15, et Genèse XII, 3; XXII, 18, sont faites librement et de mémoire et s'accordent beaucoup plus avec la version grecque qu'avec le texte hébreu. Nous avons employé le terme de rejeton (au lieu de postérité), par la simple raison que l'interprétation messianique, suivie par l'apôtre, réclame l'idée d'individualité (Gal. III, 16). Ensuite il est clair que le moi susciter ne se rapporte pas ici à la résurrection. Enfin, pour ce qui est de Samuel, le rédacteur probablement n'a pas voulu parler de prédictions messianiques de ce prophète, qui n'existent pas, mais de celles qu'on a trouvées dans les livres qui portent son nom.

À cet enseignement primitif se joint l'exhortation pratique. Elle est rendue plus pressante par la raison que la génération actuelle a le privilège inappréciable d'être la première (v. 25, 26) qui voit l'accomplissement des prophéties. C'est à ce titre que les auditeurs et leurs concitoyens sont appelés les enfants des prophètes et de l’alliance, c'est-à-dire ceux que les promesses d'autrefois regardent plus directement, soit qu'on les oppose aux nations étrangères, soit qu'on les distingue des générations antérieures.

L'exhortation a pour objet le repentir et la conversion (v. 19). Dans les passages parallèles, il s'y joint régulièrement la foi. Cependant elle n'est pas oubliée ici tout à fait. On peut la trouver dans les paroles empruntées au Deutéronome (v. 22 s.), mais plus clairement encore elle est recommandée par ce qui est dit de la guérison du paralytique: c'est en vue de la foi en la personne de Jésus que cet homme a recouvré la santé. Car il s'agit ici, non de la foi de cet individu qui ne connaissait pas le Seigneur, mais de celle de l'apôtre qui avait opéré le miracle. C'est cette foi, qui agit, c'est-à-dire qui produit son effet, non pas immédiatement d'homme à homme, mais par lui, par l'intervention du Christ, objet de la foi, c'est elle, est-il dit, qui fait ces grandes choses: elle devait donc apparaître aux auditeurs comme une qualité désirable avant toute autre, et la conversion est indiquée comme le chemin qui y conduit.

Un dernier élément du discours, c'est la promesse évangélique qu'il renferme. Elle porte sur deux faits. D'abord la conversion fait obtenir le pardon des péchés, lesquels sont pour ainsi dire effacés, comme l'est une dette inscrite sur le livre d'un créancier, quand elle est payée ou remise. À moins d'obtenir ce pardon, le pécheur est retranché du nombre de ceux qui participeront à la vie bienheureuse du royaume de Dieu (v. 23). Le second fait, c'est précisément la fondation de ce royaume, l'avènement des temps messianiques (v. 19-21). Ces derniers sont nommés des temps de repos, litt.: de rafraîchissement, selon une image fréquemment employée dans l'Ancien Testament, où l'ombre, la fraîcheur de l'air, offrent des figures très-naturelles pour toutes sortes de jouissances. Les chaleurs brûlantes de cette vie pleine d'épreuves feront place au doux repos de la béatitude future promise aux fidèles. Il y a encore les temps du rétablissement, ou de la restauration, en tant qu'alors enfin doit s'établir l'état normal, tel qu'il est supposé avoir existé au moment où Jéhova fît son alliance avec Israël, état d'obéissance, de piété, de sainteté. L'histoire réelle, sans doute, ne l'avait guère connu; mais le tableau idéal en était tracé dans la loi et dans les prophètes, et les regrets universels d'une nation depuis longtemps en deuil aimaient à en décorer son berceau et surtout aussi l'époque glorieuse de David.

Ces temps viendront, dès que (v. 19) la conversion demandée aura eu lieu. La naïve confiance des premiers chrétiens pouvait encore espérer qu'elle se ferait d'une manière rapide et générale. Ils n'avaient pas encore de mesure pour calculer les distances qui les séparaient du but et pour apprécier la force de résistance qu'il fallait vaincre d'abord. Si ces temps heureux tardaient à venir, c'est que la longanimité de Dieu prolongeait les délais accordés aux pécheurs; il appartenait à ceux-ci de hâter le glorieux dénouement. Ce moment arrivé, Dieu renverra son Christ sur la terre (v. 20), ce même Jésus qui y avait déjà séjourné pour remplir sa mission de prophète. Aujourd'hui il a été reçu au ciel, et il doit y rester (d'après les desseins de Dieu, révélés jadis, et dès les plus anciens temps), jusqu'au jour choisi pour l'accomplissement.

Ainsi analysé, le présent discours reproduit les éléments habituels de la prédication apostolique primitive: la personne du Messie, comme fait historique et comme objet d'une espérance, et les conditions de l'accomplissement de cette dernière.

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